Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche à l'Assemblée nationale, à "Europe 1" le 6 janvier 2009, sur la rentrée parlementaire et notamment la discussion sur le droit d'amendement de l'opposition.

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Média : Europe 1

Texte intégral

M.-O. Fogie.- C'est la rentrée parlementaire aujourd'hui. Entre le plan de relance, le texte sur le travail le dimanche et la réforme des hôpitaux, elle s'annonce chargée. Mais également chaude puisqu'au PS, on promet "l'enfer" au Gouvernement. C'est la consigne que vous donnez à vos députés ?

Nous sommes extrêmement mobilisés. Nous avons marqué un certain nombre de points juste avant les fêtes, nous avons fait reculer le Gouvernement, nous avons mis en évidence des réformes qui étaient dangereuses. Je pense à tout ce qui concerne l'audiovisuel, le travail le dimanche...

Vous dites "marquer des points", c'est un match de football ?

Marquer des points, cela veut dire que l'opinion, enfin, nous écoute. Nous étions attendus, maintenant on nous entend. Ce n'était pas facile, le PS était surtout replié sur lui-même, son congrès. Nous avons tout cela derrière nous, maintenant nous sommes à fond dans cette bataille politique qui est très importante, que nous menons. On nous dit souvent qu'on veut entendre davantage l'opposition, on veut une opposition forte, eh bien nous sommes là.

Est-ce que ce n'est pas aussi un plan de communication du PS ? Parce qu'on vous a beaucoup reproché d'être englués dans vos batailles internes. Donc pour vous faire entendre, vous parlez très fort pour dire que le temps des batailles internes, c'est du passé...

Nous avons mené au Parlement, et en particulier à l'Assemblée nationale, de nombreuses batailles. Et je pense à la bataille que nous avons gagnée sur le paquet fiscal. C'est difficile au début, on nous écoutait peu, on nous comprenait peu. Finalement, s'est installé dans l'opinion que le Gouvernement avait mis en place une politique financière et fiscale injuste. Il a fallu s'exprimer, se répéter pendant des mois et des mois.

Mais comme vous parlez fort en ce moment - on va venir à ces amendements et à ce que certains appellent de "l'obstruction" -, est-ce que vous n'êtes pas obligés de parler plus fort parce que, à un moment donné, vous étiez inaudible ?

Nous étions inaudibles pour une raison simple. C'était que lorsque que nous prenions la parole et que nous défendions un certain nombre de causes à l'Assemblée nationale, souvent, ces interventions étaient couvertes par le bruit des divisions du PS. Aujourd'hui, le congrès de Reims qui n'a pas été glorieux est derrière nous. Et aujourd'hui, notre travail est en train de payer. C'est ça tout simplement, ce n'est pas plus compliqué. Nous ne parlons pas plus fort, mais nous parlons avec l'esprit, le coeur plus léger.

N. Sarkozy dit qu'il va poursuivre ses réformes. Aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, le plan de relance doit être examiné. Concrètement, est-ce que vous allez voter ce texte au PS ?

Non, nous ne le voterons pas parce que, d'abord, il est très insuffisant. Ce n'est pas une réforme, c'est un plan d'urgence qu'il faut mettre en place. Il y a un certain nombre de mesures qui sont positives, évidemment, quand il s'agit d'aider la trésorerie des entreprises en difficulté, on ne va pas être contre. Mais je pense qu'il manque tout un volet dynamique en ce qui concerne le pouvoir d'achat. Il n'y a rien pour le pouvoir d'achat. Et en particulier, nous pensons au pouvoir d'achat des plus modestes. Nous proposons par exemple le doublement de la prime pour l'emploi, nous proposons une baisse de TVA ciblée sur les produits de première nécessité pour que cela ait un impact immédiat sur la consommation, donc sur la croissance et aussi sur le moral des Français.

Donc le plan de relance, les 26 milliards, et donc le développement pas par la consommation mais par l'investissement, vous votez ou non ?

Il y a peu sur l'investissement, contrairement à ce que l'on dit. Sur les 26 milliards, il y en a à peu près 5 milliards de dépenses nouvelles puisque le reste ce sont des dettes que le Gouvernement va exécuter.

On a beaucoup entendu cela au mois de décembre mais au mois de janvier, donc, vous ne votez pas ce plan ?

