Texte intégral
L. Bazin.- Notre invité ce matin est R. Karoutchi, ministre des Relations avec le Parlement. Au lendemain de la censure, à la veille de la grève, on a plein de questions à lui poser évidemment. Et puis R. Karoutchi, c'est l'homme qui par exemple dit ses quatre vérités dans Match aujourd'hui, dans sa cuisine. Un homme très exposé pour avoir révélé son homosexualité, c'était dimanche soir sur TF1. Alors bonjour Monsieur Karoutchi !
Bonjour !
Ministre des Relations avec le Parlement, on a donc un certain nombre de sujets sur la table, comme à chaque fois que l'on vous reçoit. Vous publiez : « Mes quatre vérités » qui est un livre qui a fait pas mal de bruit, comme votre interview sur TF1, comme votre interview sur Europe I, comme cette page dans Paris-Match où vous avez découvert ce matin que vous aviez une photo pleine page. Vous êtes rentré dans la rubrique « people », vous vous rendez compte de ça ?
Non. Je vais éviter la rubrique people, non je crois que quand on dit un certain nombre de choses...
Quand on révèle son homosexualité...
Oui, les médias ont une tendance naturelle à vouloir vous faire entrer un petit peu dans une catégorie et donc à "peopoliser" ce que vous dites, ce que vous êtes. Ce n'est pas mon objectif, j'ai dit les choses de manière à éviter...
Qu'on les utilise contre vous ?
Non, qu'il y ait confusion, qu'il y ait confusion...
Qu'on les utilise contre vous, pourquoi vous ne le dites pas, parce que c'était ce qui était en train de se passer ?
Il y a eu des commentaires entre eux, il y a eu des critiques, mais la vérité c'est que, lorsque j'ai décidé de faire le livre, parce que je rappelle que ma vie privée dans le livre c'est 3 pages sur 300, ce n'est pas...
Non, mais vous racontez l'histoire du Juif Pied-noir de Casablanca qui arrive à Marseille à bord d'un bateau qui n'était pas en fameux état d'ailleurs. Votre engagement à 16 ans au RPR, l'agrég d'histoire à 21 ans... enfin la filière du bon élève.
Oui, la filière du bon élève et puis ensuite les engagements politiques, les rencontres, J. Chirac, P. Séguin, N. Sarkozy, naturellement il y a maintenant 33 ans, l'ensemble des engagements.
Et puis tout d'un coup, vous devenez le premier ministre en exercice homosexuel, c'est lourd à porter, c'est fatigant ?
Non, non, il ne faut pas classer comme ça, moi je ne veux même pas de ça comme classement.
Depuis trois jours là !
Je vous dis simplement, je dis : je me présente à une élection régionale devant 11 millions d'habitants. On m'a dit : "il faut que les gens te connaissent plus". J'ai fait un bouquin sur tout mon parcours. On m'a dit : "c'est curieux, on a l'impression que tu n'as pas de vie. Tu veux te faire connaître des gens, savoir tes engagements, savoir tes passions, ta passion pour la région Ile-de-France, mais tu n'existes pas perso, tu es où ?"
Or, maintenant il faut exister perso ?
Oui, parce que c'est normal, il y a des questions à la limite...
"On ne voit pas sa femme à R. Karoutchi" : c'était ça la question ?
Non, mais au questionnement, je préfère apporter moi une réponse soft, claire, presque naturelle et puis basta ! C'est dit, c'est dit, c'est fait, c'est fait, on revient aux vraies valeurs...
Hier, on vous a consacré une émission sur iTélé, R. Karoutchi. Rendez-vous compte ! Sans vous en plus, pour parler de vous, mais pas que de vous, et bien évidemment. Et J.-L. Romero, qui est un militant de la cause de longue date, de la cause homosexuelle, disait : mais il faut qu'il se prononce sur des sujets de la politique homosexuelle.
Non, non.
Alors, je vais vous poser les deux questions. Est-ce que vous êtes pour le mariage gay ?
Non, non, mais même en rêve, je vais vous dire...
Mais comme homme politique !
Non, non, je vous dis les choses.
C'est des tabous, c'est des questions auxquelles on ne répond pas ?
Non, ce n'est pas tabou, mais je ne me rangerai pas dans un tiroir sur le thème "comme il a dit ça, il va faire ça". Non ! Je suis venu pour vous dire et vous parler des problèmes des gens, des grèves, la motion de censure...
