Interview de M. Martin Hirsch, Haut commissaire à la jeunesse, à RTL le 14 janvier 2009, sur sa nomination au poste de Haut commissaire à la jeunesse, la réforme du lycée et la formation professionnelle des jeunes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Ce matin, effectivement, nous allons beaucoup parler de la jeunesse avec vous. Y a-t-il un problème entre la jeunesse en France et N. Sarkozy ?
 
Il y a plutôt des solutions qui sont en train de se chercher, de se trouver. Et la preuve c'est que, dans les mots qui ont été utilisés par le président de la République lundi pour s'adresser à la jeunesse, il a utilisé exactement ce qui correspond à leurs aspirations, c'est-à-dire qu'il a dit que pour "politique de la jeunesse, il n'y a qu'un seul fil conducteur, c'est aider l'accès à l'autonomie des jeunes". Et tous les représentants des jeunes que j'ai rencontrés, avec lesquels j'ai discuté ces dernières journées trouvaient que c'était exactement l'axe qu'il fallait suivre.
 
Il n'y a pas qu'un versant social et donc, que de l'autonomie en cause, il y a aussi un rapport au pouvoir politique, à l'image qui est la sienne ? Par exemple, les lycéens, qui sont opposés à la réforme du lycée que propose X. Darcos, ministre de l'Éducation, demandent au Gouvernement de cesser de supprimer des postes dans l'Éducation nationale parce que, disent-ils, "la réforme du lycée n'est qu'un moyen d'habiller la pauvreté que le Gouvernement organise". Alors, vous, Haut commissaire à la Jeunesse, soutenez-vous cette revendication des lycéens, "arrêter de supprimer des postes dans l'Éducation nationale" ?
 
Non seulement je la soutiens, mais elle vient d'être satisfaite.
 
Je ne suis pas sûr.
 
Je vais vous expliquer pourquoi. J'y étais, je ne sais pas si vous étiez, mais...
 
J'ai entendu le chef de l'Etat, on n'a pas entendu la même chose !
 
Si, si, je vais vous dire ce que j'ai entendu...
 
On va voir, d'accord.
 
Lundi, 10h30, le chef de l'Etat face à des lycéens, assez remarquables d'ailleurs, de la Manche, du brevet professionnel comme des filières générales, en leur disant : "on remet sur le métier l'ensemble de la réforme du lycée et on fait avec zéro suppressions de postes dans les lycées".
 
Dans les lycées !
 
Mais vous me parlez des lycées, je réponds lycées ; à question précise, réponse précise. Et à partir de là, il y a effectivement un souci de pouvoir mieux entendre les lycéens, ce que R. Descoings fera auprès de X. Darcos, et je suis sûr qu'on fera une belle réforme du lycée...
 
Voilà, donc "belle réforme du lycée", donc fin de suppressions de postes dans les lycées en 2009, mais 13.500 suppressions de postes dans l'Éducation nationale en 2009, donc qui vont être supprimés ailleurs. Pensez-vous que le rapport du Gouvernement à la jeunesse soit affecté par d'autres politiques, par exemple, la politique de l'immigration ? B. Hortefeux, ministre de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale, présentait hier le bilan de son action en 2008 : "les reconduites à la frontière ont concerné 29.796 personnes", a dit B. Hortefeux. Que pensez-vous de cette politique et de ce résultat qui est un record pour l'année 2008 ? L'année 2008 est un record.
 
On pourrait parler de beaucoup de sujets. Là, vous parlez de l'immigration, je pense que le rapport de la jeunesse au pouvoir politique, en général, est affecté par le fait, qu'effectivement, il y a plutôt de l'exclusion que de l'intégration. Ce qui m'a frappé depuis que j'ai cette responsabilité, cela fait trois jours...Mais, tout le monde me dit : "tu n'as pas peur ? Ils ne te font pas peur ?"...
 
Qui, le Gouvernement ?
 
Les jeunes !
 
Ah, les jeunes !
 
Les jeunes ! Alors que, effectivement, qu'ils soient issus de l'immigration ou pas issus de l'immigration. Mais c'est quand même hallucinant de voir des gens, j'allais dire, les gens qui - et c'est bien le problème -, les gens qui sont dedans, les gens qui sont en place , qui ont, soit les mandats, soit les postes, soit des responsabilités d'entreprises, me regardent comme si effectivement on me balançait au milieu de la jungle, au milieu de gens et d'animaux sauvages dont il faudrait avoir peur, et donc, éventuellement les éloigner, et donc les parquer, etc. C'est exactement l'inverse, voilà. Donc, la politique de la jeunesse, ce n'est pas une politique d'éloignement, ce n'est pas une politique de partage, ce n'est pas une politique où on prend une distance par rapport aux jeunes, c'est une politique où, au contraire, on leur fait toute la place qu'on aurait dû leur faire depuis longtemps. C'est quand même fou de constater ce matin, premier titre de RTL : "La France record d'Europe de la natalité", avec des vagissements de bébés tout à fait sympathiques, et 17 ans, 18 ans, 19 ans après, c'est comme le film...il y a "trois Français et un couffin", et 18 ans après, pas d'avenir, rien du tout. Voilà mon boulot.
 
