Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi de modernisation sociale, notamment pour le système de santé, les licenciements et le harcélement moral, Paris le 3 avril 2001.

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Circonstance : Audition devant la Commission des Affaires sociales du Sénat sur le projet de loi de modernisation sociale le 3 avril 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame et Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je vous remercie de m'avoir invitée pour cette audition devant votre commission. Je m'efforcerai d'être brève en dépit du nombre et de l'importance des sujets abordés par ce texte, mais je souhaite laisser le temps nécessaire aux questions que vous poserez.
La modernisation sociale est au cur de l'action du Gouvernement : depuis juin 1997, un grand nombre de réformes ont été entreprises pour améliorer nos systèmes sociaux. Nous aurons d'ailleurs, dans les prochaines semaines, d'autres rendez-vous sur des sujets d'ampleur ; je pense en particulier à la question de la protection et de l'accompagnement des personnes âgées dépendantes, aux problèmes posés par la reconnaissance des droits des malades, d'autant plus nécessaire que notre système de soins intègre de nouvelles techniques et doit faire face à des risques nouveaux ; je pense aussi aux questions de bioéthique puisque le gouvernement compte soumettre au Parlement un projet de loi révisant les lois en vigueur.
Mais la modernisation sociale passe aussi par une adaptation permanente des droits et régimes sociaux existants. Faute d'adaptation, ils s'appauvrissent ou deviennent largement ineffectifs. Il n'est pas moins ambitieux de maintenir la vitalité de la législation en place que de créer des droits nouveaux. C'est au maintien de cette vitalité que s'attache le présent projet de loi, dans deux domaines fondamentaux relevant des responsabilités de mon ministère :
- d'une part, la sécurité des personnes face aux risques de la vie et du travail ;
- et d'autre part le droit à l'emploi, dont chacun sait qu'il est encore trop inégalement assuré.
Permettez-moi d'illustrer rapidement les finalités du projet de loi de modernisation sociale ainsi définies, en commentant ses dispositions essentielles et les apports au texte initial qui résultent de la discussion en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le projet de loi qui vous est soumis contient des avancées sociales importantes pour l'ensemble de notre système de santé, concernant aussi bien les professionnels que les patients.
Je commencerai par les mesures concernant les -établissements publics de santé, qui sont au cur du système de soins et qui ont su s'adapter et évoluer pour toujours mieux répondre aux besoins de la population. Vous le savez, depuis que ce Gouvernement est en place, une attention particulière à été portée à la situation des personnels hospitaliers. En particulier, des mesures sociales fortes ont été décidées avec toutes les composantes de la fonction publique hospitalière, qui se sont traduites par la signature de protocoles en mars 2000 et mars 2001. Ces protocoles ont donné un nouvel élan à la prise en compte des sujets sociaux dans les hôpitaux, que le présent projet de loi met en uvre.
C'est pourquoi il est prévu l'inscription systématique dans les projets d'établissements d'un volet social portant sur les conditions de travail, la formation et l'évolution des qualifications. Comme les autres volets du projet d'établissement (obligatoire depuis 1991), il fera l'objet d'une concertation interne approfondie et servira de base aux contrats d'objectifs et de moyens conclus avec les Agences Régionales d'Hospitalisation.
Mais le Gouvernement veut également répondre au souci légitime de mobilité et de promotion des cadres et des agents hospitaliers. C'est pourquoi le présent projet de loi permet aux personnels hospitaliers de bénéficier de bilans de compétence, à l'instar des salariés du secteur privé et des fonctionnaires de l'Etat, qui leur permettront d'orienter leurs évolutions professionnelles et leurs carrières.
L'hôpital joue un rôle essentiel, chacun le sait, dans la formation des professionnels de santé. Ces professionnels nous ont dit que le cursus des études médicales était inadapté. Le Gouvernement les a entendus et vous propose de répondre à leurs demandes qui sont légitimes. La réforme des études médicales que nous vous proposons redonne toute sa place à la médecine générale, qui doit être une discipline au même titre que l'ensemble des spécialités. L'internat concernera l'ensemble des étudiants en médecine, qui bénéficieront d'un cursus de même durée. Nous renforçons donc la qualité de la formation des médecins, et ainsi la qualité des soins.
Dans le même esprit, le Gouvernement souhaite permettre aux praticiens de s'inscrire dans des démarches de qualité, qu'ils appellent de leurs vux et qui répondent à une demande forte de nos concitoyens. C'est pour cela que nous avons inscrit dans notre projet des dispositions relatives à la qualification des professionnels et à l'observation des règles de sécurité indispensables pour le bon accomplissement de certains actes médicaux sensibles (comme la chirurgie esthétique ou la pose d'implants dentaires).