Le mariage homosexuel, vous n'avez pas de position là-dessus, l'adoption par les homosexuels, vous n'avez pas de position ?
Je prendrai là-dessus, le jour venu, les positions que je souhaite, je ne veux pas de ce catalogue, voilà, ça c'est clair.
Donc, on n'aura pas de réponse ce matin encore.
Non, bien sûr que non !
Cela veut dire que vous n'avez pas d'avis ?
Non, cela ne veut pas dire que je n'ai pas d'avis, cela veut dire que je les donnerai, de moi-même, le jour venu. Mais ce n'est pas parce que j'ai dit des choses que...
Mais ce seront des avis d'homme politique, c'est ça ?
Exactement, ce sera l'avis d'un responsable politique, cela ne sera pas un classement communautaire. Cela n'a pas de sens, sincèrement, c'est ma vie et ce n'est pas pour ça que je veux, que je souhaite ou que j'imagine répondre uniquement à des éléments de ce genre. Cela ne veut pas dire que j'ai des positions rétrogrades sur ces sujets, cela veut dire que je m'exprimerai quand j'estimerai nécessaire, politiquement, de le faire. Voilà.
Mais on peut être R. Karoutchi, en ayant dit ce qu'on a dit - et on a compris ce qu'on avait dit et ce qu'on a entendu de ce que vous aviez dit, puisque c'est la grande phrase, que vous avez prononcée ici, sur le président "qui savait, qui savait que vous saviez et que vous saviez qu'il savait etc., bref - et ne pas avoir publié d'avis précis sur des dossiers qui sont dans la vie publique depuis hier.
Je n'ai pas publié d'avis précis.
Oui, je sais.
Et je n'ai pas...
Vous ne voulez pas devenir un militant de la cause, c'est pour ça ?
Non, bien sûr que non, bien sûr que non. Cela ne veut rien dire, cela ne veut pas dire que je le dis et qu'après je ne veux plus en entendre parler. Cela veut dire simplement que c'est à moi de décider, politiquement sur quel thème je m'engage, sur quel thème je réponds et sur quel thème je fais un vrai combat. Mais je ne suis pas un militant communautariste. Ma seule communauté c'est la France et les Français.
Et le mouvement gaulliste avant celui-là, quand même, si on lit bien votre livre.
Vous avez tout à fait raison, mais pour moi, le mouvement gaulliste, pardon de le dire comme ça - j'espère que les autres partis politiques ne vont pas s'en vexer, mais pour moi, le mouvement gaulliste - c'était d'abord la France et les Français.
On marque une pause pour le rappel des titres et on parle de la politique sur laquelle R. Karoutchi veut bien se prononcer ce matin.
Voilà, très bien ! [Rappel des titres]
Voilà, R. Karoutchi qui est notre invité ce matin à qui j'ai offert le Paris-Match où sa photo est en plein phare cette fois-ci.
Avec du roquefort. Donc c'est une défense et un clin d'oeil pour tous nos producteurs.
Oui, et du Bordeaux et du Bourgogne, si j'ai bien regardé la cave aussi.
Bon, eh bien c'est parfait !
On va parler des sujets qui préoccupent effectivement les Français : la grève de demain et puis la motion socialiste d'hier. Alors la grève de demain, c'est B. Thibault qui prévient que cela va être chaud (...). Pourquoi le Gouvernement refuse t-il, on a entendu F. Fillon hier, de faire un geste ?
Non ce n'est pas une question de... D'abord j'admire B. Thibault qui est devenu sarkozyste, il nous dit : "c'est la valeur travail, il faut reconnaître la valeur travail". C'était le thème essentiel de la campagne présidentielle.
A la CGT, ils ont toujours dit ça quand même !
Oui, mais c'était la valeur réduction du travail, ce n'était pas la valeur travail, donc c'est autre chose, premier point. Moi je suis assez d'accord sur un point de ce que dit B. Thibault : la situation, elle est à le fois mondiale et compliquée avec ce qui se passe à l'étranger. Et quand Nicolas Sarkozy dit "il faut refonder le capitalisme", quand il va y avoir, début avril, une réunion avec les Américains, avec les Européens, etc., pour justement changer le système, essayer d'avoir un autre système monétaire, un autre système de relations financières, un autre système d'équilibre, c'est comme ça qu'on changera la donne sur l'ensemble de l'Europe et du monde.
