Texte intégral
C. Barbier.- J.-C. Mailly, bonjour. Alors, êtes-vous content, satisfait de la manifestation d'hier et de la mobilisation ?
Oui, bien sûr ! [Il y a eu une] forte, très forte mobilisation sur l'ensemble du territoire à la fois dans les manifestations, dans les arrêts de travail. Donc, une journée très réussie, oui.
Un mot quand même sur les incidents en fin de manifestation, à Paris. A qui les doit-on ?
Je ne sais pas.
A des salariés désespérés, à l'extrême gauche, à la police ?
Je ne sais pas, franchement, non ; non, franchement, je ne sais pas. J'ai vu ça hier soir, mais je n'ai aucune information particulière là-dessus.
Vous n'êtes pas débordés, quand même, tout doucement, conflit par conflit par votre gauche ?
Non, non, je ne crois pas qu'on puisse... parler de débordement des syndicats, mais écoutez, il y a plus à peu près 2,5 millions de manifestants, il y a eu quelques incidents hier en fin de parcours, mais c'est quand même peu de chose par rapport à la masse des manifestants.
Alors, le Président de la République s'est dit sensible à l'inquiétude légitime des Français, il affirme être dans le devoir d'écoute et de dialogue, mais il se dit aussi déterminé à agir. "Nous ne serons pas sourds", vient d'ajouter X. Bertrand, le nouveau patron de l'UMP. Est-ce que cette première réponse globale vous convient ?
Ecoutez, non, c'est trop court. C'est trop court. En gros, le Président de la République dit : " je vous ai écoutés" ; j'ai envie de vous dire que je préférerais que vous nous disiez : "je vous ai compris". C'est cela qui est important aujourd'hui. On va avoir une réunion, qui était programmée, ce n'est pas une nouveauté, ça. La réunion qu'on doit avoir avec le Président de la République, le sommet tripartite patronat-syndicats- président de la République, on l'a déjà fait l'année dernière. Cela devait avoir lieu au mois de décembre, ça été repoussé, on nous a dit aux voeux de l'Elysée que cela aura lieu début février ; donc ça, ce n'est pas nouveau. Ca doit se tenir.
Alors, quand ? Vous avez une date ?
Non, je n'ai pas de date.
Vous voulez le plus vite possible ... ?
... Oui !
... ou vous préférez attendre quelques semaines pour mettre à plat ?
Non, non, non, il ne faut pas que ça traîne. Il a dit février, on est quasiment au mois de février. Il faut que cela ait lieu le plus rapidement possible et ce n'est pas simplement pour dire, « voilà, je vais vous donner le calendrier de réformes ; qu'est-ce que vous acceptez de discuter et qu'est-ce que vous n'acceptez pas de discuter ?".
Alors, d'après son conseiller social, ce sera ça. Il y aura un agenda des réformes puisqu'il faut agir.
Non, non, mais attendez, l'agenda des réformes... oui, mais il faut bien comprendre, il y a quelque chose qui ne peut pas être possible ; ça ne peut pas être de dire : "voilà, j'ai été élu - quel que soit le programme, je ne veux pas en discuter - avec un programme, et on va continuer à le mettre en place. Il n'y a pas eu la crise ? Il ne s'est rien passé depuis ? Attendez, travailler plus pour gagner plus, tout le monde sait que c'est tombé à l'eau, aujourd'hui. Il y avait des choses qui avaient été annoncées qui n'ont pas été faites. Cela veut dire que s'il écoute et qu'il entend, il doit y compris modifier l'analyse des pouvoirs publics sur la nature de la politique économique avec la crise. C'est cela qui est important.
Alors, que lui demanderez-vous ? Quelles modifications lui demandez-vous ?
