Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à France Info le 13 janvier 2009, sur l'agression à l'arme blanche d'un professeur et les négociations en cours avec les syndicats sur la réforme du lycée.

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Média : France Info

Texte intégral

R. Duchemin.- On va évidemment parler avec vous d'avenir et de réforme pour les enseignants, les parents et les élèves qui écoutent France Info ce matin. Mais avant d'y revenir, d'abord votre réaction à ce qui s'est produit en Mayenne hier, à Château-Gontier, cette agression d'un professeur dans un lycée professionnel à coups de couteau ?
 
C'est un lycée qui est extrêmement bien organisé, qui est serein, avec de très bonnes équipes pédagogiques, et c'est un lycée où rien ne pouvait laisser prévoir un accident de cet ordre. Je me suis entretenu hier avec le proviseur, il m'a expliqué la situation : il s'agit d'un jeune qui avait échoué à son BEP, qui a tenté d'entrer à l'armée, qui n'a pas été pris, qui a finalement été réacueilli avec beaucoup de générosité par l'établissement et qui, de manière inexplicable, s'est levé et a frappé un professeur. C'est beaucoup plus le cas d'un enfant qui ne va pas bien, d'une jeune homme qui a des problèmes psychologiques lourds, je crois, que d'un problème de violence scolaire stricto sensu, même si évidemment, ça se passe dans un établissement scolaire.
 
Est-ce qu'on a justement aujourd'hui, dans l'Education nationale, les moyens de lutter efficacement contre ce genre d'acte ?
 
On a les moyens de lutter efficacement, d'autant que nous le faisons. Nous avons...
 
Pour les repérer, par exemple ?
 
 ...nous avons des accords, avec toutes sortes d'organisations qui concourent à la sécurité publique, avec le monde des psychologues, le monde de la justice, nos professeurs sont formés à être vigilants, nous avons des équipes pédagogiques qui fonctionnent bien, mais nous avons 13 millions d'élèves. Et avoir un élève qui a un problème, visiblement, de l'ordre de la psychiatrie, c'est extrêmement difficile à contrecarrer. Je le répète, cet établissement est un établissement d'une très grande sérénité et fort bien géré.
 
Au-delà de ça, de manière plus générale, pensez-vous que, aujourd'hui, dans l'Education nationale, sécuriser les lieux de vie justement, c'est quelque chose qui est possible ? Comment peut-on procéder ? Parce que, c'est vrai qu'on se pose tous la question ce matin de savoir comment on peut faire entrer dans un établissement, dans une classe, un couteau, et peut-être demain autre chose ?
 
Évidemment, on pourrait imaginer des formes extrêmement contraignantes, des systèmes de foules ou de portiques, mais ce serait un dispositif d'une lourdeur absolument incroyable pour des incidents qui, certes, apparaissent ici ou là, mais qui restent totalement exceptionnels. Ce que nous sommes en train de décrire, est-ce que c'est vraiment de la violence scolaire ? Je le répète, c'est un problème qui dépasse très largement la communauté éducative, c'est l'histoire d'un jeune homme qu'il faut soigner, tout simplement.
 
Venons-en, si vous le voulez bien, aux réformes en cours. Alors, vous avez dit qu'"on repartait de zéro". Oui. Malgré tout, la réforme du lycée est confirmée, différée mais confirmée, ce sera donc pour la rentrée 2010. D'ici là, vous allez travailler dans une large concertation ; ça n'aurait pas été plus simple de commencer tout simplement par là ?
 
C'est ce que nous avons fait. Quand j'entends dire qu'il faut changer de méthode, qu'il faut se mettre à parler, je suis un peu surpris parce que je rappelle que, pour la réforme du lycée, non seulement nous avons discuté mais nous sommes même partis d'un document, d'un protocole qui a été signé par l'ensemble des organisations syndicales, y compris des deux fédérations lycéennes...
 
Il faut croire que ça a quand même tourné au dialogue de sourds !
 
Oui... Enfin, je ne sais pas, parce que nous sommes partis sur un document qui était largement concerté, qui a été approuvé par chacun. Et c'est sur ce document que nous avons continué à avancer, à travailler, et vers la fin du mois de novembre, au début de mois de décembre, il y avait un accord sur la maquette que nous présentions. Et puis après, pour des raisons diverses, sur lesquelles il mériterait sans aucun doute de faire des analyses plus longues, le climat s'est beaucoup tendu au sein des lycées, plus personne ne savait de quoi on parlait. Et donc le président de la République et moi-même nous avons considéré qu'on n'était plus dans une situation d'analyse objective des besoins du lycée, qu'on était dans d'autres sujets. Il y avait des gens dans la rue, il y avait une grande inquiétude, il y avait beaucoup d'énervement, et donc nous avons considéré que c'était donner une chance à la réforme que d'interrompre le processus et de repartir à zéro.
 
Malgré tout hier, les syndicats, lors des voeux du Président à Saint-Lô, ont marqué leur défiance vis-à-vis de la politique engagée, en boycottant justement cette cérémonie, et en faisant leur propre point de presse. Vous comprenez cette attitude ? Vous auriez préféré qu'ils soient là ?
 
Non, je ne le comprends pas. Le président de la République, c'est très rare qu'un président de la République se déplace pour s'adresser à l'Education nationale, aux personnels, en plus pour dire des choses importantes - le discours est riche - en ouvrant en plus des perspectives très positives sur la carrière des enseignants, en disant que la réforme du lycée se fera sans que l'on retire 1 euro, ni un emploi, en montrant de l'intérêt à ces questions qui sont absolument centrales pour l'avenir du pays.
 
