Texte intégral
Mesdames, Messieurs, cher(e)s ami(e)s, chers camarades,
Bienvenue! Bienvenue fraternelle, amicale, chaleureuse, au siège national du Parti communiste français. Merci d'avoir accepté notre invitation à cette soirée, par laquelle s'achève une semaine de rencontres autour du 80ème anniversaire de notre parti.
Je veux aussi remercier Roger Martelli et, avec lui, celles et ceux à qui nous devons l'exposition installée ici, ainsi que les multiples initiatives - les débats, les projections de films - qui ont jalonné ces journées. Merci, également à l'amicale des vétérans de notre parti, qui y a contribué.
Merci, enfin, au service documentation du Comité national, et à tous nos amis des services généraux qui ont rendu possible l'organisation de ces différentes manifestations, jusqu'à la fête qui prolongera tout à l'heure notre rencontre.
Vous l'aurez remarqué, nous nous sommes efforcés, au cours de ces quelques journées, d'éviter le piège de la démarche protocolaire, convenue, ce que l'on appelle "l'auto célébration". S'y laisser entraîner aurait immanquablement conduit à stériliser le nécessaire débat sur la place, le rôle du Parti communiste dans la société française quand tout appelle, au contraire, à le stimuler. C'est la voie que nous avons choisie ces dernières années, et c'est dans cet esprit que nous avons voulu aborder, en ce 80ème anniversaire, l'évocation du moment fondateur que fût le Congrès de Tours.
Quand la majorité des militants qui s'y trouvent réunis décident, en décembre 1920, l'adhésion de leur parti à la 3ème Internationale, le communisme français est déjà profondément ancré dans les luttes populaires, dans le mouvement révolutionnaire français qui s'est développé au cours des deux siècles précédents. Et en même temps, cette décision intervient "dans la foulée" de la révolution russe de 1917, et de la fracture qui s'en suit, au sein des mouvements révolutionnaires, entre ceux qui la considèrent d'emblée comme exemplaire, et ceux qui s'y refusent, et veulent poursuivre la tradition sociale-démocrate. Une sociale-démocratie qui par la caution qu'elle venait d'apporter à l'horrible tuerie que fut la première guerre mondiale se trouvait disqualifiée.
C'est ainsi que débute non pas l'histoire du communisme français, mais l'histoire du Parti communiste français.
Une histoire dont je veux souligner - et ce n'est pas sans signification de le dire ainsi aujourd'hui - qu'elle est, avant tout l'histoire personnelle de femmes et d'hommes, de centaines de milliers d'adhérentes et d'adhérents qui ont eu le mérite d'une grande rectitude dans leur engagement. Un mérite d'autant plus grand qu'ils ont connu - et parfois à plusieurs reprises dans leurs parcours militant - des bouleversements radicaux touchant aux raisons profondes et au sens de leur engagement.
Ces deux filiations que je viens d'évoquer - les racines et l'élan d'octobre 1917 - ont produit leurs effets.
Grâce à la première, le PCF ne s'est jamais considéré, et n'a jamais été considéré par les Français comme le produit d'une "greffe" d'un corps étranger sur notre société. Il s'est développé, il s'est enraciné dans les réalités nationales, et a pris une part souvent déterminante à des moments forts de la vie du pays. Ainsi dans les années 30 avec le Front populaire puis, un peu plus tard, avec la Résistance à l'occupation nazie. Ainsi encore, tout au long des huit décennies de son histoire, par sa contribution aux grandes conquêtes sociales et démocratiques, aux luttes pour la paix et le respect des peuples et des nations, au rejet des aventures coloniales.
Quant à la seconde filiation, elle a aussi pesé d'un poids significatif. Elle a conduit le PCF à un engagement total auprès des peuples victimes d'oppressions, de pillages, d'actes de guerre de la part d'un capitalisme terriblement prédateur. Mais elle a eu aussi pour très lourde conséquence, dans le cadre d'un terrifiant affrontement, à l'échelle de la planète, entre capitalisme et communisme, de jeter les partis se réclamant du second dans l'obéissance aux dogmes staliniens.