Alors, il faut travailler sur les trois axes que nous avons évoqués à l'occasion des manifestations et qui ont été repris par les salariés. Il faut bien comprendre que 2,5 millions de salariés, d'une certaine manière, hier, en répondant massivement - c'est volontaire, personne ne les a forcés à venir, les syndicats ont demandé, ils sont venus - 2,5 millions, cela signifie que, quelque part, ils donnent un peu un mandat aux syndicats sur les questions de pouvoir d'achat, sur les questions d'emploi, sur les questions de service public. Et là, on est en attente de décisions concrètes. On a déjà discuté avec le Président de la République à plusieurs reprises, y compris sur la relance par la consommation. Est-ce qu'il l'accepte ? Pour le moment, non. Est-ce qu'il accepte un coup de pouce au SMIC ?
Un coup de pouce au SMIC, c'est des délocalisations parce que le travail sera trop cher en France.
Mais non, attendez. Ça, c'est le raisonnement qui a conduit à la crise. Alors, si on ne change pas... "Le monde doit changer", a dit le Président de la République, je lui dis "banco", mais on ne peut pas non plus attendre uniquement de dire on va changer le monde au G20 - espérons-le ! - mais aussi si le monde doit changer il doit changer en France. Commençons aussi par regarder ce qu'on peut faire en France. On ne peut pas faire comme si la crise n'existait pas en France et uniquement dans le monde. On n'est pas une bulle, la France.
Le pouvoir d'achat, si on redonne un peu d'argent pour la consommation, et le gouvernement ne le fait pas pour cette raison, on craint que ça soit les importations qui en profitent, les gens qui travaillent à l'étranger, en Chine.
Oui, mais attendez, et quand on relance l'investissement ? Il faut le relancer l'investissement, on est tous d'accord, d'où ils viennent les biens d'équipement ? Il n'y en a plus en France. Les biens d'équipement, ils vont venir aussi de l'étranger, c'est une économie ouverte, elle est comme ça, l'économie. Alors, au nom de l'économie ouverte, il ne faut jamais augmenter la consommation et on va tous mourir de faim parce que les produits vont venir de Chine. Ce sont les règles internationales, mais en attendant on ne va pas attendre que toutes les règles internationales soient remises en place. Il y a donc le pouvoir d'achat avec le SMIC, il y a également avoir une vraie prime transport, conditionner les exonérations de cotisations patronales à l'existence d'accords de salaire, ouvrir des négociations dans la fonction publique. Sur l'emploi, si le plan de relance fonctionne, ils disent tous " : il va fonctionner notre plan de relance, vous allez voir, c'est magnifique, les 26 milliards ça va bien marcher". Ça va bien marcher ? Ok, on vous prend à témoin, alors vous faites un moratoire des licenciements en attendant les résultats. Il va falloir, nous on le dit, si le chômage augmente de manière importante, il va bien falloir, même temporairement, mais provisoirement, remettre en place un système de préretraite. Comment on va faire pour gérer demain le nombre important de chômeurs qu'il va y avoir sur le marché du travail ? Est-ce qu'il est acceptable qu'une entreprise, qui fait des bénéfices, fait un plan social, demande de l'argent à l'Etat, et en plus continue à distribuer des dividendes ? Donc, ça, il faut que le gouvernement prenne des initiatives sur ces points-là... Voilà, ce sont les questions qu'on veut débattre avec lui.
Alors, avant de débattre avec lui, lundi, les huit syndicats organisateurs se réunissent. Proposerez-vous, au nom de Force Ouvrière, une nouvelle journée de grève rapidement ?
Nous, on n'est pas dans l'esprit - je l'ai dit avant la manifestation -, toutes les semaines, on va manifester. Ce n'est pas ça l'esprit. L'esprit ,c'est de dire on a, hier, un rapport de force avec nous, 2,5 millions de personnes, le gouvernement et le Président de la République devraient faire attention, c'est quelque chose de très important. Ou ils répondent dans les dix jours à venir avec cette fameuse réunion ; c'est là que les choses concrètes doivent se décider.
C'est selon le contenu de cette réunion...
... ah oui !
... qu'un mouvement pourrait se re-déclencher ?
