Interview de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à Europe 1 le 12 février 2009, sur la situation en Martinique et sur la poursuite des négociations en Guadeloupe.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Merci d'être avec nous, en dépit du décalage horaire, Y. Jégo, bonne nuit ou bonjour ?

Bonjour oui.

On vous croit en Guadeloupe, vous êtes en ce moment en Martinique. Pourquoi ? Pour négocier ? Et est-ce que vous êtes seul ou avec des médiateurs ?

Ecoutez, je vais vous faire une confidence : en tant que chargé de l'Outre-Mer au Gouvernement, je suis là où il y a des difficultés. J'ai été beaucoup en Guadeloupe, j'ai installé des médiateurs, ils vont essayer d'accoucher d'un accord sur les salaires. Il y a aussi des difficultés en Martinique. Je viens passer une journée pour mieux comprendre, rencontrer tout le monde et pouvoir travailler à des solutions...

La Martinique est en grève en effet, depuis 8 jours : ni école, ni Poste, ni commerce ; les syndicats vous réclament deux fois plus que la Guadeloupe pour les bas salaires, 450 euros. Qu'est-ce que vous pouvez leur offrir ?

Il faut d'abord qu'il n'y ait pas de confusion. Ils réclament 450 euros à ceux qui les emploient. Et ceux qui les emploient, ce n'est pas l'Etat français. Donc il faut qu'il y ait des discussions salariales, c'est toute la difficulté aux Antilles où la culture du dialogue social n'existe pas. On est contraint par l'histoire, par des habitudes, où souvent le patronat impose aux salariés un certain nombre de méthodes qui ne sont pas celles du 21ème siècle...

C'est-à-dire que les chefs d'entreprise locaux ne comprennent pas que cette fois on attend d'eux, un effort de plus, qu'ils n'ont pas l'habitude de faire ?

Je crois que la société antillaise, elle avance par crises violentes, et elle a du mal à avancer en se parlant, où chacun fait un pas vers l'autre. J'espère que ces crises lourdes, profondes, qui ne sont pas seulement des crises sociales dues à la crise mondiale, qui sont aussi des crises de société, de remise en cause du modèle de fonctionnement des Antilles, elles permettront au moins aux acteurs sociaux, les patrons d'un côté et les salariés de l'autre, d'apprendre à se mettre dans une salle, à travailler ensemble et à aboutir à des accords. Ce n'est tout de même pas le Gouvernement, qui peut fixer le montant des hausses de salaires dans les entreprises...

Et qu'est-ce que vous demandez, Y. Jégo, par exemple, à madame Parisot et au Medef de faire à l'égard du Medef local ?

Ecoutez, je pense qu'il faudrait peut-être une petite assistance, pour que les services, les techniciens du Medef à Paris, puissent venir donner un petit coup de mains au patronat ici, pour s'organiser, pour apporter des vraies réponses et ne pas être dans une logique où chacun attend l'autre, où chacun espère que l'autre va se décourager. En Martinique, on va d'abord écouter ce que veulent ceux qui manifestent...

Ils demandent la baisse des prix des loyers, de l'électricité, de l'eau... Et on leur envoie, pardon de vous le dire, deux escadrons de gendarmes en renfort. C'est eux qui vont négocier, ou c'est sur la pression qu'ils vont négocier ?

D'abord, vous savez, quand il y a 10 000 manifestants dans les rues, à Paris ou ailleurs, il est normal qu'il y ait des forces de police pour assurer la sécurité de tout le monde, y compris des manifestants. Ce que je veux comprendre, parce que le collectif des revendications de la Martinique est moins bien organisé que celui de Guadeloupe, c'est quelle est la liste des revendications. Et puis je ferai le même travail qu'en Guadeloupe, on détaillera point par point ; j'ai détaillé 130 points de revendications en Guadeloupe, on détaillera point par point, pour apporter le maximum de réponses. La seule réponse...

Tout seul ou avec des médiateurs ?

La seule réponse que l'Etat ne peut pas apporter, c'est celle des négociations salariales. S'il faut qu'il y ait des médiateurs pour mettre les patrons de Martinique avec les salariés de Martinique dans une salle, les enfermer avec des médiateurs, pour qu'ils accouchent d'un accord, on le fera.