Pas en donnant du pouvoir d'achat aux Français comme le demandent les syndicats, qui défilent demain, et le Parti socialiste ?
Le pouvoir d'achat pour les plus modestes c'est - et c'est dans le plan de relance - la prime de solidarité active qui s'ajoute à la réforme.
Mais cela s'arrêtera là ?
Mais cela ne s'arrêtera pas là. Si on fait de l'investissement, on crée de l'emploi et si l'on crée de l'emploi, on crée du revenu. Le pouvoir d'achat, la distribution, comme je l'ai vu par exemple de la part des socialistes, de 500euros, etc., la distribution immédiate c'et relancer la consommation, donc les importations. Deux fois dans le passé, le système a eu lieu, une fois à gauche, une fois à droite - comme ça on est tranquille -. Les deux fois, cela a échoué. La vérité c'est qu'il faut relancer la machine économique française.
Donc votre plan n'est pas hémiplégique, riquiqui, je reprends tous les... ?
Mais pas le moins du monde, le plan...
Et on ne fera pas de geste, parce que c'était ça ma question ? F. Fillon a dit : non, notre boulot ce n'est pas de faire un geste.
Mais ce n'est pas une question de geste, le geste c'est de dire : la situation économique n'est pas bonne, il y a une crise, on fait de l'investissement, on a un plan automobile, on a un plan sur les banques, de manière à investir dans les PME ; on fait en sorte que l'activité redémarre, parce que c'est le redémarrage de l'activité qui crée de l'emploi, qui crée du salaire, qui crée du revenu. Le reste c'est cautère sur jambe de bois et cela s'effondra aussi vite que cela a été fait. Tandis que si l'on fait de la vraie activité, si réellement on fait redémarrer la machine, vous distribuerez des salaires, des revenus à tout le monde. Et à partir de là, vous avez plus de pouvoir d'achat. Alors il peut y avoir avec la prime de solidarité active, un geste immédiat, c'est ce qui a été prévu dans le plan de relance. Mais il ne faut pas imaginer que l'on va faire 25 milliards de consommation comme le souhaitent les socialistes, parce que ça, c'est de l'argent qui va partir à fonds perdus sur des importations et on va faire travailler et on va faire de la production en Chine, au Brésil ou ailleurs. C'est sûrement sympathique pour la Chine et le Brésil, mais ce n'est pas en France.
Ecoutez le diagnostic de L. Parisot, la patronne du Medef, elle était l'invitée de France Inter ce matin (...). Cela veut dire en particulier, ne pas dire aux syndicats qu'il n'y a plus de grève dans le pays, de dire de ne pas faire de provocation.
Non, mais attendez, moi je dis à L. Parisot : un, elle a raison, cela faisait 30 ans - et c'est d'ailleurs sur ce fondement que N. Sarkozy a fait sa campagne présidentielle - cela faisait 20 ans, 25 ans que les réformes de structures dans l'économie comme dans la société n'avaient pas eu lieu. Donc, le programme de rupture, le programme de réforme qu'il avait lancé en 2007, c'était ça. Sur le contrat de travail, sur les heures supplémentaires, sur les 35 heures.
Mais la pression sociale qui monte, cela ne vous fait pas bouger d'un signe ?
Mais non, il ne faut pas dire ça.
C'est une question !
Mais non, la pression sociale on la comprend, les inquiétudes des Français, le président de la République l'a dit, il les comprend. Il n'est pas aveugle, il n'est pas myope, il voit bien que la crise financière, puis la crise économique, elle n'inquiète pas seulement en France, dans tous les pays d'Europe.
Il n'y a pas de rupture avec les syndicats, autrement dit ?
Mais non, il n'y a pas de rupture avec les syndicats. Les syndicats sont, si je puis dire dans leur rôle de mobiliser, de revendiquer, c'est leur rôle. Mais le rôle du Gouvernement, le rôle du président de la République, c'est d'assurer, d'assumer, de dire "les réformes on est en train de les faire et on va les poursuivre, justement, pour que, comme on le dit, ces réformes de structures nous permettent de participer au rebond". Et puis, globalement, il faut faire toutes les réformes, avoir les gestes pour que l'investissement, pour que l'activité redémarrent et donc cela va redémarrer l'emploi et le revenu. Mais on n'est pas autiste, on voit bien ce qui se passe, le Gouvernement voit bien ce qu'il se passe. Pour autant, il a le cap des réformes à respecter, parce que c'est le cap qui sauvera le pays et les gens en général et leurs revenus et leur pouvoir d'achat.