Après, si la réunion, c'est uniquement - ce que je ne comprendrais pas et je trouverais cela irresponsable - attendez, "on vous voit, voilà mon programme, bon, vous voulez discuter de ça, pas discuter de ça, bon, mais je continue comme avant, comme je disais il y a deux ans, la crise n'est pas là, etc."... Attendez, on est dans un monde irréel. Là, c'est l'exorciste comme contrairement à ce que dit le conseiller social du Président de la République, c'est vers le gouvernement qu'il faudrait aller voir, c'est pas vers les manifestants. Donc, si on veut être sérieux, nous, on a le cahier des revendications d'une certaine manière. Est-ce qu'il est prêt à discuter de tel ou tel point ? Il a su montrer, le Président de la République, quand il y a eu les problèmes en Georgie, il a su prendre des initiatives, et pourquoi il n'en prendrait pas au niveau national ?
Alors, il y a aussi le ministre du Travail, le nouveau ministre du Travail, B. Hortefeux. Vous l'avez rencontré ? Il compte dans la négociation ?
Pour le moment, je l'ai eu au téléphone, pour des histoires de calendrier on n'a pas pu se voir. On doit se voir prochainement. Donc, on verra ! J'ai pas eu vraiment... j'ai eu une discussion téléphonique avec lui ; pour le moment, je n'ai pas eu l'occasion de le voir en tête à tête.
Alors, le service minimum dans les transports a plutôt bien fonctionné, hier. Est-ce que cela n'a pas affaibli les syndicats dans le rapport de force avec le pouvoir ? La grève finalement n'ennuie pas tellement les gens.
Oui, ben oui, le service minimum fonctionne, notamment aux heures de pointe ; on l'a vu, il y a eu des métros. Maintenant, il y a eu des perturbations, il y a eu des perturbations dans 77 réseaux urbains. Il y a eu des taux de grève importants dans l'hospitalisation, dans l'enseignement. Il y a eu des débrayages et des grèves dans les entreprises, y compris dans des entreprises où il n'y a pas de syndicat. Il y avait dans certains cortèges, y compris à Paris, des salariés d'entreprises avec la banderole de leur PME, par exemple, mais c'était la première fois qu'ils manifestaient. Donc, il y a eu une masse importante de manifestants hier, et ça doit peser énormément sur la situation.
Et il y a une cohabitation respectueuse entre ceux qui avaient décidé de faire grève et ceux qui voulaient travailler et qui ont eu le service minimum pour aller à leur travail ?
Oui, bien sûr !
Est-ce que ça ne justifie pas, finalement, que le gouvernement resserre encore un peu les boulons sur le service minimum pour qu'il n'y ait jamais d'abus ?
Non, non, non, non, mais attendez, il faudrait savoir ; il peut pas dire : "le service minimum, regardez, ça a quand même marché, il y a eu des métros qui ont circulé, si on est sur Paris, le matin, mais on va encore le durcir". Ce n'est pas sérieux.
Mais attendez, il y a eu la gare Saint Lazare bloquée. La grève de 59 mn, de Sud, par exemple, vous la dénoncez ? Non.
C'est un contournement ?
Non, non, je ne la dénonce pas. S'il y a des problèmes...
... c'est légitime ?
Ce n'est pas illégal, il faut arrêter. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie que, parce qu'il y a une crise, la seule réponse à la crise sur le plan social, c'est qu'il faut remettre en cause le droit de grève. Attendez, là, c'est Thatcher là, c'est rien d'autre à ce moment-là, ou Reagan. Donc, il ne faut pas rentrer...
... donc, vous demandez l'abandon de tout ce qu'on voit, les projets de loi, les propositions de loi, les textes ?
Oui, mais attendez, il y a ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas. Il y ce qu'on veut, je l'ai rapidement dressé tout à l'heure. Ce qu'on ne veut pas, c'est par exemple reposer le problème du service minimum, ou, deuxième exemple, le travail le dimanche. Ce n'est vraiment pas dans les urgences, il y a d'autres choses à faire en ce moment.
Si certains syndicalistes détournent le droit de grève, abusent du droit, est-ce que vous êtes d'accord pour négocier avec le pouvoir des sanctions ? Par exemple, l'UMP propose que des délégués syndicaux perdent leur mandat.
Non, j'appelle ça "les pères fouettards", et je ne pense pas qu'en situation de crise et en démocratie on ait besoin de pères fouettards.