C'est alors que s'est imposée une conception des partis communistes qui en faisait les instruments d'un mouvement communiste international au sein duquel avait force de loi la reconnaissance du modèle soviétique. Il faut bien le dire: le Parti communiste français ne fut pas le moins zélé à se ranger à cette conception. Et c'est ainsi que l'internationalisme, valeur fondamentale du communisme français a pu être, à plusieurs reprises, dévoyé en soutien inconditionnel à l'Union soviétique dans sa politique internationale. Or celle-ci était bien souvent commandée par les intérêts d'une grande puissance, inscrits dans la permanence des visées géopolitiques traditionnelles de la Russie, plutôt qu'inspirée par une conception communiste du monde et des rapports entre les peuples.
On sait à quels monstrueux aveuglements sur des réalités terribles, et parfaitement antagoniques à l'idéal communiste, a conduit cette conception.
On comprend mieux, dès lors, le choc produit, dans un tel parti, par la double crise qui a marqué le dernier tiers du XXème siècle: crise du communisme et crise de la politique. A tel point que la question même de l'existence du PCF s'est trouvée posée.
C'est qu'une intense pression idéologique a voulu convaincre les femmes et les hommes communistes de l'inutilité de s'accrocher à un parti réputé vestige d'une période révolue. On les sommait de jeter l'éponge, et certains ont cédé à cette injonction. Pas nous, pas la majorité des communistes français.
Mais, cela ne pouvait pas, ne devait pas, nous conduire à fermer les yeux sur les raisons de l'effondrement soviétique et du recul communiste en France.
Car la tentation d'un repli sur la "pureté" - de nos modes de vie anciens, de nos conceptions d'autrefois - aurait été synonyme de crispation identitaire et, à terme rapproché, de disparition.
Nous avons entrepris au contraire - et nous le poursuivons - un effort visant à déceler ce qu'exigent pour nous les bouleversements considérables qui ont marqué le monde et la société française à partir du milieu des années cinquante.
La question posée par ces bouleversements est, au fond, celle de l'action communiste nécessaire pour libérer réellement, dans l'économie et dans la société, la capacité d'initiative des individus. Une libération indispensable à la maîtrise des formidables avancées des connaissances au service du progrès humain, alors même que le capitalisme s'emploie à les utiliser pour renforcer sa domination, avec les tensions et les déchirements qui en résultent, dans les sociétés et dans les relations internationales.
Simultanément, il nous a fallu cheminer vers une véritable mise en cause des conceptions étatistes si solidement installées au cur même de nos convictions communistes. Une mise en cause essentielle afin de répondre aux attentes de nouvelle citoyenneté nées des bouleversements que j'ai évoqués et de la crise de la politique.
Il a fallu de la volonté pour entreprendre tout cela. En particulier la volonté d'avancer dans une totale liberté de pensée et d'expression, avec les communistes dans leur diversité. Et un pas décisif, fondateur d'avenir, a été accompli en mars 2000, à Martigues, à l'occasion du 30ème congrès du Parti communiste.
J'y insiste: les décisions prises à ce congrès ne sont pas le point final à l'effort débuté ces dernières années, ce que nous avons appelé la "mutation" du Parti communiste. Elles ouvrent, au contraire, des perspectives nouvelles à une démarche vivante, convaincante, permettant de travailler à libérer la société du capitalisme. Le "projet communiste" adopté à Martigues par les congressistes tient volontairement en quelques feuillets. Nous l'avons voulu ainsi. Il ne s'agit pas - il ne s'agit plus - de livrer un corps de doctrine, un propos de référence supposé tout contenir de la réalité et des moyens de la transformer. Notre projet ne découle pas - ne découle plus - de conceptions théoriques à priori, ou d'un modèle, mais des problèmes concrets à résoudre, qui appellent coopération, partage, citoyenneté nouvelle.
