Déclaration de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à France Inter le 24 décembre 2008, sur les négociations concernant la nouvelle convention de l'assurance chômage et le plan de relance de l'économie.

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Média : France Inter

Texte intégral

P. Weill.- F. Chérèque, secrétaire général de la CFDT, est notre invité. Bonjour Monsieur Chérèque.
 
Bonjour.
 
D'abord, le projet d'accord sur l'assurance chômage après une séance marathon de plus de seize heures, qui s'est terminée cette nuit. C'est un bon accord, vous signerez ?
 
Je vous remercie de poser cette question d'une façon aussi directe. La décision de la CFDT n'est pas prise à ce jour, et je suis incapable de vous dire la décision qu'on va prendre.
 
Et votre opinion ?
 
Je précise, elle sera prise le 8 janvier. L'important aujourd'hui, c'est de se dire : qu'est-ce qui est bon dans cet accord, qu'est-ce qui est mauvais ?
 
Qu'est-ce qui est bon ?
 
Qu'est-ce qui est bon ? Un changement fondamental, c'est que nous allons améliorer l'accès à l'assurance chômage pour, selon nos calculs, 200 à 300.000 chômeurs les plus précaires, les plus jeunes, parce que, au bout de quatre mois de travail sur les vingt-huit derniers mois, c'est-à-dire plus de deux ans, on sera indemnisé, un mois de travail pour un mois d'indemnisation. C'est important parce que, en cette période de crise, c'est surtout les jeunes, surtout les précaires qui vont subir les conséquences, et ceux-là rentreront à l'assurance chômage. Par contre, on a, je dirais, des déceptions, on souhaitait que lorsqu'un chômeur reprend du travail, avant d'avoir usé, si je puis dire, toute son indemnisation ou toute son assurance chômage, il puisse garder en stock, en quelque sorte - le patronat n'a pas voulu qu'il (les) garde - ses droits dans un futur chômage, ça, c'est un regret. Et puis, ensuite, on a eu un débat un peu, je crois, déplacé dans cette période de crise, sur la baisse des cotisations, mais cette baisse ne sera possible que s'il y a des excédents, c'est-à-dire qu'en aucun cas, cette baisse ne pourra empêcher d'indemniser les chômeurs.
 
La CGT dit que le compte n'y est pas pour les salariés.
 
Ecoutez, je ne vais pas polémiquer avec la CGT aujourd'hui, je vais vous dire pourquoi, parce qu'on est dans une période de crise, l'important, c'est que les syndicats essaient de parler d'une seule voix. On a un grand mouvement d'action le 29 janvier, ensemble...
 
On va en parler...
 
Il faut le faire. Mais ce que je veux vous dire, c'est que la CGT n'a jamais signé un accord d'assurance chômage depuis cinquante ans. Donc ça fait cinquante ans qu'on est en désaccord avec eux, en quelque sorte. Donc ce n'est pas nouveau. Je crois que ce n'est pas ça l'essentiel du débat ce matin.
 
Donc ce qu'on note, c'est que certains seront indemnisés et ne l'étaient pas - les jeunes, les précaires - mais d'autres qui l'étaient le seront moins longtemps, c'est ça le problème.
 
Tout d'abord, je tiens à préciser : tous ceux qui sont dans le système d'assurance chômage actuellement ne verront aucune modification à leurs droits, donc ça, c'est important. C'est-à-dire qu'on ne revient pas en arrière. C'est pour les droits futurs. Et ça, on est incapable de dire : est-ce qu'il y en aura qui auront une baisse de leur indemnisation. Pourquoi ? Je prends deux exemples : un salarié qui travaillait dix mois, jusqu'à présent était indemnisé sept mois ; aujourd'hui, il sera indemnisé dix mois, donc pour lui, c'est une augmentation. Par contre, effectivement, certains salariés qui ont travaillé seize mois étaient indemnisés vingt-trois mois, potentiellement, ils seront indemnisés seize mois, mais comme la durée d'assurance chômage moyenne est de treize mois, la plupart de ces personnes-là ne sont plus au chômage quand ils ont atteint cette durée ; donc on est incapable de dire aujourd'hui quel est le nombre de personnes qui verront cette baisse. Donc voilà, c'est un élément important parce que je crois que, on a, je dirais, uniformisé le système, donc certains gagnent, et on est incapable de dire si certains perdent.
 
Et vous, personnellement, vous signez ?
 
