Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense et président du Nouveau Centre, à RMC le 28 janvier 2009, notamment sur la question des dividendes et sur la relance économique.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Parce que vous êtes aussi un dirigeant politique du Nouveau Centre, président du Nouveau Centre, avant de parler des forces armées, de notre engagement à l'étranger, je voudrais que nous parlions de la journée de demain. B. Hortefeux a eu une bonne formule, un proverbe africain, il dit : "il vaut mieux traverser la rivière avant d'insulter le crocodile".
 
(Rires)
 
Non, mais oui. C'est vrai ça ? Aujourd'hui, je vois le président de la République très prudent face à ce qui se passe demain.
 
Moi je crois que ce mouvement de contestation n'est pas un mouvement de contestation qui, d'abord et avant tout, concerne... Bien entendu, il y a l'opposition, il y a le jeu politique classique, hexagonal...
 
Vous pensez que les Français suivent l'opposition, demain ?
 
Non. Oui enfin, bon, il y a toujours une forme de contestation. Ce que je crois, d'abord et avant tout c'est, qu'à travers ce mouvement social, il y a d'abord le sentiment d'une partie de nos compatriotes, partie majeure de nos compatriotes, qui considèrent qu'ils ont été trompés par un modèle dont on leur avait expliqué qu'il était un modèle parfait. On leur avait expliqué que plus les entreprises gagneraient de l'argent, plus les dividendes seraient versés, plus le système capitaliste dérégulé, sans contrôle, règnerait sur la planète et plus la planète se porterait mieux. Et l'effondrement du système, l'automne dernier, a tout d'un coup démontré ce qu'on savait, c'est que le système n'était pas viable sur le très long terme. On ne peut pas distribuer chaque année de plus en plus de dividendes avec des taux de 15 %, alors que l'économie réelle n'est pas capable de le faire sur le long terme.
 
Puisqu'on parle de dividendes...
 
...Et donc, à travers ça, il y a un appel à la refondation du système, et c'est cela auquel la France et l'Europe doivent s'attacher. Et c'est cela à mon sens ce que les Européens doivent porter. Parce que les Européens ont un autre message, ont un autre contrat collectif, ont un autre contrat social : ils ont créé un système qui leur est propre, qui est différent du système américain, qui est différent du système bien entendu chinois, totalement dérégulé, où on a essayé en Europe de concilier l'économie de marché et les solidarités nécessaires. Si les Européens sont unis, ils doivent être capables de porter un nouveau modèle de construction, et ce modèle de construction n'est pas celui de ces dernières décennies. C'est un modèle où on fait une place à l'homme.
 
J'ai des questions concrètes et précises, j'aime bien ça, vous le savez. Première question, est-ce que les banques doivent distribuer des dividendes à leurs actionnaires ?
 
Je vais poser la question autrement, si vous me permettez...
 
Non, non, vous n'allez pas me faire le coup de l'invité politique !
 
Je voudrais simplement qu'on s'interroge sur une chose, mais je vais y répondre indirectement. L'Etat finance la recapitalisation des banques pour leur permettre de...
 
L'Etat prête aux banques...
 
Voilà, en quasi fonds propres...
 
Ça rapporte à l'Etat, d'accord !
 
Je voudrais simplement qu'on mette en corrélation ce qu'on va prêter à chaque banque et ce qu'on distribue, par exemple, aux 150 ou 200 plus gros salariés de chaque banque. Et vous verrez, si mes informations sont bonnes, qu'il y a entre les centaines de millions d'euros qu'on peut prêter à ces banques et le niveau de rémunération...
 
Les milliards d'euros qu'on prête aux banques !
 
Oui mais par banque... et le niveau de rémunération des 150 ou 200 plus gros salaires de ces mêmes établissements bancaires, il y a un rapport qui montre que, de toute évidence, il faut remettre les choses sur leur pied. Je veux dire par là qu'il faut repenser les modèles de rémunération...
 
Ça, on est d'accord. Mais je vous repose la question : les banques doivent-elles distribuer des dividendes à leurs actionnaires ?
 
Les banques doivent distribuer des dividendes à leurs actionnaires, si on veut estimer aussi qu'on a besoin d'actionnaires.
 
Voilà, vous dites oui, il faut distribuer des dividendes.
Oui, les banques doivent distribuer des dividendes mais elles doivent les distribuer de façon raisonnable, modérée et en fonction de leur situation.
 
Vous dites oui, au moins c'est clair.
 
Si vous avez besoin d'actionnaires. Vous ne pouvez pas avoir des entreprises et des banques qui soient sans actionnaires, il faut aussi être raisonnable et sérieux en la matière.
 
Autre question : le Medef demande la réquisition des personnels de la RATP et de la SNCF. Vous êtes d'accord ou pas ?
 
J'ai toujours pensé que ces systèmes n'avaient jamais marché. Dans toute l'histoire de la République française, durant tout le XXème siècle, on a eu comme ça régulièrement des procédures de réquisition ; je me souviens de réquisitions du temps de G. Pompidou, je me souviens de réquisitions sous la IV ou la IIIème République, on voit toujours où tout cela a mené. En la matière, parfois il faut être un peu marxiste, et considérer qu'il y a le droit...
 