Non, nous ne voterons pas ce plan parce que ce plan n'est pas à la hauteur de la situation. D'ailleurs, tout le monde dit que ce plan va être suivi d'un autre plan. Madame Lagarde, la ministre de l'Economie, dit elle-même "s'il faut faire plus on fera plus". On laisse entendre que ce n'est pas suffisant.

Donc, concrètement, vous votez non. Donc il y aura un certain nombre d'amendements...

Nous allons déposer des amendements, par exemple la remise en cause de certains aspects du paquet fiscal - j'en ai parlé il y a quelques instants -, cela permettrait de dégager des marges de manoeuvre et de financer de nouvelles mesures que nous proposons. C'est-à-dire que nous voulons jouer à la fois sur ce que nous appelons l'offre et puis, en même temps, jouer aussi sur la demande...

Sur la consommation... Mais plus globalement, sur cette tactique qu'a eue l'opposition de déposer de nombreux amendements, vous le savez, le 13 janvier sera examiné un texte qui va être débattu, visant à réviser la Constitution, en limitant les débats et donc l'opposition. R. Karoutchi sur notre antenne disait tout à l'heure, parlait d'un texte champion pour lutter contre l'antiparlementarisme. Vous avez l'impression de faire de l'antiparlementarisme, vous qui êtes le président du groupe PS à l'Assemblée ?

Absolument pas. Parce que si nous n'avions pas utilisé la méthode de l'amendement, qui est un droit fondamental du Parlement, du parlementaire - ce n'est pas un droit uniquement français, c'est un droit partout -, ce que veut le Gouvernement c'est faire taire l'opposition, que les choses se passent plus vite qu'elles ne se passent encore aujourd'hui. Vous savez combien de temps on a passé sur le projet de loi audiovisuel, grâce à notre technique de l'usage de l'amendement ? 70 heures en tout. Soixante-dix heures, c'est deux fois 35 heures, la semaine d'un salarié. Est-ce que c'est trop pour réformer l'audiovisuel public, comme monsieur Sarkozy voulait le faire ?

Mais cela dépend des amendements que vous déposez. J.-F. Copé parle d'un "best of", il veut proposer aux Français un best of des moments les plus grotesques de l'obstruction, parce qu'il parait que c'est ridicule d'après lui...

C'est ridicule. Vous savez, se battre contre le fait que monsieur Sarkozy veut nommer lui-même le président de France Télévisions, se battre contre le fait que monsieur Sarkozy, en supprimant la publicité à la télévision le soir et sans en assurer le financement complémentaire durable pour l'audiovisuel public, fait un cadeau à TF1 et à M6 avec les plages supplémentaires. Si mener une bataille là-dessus, c'est ridicule, monsieur Copé peut continuer son "best of", ça m'intéresse ! Cela veut dire que l'on va continuer le débat sur l'audiovisuel public. D'ailleurs, il n'est pas fini puisqu'il va continuer au Sénat, et ça ne va pas être facile pour le Gouvernement.

Et cette loi qui vise à réviser la Constitution, cette loi organique, vous êtes très contre ce matin...

Absolument contre parce que c'est l'occasion pour le Gouvernement de mater l'opposition. Parce que, au fond, l'opposition dérange. Mais dans une grande démocratie, s'il n'y a pas une opposition forte, il y a un déséquilibre qui s'installe. Et je pense que monsieur Sarkozy a une conception tout à fait personnelle du pouvoir.

Justement, là-dessus, monsieur Ayrault, un petit paradoxe : vous n'avez pas voté la réforme des institutions proposée par N. Sarkozy, qui donnait plus de pouvoir au Parlement...

Comment vous pouvez affirmer qu'il y a plus de pouvoir au Parlement, alors que justement, c'est l'inverse qui est en train de se passer ? Je crois qu'on a bien fait de voter contre cette constitution. Vous savez l'opposition n'est pas là pour faire plaisir, ce n'est pas l'opposition de sa majesté, c'est une opposition qui représente aussi l'intérêt des Français.

Est-ce que vous donnez également rendez-vous au Gouvernement pour la bataille sur le travail du dimanche ?

Oui. Vous savez, on a gagné une première manche, monsieur Sarkozy qui voulait vraiment faire passer ce texte en force juste avant Noël a reculé. Y compris d'ailleurs pace qu'il y avait une colère d'une partie des députés UMP. Je ne suis même pas sûr qu'il serait encore prêt à pouvoir le défendre devant le Parlement, devant l'Assemblée nationale. En tout cas, s'il veut persister dans l'erreur, il nous trouvera.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 janvier 2009