Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à RTL le 25 juin 2001, sur les statistiques de la délinquance, les contrats locaux de sécurité et l'amendement sur les rave parties.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief - Les syndicats de policiers ont affirmé en fin de semaine dernière que la délinquance avait augmenté de 10 % à 12 % pour le premier trimestre 2001 - un chiffre plutôt inquiétant. Vous avez répondu : "nous allons créer un observatoire de la délinquance pour être sûrs de ces chiffres." N'est-ce pas une manière de changer l'instrument de mesure lorsqu'il ne donne pas les résultats qu'on attend ?
- " Les chiffres qui ont été publiés concernant le début de l'année sont dans le prolongement de l'année 2000 pour ce qui est de la zone police qui est de ma responsabilité puisque je suis ministre de l'Intérieur. Mon problème est de savoir ce qu'ils mesurent, parce que vous savez qu'il existe une zone Gendarmerie où il y a une progression beaucoup plus forte..."
...18 à 19 %
- .".. ce qui est assez inexplicable, si ce n'est peut-être par les modalités utilisées par les gendarmes pour quantifier et mesurer."
C'est juste une question de thermomètre, c'est ce que vous voulez nous dire ? Il n'y aurait pas un problème de fond ?
- "Il existe une difficulté à mesurer le taux de délinquance exact dont souffre la population. Je vous rappelle que l'insécurité frappe d'abord les plus faibles dans la société, surtout dans les villes et les quartiers populaires. Je souhaiterais que l'on puisse disposer à l'avenir - ce n'est pas pour demain matin - d'un observatoire, c'est-à-dire d'un outil pour mesurer non pas l'activité de la police et de la justice - ce qui, de toute façon, continuera à se faire - mais pour mesurer la délinquance, pour savoir exactement où nous en sommes. Je vais le proposer au Premier ministre"
N'avez-vous pas le sentiment que la délinquance augmente de façon palpable et qu'il y a un sentiment d'insécurité grandissant ?
- "Personne ne peut nier qu'il y a une montée de la violence dans la société , notamment au niveau des jeunes, mais pas seulement à leur niveau. C'est une réalité à laquelle nous devons nous attaquer car ce n'est pas acceptable. Je considère, comme ministre de l'Intérieur, père de famille et citoyen, que ce n'est pas acceptable de ne pas vivre en sécurité, que ce n'est pas acceptable que notre liberté soit atteinte. En même temps, je veux faire remarquer devant vos auditeurs qu'on mesure des choses bien différentes de ce que nous mesurions les années précédentes. Le fait qu'il y ait une police de proximité donne davantage la capacité à nos concitoyens de porter plainte. Avant, quelqu'un pouvait porter plainte dans son commissariat ; aujourd'hui, on peut le faire dans tous les commissariats."
Cela augmente les chiffres de déclarations.
- "Bien sûr. Vous avez par ailleurs de nouveaux éléments. Prenons par exemple les tags. Des villes ont décidé d'enlever les tags mais elles ne le font en général que s'il y a dépôt de plainte. Je connais une cité de l'ouest de la France où ce sont 3000 plaintes qui ont été déposées pour enlever les tags. Evidemment, cela rentre dans les statistiques qui sont mises en cause. Je pense qu'il faudrait sortir ces chiffres annuels de la polémique, car on ne sert pas l'objectif que tout démocrate, tout républicain se fixe : faire reculer l'insécurité."
Néanmoins, aujourd'hui L. Jospin va prononcer un discours et vous allez engager cette journée en dressant un bilan des contrats locaux de sécurité, associations entre la police, la justice, les écoles, les transporteurs etc. pour lutter contre l'insécurité. Le bilan s'annonce plutôt mitigé parce qu'on se rend compte que si quelques incivilités sont peut-être maîtrisées, la délinquance de fond n'a pas tellement bougé?
- "C'est dans les années 1993 et 1994, en pleine crise économique, que la délinquance a été la plus forte. Il a fallu trouver de nouvelles réponses parce que cela n'allait pas, même la police ne trouvait pas toujours les moyens de bien travailler sur le terrain. Combien d'élus se plaignaient de ne pas avoir assez de policiers !"
Cette association a-t-elle marché ?
-" C'est ainsi que nous avons essayé de réfléchir à la police de proximité, qui remplace les îlotiers, en généralisant cette politique."
Quel est le bilan aujourd'hui ?