H. Morin est marxiste ! Alors attendez, c'est un scoop !
 
...qu'il y a le droit et qu'il y a les faits. Et que les faits sont parfois plus forts que le droit.
 
Donc, vous êtes contre les réquisitions des personnels de la RATP ou de la SNCF les jours de grève. Autre question : faut-il sanctionner les syndicalistes qui abusent du droit de grève ?
 
Qui vous parle de sanctionner les syndicalistes ?
 
C'est F. Lefèbvre ! L'UMP.
 
Très bien, c'est son droit, mais il y a aussi un droit de grève qui est reconnu dans la Constitution, qui est un des principes de valeur constitutionnelle reconnu depuis longtemps, et qui doit se concilier en effet avec un autre principe qui est la continuité du service public. Mais je n'ai jamais pensé que c'était la sanction. Je pense qu'on est dans un système en France, cathartique tout du moins où tout finit par être monté en épingle, en crise, etc. Et qu'il faudrait qu'on trouve des systèmes de relations sociales tout de même plus apaisés. Je ne sais pas si ça va vers l'apaisement.
 
Vous faites entendre votre différence ce matin ?
 
Non, je vous dis ce que pense.
 
Oui, non, mais vous avez raison. J'aime bien !
 
Vous demandez au président du Nouveau Centre son avis sur certains sujets. Je vous le donne.
 
Je vous demande un autre avis : est-ce que le premier plan de relance est suffisant ?
 
On a fait un plan de relance majeur, la France...
 
Oui, mais est-il suffisant ?
 
On verra bien...
 
Attendez ! Vous dites "on verra bien", mais le salarié ou le petit retraité, il dit...
 
Le plan de relance, il est bon...
 
Il n'a pas le temps d'attendre !
 
Le plan de relance il est bon parce qu'il est sur l'investissement, parce qu'il est sur la production, parce qu'il est sur le renforcement de l'économie. Je vais prendre un exemple, mon ministère : nous participons à hauteur de 2,4 milliards d'euros. Qu'est-ce qu'on fait ? On anticipe des commandes d'armements, 1,5 milliard d'euros. Pourquoi ? J'ai proposé cela au Président et le Président l'a accepté ? Parce que 100 % de la dépense publique va dans l'industrie française, ce n'est pas délocalisé l'industrie d'armement. On met 240 millions d'euros dans des infrastructures de BTP. Là aussi ce n'est pas délocalisé. Et on met 120 millions d'euros dans des plans d'étude (...), c'est-à-dire dans la recherche et le développement. C'est-à-dire qu'on prépare l'avenir, on finance des bureaux d'études, des chercheurs, des ingénieurs. Cela, c'est du bon. Faire de la consommation pour favoriser l'industrie chinoise, honnêtement, on a peut-être d'autres...
 
Enfin, Molex, par exemple, qui a des clients français va aller fabriquer en Chine. Qui ça ? Molex, Villeneuve sur Tarn, entreprise dont s'occupe X. Bertrand, nous verrons. Plan de relance, le Nouveau Centre propose - votre parti propose - un emprunt, un grand emprunt garanti par l'Etat. Vous avez suggéré cette idée, j'imagine, au président de la République ?
 
Pourquoi le Nouveau Centre a proposé un grand emprunt garanti par l'Etat ? Parce qu'en fait, on est dans une situation paradoxale avec un niveau d'épargne extrêmement élevé, une épargne liquide, et qu'il faut en quelque sorte transformer cette épargne pour pouvoir financer l'économie.
 
A quelle hauteur ?
 
C'est une proposition que nous avons mise sur la table, que F. Sauvadet hier a mise sur la table dans le cadre des débats. Nous verrons bien ce que donneront les semaines qui viennent.
 
Oui, mais on n'a pas le temps d'attendre peut-être ! On n'a pas le temps d'attendre ! J'ai l'impression que le Gouvernement, le président de la République sont en train de se dire : laissons passer l'orage et nous verrons après. Non ?
 
Vous ne pouvez pas dire ça un seul instant ! La France a été leader en la matière, les Allemands nous ont suivis quinze jours, trois semaines, un mois après. La plupart des pays européens nous ont suivis, alors que, sur chacun des sujets depuis le mois de septembre, la crise financière, la crise bancaire, c'est la France qui a été leader. Donc on ne peut pas considérer tout d'un coup que la France, le Gouvernement, serait tout d'un coup dans une situation d'incapacité à décider.
 
Donc, c'est suffisant ? Le plan de relance est suffisant ?
 
Ce plan de relance est un plan qui suit le plan qui a permis de remettre sur ses bases le système bancaire, parce que le système bancaire était quasiment en situation d'arrêt cardiaque, et que s'il s'était effondré, alors là l'économie était totalement effondrée. Deux, je me permets de vous signaler que nous demandons une baisse massive des taux d'intérêt et je vois que la Banque centrale européenne est en train d'accompagner le mouvement. Il y a des choses qui se font.
 
Les crédits sont moins chers.
 
Les crédits deviennent moins chers, le marché monétaire commence à remarcher, et s'il faut un nouveau plan, il viendra. [...]
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 janvier 2009