Votre boulot, c'est de donner de l'avenir aux jeunes ? C'est-à-dire quoi, du travail ? C'est quoi ?
 
Ce n'est pas de "donner de l'avenir", c'est de construire leur avenir avec eux. Effectivement, quand on regarde quels sont leurs besoins, c'est de ne pas être désorienté, laisser du système scolaire dans la nature puis ensuite, éventuellement croiser par hasard, comme une enseigne, une mission locale. C'est pouvoir avoir des revenus, du travail, de la formation, c'est leur demande, c'est de l'aspiration, et c'est celle-là sur laquelle on va travailler.
 
Oui, et je ne sais pas comment vous dire ça... ? Du travail, ce n'est pas vous qui en créerez, c'est plutôt l'économie. De la formation, ça fait des années que beaucoup de milliards sont consacrés à la formation, donc que, des collègues à vous au ministère gèrent ces milliards. Donc on se demande un peu quel constat le président de la République fait lorsqu'il vous nomme ? ! Le constat d'un échec des ministres qui sont aujourd'hui en charge de ces différents dossiers ?
 
Le même constat que celui que faisait J. Delors dans le dernier rapport qu'il a rendu pour le CERC il y a quelques mois, rapport remarquable, dont je vous recommande la lecture, un "rapport sur l'avenir des jeunes sans qualification". Il dit : "un devoir national" ; il dit : "il existe des instruments éclatés, il existe des politiques, il existe des dispositifs, il manque une coordination auprès du Premier ministre", ça a été écrit il y a six mois, ce n'est pas N. Sarkozy qui l'a écrit, c'est J. Delors, plus un ensemble de personnes tout à faire respectables, et qui connaissent bien le sujet. Donc, il y a des moments...Moi, j'ai connu le même sujet sur la transversalité de la pauvreté, de la sortie des minima sociaux. Il y a un moment où il est nécessaire d'avoir un mécanisme de coordination, d'impulsion, et la capacité de reconcevoir" des politiques qui se neutralisent les unes les autres. Et quand je dis ça, je ne fais pas de la théorie. Je vais prendre un exemple : vous me parlez de revenus et d'accès à l'emploi. Qu'est-ce qui caractérise la France ? C'est d'être, parmi tous les pays de l'OCDE - les pays de l'OCDE il y en a beaucoup : il y a la plupart des pays européens, il y a les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, etc. - parmi les tout derniers, avec la Grèce - et à mon avis, ce n'est pas un hasard -, à avoir le taux d'emploi des jeunes le plus faible par rapport au taux d'emploi des adultes. Eh bien, si vous n'arrivez pas à créer un système qui allie formation, allocation et emploi, vous n'arrivez à rien.
 
Donc, vous allez marcher sur les plates-bandes de beaucoup de ministres dans votre action ?
 
 De personne !
 
Si, sans doute !
 
Non, non, ne vous inquiétez pas, j'ai un pied très léger. Je n'ai pas de gros sabots.
 
Pourquoi conservez-vous - sans doute -ce titre baroque et du coup incompréhensible de Haut commissaire, et pourquoi n'êtes-vous pas tout simplement ministre chargé de la Jeunesse ?
 
Mais parce que je ne vois pas, comme dirait B. Laporte "on ne change pas une équipe qui gagne", ou un système qui fonctionne.
 
Là, vous devenez politicien.
 
Je ne deviens pas politicien du tout !
 
... S'il fonctionnait, on ne vous aurait pas nommé, vous le dites vous-même ?
 
Non, non, ce que je veux dire par là, c'est que, le système que vous trouvez "baroque" de Haut commissaire...
 
L'appellation est baroque.
 
Je ne sais pas si elle est "baroque" ?
 
Enfin, elle n'a aucun sens ! Vous êtes ministres maintenant !
 
Non, non, non, elle n'est pas du tout "baroque", elle a parfaitement fonctionné, c'est-à-dire que moi, je me suis senti parfaitement à l'aise dans ce type de positionnement, pour parler avec ceux qui représentaient les gens en difficulté, pour essayer de leur dire que, effectivement, j'étais plutôt une sorte de trait d'union qu'autre chose, de jouer ce rôle transversal, et de se dire que c'est une fonction qui peut se biodégrader à partir du moment où ses objectifs sont atteints.
 
Oui, on a quand même du mal à comprendre. Jusqu'à présent, vous...
 
Je vous assure que les gens avec lesquels je travaille comprennent parfaitement.
 
Vous vouliez être Haut commissaire pour ne pas assumer le reste de la politique gouvernementale. Maintenant vous êtes dans l'action gouvernementale, et vous êtes un ministre comme les autres.
 
Mais non ! On a déjà eu cette discussion, il y a six mois ; dans six mois on aura la même discussion ! Je ne sais pas si je suis comme les autres, mais en tout cas, je pense avoir ma personnalité et savoir ce que j'ai à faire.
 
M. Hirsch, fonction "biodégradable" était l'invité de RTL, ce matin.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 14 janvier 2009