Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à RMC le 23 janvier 2009, sur la journée de grèves et de manifestations du 29 janvier, l'ouverture des négociations salariales et le climat social.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

 
 
 
J.-J. Bourdin.- B. Thibault est avec nous ce matin. À quelques jours de cette grande journée de grèves et de manifestations - le 29 c'est jeudi prochain - il était bon de l'entendre et de l'écouter. Première question : le 29, y aura-t-il du monde dans la rue et que prévoyez-vous ?
 
Il y a aura, je pense, énormément de monde...
 
Énormément de monde ?
 
... Énormément de monde, compte tenu des indications qui nous reviennent, des départements, des entreprises. C'est une journée qui déjà se prépare avec un nombre d'appels à des arrêts de travail dans les entreprises, privées comme publiques, sans égal depuis très longtemps...
 
Depuis très longtemps, c'est-à-dire ? Sans égal depuis très longtemps !?
 
Oui, sans égal depuis très longtemps, et par le nombre de décisions d'arrêts de travail, la diversité des secteurs professionnels qui ont décidé d'être parties prenantes de cette journée. Donc, je pense que l'appel des organisations syndicales correspondait à un réel besoin, ça explique aussi pourquoi il y a l'unanimité des organisations syndicales ; tous les syndicats de salariés appellent à cette grande journée de manifestations et de grèves, le 29 janvier. Donc, je pense que l'urgence de la situation est comprise, le sens du message que portent les organisations syndicales en direction du Gouvernement, en direction des employeurs, dans cette phase de crise aiguë, correspond bien à l'analyse de beaucoup de salariés qui décident de participer à cette journée.
 
Qu'allez-vous dire ? Quel est le message principal que vous allez lancer jeudi prochain ?
 
Il est contenu dans une déclaration commune qui fait à la fois appel à une analyse de la situation, qui est très critique sur les mesures prises par le Gouvernement. Nous ne considérons pas que le Plan de relance - ce qui s'appelle être "le Plan de relance gouvernemental" est suffisant. Il faut entendre, prendre, la mesure de la dégradation des conditions sociales, de la souffrance sociale qui existe aujourd'hui dans le pays, et accepter d'aborder enfin un certain nombre de sujets considérés comme tabous jusqu'à présent, en particulier les questions de salaires, de pouvoir d'achat, de préservation de l'emploi.
 
Alors, vous demandez quoi ? L'ouverture de négociations salariales ? Elles sont parfois ouvertes les négociations salariales dans certaines entreprises ?
 
Oui, mais enfin, s'il s'agit simplement, comme je le vois, dans certaines entreprises de fixer des rendez-vous, par exemple au mois de mai sur les salaires, pour déjà s'entendre dire : "il n'est pas possible d'augmenter les salaires dans le contexte actuel", sous-entendu, nous sommes en période de crise, ce n'est pas le moment d'accroître les masses salariales...
 
Vous voulez dire par là que la crise a bon dos ?
 
Non, je pense que, en n'acceptant pas de reposer la question du pouvoir d'achat des ménages, on participe à s'enferrer dans une crise qui, justement, trouve son origine dans la dévalorisation du travail.
 
Plan de relance du Gouvernement, Plan de relance du Parti socialiste, vous le trouvez aussi insuffisant ?
 
Déjà l'originalité par rapport au Plan du Gouvernement, du côté du Parti socialiste, je le note, c'est que ce Plan se propose de poser la question d'une relance par une amélioration de la consommation des ménages. Dernière statistique du mois de décembre : chute de la consommation ; ça s'explique. On ne peut pas avoir des plans de licenciements, de mises au chômage technique que nous avons eus en novembre et décembre, et qui se poursuivent en janvier ! On voit bien que, si on reste dans le schéma gouvernemental actuel, la spirale de cette crise...
 
Il y a une urgence sociale ?
 
Bien sûr qu'il y a une urgence... il y a une forte dégradation sociale ! La ministre de l'Economie nous laisse entendre qu'il faut se préparer à un horizon de chômage de l'ordre de 10 % ! Les statistiques européennes nous font apparaître qu'on va vers une croissance de moins 1,8. Donc c'est une décroissance, ce n'est plus une croissance économique.
 
On a un Gouvernement qui fait tous les efforts...
 
Je ne crois pas !
 
Non ?
 
Non, je ne crois pas. Quels efforts ?
 
On a un ministre de la Relance, qui s'occupe de la Relance...
 
Pardonnez-moi, mais en fin ça, c'est un poste...
 
Est-ce qu'il sert à quelque chose ce ministre ?
 
...C'est un poste ministériel, créé pour des motivations politiciennes mais, dès lors que, dans un Gouvernement il y a un ministre de l'Economie, il y a un ministre de l'Emploi, il y a un Secrétaire d'Etat à l'Industrie...
 
Pour vous, les efforts du Gouvernement sont vains, sont insuffisants, et sont même contreproductifs, si je comprends bien ?
 
Ils sont entre autres inéquitables ! Ils sont inéquitables.
 
Inéquitables !
 
On ne peut pas assister à une distribution d'argent public, de garanties publiques, pour faire fonctionner les banques, pour empêcher le marché financier de s'écrouler ; les établissements financiers vont trouver le moyen d'afficher, c'est dans quelques semaines, des résultats positifs malgré la crise pour laquelle on nous a dit qu'il fallait que tout le monde accepte les sacrifices.
 
Est-ce que les actionnaires de ces banques doivent abandonner leurs dividendes ?
 