Je vous le dis, je ne sais pas, parce que... Pourquoi je vous dis ça...
 
Vous êtes le numéro un de la CFDT...
 
Oui, oui, mais attendez, parce que la CFDT ne signera pas toute seule...
 
D'accord...
 
Non, mais c'est important de savoir, s'il n'y a aucun syndicat qui signe, qu'est-ce qui se passe - c'est important, puisque les auditeurs doivent savoir - s'il n'y a aucun syndicat qui signe, il n'y a plus de système d'assurance chômage, c'est le Gouvernement et le président de la République qui décident tous seuls. Donc il va falloir aussi qu'on se dise : est-ce qu'on fait confiance à ce Gouvernement-là, à ce président de la République pour lui confier notre système d'assurance chômage. Donc je prendrai contact en début d'année avec la CFTC, la CGC, FO, ceux qui d'habitude négocient, pour savoir s'ils s'engagent avec nous ou pas ; ça sera aussi un élément de notre décision.
 
F. Chérèque, vous en parliez, alors signification de cette journée de grève et de manifestation du 29 janvier à l'appel de tous les syndicats, ça peut changer quoi ?
 
D'abord, je crois qu'il y a un sentiment d'injustice fort, et il faut qu'on puisse, que les salariés puissent exprimer ce sentiment d'injuste de façon importante. Et puis... mais c'est important aussi, parce que vous savez, voir ces entreprises qui ferment, voir les salariés subir cette crise alors qu'ils n'en sont pas responsables, je trouve qu'il est normal qu'on puisse crier notre indignation. Ça, c'est la première chose. La deuxième chose, on voit bien, et d'ailleurs le FMI l'a dit hier, le plan de relance du Gouvernement est insuffisant, est insuffisant, il n'est pas à la hauteur de la crise. Il ne va pas assez loin, en particulier pour relancer la consommation. Donc nous aurons des revendications de deux sortes : d'une part, relancer la consommation pour que les Français consomment pour relancer l'économie, et d'autre part, qu'est-ce qu'on va faire de ces usines qui ferment, dont on aura besoin dans un an ou dans deux ans, le jour où l'économie repartira. Donc comment allons-nous aider ces salariés et ces entreprises pour maintenir les forces de travail en France.
 
Est-ce que le recul de N. Sarkozy sur la réforme des lycées vous incite à mettre la pression ?
 
Ça montre bien que le président de la République a compris qu'il y avait un vrai malaise social. Donc notre rôle de syndicalistes, c'est de redonner espoir aux salariés ; on est en fin d'année, moi, je pense à tous ces salariés qui aujourd'hui sont en train de perdre leur emploi, et cette angoisse en période de fêtes. Donc il faut redonner espoir aux salariés et dire au président de la République : il ne suffit pas de reculer sur une réforme de l'Education, il faut aussi donner des réponses, donc aller plus loin dans le plan de relance.
 
Et quand vous dites « relance de la consommation », ça veut dire augmentation des salaires.
 
Eh bien, augmentation des salaires, accès aux crédits, aide aux transports, il y a multiples façons de relancer la consommation. Maintenant, il faut qu'on se mette autour d'une table pour trouver les bonnes solutions. J'ai une proposition qui est très simple...
 
Donc vous voulez une négociation sur un deuxième plan de relance ?
 
Une négociation, je veux qu'on en parle. Je prends un exemple : le Gouvernement a mis en place le RSA à partir du 1er juillet ; le RSA, c'est une aide pour les gens qui travaillent, en particulier à temps partiel. Pour certains, c'est 200 à 300 euros de plus alors que, parfois, ils gagnent moins de 1.000 euros, donc c'est une mesure importante. Moi, j'ai proposé que cette mesure se mette en place le 1er janvier, et ça, c'est aider les plus modestes sur la consommation, il n'y a pas besoin d'en discuter longtemps, on peut prendre cette décision-là pour relancer la consommation, en particulier des plus modestes.
 
Donc pour vous, il faut un deuxième plan de relance ?
 
Mais tout le monde le dit. Je veux dire, quand les experts financiers du FMI disent : il faut aller plus loin dans le plan de relance pour qu'on ne tombe pas dans la récession, je crois que - ce n'est pas le syndicaliste F. Chérèque qui le dit, c'est des grands experts économiques au niveau mondial - je crois qu'il faut aussi leur faire confiance.
 
Les plans sociaux qui se multiplient en ce moment, F. Chérèque, à un rythme jamais vu, sont-ils tous justifiés par la crise ?
 
