Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec France Info le 20 janvier 2009, sur l'investiture de Barak H. Obama, le problème du Proche-Orient, notamment la situation à Gaza, et l'Afghanistan.

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Média : France Info

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R. Duchemin et M. Lemaresquier R. Duchemin : La "Question du Jour", on la pose ce matin au ministre des Affaires étrangères. Bonjour B. Kouchner, merci d'être en direct avec nous ce matin sur France Info. M. Lemaresquier est à mes côtés pour évoquer avec vous, d'abord, bien sûr, B. Obama qui deviendra dans quelques heures, très officiellement le 44ème président des Etats-Unis. Alors évidemment chacun veut y voir un tournant, tout le monde a beaucoup applaudi, loué le symbole après son élection au mois de novembre. Mais a-t-il, selon vous, aujourd'hui les moyens de l'opérer ce tournant ?

Eh bien je partage l'admiration et l'émotion de tout le monde, c'est un jour très particulier. Mais B. Obama, le futur président dans quelques heures, n'a pas de baguette magique et il sera d'abord, je crois le président des Etats-Unis. Il aura une tâche immense, même si ses mérites sont immenses. Alors je crois qu'il ne faut pas attendre de lui, tout de suite, qu'il résolve tous les problèmes, ni tous les problèmes de l'Amérique, ni, accessoirement les nôtres. Et donc la France et l'Europe vont continuer de jouer leur rôle - et d'ailleurs c'est ce que nous venons de faire à Gaza, même si tout n'est pas réglé, cela fait quand même deux jours de trêve et c'est un meilleur début qu'on ne l'espérait.

R. Duchemin : On va évidemment y revenir à la situation à Gaza, mais d'après vous, B. Kouchner, vous pensez que B. Obama peut bénéficier, comme cela a été le cas pour N. Sarkozy en France, d'une sorte d'état de grâce, compte tenu, notamment du contexte financier avec la crise ?

Oui, ce sera sans doute le plus difficile, mais après tout la crise est partie des Etats-Unis et il s'y prépare, il se prépare à tenter de résoudre la crise depuis longtemps et je crois qu'il y a cet état de grâce, c'est évident. Il y a non seulement un état de grâce américain... 79%, vous avez vu le dernier sondage, les Américains sont optimistes, mais en même temps ils sont réalistes car ils donnent du temps à Monsieur Obama. Et il a à régler aussi - il y aura un état de grâce - beaucoup de problèmes dans le monde. Y at- il un état de grâce mondial pour B. Obama ? Je crois que oui.

R. Duchemin : Alors vous allez travailler avec H. Clinton, est-ce que vous la connaissez bien, B. Kouchner ?

Oui, je la connais, mais nous travaillerons avec beaucoup de gens que nous connaissons, avec H. Clinton, vous l'avez dit, qui sera ma collègue, avec J. Biden, le vice président, que nous connaissons bien, avec J. Jones. Oui, il s'est entouré, le président Obama s'est entouré de gens que nous connaissons bien, soit qu'ils travaillaient dans l'équipe de Monsieur Clinton ou que nous les ayons rencontrés à divers postes. Madame H. Clinton va devoir s'atteler avec nous, je le répète, au problème du Moyen-Orient, je l'espère, très vite, mais n'oubliez pas tous les autres. Il y a évidemment cette crise terrible qui a culminé avec les drames de Gaza. Mais il y a beaucoup de crises en Afrique, il y a, évidemment l'Irak et l'Afghanistan. Il y l'attitude vis-à-vis de la Russie, avec une Chine qui continue de monter. Il y a aussi beaucoup de difficultés à travers le monde, en particulier, il y a peu de temps entre l'Inde et le Pakistan. Vous voyez, il aura une tache exceptionnelle ; c'est un homme exceptionnel, il aura des tâches exceptionnelles.

R. Duchemin : Alors M. Lemaresquier, justement. M. Lemaresquier : Oui, B. Kouchner, avant de passer au Proche-Orient, B. Obama compte beaucoup sur l'Europe pour résoudre certains problèmes, dont le problème de Guantanamo. Il annonce qu'il va fermer Guantanamo dès qu'il est à la Maison Blanche. Il demande à l'Europe d'accueillir certains détenus. Qu'est-ce qu'on va faire ? La France a dit qu'elle était prête à en accueillir certains, mais il y a quand même 200 détenus qui restent et il compte aussi sur la France pour renforcer ses effectifs en Afghanistan.