Il ne s'agit donc pas de se fixer comme but suprême la "prise du pouvoir", dans un futur hypothétique, quand des "conditions objectives" se trouveraient enfin réunies pour basculer, d'un coup d'épaule, d'un monde à un autre; d'une société de dominations et d'aliénations à une société de liberté et d'épanouissement humain.
Il s'agit, et c'est bien plus ambitieux, bien plus difficile, bien plus "politique" au vrai sens, au sens noble du terme, de permettre l'exercice du pouvoir par les citoyennes et les citoyennes eux-mêmes. J'ai parlé de partage: c'est au service du partage des richesses, des cultures, des activités, des savoirs et des pouvoirs, de l'initiative que ce pouvoir des citoyens doit s'appliquer. C'est cette volonté qui donne sens à notre ambition communiste moderne de dépasser le capitalisme - et non pas de l'aménager - pour s'en libérer. Et c'est elle, encore, qui indique que la transformation de la société n'est concevable, pour nous, qu'en termes de processus: le communisme est à la fois une visée et un mouvement.
Et l'adhérente et l'adhérent, encore. Dans cette nouvelle cohérence, elle et il occupent nécessairement une position centrale. Non pas pour faire un peu mieux en matière de démocratie, mais parce que rien n'est possible si la souveraineté des communistes sur leur parti n'est pas le pivot de son fonctionnement.
Le congrès de Martigues, ce congrès de l'an 2000 que nous avons voulu porteur d'avenir, d'idéal et d'espérance, a permis, de ce point de vue, une avancée décisive pour mettre fin, réellement, au centralisme étouffant l'initiative et la citoyenneté, et pour fonder son organisation sur les attentes, les motivations et la liberté d'engagement des femmes et des hommes communistes.
Ce que nous voulons, en permettant le développement de ce militantisme moderne, c'est faire vivre une organisation communiste liée à la société telle qu'elle est, travaillant avec elle, et non pas "à côté" ou, ce serait pire encore, "au-dessus".
C'est donc d'une organisation communiste ouverte sur la société qu'il s'agit. Une organisation attentive à tous les problèmes qui s'y posent, et en constante proximité avec celles et ceux qui les vivent.
Une organisation, un parti communiste en ce sens véritablement, pleinement populaire, présent partout où se réfléchissent et se prennent les décisions: dans le mouvement social et dans toutes les institutions, jusqu'au gouvernement de la France.
Mais je l'ai dit et je le confirme: c'est un chantier qui s'est ouvert à Martigues. Dans la préparation du 30ème congrès, dans sa tenue, nous avons réfléchi aux mesures concrètes et inédites qu'il nous fallait prendre.
Un certain nombre d'entre elles sont d'ores et déjà actées; d'autres suivront, et en ce moment même un travail d'élaboration est conduit, qui débouchera sur une modification fondamentale des statuts acutels, pour aller vers les statuts du nouveau parti communiste.
Ces décisions peuvent favoriser l'essor de pratiques politiques modernes, secouant le conformisme et les dogmes établis. En ce sens, elles peuvent constituer une novation salutaire pour le Parti communiste lui-même et pour l'ensemble de la vie politique.
Vous le voyez, cher(e)s ami(e)s, j'ai voulu vous dire comment je ressens mon parti, dans son histoire et dans son mouvement. Il est un tout incluant, inséparablement, son passé, la crise qu'il a dû affronter - en liaison avec celles du communisme et de la politique - et enfin les décisions du 30ème congrès. Et à propos de son passé, je veux dire qu'il ne peut pas être question, pour nous, ni de s'en tenir à ses lumières pour ignorer ses ombres, ni de ne remâcher que les ombres, en oubliant que les lumières sont le fruit du dévouement, de l'intelligence et du courage de centaines de milliers de femmes et d'hommes depuis quatre-vingts ans.
