Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF et M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, dans "Les Echos" du 18 février 2009, sur la réunion convoquée par le chef de l'Etat avec les partenaires sociaux, le pouvoir d'achat, la mobilisation sur les salaires et la situation en Guadeloupe.

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En prélude à la réunion convoquée par Nicolas Sarkozy cet après-midi à l'Elysée, Laurence Parisot, présidente du Medef, et Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, ont été interviewés par le journal Les Échos publié ce matin.
Les Échos. Le mois de janvier a été occupé par le débat sur la relance. On vient d'apprendre que la consommation des Français avait bien tenu fin 2008. Cela justifie-t-il le choix de Nicolas Sarkozy de parier sur l'investissement?
Jean-Claude Mailly. Le problème du pouvoir d'achat existait avant la crise et il y a encore des marges de manoeuvre, au niveau européen et national. On ne va quand même pas attendre de savoir si le plan Obama marche en brûlant des cierges ! Nicolas Sarkozy dit qu'il fait le pari de la relance par l'investissement. Certes. Soyons clairs, nous ne sommes pas contre l'investissement et les travaux d'infrastructures. Mais nous disons simplement qu'il faut aussi soutenir la consommation. Il faut jouer sur ces deux aspects.
Laurence Parisot. L'important, c'est l'ordre des facteurs. Relancer par la consommation reviendrait d'abord à relancer les usines en Chine. Il faut donc d'abord soutenir l'investissement en France. On sait bien qu'aider les Français, c'est surtout les aider à épargner. Tous les jours, des PME meurent. C'est une hécatombe: 57.000 entreprises ont disparu en 2008, provoquant la perte de 218.000 emplois. Et cela s'est accéléré en janvier. Le problème majeur est là. Qu'on ne vienne pas nous dire, dans ces conditions, qu'on a aidé les entreprises ! Seuls deux secteurs ont été aidés car ils étaient en très grand danger : les banques et l'automobile. Mais trouvez-moi une seule PME ou TPE qui a le sentiment d'avoir été aidée alors que son carnet de commandes s'effondre. Beaucoup d'entre elles joueront leur survie avant la fin de ce semestre.
J.-C. M. Vous parlez d'ordre des facteurs. Moi je réponds : il faut faire les deux en même temps. Et je conteste votre analyse. Soyez assurée que, si on les aide, les salariés au SMIC ne vont pas épargner mais consommer. Par ailleurs, selon l'OFCE, sur 100 euros dépensés par des ménages défavorisés, seuls 12 euros vont à des produits importés. Quant aux entreprises, elles ont d'abord des problèmes avec leurs banquiers.
L. P. C'est parce qu'elles n'ont pas les moyens de renforcer leurs fonds propres, en raison du poids trop élevé des prélèvements obligatoires ! C'est le problème numéro un de l'économie française.
J.-C. M. Nous avons ici un désaccord de fond. Heureusement que les systèmes sociaux jouent un rôle d'amortisseur important.
L. P. C'est une illusion. Ils peuvent nous empêcher de faire les ajustements nécessaires pour faire face à la crise et rebondir.
Les Échos. Vous arrivez tous les deux en position de demande au sommet social de l'Elysée, l'un pour les salariés, l'autre pour les entreprises. Avez-vous aussi des propositions à faire ?
J.-C. M. Je constate que le gouvernement s'est montré hyper-réactif pour aider les banques, mais que, sur le plan social, il y a un manque certain de réactivité. Il faut soutenir la consommation, avec notamment un coup de pouce au SMIC dans le privé. Il faut aussi remonter le taux d'indemnisation du chômage partiel et envisager des systèmes couplant à la fois chômage partiel et formation. Nous souhaitons également un contrôle accru des licenciements par les pouvoirs publics, pour éviter les plans sociaux « d'aubaine ».
L. P. La rencontre de l'Elysée doit d'abord avoir pour objet de parvenir à un diagnostic partagé. D'évidence, certains sujets ne sont pas de notre compétence, comme l'impôt sur le revenu. Comment, dans la situation d'aujourd'hui, pourrions-nous ouvrir des négociations sur les différents sujets évoqués par le président de la République ? Que ce soit bien clair : nous ne rouvrirons pas de négociation sur l'assurance-chômage ou sur le chômage partiel.
J.-C. M. Je ne pense pas que nous arriverons à un diagnostic partagé et c'est vrai, l'objet de la réunion n'est pas de négocier. D'ailleurs, on ne négocie pas avec l'Etat. On verra bien ce que dira le président de la République. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités sur ce qui est de leur ressort.
Les Échos. Ce sommet relève-t-il de la gesticulation politique ?