Le Parti socialiste s'est associé au mouvement d'hier. Il était sur le tracé du cortège. C'est de la récupération politique, comme le dit l'UMP, ou vous étiez plutôt content de ce retour des socialistes dans les luttes sociales ?
Non, les manifestations d'hier étaient les manifestations syndicales. Ce n'est pas la première fois, notamment à Paris, que des partis politiques ne sont pas dans le cortège, puisque les cortèges sont syndicaux, mais que ceux qui veulent soutenir sont sur le côté du cortège.
Ils sont les bienvenus ?
On ne peut pas empêcher les gens d'être sur le trottoir. Attendez, on n'est pas dans une bulle non plus, quand on manifeste.
Vous ne vous sentez pas récupéré par une M. Aubry ?
Non, non, pas du tout. Il n'y avait pas simplement le Parti socialiste, il y en avait d'autres, comme d'habitude, sur le long du cortège. Ils n'étaient pas dans le cortège, ils saluaient le cortège d'une certaine manière, mais le cortège, c'était un cortège syndical, et il était hors de question que ce soit autre chose.
Qu'entendez-vous de la part de vos militants ? Ils sont contents que les socialistes reviennent sur une ligne un peu plus dure avec M. Aubry ?
Non, on n'évoque pas tellement ce genre de choses. Vous savez, ils sont surtout préoccupés aujourd'hui pour qu'il y ait des réponses concrètes aux problèmes qu'ils ont posés. Et s'il n'y avait pas de réponse, ce serait inacceptable, j'ai dit tout à l'heure que ce serait irresponsable, et je suis sûr d'une chose, moi, ce sera interprété comme du mépris. Alors, ça, on ne joue pas, ce n'est pas de la psychologie. Il y a des attentes concrètes, ne pas y répondre, jouer le calendrier ou dire, "nous on va rien changer", ça, ça ne pourrait être interprété que comme du mépris. Alors, on est responsables, on ne dit pas qu'on va pas faire un truc toutes les semaines, mais il est clair que si le gouvernement faisait comme s'il ne s'était rien passé...on était 2,5 millions de manifestants, c'est pas une psychothérapie. Il faudrait qu'ils comprennent ça.
Vous auriez pu donner un signe positif au plan de relance de M. Aubry parce que beaucoup des demandes des syndicats étaient dans ce plan de relance. Vous avez l'air d'ignorer la gauche politique ?
Non, je ne l'ignore pas. Il y a des points qui figurent, qui sont des points que nous-mêmes on défend, mais ça c'est la démocratie. Moi, ce qui m'apparaît le plus important avant tout chose c'est que dans une démocratie, pour qu'elle fonctionne bien, quel que soit le parti au pouvoir, il faut qu'il y ait une opposition forte et crédible. Cela fait partie des équilibres démocratiques. Alors, si cette opposition redevient crédible, eh bien tant mieux.
Alors, la négociation sur l'assurance chômage est dans une impasse, avec les veto des organisations syndicales, dont Force ouvrière. L'Etat va devoir reprendre la main. Vous aurez droit, dans quelques semaines à un décret. Vous avez joué le jeu du pire là, vous avez pris un risque colossal.
Non, non, ça, c'est Madame Parisot qui dit ça. Madame Parisot, il faudrait qu'elle apprenne ce que c'est que le paritarisme. Parce que si le Medef était attaché au paritarisme, il se serait opposé à la fusion des Assedic et de l'ANPE. C'est cela qui tue le paritarisme. Ce n'est pas la première fois qu'il n'y a pas d'accord à l'assurance chômage. C'est arrivé en 1984 et en 2001. Maintenant, nous, si on n'est pas d'accord, c'est sur le contenu de l'accord. Eh bien, il faut que le Gouvernement si... A un moment donné, c'est normal, il a le bébé sur les mains, eh ben à un moment donné, peut-être qu'il prendra un décret mais il faudra qu'il améliore les textes parce qu'on fera pression également là-dessus.
J.-C. Mailly, merci et bonne journée.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 février 2009