Notre objectif, à Martigues, était d'être à la hauteur des choix opérés à Tours. Il était de chercher et proposer des réponses politiques neuves que commandent les exigences nouvelles d'efficacité pour transformer la société et le monde à l'aube du 21ème siècle.
Dans les conditions de leur époque les congressistes de Tours étaient confrontés au même type de choix. Ils ont répondu à ce défi par l'ambition en politique. Ils ont ainsi fondé un nouveau parti, qui a puissamment contribué à construire l'identité progressiste de la France.
Et je n'oublie pas le rôle qu'ont joué, de ce point de vue - chacune et chacun à sa façon, et dans des circonstances différentes - les générations de dirigeants qui nous ont précédés.
Cela dit, le plus difficile, mais aussi le plus passionnant est maintenant devant nous: il faut travailler à inscrire tout cela dans la vie.
C'est un chantier, ai-je dit. Un chantier, pas un monument! Un chantier humain qui se propose de mobiliser l'intelligence, la sensibilité, la diversité de celles et ceux, membres du Parti communiste et bien au-delà, qui voient, en toute lucidité, de nombreuses et fortes raisons de changer la société pour écrire une nouvelle page de la civilisation humaine.
Je veux le dire ici, aujourd'hui, avec force, en tant qu'homme communiste et en tant que premier responsable de ce parti: c'est avec enthousiasme, détermination et confiance, que je me suis engagé dans ce chantier. Avec mes camarades et amis j'entends poursuivre de toutes mes forces la tâche entreprise.
Le Parti communiste français, qui fête aujourd'hui ses quatre-vingts ans, n'a pas seulement un riche passé, il a, croyez-moi, un grand avenir qu'il appartient aux hommes et aux femmes communistes de concevoir et de construire.
Et je veux en voir un signe fort dans la fête qui succèdera tout à l'heure à cette réception: c'est à l'initiative des jeunes membres de la direction du parti que nous la devons. C'est à la jeunesse qu'elle est dédiée.
(Source http://www.pcf.fr, le 08 janvier 2001).
Bienvenue! Bienvenue fraternelle, amicale, chaleureuse, au siège national du Parti communiste français. Merci d'avoir accepté notre invitation à cette soirée, par laquelle s'achève une semaine de rencontres autour du 80ème anniversaire de notre parti.
Je veux aussi remercier Roger Martelli et, avec lui, celles et ceux à qui nous devons l'exposition installée ici, ainsi que les multiples initiatives - les débats, les projections de films - qui ont jalonné ces journées. Merci, également à l'amicale des vétérans de notre parti, qui y a contribué.
Merci, enfin, au service documentation du Comité national, et à tous nos amis des services généraux qui ont rendu possible l'organisation de ces différentes manifestations, jusqu'à la fête qui prolongera tout à l'heure notre rencontre.
Vous l'aurez remarqué, nous nous sommes efforcés, au cours de ces quelques journées, d'éviter le piège de la démarche protocolaire, convenue, ce que l'on appelle "l'auto célébration". S'y laisser entraîner aurait immanquablement conduit à stériliser le nécessaire débat sur la place, le rôle du Parti communiste dans la société française quand tout appelle, au contraire, à le stimuler. C'est la voie que nous avons choisie ces dernières années, et c'est dans cet esprit que nous avons voulu aborder, en ce 80ème anniversaire, l'évocation du moment fondateur que fût le Congrès de Tours.
Quand la majorité des militants qui s'y trouvent réunis décident, en décembre 1920, l'adhésion de leur parti à la 3ème Internationale, le communisme français est déjà profondément ancré dans les luttes populaires, dans le mouvement révolutionnaire français qui s'est développé au cours des deux siècles précédents. Et en même temps, cette décision intervient "dans la foulée" de la révolution russe de 1917, et de la fracture qui s'en suit, au sein des mouvements révolutionnaires, entre ceux qui la considèrent d'emblée comme exemplaire, et ceux qui s'y refusent, et veulent poursuivre la tradition sociale-démocrate. Une sociale-démocratie qui par la caution qu'elle venait d'apporter à l'horrible tuerie que fut la première guerre mondiale se trouvait disqualifiée.