L. P. Il est toujours bon qu'il y ait des échanges mais il est étrange que ce sommet apparaisse comme une réponse aux manifestations du 29 janvier, dans lesquelles le secteur public représentait l'essentiel de la mobilisation. Or, paradoxalement aujourd'hui, à l'Elysée, c'est le secteur privé qui est autour de la table.
J.-C. M. Le 29 janvier, il y a eu des arrêts de travail un peu partout et de nombreux salariés du privé étaient dans la rue. Que peut-il sortir de cette réunion ?
J.-C. M. La technique Sarkozy sur les salaires des patrons a consisté à dire aux intéressés qu'ils devaient respecter le code de bonne conduite du Medef et que, sinon, il y aurait une loi. Eh bien, nous, nous disons la même chose au président de la République s'agissant des salariés : ou vous acceptez nos demandes, ou on manifeste.
L. P. Qu'il y ait une angoisse dans le pays, je le comprends totalement. J'admets qu'on ait envie de protester. Mais, dans les circonstances actuelles, les responsables politiques, patronaux et syndicaux doivent tout faire pour ne pas jeter d'huile sur le feu ou désigner des boucs émissaires. Lorsqu'on est pris dans les sables mouvants, si on s'agite dans tous les sens, on court à sa perte. J'appellerai à plus de maîtrise.
Les Échos. Le ministre du Travail, Brice Hortefeux, demande quand même au patronat de participer à l'effort collectif...
L. P. Le patronat a pris la mesure de la situation avant tout le monde ! Il a lancé une négociation sur le chômage partiel et élargi à de nouveaux publics l'accès à l'indemnisation du chômage. Et après, on nous dit qu'on n'a rien fait ?
J.-C. M. Ne sous-estimez pas le profond sentiment d'injustice qui se développe dans le pays.
L. P. Croyez-vous que le patron de PME n'éprouve pas aussi de sentiment d'injustice ? Lui non plus n'est pour rien dans la faillite de Lehman Brothers.
Les Échos. Pensez-vous, comme la CFDT, mais également comme l'UMP, qu'il faut revoir le mode de gouvernance des entreprises ?
L. P. C'est de la démagogie. La direction de l'entreprise donne déjà toutes les informations possibles aux élus du personnel et aux délégués syndicaux. Qu'est-ce que c'est que ces débats complètement éloignés du coeur du problème ?
J.-C. M. A Force ouvrière, nous sommes demandeurs d'une meilleure information des salariés, mais nous ne sommes pas favorables à leur présence dans les conseils d'administration.
Les Échos. Barack Obama a bien limité les rémunérations des patrons aux Etats-Unis...
L. P. Il l'a fait pour quelques entreprises bien identifiées, qui sont aidées par les pouvoirs publics. Mais pourquoi la réduction des écarts de rémunération ne concerne-t-elle que les entreprises et pas d'autres milieux, comme la télévision, le show-business, le monde du sport, qui gagnent parfois beaucoup plus d'argent ? Qu'on arrête de regarder les choses à travers la seule focale du CAC 40 ! La classe politique est en train de faire une erreur monumentale. Sa responsabilité devrait être de participer à la pédagogie de l'économie et non d'alimenter, comme en ce moment, la démagogie de l'économie.
J.-C. M. Comprenez que les gens soient choqués quand Total dégage 14 milliards d'euros de bénéfices et que, dans la foulée, on annonce des licenciements dans l'une de ses filiales. Quand une entreprise touche une aide publique, il faut une disposition légale pour l'obliger à des contreparties. Et d'une manière plus générale, j'estime que les 30 milliards d'euros d'allégements de charges consentis chaque année doivent être conditionnés à l'existence d'accords salariaux.
Les Échos. La situation en Guadeloupe risque-t-elle de perturber les échanges de cet après-midi à l'Elysée ?
J.-C. M. Il y a dans cette île un vrai problème de pouvoir d'achat, mais le conflit est aussi révélateur du contrôle pratiqué par quelques monopoles privés sur l'activité économique. Je demande qu'on en sorte rapidement. Et que l'on fasse attention aux risques de violence. L'Etat doit intervenir.
L. P. La situation est inquiétante. L'Etat porte une responsabilité immense et très ancienne, en n'ayant jamais permis une évolution du modèle économique guadeloupéen. Il y a déjà plusieurs mois que le Medef de Guadeloupe demande un débat sur cette question. L'Etat ne l'a pas entendu.
PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME DELACROIX, DEREK PERROTTE ET DOMINIQUE SEUX
source http://www.force-ouvriere.fr, le 19 février 2009