Quelques dispositions concernant des personnes dont l'accès aux soins est difficile je pense notamment à la mesure sociale, je dirai presque humanitaire, qui permet aux personnes en garde à vue ou en centre de rétention de bénéficier de soins par le biais de l'aide médicale de l'Etat.
Je soulignerai également les dispositions relatives à l'accueil familial des personnes âgées et des personnes handicapées. Cet accueil est une alternative précieuse au maintien à domicile, qui n'est pas toujours possible, et à l'hébergement en établissement, qui n'est pas toujours désiré par les personnes concernées. C'est pourquoi il vous est proposé de renforcer les droits sociaux des familles accueillantes, notamment en garantissant le bénéfice de congés payés et en fixant au niveau du SMIC la rémunération minimale. Il assure également aux personnes âgées ou handicapées les conditions d'un accueil de qualité, en précisant les conditions de l'agrément des familles et de son renouvellement.
Vous le voyez, ce texte contient des mesures allant dans le sens d'une modernisation et d'une amélioration du système de sécurité sociale auquel les Français sont attachés.
Il est également l'occasion pour le Gouvernement de réaffirmer son attachement à notre système de retraite de répartition, qui est fondé sur les principes de solidarité entre tous les Français et entre les générations. C'est pourquoi nous avons tenu à inscrire dans ce projet de loi l'abrogation de la loi Thomas, dont le Conseil constitutionnel avait estimé qu'elle ne pouvait entrer dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Enfin, permettez-moi d'insister également sur l'article 8 de ce projet de loi qui recueillera, j'en suis certaine, un vif intérêt dans votre haute Assemblée, puisqu'il concerne les Français établis hors de France, dont le Sénat assure une représentation privilégiée. Ceux de nos compatriotes établis à l'étranger et qui disposent de revenus modestes, pourront adhérer à des conditions financières plus favorables à la Caisse des Français de l'Etranger, et ainsi obtenir une couverture maladie de qualité. Le dispositif créé sera financé sur les crédits du ministère des affaires étrangères, complétés d'une dotation initiale financée par la Caisse des Français de l'Etranger. Il s'agit d'une mesure de justice sociale attendue par nos compatriotes expatriés, qui ne sont pas tous des diplomates, des travailleurs hautement qualifiés ou des grands artistes.
J'en viens à présent au deuxième grand volet de ce projet de loi qui vise à donner au droit à l'emploi une extension nouvelle.
Sous l'effet des politiques volontaristes de soutien de la croissance, de lutte contre le chômage et de développement de l'emploi (35 heures, emplois-jeunes, programmes TRACE en faveur des jeunes et " nouveau départ " en faveur des chômeurs de longue durée), le chemin parcouru depuis plus de trois ans a été considérable.
Avec une baisse d'un tiers du nombre de chômeurs depuis juin 1997 (-1 045 000) et un taux de chômage ramené de 12,6 % à 8,8 % fin février 2001, la France se situe en tête des pays européens en termes d'effort accompli. L'année 2000 aura aussi été une année record pour la création d'emplois, puisqu'avec plus de 500 000 emplois créés en un an, nous avons atteint le chiffre le plus élevé depuis le début du siècle.
Mais si nous pouvons nous féliciter de ces résultats, force est de constater que le droit à l'emploi n'est pas toujours garanti à tous. Je pense notamment à ceux qui sont victimes de licenciements et à ceux qui demeurent dans l'emploi en situation de précarité parce qu'ils sont cantonnés à des contrats de courte durée et tenus à l'écart des emplois permanents.
C'est contre les abus que cachent ces pratiques, que le Gouvernement vous propose de légiférer. L'actualité de ces derniers jours vient encore nous démontrer la pertinence de l'existence de règles strictes. Nous l'avons fermement rappelé à Marks Spencer. Nous sommes encore plus déterminés depuis la semaine dernière.
C'est pourquoi nous vous proposons d'abord de mieux prévenir les licenciements ; à cet effet, le projet de loi impose désormais aux employeurs de conclure ou au moins de négocier, préalablement à tout plan social, un accord sur la réduction du temps de travail. Si cette obligation n'est pas respectée, les représentants du personnel auront la faculté de saisir le juge des référés qui pourra dès lors suspendre la procédure en cours.
Lorsque les licenciements sont cependant devenus inévitables, le projet de loi renforce substantiellement les compétences des représentants du personnel pour garantir les droits des salariés : d'une part, en améliorant l'implantation des institutions représentatives du personnel, et d'autre part, en favorisant, le plus en amont possible l'information des représentants du personnel.