C'est ainsi que débute non pas l'histoire du communisme français, mais l'histoire du Parti communiste français.
Une histoire dont je veux souligner - et ce n'est pas sans signification de le dire ainsi aujourd'hui - qu'elle est, avant tout l'histoire personnelle de femmes et d'hommes, de centaines de milliers d'adhérentes et d'adhérents qui ont eu le mérite d'une grande rectitude dans leur engagement. Un mérite d'autant plus grand qu'ils ont connu - et parfois à plusieurs reprises dans leurs parcours militant - des bouleversements radicaux touchant aux raisons profondes et au sens de leur engagement.
Ces deux filiations que je viens d'évoquer - les racines et l'élan d'octobre 1917 - ont produit leurs effets.
Grâce à la première, le PCF ne s'est jamais considéré, et n'a jamais été considéré par les Français comme le produit d'une "greffe" d'un corps étranger sur notre société. Il s'est développé, il s'est enraciné dans les réalités nationales, et a pris une part souvent déterminante à des moments forts de la vie du pays. Ainsi dans les années 30 avec le Front populaire puis, un peu plus tard, avec la Résistance à l'occupation nazie. Ainsi encore, tout au long des huit décennies de son histoire, par sa contribution aux grandes conquêtes sociales et démocratiques, aux luttes pour la paix et le respect des peuples et des nations, au rejet des aventures coloniales.
Quant à la seconde filiation, elle a aussi pesé d'un poids significatif. Elle a conduit le PCF à un engagement total auprès des peuples victimes d'oppressions, de pillages, d'actes de guerre de la part d'un capitalisme terriblement prédateur. Mais elle a eu aussi pour très lourde conséquence, dans le cadre d'un terrifiant affrontement, à l'échelle de la planète, entre capitalisme et communisme, de jeter les partis se réclamant du second dans l'obéissance aux dogmes staliniens.
C'est alors que s'est imposée une conception des partis communistes qui en faisait les instruments d'un mouvement communiste international au sein duquel avait force de loi la reconnaissance du modèle soviétique. Il faut bien le dire: le Parti communiste français ne fut pas le moins zélé à se ranger à cette conception. Et c'est ainsi que l'internationalisme, valeur fondamentale du communisme français a pu être, à plusieurs reprises, dévoyé en soutien inconditionnel à l'Union soviétique dans sa politique internationale. Or celle-ci était bien souvent commandée par les intérêts d'une grande puissance, inscrits dans la permanence des visées géopolitiques traditionnelles de la Russie, plutôt qu'inspirée par une conception communiste du monde et des rapports entre les peuples.
On sait à quels monstrueux aveuglements sur des réalités terribles, et parfaitement antagoniques à l'idéal communiste, a conduit cette conception.
On comprend mieux, dès lors, le choc produit, dans un tel parti, par la double crise qui a marqué le dernier tiers du XXème siècle: crise du communisme et crise de la politique. A tel point que la question même de l'existence du PCF s'est trouvée posée.
C'est qu'une intense pression idéologique a voulu convaincre les femmes et les hommes communistes de l'inutilité de s'accrocher à un parti réputé vestige d'une période révolue. On les sommait de jeter l'éponge, et certains ont cédé à cette injonction. Pas nous, pas la majorité des communistes français.
Mais, cela ne pouvait pas, ne devait pas, nous conduire à fermer les yeux sur les raisons de l'effondrement soviétique et du recul communiste en France.
Car la tentation d'un repli sur la "pureté" - de nos modes de vie anciens, de nos conceptions d'autrefois - aurait été synonyme de crispation identitaire et, à terme rapproché, de disparition.
