Texte intégral
J.-M. Aphatie.- De l'avis général, la grève de ce 29 janvier devrait être très suivie. Quelle est, parmi toutes celles que vous formulez, la revendication que vous souhaiteriez voir aboutir et qui serait le signe du succès de votre journée de manifestations ?
La revendication, s'il ne doit y en avoir qu'une, c'est de pouvoir remettre à plat un diagnostic économique et social, la nature des mesures à prendre dans la situation de crise économique et sociale actuelle. C'est ça la demande en direction du Gouvernement, du chef de l'Etat et des directions d'entreprise. Le texte qui est la base de cette mobilisation aujourd'hui est signé par tous les syndicats de notre pays. C'est aussi ce qui fait la force de cette journée je crois, y compris par le message qui est adressé par l'unanimité des organisations syndicales. On a suffisamment dit par le passé et c'était justifié, que le syndicalisme français se caractérisait par une énorme dispersion. Le fait que dans cette situation, sans précédent, tous les syndicats de salariés se soient mis d'accord pour élaborer un texte qui aborde les questions de la situation économique, de l'emploi, les salaires, de l'investissement public, des services publics, pour juger comme inéquitable, injuste, les décisions qui ont été prises jusqu'à présent en défaveur des salariés, nécessitent une certaine remise à plat.
Remettre à plat. La déclaration commune que vous évoquez, dit "donnez la priorité au maintien des emplois dans un contexte de crise économique. C'est le premier point. Et le deuxième, politique salariale, améliorer le pouvoir d'achat. Le président de la République était à Châteauroux, mardi et il a dit "relancer la consommation en cette période de crise, c'est comme mettre de l'eau sur le sable".
Oui, si on n'accepte pas de réévaluer dans les mécanismes économiques, la part que l'on consacre à la reconnaissance du travail, il ne faut pas s'étonner qu'on restera enfermer dans une crise économique et financière internationale et permanente.
Pour vous, relancer le pouvoir d'achat, c'est la clé, c'est la réponse à la crise ?
Bien sûr ! Toutes les organisations syndicales au monde, qui l'ont dit le 7 octobre, à propos de la défense du travail décent, ont condamné une mondialisation économique dont une des principales caractéristiques est de valoriser davantage les revenus du capital que les revenus du travail. Eh bien il faut aussi accepter, si l'on veut refonder le capitalisme. Ce n'est pas une formule de la CGT, c'est une formule du chef de l'Etat, d'accepter, progressivement, de ne plus raisonner avec les mêmes paramètres. Surtout que s'agissant des salaires, du niveau des salaires, du niveau des retraites, je rappellerais qu'il n'est jamais le bon moment, pour le Gouvernement comme pour les directions d'entreprise, d'en parler. Quand ça bien, on ne peut pas en parler, on est dans une compétitivité internationale. Et a fortiori, quand ça va mal, on ne peut pas en parler non plus.
Alors, la question qui vous être posée ce soir, à vous et aux autres responsables syndicaux, c'est la question de la suite de ce mouvement. B. Hortefeux, nouveau ministre des Relations sociales est cité dans le journal Le Monde d'aujourd'hui : "beaucoup attendent la manifestation pour se compter et mesurer le climat ; les syndicats eux-mêmes, dit-il, n'ont pas de ligne définie". Il se trompe ?
Nous, on a un texte de référence. Je ne sais pas ce qu'il faut...
Mais pour la suite ?
Je ne sais pas ce qu'il faut faire. Tantôt, on nous dit parfois "il y a des actions syndicales qui sont confuses, elles ne posent pas les problèmes, les revendications"... On a un texte ! On a un texte de référence, un texte qui est public depuis un mois.
C'est votre texte, ce n'est pas celui du Gouvernement. Qu'est-ce que vous allez faire après ?
Ce n'est pas notre texte. Cela va être le texte, c'est LE texte de millions de salariés, soit qui arrêtent le travail, certains une heure, d'autres une demi-journée, parfois toute la journée, et de centaines de milliers qui vont manifester aujourd'hui. Ce n'est pas que le texte des dirigeants syndicaux
Mais qu'est-ce que vous allez faire après cette journée ? Il y aura sans doute beaucoup de monde dans les rues. Qu'est-ce que vous allez faire après ?