Y. Jégo, chaque médiateur en Guadeloupe négocie soit avec les patrons, soit avec les syndicats, vous l'avez expliqué. Et ensuite, si ça marche, tous devraient se retrouver. Mais sur quelle base pour un éventuel accord ?

Mais ça, moi, j'ai des difficultés de prendre des décisions à la place des patrons pour ce qu'ils peuvent apporter comme augmentations, des salariés de ce qu'ils exigent. C'est bien ça, la négociation, ce n'est pas un ministre qui vient dire : augmentez les salaires de tel montant. C'est une discussion à l'intérieur d'une entreprise ou à l'intérieur d'une branche professionnelle. Ce n'est pas la culture, on va essayer de faire en sorte qu'on n'en sorte...

Oui, mais ça va continuer à bloquer, vous le savez ça ?

Moi, j'espère que la responsabilité de ceux qui négocient en Guadeloupe, c'est six patrons d'un côté et six syndicalistes de l'autre. Que ces douze personnes se diront que de leur capacité à s'entendre naîtra la solution. Puisque toute la Guadeloupe l'attend, tout le monde l'attend. Et maintenant, il faut qu'ils prennent leurs responsabilités.

Est-ce que vous pouvez garantir, Y. Jégo, qu'il y aura une solution d'ici à la fin de la semaine ? En tout cas, avant le 18 février pour éviter que les Antilles, la Réunion, fassent une entrée inattendue au sommet social de l'Elysée ?

Moi, ce que je peux garantir, c'est que l'Etat aura donné toutes ses réponses pour la partie qui concerne l'Etat. Nous aurons mis sur la table tous les dispositifs, comme je l'ai fait en Guadeloupe, nous l'aurons fait en Martinique. Et ce que je peux vous dire et ce que je peux savoir, si les syndicats patronaux et les syndicats salariés auront réussi à trouver un accord entre eux, c'est leur responsabilité. On mettra les moyens techniques pour les aider...

Donc vous les mettez face à face et vous dites qu'ils se débrouillent, comme des grands ?

Comme ça se passe dans toutes les entreprises dans notre pays. Le code du Travail, il est le même ici qu'ailleurs.

Mais il y a une dimension qui n'est pas ici et qui est là-bas, c'est une forme de discriminations. Et puis le jeu de l'histoire. Par exemple, dans un documentaire diffusé par Canal+ aux Antilles et que vous connaissez, un riche entrepreneur Béké expliquait vouloir préserver sa race, et je le cite : "quand je vois des familles métissées avec des blancs et des noirs, les enfants naissent de couleur différente, il n'y a pas d'harmonie". De tels propos, est-ce qu'ils vous paraissent acceptables ?

C'est parfaitement ignoble. D'ailleurs moi, je me réjouis qu'il y ait l'ouverture d'une enquête judiciaire et j'espère qu'il y aura une condamnation très forte. On a des lois qui protègent et qui interdisent ce genre de choses dans la République. Et ça, effectivement, ça montre quel est le climat. On est contraint par deux choses : la géographie qui fait que l'économie des Antilles, elle est particulière. Et puis l'histoire qui crée des situations de rapport de force. Alors face à ça, il faut mettre beaucoup d'efforts, c'est pour ça que je suis présent, depuis aussi longtemps. C'est pour ça qu'on ne comprend pas à Paris pourquoi je reste aussi longtemps. Parce qu'il y a des problèmes culturels profonds qu'il faut essayer de dénouer et là, le ministre il peut donner un coup de main. Le ministre, il ne peut pas négocier les hausses de salaires.

C'est-à-dire que vous pouvez dire aux Créoles blancs, qu'ils ne sont plus au 19ème siècle ?

Il faut dire tout le monde qu'on n'est plus au 19ème siècle, qu'on n'obtient plus par la casse ou par la pression sur les autres, et qu'on obtient des progrès sociaux par la discussion et le dialogue.

Dans Le Nouvel Observateur, Y. Jégo, une universitaire guadeloupéenne, P. Braflan-Trobo, que je ne connais pas mais que je lis, constate que 80 % de ceux qui contrôlent l'économie sont tous blancs là-bas. D'autre part, les postes, même dans l'administration, à responsabilités sont en majorité occupés par des métropolitains blancs. Est-ce que le moment n'est pas venu d'appliquer là-bas, où ça devrait s'imposer tout seul, la vraie diversité et le vrai métissage ?