Nous avons entrepris au contraire - et nous le poursuivons - un effort visant à déceler ce qu'exigent pour nous les bouleversements considérables qui ont marqué le monde et la société française à partir du milieu des années cinquante.
La question posée par ces bouleversements est, au fond, celle de l'action communiste nécessaire pour libérer réellement, dans l'économie et dans la société, la capacité d'initiative des individus. Une libération indispensable à la maîtrise des formidables avancées des connaissances au service du progrès humain, alors même que le capitalisme s'emploie à les utiliser pour renforcer sa domination, avec les tensions et les déchirements qui en résultent, dans les sociétés et dans les relations internationales.
Simultanément, il nous a fallu cheminer vers une véritable mise en cause des conceptions étatistes si solidement installées au cur même de nos convictions communistes. Une mise en cause essentielle afin de répondre aux attentes de nouvelle citoyenneté nées des bouleversements que j'ai évoqués et de la crise de la politique.
Il a fallu de la volonté pour entreprendre tout cela. En particulier la volonté d'avancer dans une totale liberté de pensée et d'expression, avec les communistes dans leur diversité. Et un pas décisif, fondateur d'avenir, a été accompli en mars 2000, à Martigues, à l'occasion du 30ème congrès du Parti communiste.
J'y insiste: les décisions prises à ce congrès ne sont pas le point final à l'effort débuté ces dernières années, ce que nous avons appelé la "mutation" du Parti communiste. Elles ouvrent, au contraire, des perspectives nouvelles à une démarche vivante, convaincante, permettant de travailler à libérer la société du capitalisme. Le "projet communiste" adopté à Martigues par les congressistes tient volontairement en quelques feuillets. Nous l'avons voulu ainsi. Il ne s'agit pas - il ne s'agit plus - de livrer un corps de doctrine, un propos de référence supposé tout contenir de la réalité et des moyens de la transformer. Notre projet ne découle pas - ne découle plus - de conceptions théoriques à priori, ou d'un modèle, mais des problèmes concrets à résoudre, qui appellent coopération, partage, citoyenneté nouvelle.
Il ne s'agit donc pas de se fixer comme but suprême la "prise du pouvoir", dans un futur hypothétique, quand des "conditions objectives" se trouveraient enfin réunies pour basculer, d'un coup d'épaule, d'un monde à un autre; d'une société de dominations et d'aliénations à une société de liberté et d'épanouissement humain.
Il s'agit, et c'est bien plus ambitieux, bien plus difficile, bien plus "politique" au vrai sens, au sens noble du terme, de permettre l'exercice du pouvoir par les citoyennes et les citoyennes eux-mêmes. J'ai parlé de partage: c'est au service du partage des richesses, des cultures, des activités, des savoirs et des pouvoirs, de l'initiative que ce pouvoir des citoyens doit s'appliquer. C'est cette volonté qui donne sens à notre ambition communiste moderne de dépasser le capitalisme - et non pas de l'aménager - pour s'en libérer. Et c'est elle, encore, qui indique que la transformation de la société n'est concevable, pour nous, qu'en termes de processus: le communisme est à la fois une visée et un mouvement.
Et l'adhérente et l'adhérent, encore. Dans cette nouvelle cohérence, elle et il occupent nécessairement une position centrale. Non pas pour faire un peu mieux en matière de démocratie, mais parce que rien n'est possible si la souveraineté des communistes sur leur parti n'est pas le pivot de son fonctionnement.
Le congrès de Martigues, ce congrès de l'an 2000 que nous avons voulu porteur d'avenir, d'idéal et d'espérance, a permis, de ce point de vue, une avancée décisive pour mettre fin, réellement, au centralisme étouffant l'initiative et la citoyenneté, et pour fonder son organisation sur les attentes, les motivations et la liberté d'engagement des femmes et des hommes communistes.
Ce que nous voulons, en permettant le développement de ce militantisme moderne, c'est faire vivre une organisation communiste liée à la société telle qu'elle est, travaillant avec elle, et non pas "à côté" ou, ce serait pire encore, "au-dessus".
