Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Europe 1 le 12 janvier 2009, sur la polémique concernant la reprise de fonctions de Mme Rachida Dati cinq jours après son accouchement.

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Texte intégral

M.-O. Fogiel.- V. Pécresse, bonjour. Vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur, maman de 3 enfants, une fille et deux garçons, et vous avez écrit en 2007 "Etre une femme politique, ce n'est pas si facile". Vous croyez d'abord que c'est ce que pense ce matin R. Dati qui déchaîne toujours autant les passions après son congé maternité express ?
 
Oui, je crois, parce que je crois que cette question éminemment privée, de la façon dont elle se repose après son accouchement, est mise sur la place publique, alors que vraiment c'est une affaire très privée.
 
Mais franchement, vous-même au Conseil des ministres de mercredi dernier quand vous l'avez vu arriver, entre ministres, vous l'avez commenté, ce retour express ?
 
Je crois vraiment et au fond de moi-même que, aujourd'hui, R. Dati n'avait pas le choix, pas d'autre choix que de revenir très vite.
 
C'est-à-dire ? Puisque vous, vous proposez la création par une loi d'un intérim de 16 semaines, on va y venir. Mais pourquoi elle n'avait pas le choix ? N. Sarkozy lui mettait autant la pression que ça ?
 
Non, ça n'a rien à voir avec le président de la République. Ça a à voir avec un système, un système politique qui pour aucun de ses élus que ce soient les maires, les conseils généraux, les députés ou les ministres, n'organisent la possibilité de se reposer. Après, les conséquences psychologiques, physiques d'un accouchement de s'occuper d'un bébé, de concilier la vie familiale et la vie politique, ça n'existe pas, ce n'est pas dans le mode d'emploi du système... A partir du moment où ce n'est pas dans le mode d'emploi du système, comment voulez vous qu'une femme montre une faiblesse, en disant "eh bien moi, j'ai besoin de me reposer". C'est absolument impossible...
 
C'est pourtant ce qu'a fait la ministre espagnole de la Défense qui avait pris un congé de 6 semaines...
 
Oui, mais parce que le système lui a été proposé. Vous comprenez bien que ce n'est pas de la femme que peut venir l'aveu d'une envie de se reposer ou de voir son bébé ; ça ne peut pas être de la personne... Nous, les femmes politiques nous devons en permanence montrer que nous sommes à la hauteur, et pour montrer que nous sommes à la hauteur, eh bien nous devons assumer nos charges, sans nous plaindre jamais.
 
Alors vous, vous proposez quelque chose de très précis, une loi qui propose un intérim de 16 semaines pour les femmes politiques après un accouchement. Concrètement, ça se passerait comment ?
 
L'idée, ce serait de proposer dans les institutions de la République que le suppléant d'un député, que le premier adjoint d'un maire, que le suppléant d'un conseiller général, et pourquoi pas si on va jusqu'à l'idée d'un ministre, qu'un secrétaire d'Etat en mission puisse venir pendant quelques semaines. Alors après le montant... J'ai dis 16 semaines parce que c'est la durée du congé de maternité tout simplement. Ce n'est pas forcément 16 semaines, ça pourrait être plus court, mais l'idée c'est que - vous avez parlé de l'Espagne ; l'Espagne, c'était 6 semaines -cette personne vienne pendant 4 semaines, 6 semaines prendre les responsabilités.
 
Le ministre aurait le choix ? Ou alors on lui imposerait quand même une sorte de période minimum, comme dans les entreprises pour un congé de maternité ?
 
Ça, c'est une question lourde dont il faut débattre....
 
Votre avis, à vous, dans le débat ?
 
Si vous nous donnez le choix, est-ce que l'on n'aura pas la tentation de dire : "regardez, moi je suis courageuse et je fais des efforts inhumains, mais pour vous, les Français, pour vous, mes électeurs". Vous savez c'est que c'est compliqué, si on donne le choix vraiment à une femme, elle peut prendre sur elle, et se dire : "je vais le faire"...
 
Vous aimeriez qu'il n'y ait pas le choix, de façon à ce que l'on ne soit pas tentée d'être la bonne élève ?
 
Je vais vous dire, je pense que la liberté des femmes, c'est le choix. Donc, je ne vais revenir là-dessus. Mais en revanche, mais je dirais qu' l faut que le système le rende, j'allais automatique ; cet intérim sera automatique et la femme ne pourra y renoncer que si elle le décide.
 
Quelle est votre réaction à ce qui dit S. Royal qui parle de harcèlement moral, concernant N. Sarkozy sur R. Dati ?
 
Je pense que la critique de madame Royal serait sans doute plus pertinente, elle porterait plus, si elle avait attaqué F. Mitterrand au harcèlement moral, au moment ou elle même accouchait, au moment où F. Bredin a accouché, puisqu'elles ont accouché à 3 semaines d'intervalle, elles étaient dans le Gouvernement, et nous avons eu madame Royal tout de suite avec ses dossiers à la clinique.
 
Sauf que ce qu'elle dit c'est que N. Sarkozy aurait du différer sa réforme sur les juges d'instruction, et que là, ça venait lieu très très vite après l'accouchement de R. Dati ?
 
Et bien, que madame Royal dans Match n'ait pas posé avec ses dossiers de ministre, ça lui aurait permis de donner des leçons.
 
Pour terminer, vous avez donc 3 enfants, vous allez certainement les accompagner tout à l'heure à l'école. Votre petit dernier vous l'avez eu alors que vous étiez députée. Votre congé de maternité vous l'avez pris sur combien temps, vous, madame Pécresse ?
 
C'est l'un de mes grands remords depuis que je fais de la politique, et l'un des seuls sans doute, c'est de ne pas avoir pris de congé maternité pour ma fille, et même si évidemment, je me suis ménagée des plages de repos, évidemment j'ai essayé d'être la plus présente possible, mais sans doute l'un de mes grands regrets, et ça explique peut-être cette proposition.
 
Vous arrivez aujourd'hui à concilier votre travail de ministre et votre vie de famille en deux mots ?
 
Eh bien, écoutez, je fais comme toutes les femmes qui ont une vie professionnelle, je jongle.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 janvier 2009