Une proposition de F. Hollande ce matin sur France-Info : « Et pourquoi pas un Grenelle de la relance. Ecoutez-nous, écoutez-nous, dit-il » (...) Il n'y a pas une proposition des socialistes qui trouve grâce à vos yeux ?
Alors je ne veux pas dire ça, parce que F. Fillon hier dans la motion de censure avait dit, à plusieurs reprises : eh bien vous voyez, il y a plusieurs des propositions dans le contre plan de relance...
Laquelle, par exemple ?
Eh bien il y a des propositions sur l'automobile, il y avait des propositions sur les aménagements salariaux sur le contrat de travail. Il y a des propositions comme ça, qui sont déjà dans le programme gouvernemental. Mais sincèrement, le contre plan socialiste - et tout le monde le sait, d'ailleurs F. Hollande lui-même l'avait critiqué, F. Rebsamen l'avait critiqué, je ne parle pas de M. Boutih ou d'autres...
S. Royal...
S. Royal aussi. Franchement, la vérité c'est que nous, nous sommes prêts au dialogue et on l'a dit au Parti socialiste. Et hier, F. Fillon l'a dit à J.-M. Ayrault et à tous les responsables socialistes. Oui, s'il y avait réellement échange, s'il y avait réellement des propositions constructives que l'on pourrait intégrer, pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Sauf que dans l'immédiat - et la motion de censure hier était de ce côté-là extrêmement faible - c'est qu'en réalité on assénait des réalités plus ou moins fausses et on attendait le vote, point. Mais il n'y a pas eu de vrais échanges, il n'y a pas eu de vrai dialogue et je le regrette... Je le regrette, parce que ce n'était même pas dans une motion de censure qu'il fallait faire ça. Il y a eu déjà un échange à l'automne, puisqu'il y avait eu débat à l'Assemblée sur des problèmes financiers économiques. Après tout, pourquoi pas en faire à nouveau, des débats financiers et économiques à l'Assemblée.
Donc la porte est ouverte, c'est ce que j'entends ce matin.
La porte est ouverte sur les propositions et sur les idées et le Gouvernement de F. Fillon est un Gouvernement très ouvert et, sincèrement, personne ne peut dire que N. Sarkozy dans sa politique est autiste, personne.
Il y a demain, qui sera probablement une journée noire du côté des transports, à côté évidemment des manifestations. Est-ce qu'il faut ou pas changer la loi, la renforcer sur le service minimum. 52 députés UMP y sont favorables ?
Moi je suis à l'origine, par exemple de ce qu'on appelait le service garanti minimum en Ile-de-France...
Candidat par ailleurs à la présidence de la région Ile-de-France, vous ne devez pas être insensible au sujet.
Non, et sûrement pas insensible. Et chaque fois qu'il y a eu des grèves, j'étais dans les gares et je le serai demain, comme toujours pour voir. Moi je pense que le service minimum qui a été voté, c'est un tout déjà en lui-même, s'il est appliqué complètement, c'est un tout important qui n'a peut-être pas besoin d'éléments supplémentaires. Sauf sur un ou deux points. Par exemple, dans la loi, on a mis que si vous faites une heure de grève, naturellement on vous prélève une journée. Alors le contournement par un syndicat qui consiste à faire grève 59 minutes, mais cela désorganise complètement le service.
Donc, il faut changer la loi, R. Karoutchi ?
A mon avis, là-dessus, il faut l'aménager, parce que, j'allais dire, ce n'est pas correct.
Donc oui, il faut changer la loi.
Oui, il faut la changer pour l'aménager de manière à ce que, quand vous faites grève, ce qui est parfaitement votre droit constitutionnel, vous faites grève. Mais il faut que l'entreprise puisse dire au public : voilà exactement les conditions dans lesquelles nous assurons le service minimum et nous ne serons pas déstabilisés par des contournements, des déclarations sur le droit de grève.
Merci d'être venu nous voir ce matin, une bonne journée à vous, un bon courage !
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 janvier 2009