Enfin, le projet du gouvernement inscrit dans la loi la nécessité de rechercher toutes les opportunités de reclassement préalable à tout licenciement économique. C'est la responsabilité de l'employeur de procéder à cette recherche de toutes les solutions de reclassement dans l'entreprise, mais aussi lorsque c'est le cas, dans l'unité économique et sociale ou le groupe dans lesquels elle est intégrée, et de mettre en place un plan social mobilisant tous les moyens qui sont à sa disposition.
Tout aussi impérative à mes yeux est la limitation de la précarité de l'emploi, qui me semble de plus en plus inacceptable compte tenu du dynamisme de notre économie. C'est pourquoi le projet du Gouvernement souhaite renforcer le principe, qui figure d'ailleurs déjà dans la loi, de non substitution d'emplois temporaires à des emplois permanents liés à l'activité normale de l'entreprise. En effet, compte tenu des conséquences en termes de précarité des salariés de ce type de contrats, il est impératif qu'ils soient réservés aux cas où il n'est pas possible d'envisager un contrat à durée déterminée. Grâce à un certain nombre de dispositions nouvelles, le recours abusif aux emplois précaires sera mieux combattu.
Parallèlement à ces mesures volontaristes pour lutter contre les licenciements abusifs et la précarité des emplois, le Gouvernement a voulu engager une réforme fondamentale qui place le droit à l'emploi dans une perspective dynamique : la validation des acquis de l'expérience professionnelle. Associée à quelques mesures fortes en matière de formation professionnelle, cette grande réforme favorisera la mobilité des salariés, la reconnaissance de leur qualification et de leur progression professionnelle.
Je replace bien évidemment ces avancées importantes dans le contexte de la négociation des partenaires sociaux sur la formation professionnelle. Trente ans après la conclusion des premiers accords sur la formation professionnelle, je me réjouis que nous engagions ensemble une nouvelle étape vers l'objectif ambitieux d'une formation tout au long de la vie.
J'insisterai enfin sur ce qui a été l'un des principaux apports de la discussion de ce texte en première lecture à l'Assemblée nationale : la reconnaissance, dans le Code du travail, de ce type de harcèlement moral au travail. Ce type de harcèlement n'est pas propre à la France. J'ai reçu hier Michel DEBOUT, auteur d'un rapport sur le sujet pour le compte du Conseil Economique et Social, assemblée devant laquelle je m'exprimerai sur ce thème la semaine prochaine; j'ai pris connaissance des travaux de Marie-France HIRIGOYEN et je la recevrai dans quelques jours.
J'ai été particulièrement sensible aux arguments portés par un certain nombre de parlementaires, notamment communistes (Georges HAGE à l'Assemblée nationale, Roland MUZEAU au Sénat), et c'est pourquoi j'ai souhaité que nous engagions un travail législatif sur le sujet. Un certain nombre de dispositions ont donc déjà été adoptées :
- en premier lieu une définition du harcèlement moral, sans portée pénale, insistant sur la notion de répétition des agissements, et dont l'objet ou l'effet est de porter atteinte à la dignité du salarié et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; cette définition permettra de mieux identifier, et donc de sanctionner, ce type de harcèlement ;
- le texte prévoit également la nullité des sanctions disciplinaires et de la rupture du contrat de travail qui seraient la conséquence d'un harcèlement moral ou de son refus. En effet, puisqu'il s'agit d'un harcèlement qui vise à pousser le salarié à commettre une faute, il est important que le droit soit du côté du plus faible ;
- enfin, il met à la charge du chef d'entreprise la responsabilité de la prévention du harcèlement en rappelant notamment le principe d'exécution de bonne foi des contrats.
Je souhaite que ce dispositif puisse être complété au cours de la discussion. La victime, tout comme le témoin, pourrait bénéficier d'un régime d'aménagement de la charge de la preuve devant le juge du contrat, ce qui rendra notre législation compatible avec les directives communautaires ; les organisations syndicales et les associations pourraient saisir le juge du contrat aux lieu et place de la victime ; enfin, de nouvelles prérogatives pourraient être reconnues aux élus du personnel en vue de prévenir le harcèlement moral dans l'entreprise.
Telles sont, Mesdames et Messieurs les sénateurs, les objectifs et les dispositions essentielles du projet de loi de modernisation sociale que je voulais souligner en introduction à ce débat.
Ce projet comporte aussi de nombreuses dispositions diverses que je n'ai pas commentées, non qu'elles soient dénuées d'intérêt et de portée, mais parce qu'il m'importe de bien relever la cohérence d'inspiration réformatrice qui constitue le cur du projet.
Je vous remercie.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 12 avril 2001)