C'est donc d'une organisation communiste ouverte sur la société qu'il s'agit. Une organisation attentive à tous les problèmes qui s'y posent, et en constante proximité avec celles et ceux qui les vivent.
Une organisation, un parti communiste en ce sens véritablement, pleinement populaire, présent partout où se réfléchissent et se prennent les décisions: dans le mouvement social et dans toutes les institutions, jusqu'au gouvernement de la France.
Mais je l'ai dit et je le confirme: c'est un chantier qui s'est ouvert à Martigues. Dans la préparation du 30ème congrès, dans sa tenue, nous avons réfléchi aux mesures concrètes et inédites qu'il nous fallait prendre.
Un certain nombre d'entre elles sont d'ores et déjà actées; d'autres suivront, et en ce moment même un travail d'élaboration est conduit, qui débouchera sur une modification fondamentale des statuts acutels, pour aller vers les statuts du nouveau parti communiste.
Ces décisions peuvent favoriser l'essor de pratiques politiques modernes, secouant le conformisme et les dogmes établis. En ce sens, elles peuvent constituer une novation salutaire pour le Parti communiste lui-même et pour l'ensemble de la vie politique.
Vous le voyez, cher(e)s ami(e)s, j'ai voulu vous dire comment je ressens mon parti, dans son histoire et dans son mouvement. Il est un tout incluant, inséparablement, son passé, la crise qu'il a dû affronter - en liaison avec celles du communisme et de la politique - et enfin les décisions du 30ème congrès. Et à propos de son passé, je veux dire qu'il ne peut pas être question, pour nous, ni de s'en tenir à ses lumières pour ignorer ses ombres, ni de ne remâcher que les ombres, en oubliant que les lumières sont le fruit du dévouement, de l'intelligence et du courage de centaines de milliers de femmes et d'hommes depuis quatre-vingts ans.
Notre objectif, à Martigues, était d'être à la hauteur des choix opérés à Tours. Il était de chercher et proposer des réponses politiques neuves que commandent les exigences nouvelles d'efficacité pour transformer la société et le monde à l'aube du 21ème siècle.
Dans les conditions de leur époque les congressistes de Tours étaient confrontés au même type de choix. Ils ont répondu à ce défi par l'ambition en politique. Ils ont ainsi fondé un nouveau parti, qui a puissamment contribué à construire l'identité progressiste de la France.
Et je n'oublie pas le rôle qu'ont joué, de ce point de vue - chacune et chacun à sa façon, et dans des circonstances différentes - les générations de dirigeants qui nous ont précédés.
Cela dit, le plus difficile, mais aussi le plus passionnant est maintenant devant nous: il faut travailler à inscrire tout cela dans la vie.
C'est un chantier, ai-je dit. Un chantier, pas un monument! Un chantier humain qui se propose de mobiliser l'intelligence, la sensibilité, la diversité de celles et ceux, membres du Parti communiste et bien au-delà, qui voient, en toute lucidité, de nombreuses et fortes raisons de changer la société pour écrire une nouvelle page de la civilisation humaine.
Je veux le dire ici, aujourd'hui, avec force, en tant qu'homme communiste et en tant que premier responsable de ce parti: c'est avec enthousiasme, détermination et confiance, que je me suis engagé dans ce chantier. Avec mes camarades et amis j'entends poursuivre de toutes mes forces la tâche entreprise.
Le Parti communiste français, qui fête aujourd'hui ses quatre-vingts ans, n'a pas seulement un riche passé, il a, croyez-moi, un grand avenir qu'il appartient aux hommes et aux femmes communistes de concevoir et de construire.
Et je veux en voir un signe fort dans la fête qui succèdera tout à l'heure à cette réception: c'est à l'initiative des jeunes membres de la direction du parti que nous la devons. C'est à la jeunesse qu'elle est dédiée.
(Source http://www.pcf.fr, le 08 janvier 2001).