Oui, alors deux questions Madame : à la première, j'ai déjà répondu que nous considérions positivement les demandes, il faut que les détenus de Guantanamo - [qu'] il faut fermer, il l'a promis au cours de sa campagne, il faut fermer Guantanamo au plus vite - il faut que les détenus demandent à aller en France. Pour le moment, il n'y en a qu'un et nous examinerons au cas par cas des détenus qui doivent avoir... enfin qui doivent être libérés de toutes les pesanteurs, plus que cela, les affaires juridiques auxquelles ils ont été confrontés. Nous n'allons pas rejuger en France les détenus de Guantanamo. Donc, un par un, nous considèrerons les cas.

M. Lemaresquier : Et l'Afghanistan ?

Alors l'Afghanistan, c'est un très grave problème. Monsieur Obama a dit qu'autant en Irak il pouvait diminuer le nombre des troupes américaines, et il a commencé de le faire, autant il allait renforcer les unités en Afghanistan. Nous, nous pensons qu'autant il faut sécuriser certaines régions, autant nous devons aider nos amis, renforcer l'armée afghane, renforcer la police afghane, sûrement. Mais qu'il faut aussi que les Afghans prennent leurs affaires en mains. Alors nous aurons à parler de tout cela, l'Afghanistan est pour nous une des difficultés majeures de la période qui s'ouvre.

R. Duchemin : B. Kouchner, on attend aussi aujourd'hui les déclarations de B. Obama sur le Proche-Orient, puisqu'il a dit que dès qu'il aura prêté serment, il s'exprimerait sur cette question. On attend aujourd'hui, là-bas à Gaza l'arrivée de Ban Ki-Moon, le secrétaire général des Nations Unies. Le retrait se poursuit en ce moment, comment va-t-on passer à la suite, c'est-à-dire à l'après cessez-le-feu ?

Ecoutez, il y aura, jeudi, une réunion avec le Hamas, avec les Palestiniens au Caire. Très vite, une conférence humanitaire, mais nous n'en connaissons pas la date, qui se tiendrait également au Caire. Pour le moment, c'est l'urgence qui compte, nous avons adressé des équipes médicales, vous le savez, qui ont travaillé longuement. D'autres viennent, des tonnes, des dizaines, des centaines de tonnes d'aide humanitaire sont venues de la France vers Gaza. Il y a une station de traitement d'eau, il y a tout un personnel de la sécurité civile, des démineurs, des équipes médicales, je vous le dis, ça c'est l'urgence. Il faut y aller maintenant et il ne faut pas attendre que la politique ait trouvé des solutions pour aider les gens sur place. Ça c'est de l'humanitaire. Ensuite, la reconstruction. Il faut passer de l'un à l'autre et l'idée c'est de pouvoir profiter, si je puis dire, de la reconstruction pour réaliser la réconciliation entre les Palestiniens. N'oublions pas que le Fatah, l'Organisation de libération de la Palestine ne parlais pas au Hamas et au contraire, souvent ils s'affrontaient, voire s'assassinaient. Alors ça, c'est de l'urgence absolue, il faut que petit à petit, profitons, je le répète, de cette période où la reconstruction va s'amorcer pour mettre en place une équipe, qui, d'après Monsieur Abou Mazen, vient de dire qu'elle pourrait être, cette équipe, unitaire. C'est-à-dire Hamas et OLP, c'est une bonne nouvelle. Mais vous savez, les Américains que l'on attend, puisque nous en étions là, eux aussi vont s'affronter à une situation difficile à Gaza. Et j'aime bien cette phrase de B. Obama : "je sais que nous allons faire des erreurs a-t-il dit, je sais que nous allons nous tromper, mais cela sera une administration transparente". Eh bien il faut surtout et c'est ça, l'espérance - vous avez parlé des relations transatlantiques - qu'il travaille avec l'Europe, que l'Europe travaille avec les Etats-Unis. Madame Clinton l'a dit dans sa présentation devant le Sénat, elle a repris les éléments de la lettre que nous avions envoyée sur les relations transatlantiques. Citant ses amis, elle aussi disait : "nous allons sans doute ne pas être d'accord sur tout, mais nous allons travailler ensemble". Ça c'est formidable.

R. Duchemin : Merci beaucoup B. Kouchner d'avoir été en direct avec M. Lemaresquier ce matin, en direct sur France- Info.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 janvier 2009