Oui, il y a longtemps que nous le disons. Nous l'avons dit dès la crise financière. Secteur automobile, si vous voulez que nous en disions un mot : le Gouvernement - et je l'ai dit au chef de l'Etat, d'autres responsables syndicaux avec moi - s'apprête à redonner de l'argent public aux constructeurs automobiles. Mais si dans le même temps, ces mêmes constructeurs automobiles versent plus de dividendes au titre de l'année 2008 qu'au titre de l'année 2007 - en l'occurrence, Renault + 200 millions d'euros a priori - à leurs actionnaires comment peut-on expliquer que de l'argent public soit distribué aux constructeurs automobiles pour les actionnaires, alors que dans le même temps, ils mettent au chômage technique ou ils licencient les salariés qui travaillent pour leur entreprise !
 
Pourquoi allez-vous pénaliser l'économie française qui n'en a pas besoin actuellement ? Pourquoi ne pas manifester et faire grève le samedi ou le dimanche ?
 
Il ne s'agit pas de "pénaliser" l'économie française...
 
Mais vous allez pénaliser !
 
...Il s'agit de porter le sentiment de colère et de désaccord et de propositions.
 
Mais pourquoi ne pas le porter le week-end, le samedi ou le dimanche, par exemple ?
 
Parce que nous avons consulté les uns et les autres. Si tous les syndicats ont fait ce choix, c'est que ça correspond bien à un état d'esprit. Là- dessus, on n'a pas eu de difficultés entre les syndicats parce que chacun avec ses correspondants, ses représentants locaux dans les entreprises, à la question posée "quelle est la forme d'expression la plus adaptée à la période ?", ce qui est revenu c'est que beaucoup de salariés voulaient jusqu'à pouvoir exprimer leur désaccord par la grève. Alors certains vont faire une heure de grève, d'autres vont faire une demi-journée, d'autres peut-être une journée. Certains vont simplement venir aux manifestations. Le plus important, ça va être le nombre de participants à cette journée.
 
Si rien n'est fait, peut-on imaginer une grève générale ?
 
Ecoutez ! Générale ou pas, on verra le degré déjà de cette mobilisation. En tout cas, les organisations syndicales ont pris un nouveau rendez-vous le 2 février. C'est dire que, si nous apprécions que rien ne change fondamentalement, si le chef de l'Etat ne prend pas d'initiatives particulières...
 
Qu'est-ce que vous attendez, là, du chef de l'Etat avant le 29 ?
 
Qu'il accepte d'autres mesures que celles qu'il met à l'oeuvre en ce moment.
 
Qu'il prenne la parole ? Vous lui demandez de prendre la parole ? Vous pensez qu'il y a une urgence telle qu'il devrait s'adresser au pays aujourd'hui ?!
 
Mais pas simplement s'adresser au pays ! Accepter de discuter en d'autres termes avec les représentants des salariés sur les mesures à mettre en oeuvre. Vous imaginez que dans quelques semaines, par exemple, l'Assemblée est susceptible de voter un texte de loi pour étendre le travail du dimanche dans le commerce ! Est-ce qu'on pense, dans une période où des entreprises ferment, que c'est une réforme du droit du travail qui correspond aux nécessités actuelles et à l'urgence sociale que de contraindre des salariés de devoir travailler davantage le dimanche, soi disant pour relancer le commerce ! Mais si on a ce niveau de chômage dans le pays, on peut faire ouvrir les magasins 24 heures sur 24, il n'y aura pas davantage de consommation. Par contre, il y aura un recul social pour les salariés du commerce et ils vont être nombreux je crois mobilisés le 29 janvier.
 
On va parler de l'indemnisation des chômeurs dans deux minutes avec vous.
 
[Pause]
 
Parlons de l'assurance chômage. Ce texte a été longuement négocié, très longuement négocié, entre les syndicats et le patronat. Et puis voilà que les syndicats ne veulent plus signer. Pourquoi ? Parce qu'il prévoit une baisse des cotisations à partir du 1er juillet prochain. Et vous dites : en période de crise, ce n'est pas le moment de prévoir des baisses de cotisations. C'est cela ou pas ?
 
Oui, c'est assez extraordinaire de constater que le patronat parvient, à une année où personne n'est capable de dire jusqu'où est susceptible d'aller le niveau de chômage dans notre pays et au niveau européen, parvient dans les discussions...
 
Vous croyez qu'on va dépasser les 10 % à la fin de l'année 2009 ?
 
Je ne vois pas pourquoi il y aurait aujourd'hui des indicateurs nous permettant à l'optimisme. C'est aussi pour cela qu'il y a urgence. C'est aussi pour cela qu'il y a urgence et qu'il est dès maintenant nécessaire de se mobiliser. Parce que si nous laissons faire les choses, la situation des salariés ne va cesser de se dégrader.
 
Mais l'accord prévoit qu'on ne baisse les cotisations qu'à la condition qu'il y ait de l'argent dans les caisses pour indemniser les chômeurs.
 
Oui, et la manière dont le patronat parvient à s'assurer qu'il y ait de l'argent dans les caisses, et donc d'obtenir une diminution de sa cotisation, c'est sur le profil des chômeurs : c'est en sélectionnant un nouveau profil des chômeurs qui seront indemnisés à l'avenir. Dans la négociation, il est vrai qu'il y a des nouveaux profils de chômeurs, plus précaires, plus jeunes, qui sont susceptibles d'être indemnisés, d'être pris en charge par l'indemnisation du chômage...
 
Donc il y avait une avancée dans ce texte ?
 
Attendez ! Mais cela se fait au détriment d'une masse de chômeurs avec plus d'ancienneté, plus de durée d'activités, pour lesquels, eux on réduira les droits. C'est un peu comme la négociation que nous avions eue en son temps, en 2003, sur le régime des retraites : on satisfait à une partie de la population, celle qui a commencé à travailler très jeune mais pour ce faire, on rogne sur les droits en matière de retraite, sur la majorité de la population salariée. C'est donc un marché de dupes. [...]
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 26 janvier 2009