Mais elle a parfaitement raison, c'est une des causes des difficultés. Il faut faire du volontarisme républicain, il faut mettre en place les moyens, pour que les Guadeloupéens, les Martiniquais d'origine, les originaires comme on dit, puissent accéder aux responsabilités. J'ai obtenu du patronat guadeloupéen qu'il crée un fonds de capital risque pour que dans 10, 15 ans, les entreprises soient dirigées par des Guadeloupéens. Il y a une société qui n'a pas compris qu'il fallait sortir des siècles passés pour s'ouvrir à un monde multiculturel et qu'il fallait que l'histoire qui est là, on ne peut pas la changer, mais ne soit pas un noeud douloureux au coeur de la société, mais soit un moyen de vivre ensemble.

Sur place où vous êtes, on voit que Total exploite près de la moitié des stations-service des trois départements. Total a fait un effort en baissant de 6 centimes le prix de l'essence. Est-ce Total ne peut pas apporter un concours financier économique encore plus fort, pour assurer l'avenir des départements ? Et est-ce normal qu'il y ait sur place, dans ce domaine, monopole ?

Il y a beaucoup de monopoles. Quand on est sur une île, vous savez, c'est des économies restreintes et les monopoles sont plus faciles à constituer que quand on est sur des territoires larges. Il faut s'attaquer à cette question. J'ai demandé à ce qu'on réorganise les directions départementales de la concurrence et de la répression des fraudes, parce qu'il y a des lois contre les monopoles dans notre pays, pour qu'on vérifie bien qu'il n'y ait pas d'ententes et que ce ne soit pas les consommateurs qui en soient victimes...

Y. Jégo, personne ne comprend vos allers-retours et, si je puis dire, la méthode Jégo, qui paraît désordonnée ou incohérente ? Vous partez 10 jours trop tard, vous revenez trop tôt ? D'ailleurs, vous vous êtes excusé hier. Est-ce qu'il est nécessaire de faire ces allers-retours sans arrêt ?

Vous savez, quand on est en charge de l'Outre-mer, d'abord il faut beaucoup voyager. J'ai fait 500 000 kilomètres en un an, on s'intéresse beaucoup à mes voyages depuis dix jours, mais ce n'est pas quelque chose de nouveau. Ensuite, on a deux chocs culturels, on a le cartésianisme métropolitain et puis la culture ici, créole, qui est tout à fait particulière. Mon rôle c'est de faire le go between, comme on dit en anglais, c'est-à-dire d'essayer d'aller expliquer quelles sont les réalités Page 20 sur 30 Journaux et invités du matin - Dept. Revues de presse - 01 42 75 54 41 12/02/2009 https://rpa.applications.pm.gouv.fr/journaux_et_invites.php3?date=2009-02-12 de part et d'autre.

Si j'ai bien compris, vous voulez rentrer à Paris pour être demain au Conseil des ministres. Est-ce que partir ce n'est pas un aveu d'impuissance ? En pareille circonstance, en quoi le Conseil des ministres a-t-il plus besoin de votre présence que les Antilles ?

Mais parce que d'abord en Guadeloupe, on a lancé la mécanique de la négociation sociale, et qu'elle se fera hors la présence des ministres, des élus, entre partenaires sociaux. Qu'ici, je vais essayer de mieux comprendre quelle est la liste des revendications ; qu'à Paris, je vais faire une communication en Conseil des ministres, parce que je crois que c'est important que tous les ministres soient mobilisés. Et puis je reviendrai dès qu'il le faudra pour apporter des réponses. Je vais sans cesse des allers-retours...

Et vous irez aussi à la Réunion, parce que la contagion gagne ?

Mais j'étais à la Réunion, il y a exactement 11 jours, j'y retournerai autant de fois qu'il faut. Mes voyages sont très médiatisés depuis une semaine, on peut s'interroger. Mais ça fait un an que je travaille comme ça, et ça fait un an qu'on fait des progrès en étant là où il faut être.

Merci, Y. Jégo, d'avoir été avec nous.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 février 2009