Non, c'est évident, c'est évident. Je suis allé récemment voir les salariés d'Amora, on sait très bien que c'est un grand groupe, Unilever, qui est un grand groupe d'agroalimentaire, la crise n'a rien à voir avec ce problème-là. Le problème de Molex, on le dit toujours, en Haute- Garonne, la crise n'a rien à voir avec ce problème-là, il y a...
 
Alors, c'est pourquoi ? C'est pour dégager des marges financières ?
 
On a entendu les grands discours du président de la République, qui dit : il faut arrêter ces capitalismes financiers, mais le capitalisme financier, ce n'est pas seulement la Bourse, et ce n'est pas seulement les finances internationales, c'est aussi les fonds de pension, les actionnaires qui demandent des excédents ou des rentabilités excessives, qui fait qu'en période de crise, les entreprises n'ont pas le choix : ils suppriment des emplois pour redonner du capital à leurs actionnaires. Et il n'y a pas de raison qu'aujourd'hui ces actionnaires ne fassent pas aussi un effort pendant la crise.
 
F. Chérèque, allons-nous vers une situation sociale explosive ? Le socialiste B. Hamon parle de - je le cite - "poudrière sociale évidente", il exagère ?
 
Je pense qu'il y a une énorme inquiétude, il y a une énorme angoisse, il y a un énorme sentiment d'injustice. Alors, comment va s'exprimer ce sentiment d'injustice ? Est-ce que ça va s'exprimer comme, parfois, par du repli sur soi, en se réfugiant dans la famille ou parfois dans l'entreprise, ou est-ce que ça s'exprimera par des mouvements sociaux qui peuvent être parfois violents ? Je ne le sais pas, d'où notre grande responsabilité, nous, syndicalistes, de dire : on a compris la situation de détresse des salariés, on l'exprime avec eux, mais on essaie de trouver des solutions pour redonner espoir à ces salariés.
 
Et on veut une négociation avec le Gouvernement.
 
Eh bien, je ne sais pas si c'est une négociation, mais en tout cas, on voit bien que ce plan de relance, qui a des effets intéressants, en particulier de soutien de l'industrie, ne règle pas le problème à court terme, en particulier, le problème des salariés les plus en difficulté. D'où le fait que cet accord, qui est en débat sur l'assurance chômage, qui va aider les plus précaires, est une réponse, mais insuffisante par rapport à la crise.
 
Votre réaction, F. Chérèque, au suicide de ce financier français à New York, T. de la Villehuchet ; il dirigeait une société qui a levé des fonds en Europe, pour les investir chez B. Madoff, qui a réalisé une fraude de cinquante milliards de dollars.
 
C'est triste un suicide, qu'on en arrive là et qu'on se suicide, c'est un drame, je pense, pour sa famille, mais ce qui montre bien que la finance, le capitalisme financier marche sur la tête, et est devenu dans une dérive incontrôlable. Je crois qu'aujourd'hui on ne peut pas se contenter de promesses pour réguler ce capitalisme, il y a une nouvelle réunion du G20 fin janvier, à Londres, pour essayer de donner une forme de régulation des finances internationales, cette réunion va être très, très importante pour montrer que ce qui se passe aujourd'hui ne pourra plus se passer demain ; je ne suis pas sûr qu'on y arrive.
 
N. Sarkozy a gracié J.-C. Marchiani, l'ex-préfet du Var, qui avait été l'artisan de la libération des otages du Liban en 1988, il est condamné à trois ans de prison pour corruption. Les syndicats pénitentiaires sont mécontents. Votre opinion.
 
Mon opinion, c'est que, on est dans une surpopulation au niveau des prisons, avec des situations humaines qui sont dénoncées par la Cour européenne sur les Droits de l'Homme ; on est dans une situation de pays sous-développé dans les prisons, donc on ne peut pas regarder le problème des prisons que sur le problème d'un individu qui peut-être a mérité ou pas de sortir de prison, ce n'est pas mon problème. Mais regardons, je dirais, ces droits humains qui ne sont pas respectés dans les prisons françaises, le pays des Droits de l'Homme, c'est insupportable. Et je crois que les gardiens de prison ont raison de le dire.
 
Le cas Marchiani ne vous intéresse pas...
 
Le cas Marchiani ne m'intéresse pas plus que d'autres, mais en fait, le fait du prince dans une démocratie, ça pose toujours un problème.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 janvier 2009