On va être très attentifs à ce que va dire le Gouvernement sur cette situation. Très attentifs à ce que vont dire les employeurs.
Il pourrait y avoir d'autres manifestations ?
Nous l'avons dit. Il y a un autre rendez-vous de prévu entre tous les syndicats, lundi soir. Nous allons évaluer ce qui se sera passé cette journée, nous allons nous aussi, comme je l'espère, le Gouvernement va le faire, apprécier ce qui va se passer aujourd'hui, le degré de mobilisation, la diversité de ceux qui se mobilisent aujourd'hui. Je peux dire, vu les indications que nous avons, qu'il y aura des salariés qui vont manifester pour la première fois, aujourd'hui.
Vous dites ça tout le temps...
Eh ben oui.
Mais il y en a toujours qui manifeste pour la première fois !
D'accord, mais enfin, y compris des salariés qui auraient pu avoir, depuis qu'ils travaillent, bien d'autres occasions, mais qui cette fois-ci disent : non, ce n'est pas possible qu'on continue comme cela. Il faut que l'on accepte de débattre d'une situation de manière contradictoire, y compris sur les remèdes que se propose de mettre en oeuvre notre pays. Moi, je ne peux pas supposer que demain ce soit la version "j'ai rien vu, j'ai rien entendu et j'ai rien à dire" de la part du chef de l'Etat. Ce n'est pas possible de faire ce choix-là.
On écoutera les réponses ce soir. Vous vous êtes beaucoup exprimé avant cette manifestation pour en expliquer les buts et, à chaque fois, ou souvent, des journalistes vous interrogent sur le syndicat SUD qui fait une irruption, comme ça, sur la scène syndicale. Est-ce que cela vous agace ?
Je trouve que c'est une performance assez extraordinaire - je suis un peu jaloux d'ailleurs, je ne vous cache pas...
Ah ! Vous voyez ? J'ai bien fait de vous poser la question !
... - Qu'une organisation syndicale qui obtienne 4 % des voix aux élections prud'homales ait une telle couverture médiatique. Donc, je trouve qu'il y a là une...
Vous suggérez quoi, une manipulation ?
Non, je parle de promotion.
De qui, des journalistes ?
Proportionnellement, avec les 34 % que la CGT a obtenus aux élections prud'homales, un gain de 2 %, nous avions proportionnellement les mêmes espaces médiatiques - je ne vais pas vous en faire le reproche, je suis votre invité ce matin, vous contribuez quand même à ce que la voix de la CGT puisse être diffusée dans le pays. Mais je considère que certains responsables politiques, certains observateurs et commentateurs accordent une place disproportionnée par rapport à l'influence réelle. Il y a un pluralisme syndical, chacun doit être apprécié au regard de sa représentativité, mais je sens bien qu'il y a là une séquence qui contribue à une certaine promotion partisane.
"Ce sont des syndicalistes irresponsables", a dit le chef de l'Etat à propos de SUD. Partagez-vous son jugement ?
Ce n'est pas la première fois que le chef de l'Etat a une sortie un peu déplacée. Il a dit aussi en d'autre temps, en France, c'est terminé, il n'y a plus de grève visible. Bon, ben, voilà, encore une autre formule qui est trop en décalage avec la réalité.
Donc vous ne partagez pas son jugement sur ce syndicat "irresponsable" ?
C'est un jugement qui appartient au chef de l'Etat.
D'un mot : quelle opinion avez-vous des grèves de 50 minutes que mène SUD dans certaines gares, notamment à la gare Saint-Lazare il y a quelques jours ?
Il va y avoir des grèves d'une heure dans certaines entreprises du privé aujourd'hui. Il y en a aussi dans les différentes activités du secteur public. Ce que je trouve curieux, c'est qu'on va finir par des raisonnements à la noix - pardonnez-moi l'expression - à regrettez que les salariés fassent des arrêts de travail d'une heure et qu'il va falloir trouver des modalités pour qu'à l'avenir, s'ils arrêtent le travail, il faut qu'ils l'arrêtent toute la journée. Je trouve que c'est quand même assez contradictoire.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 janvier 2009