Pas de retrait mais pas de moyens supplémentaires, ça, le chef de l'Etat a été clair.
 
Mais c'est déjà énorme lorsqu'on perd des élèves tous les ans, nous avons perdu 57.000 élèves l'an dernier dans les lycées tout de même ! Donc il est absolument nécessaire évidemment de réformer, mais je ne crois pas, je ne crois toujours pas que la réponse aux problèmes du lycée, ce soit d'ajouter des moyens et des emplois. La réforme du lycée, c'est d'adapter le lycée aux besoins d'aujourd'hui. Si la solution de l'emploi était la réponse à tout, nous aurions le meilleur lycée au monde. Or aujourd'hui, nous perdons 150.000 élèves avant qu'ils aient quitté le lycée, et parmi tous ceux qui passent le baccalauréat, un sur deux, au bout de trois ans, n'aura aucun diplôme. Donc, c'est ça qu'il faut interroger, c'est pourquoi est-ce que les lycées aujourd'hui fonctionnent si mal ? Ce sur quoi d'ailleurs tout le monde est d'accord, entre nous soit dit. Il n'y a pas de discussion sur le fait que le lycée doit être réformé, je crois.
 
La question, quand même, de l'argent, c'est quelque chose qui est demandé aujourd'hui par les syndicats. Comment allez-vous pouvoir négocier avec eux si, effectivement, il n'y a pas les moyens supplémentaires qu'ils attendent ?
 
C'est déjà énorme que de dire que, bien que nous perdions des élèves, que nous allons maintenir les moyens du lycée, que nous n'allons retirer aucun emploi au lycée, c'est déjà beaucoup ! Il n'y aucune raison de considérer que la réponse aux difficultés qui sont les nôtres soient exclusivement des réponses budgétaires. Mais je le répète, la réforme doit continuer, nous ne devons pas perdre de temps, tout simplement parce qu'il en va de l'intérêt des jeunes, de l'intérêt des lycéens eux-mêmes.
 
Vous allez être appuyé par un tandem, qui sera avec vous à la manoeuvre à vos côtés : un Haut commissaire à la Jeunesse, en la personne de M. Hirsch, et puis R. Descoings, le directeur de Sciences Po Paris, qui, lui, va animer une mission. Vous pensez que malgré tout cela peut déboucher sur quelque chose de positif ou ce ne sont que de bonnes intentions ?
 
C'est moi qui ai souhaité que R. Descoings vienne m'aider. Je vais lui faire une lettre de mission aujourd'hui pour bien préciser comment j'entends voir son travail s'organiser. Parce que nous avons bien vu dans l'affaire du lycée qu'évidemment c'est une question de lycée, qu'il faut réformer le lycée, mais que le malaise de la jeunesse va beaucoup au-delà. Si les jeunes étaient dans la rue au mois de décembre, ce n'est pas seulement exclusivement parce que l'on veut modifier la classe de Seconde, on voit bien qu'il y a d'autres enjeux, donc il faut que nous élargissions, et surtout que les lycées puissent s'exprimer. Au fond, ce que nous disent les lycéens - ils l'ont très bien dit hier au président de la République par exemple -, c'est qu'ils ont le sentiment que chacun d'entre eux, au fond, n'a pas pu s'exprimer, évidemment c'est difficile à faire. Donc il faut que nous trouvions avec R. Descoings les moyens de faire s'exprimer tous les élèves, tous les lycéens, et que par ailleurs on élargisse l'assiette de l'opinion sur la question du lycée, qui est une question de société somme toute.
 
Cela va dans le sens du dialogue. Malgré tout il y a quand même des manifestations qui sont prévues jeudi...
 
Nous verrons ce que seront ces manifestations. Je le répète, les lycéens aujourd'hui n'ont aucune raison de continuer à protester contre une réforme qui repart à zéro, à laquelle ils vont être associés, et dans un contexte budgétaire maintenu. Je crois que les points d'ancrage qui faisaient fixation et crispation, ont aujourd'hui disparu. Quant à M. Hirsch, c'est une autre question, parce que la jeunesse, ça va de 16 à 26 ans, donc il était très utile - je l'ai souhaité d'ailleurs, je dois le dire, je l'avais demandé au président de la République plusieurs fois -, il était très utile que nous ayons quelqu'un qui puisse transversalement traiter ces questions très compliquées de la jeunesse dans ce pays : celle de l'insertion professionnelle, celle de leur mobilité, celle des divers dispositifs d'aide et de soutien qu'ils peuvent recevoir, celle des perspectives d'avenir tout simplement. Et donc, c'est une question qui est quand même tout à fait différente de celle de l'Education nationale au sens étroit.
 
Dernière question, on parle de remaniement ministériel en ce moment, donc vous nous confirmez que vous restez ?
 
Je veux aller jusqu'au bout de ma lettre de mission. Elle est presque achevée, je dois dire d'ailleurs. Mais je veux mettre la réforme du lycée dans les rails, d'autant que nous avons eu des petits ratés à la fin du mois de décembre et je dois assumer ma responsabilité et conduire cette réforme du lycée, comme le souhaite le président de la République et comme c'est l'intérêt des Français.
 Source :  Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 janvier 2009