- "Nous avons crée des contrats locaux de sécurité pour organiser la coproduction de sécurité, pour que tout le monde s'y mette. La police est en première ligne - c'est bien naturel - mais il y a aussi la justice, l'éducation nationale, les politiques parentales, les associations."
Est-ce un succès ?
-"Oui. Aujourd'hui, dans le cadre des 550 contrats locaux de sécurité signés, plus les 300 qui sont en préparation, il y a manifestement des résultats en raison de l'approche partenariale de ces questions. L'Education nationale notamment participe à de nombreux contrats locaux de sécurité et nous obtenons des résultats. Il faut évaluer ces contrats pour intensifier et ajuster les politiques. Je souhaite que les maires soient davantage associés à la définition des politiques de sécurité dans leur cité, même si je ne souhaite pas qu'ils dirigent la police nationale."
Vous savez aussi que l'opposition est assez mécontente sur la sécurité, que ce sera l'un des thèmes de la campagne présidentielle et législative et que les policiers demandent plus de moyens : il y a une sentiment de manque de moyens malgré les grandes ambitions affichées. C'est la critique de la droite. La critique de la gauche : les députés socialistes sont assez mécontents sur vos proposions sur les rave-parties. Vous voulez une déclarations pour les jeunes qui organisent ces rave-parties, les socialistes n'en veulent pas et le Premier ministre n'a pas tranché. Il a parlé de dialogue et de décision finale au Parlement. Vous êtes-vous senti désavoué ?
- " Vous avez évoqué des questions importantes. Ne disons pas que la droite et les syndicats de policiers sont la même chose. La droite politique ne propose pas grand chose - je l'ai encore vu ce week-end - mais elle critique. C'est soit-disant son droit à la critique dans le cadre de l'opposition..."
... "soit -disant "ou bien est-ce son droit naturel ?
- " C'est un droit naturel mais il vaut mieux faire des propositions réalistes et sérieuses. Il ne faut pas oublier aussi qu'elle a son propre bilan en la matière... Les syndicats de policiers ont raison d'aider le ministre de l'Intérieur pour avoir un beau budget 2002. Je comprends leur demande ; je ne veux pas qu'ils oublient les efforts que nous avons déjà entrepris, ceux que je veux poursuivre. Ils savent très bien que la police de proximité est pour eux une contrainte nouvelle, mais c'est en même temps l'avenir de la police nationale par le service qu'elle va rendre au public en coproduisant de la sécurité. Quant aux rave-parties, cette question est arrivée dans le cadre du débat sur la sécurité quotidienne, loi que j'ai proposée à l'Assemblée ..."
Vous êtes-vous senti désavoué par L. Jospin puisqu'il ne vous a pas soutenu ?
- "Ne dites pas cela. Le Premier ministre a parfaitement compris le problème qui était posé..."
... il n'a pas tranché...
- .".. Il a fait confiance à son ministre de l'Intérieur pour dialoguer avec les parlementaires, notamment les groupes de la majorité."
Maintiendrez-vous demain votre position ?
- "A partir du moment où le problème a été posé et où de nombreux élus et des préfets m'alertent chaque semaine, que peut-on faire ? Je ne souhaite pas que nous soyons dans une lecture répressive. Je veux, au contraire, permettre que ces rassemblements s'organisent avec le moindre risque, qu'il y ait une déclaration mais non une autorisation préalable."
Concrètement, demain, que se passera-t-il ? Maintiendrez-vous la demande de déclaration préalable ?
" Oui, afin de permettre la concertation. Une charte pourrait être décidée pour que, s'il y a récidives ou difficultés, il y ait une contravention pour les organisateurs. L'objectif est de responsabiliser les organisateurs et non de porter atteinte au droit de se rassembler et de faire la fête."
On dit que vous n'occupez pas aussi bien que J.-P. Chevènement votre poste de ministre de l'Intérieur ? Vous êtes assez chahuté.
- "Je suis là depuis quelques mois et j'ai l'impression d'être sur tous les fronts - c'est normal car un ministre de l'Intérieur doit assumer l'intégralité de ses fonctions - : police, décentralisation, Corse où je crois avoir démontré..."
... n'est-ce pas trop lourd ?
- " Non, tout va bien. C'est vrai que suis un ministre qui a été très exposé à l'Assemblée puisque j'ai présenté quatre textes durant ce trimestre : décentralisation et démocratie de proximité, Corse, rétablissement du calendrier électoral et sécurité quotidienne. Je suis un ministre qui travaille beaucoup mais c'est normal pour un ministre."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 25 juin 2001)