Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur les engagements des collectivités locales dans le domaine artistique et culturel, notamment les orientations en faveur de la création artistique et la modernité, Evreux le 19 mai 2000.

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Circonstance : Inauguration de la "Passerelle" de Tadashi Kawamata à Evreux le 19 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Maire, je connais vos engagements dans le domaine artistique et culturel, et la place que tiennent dans votre ville la scène nationale et la maison des arts, le musée et la médiathèque. Je sais que tous ces engagements traduisent une orientation forte en faveur de la création et de la modernité, qu'il s'agisse du spectacle vivant, du fonds moderne du musée, ou des livres d'artistes de la médiathèque.
Je sais aussi que ce goût du risque, que vous partagez avec votre équipe municipale, n'est jamais dissocié d'une volonté obstinée d'ouverture au plus large public, d'où ce travail cohérent et solide d'accompagnement et de sensibilisation, accompli par les acteurs de la vie culturelle qui vous entourent et par les artistes eux-mêmes.
Evreux nous envoie ainsi des signes forts de dynamisme. Je vous en félicite.
Je pense que les événements exceptionnels que vous inventez doivent se lire sur ce fond d'activité intense et permanente.
Ce fut le cas du festival du musique contemporaine musicavoix qui pendant 10 ans, je crois, a permis de faire entendre et de découvrir en Haute Normandie de nouveaux compositeurs, notamment régionaux.
Aujourd'hui, j'ai l'honneur d'inaugurer votre première biennale qui témoigne -une fois encore- de la pertinence de vos choix, je le souligne, de votre courage.
En invitant dans le cadre de cette manifestation pluridisciplinaire que sont " les Passavents ", Tadashi Kawamata, un artiste de notre temps, connu depuis une quinzaine d'années pour avoir réalisé des projets urbains dans des villes aussi importantes que New-York ou Tokyo mais aussi en France à Grenoble, Metz, Saché, Marseille ou encore Paris dans la chapelle de la Salpêtrière, votre ville fait preuve d'ambition et d'audace.
Le projet pour Evreux est sans conteste l'uvre la plus importante destinée à l'espace public réalisée par Tadashi Kawamata dans notre pays.
Evreux a donc su, grâce à de nombreux intervenants, rencontrer, au sens plein du terme, un grand artiste, à qui a été offert la possibilité de réaliser une uvre publique dont la portée est évidente.
La réponse du créateur est à la mesure de son travail à travers le monde depuis presque vingt ans. Exigeante, spirituelle, fédératrice et riche dans sa symbolique et son message, sa proposition pour la ville d'Evreux s'articule autour de la mémoire et de l'espace urbain et retient, à ce titre, tout notre intérêt. Au nom du Ministère, je m'en réjouis. Toutes mes félicitations, Monsieur le Maire, à vous et à votre équipe.
Je souhaite également témoigner toute mon admiration à Tadashi Kawamata pour la réalisation de cette uvre qui, au fil des jours, a été peu à peu désignée dans le langage courant comme "la passerelle", titre spontané qui détourne déjà celui que vous souhaitiez, et souhaitez peut-être encore lui donner. Votre titre était, je crois, " Sur la voie ". Mais ce détournement n'est-il pas déjà un clin d'il symbolique, la marque de l'appropriation de votre uvre par le public ?
Cette ligne continue, destinée à être empruntée par tous, que vous avez voulu inscrire sur la place de l'hôtel de ville d'Evreux, traverse cette place de part en part mais surtout relie les différents bâtiments et monuments qui la bordent. Ainsi vous "tissez" entre ces édifices à la fois administratifs (Hôtel de ville), culturels (Médiathèque, Maison des Arts, Tour de l'Horloge) et privatifs (immeubles de la reconstruction) des liens qui les réunissent au-delà des époques, des événements historiques et politiques qui ont marqué la ville.
Avec ce geste vous nous conviez à poser un autre regard sur la ville, vous nous rappelez son histoire, son passé, vous nous demandez de la traverser à un autre rythme, un autre temps, celui de la réflexion, de la prise de conscience du territoire où nous sommes, où nous construisons chaque jour notre propre histoire. Cette immense sculpture en bois et en métal - nous permet de nous approcher "au plus près" des bâtiments, de nous trouver "nez à nez avec eux", de percevoir les empreintes mais aussi les cicatrices laissées par l'histoire, de mieux saisir la présence du passé dans notre expérience d'aujourd'hui, et surtout, forts de cet enracinement, de mieux nous projeter dans l'avenir.
Bref, cette uvre fabrique un "point de vue", à tous les sens du terme.
Ce pélerinage à travers le temps et l'espace est une chance pour les habitants d'Evreux et ceux qui feront le voyage : celle d'échanger, de débattre, de mieux regarder autour de nous et surtout de nous enrichir par le dialogue, l'écoute de l'autre et de la ville de permettre la déambulation autour d'une uvre qui rassemblera les gens au cours de ces quelques mois.
Certains échanges, parfois vifs ou excessifs, ont déjà eu lieu autour de cette uvre. Ne nous en offusquons pas. Il révèlent les enjeux de l'art de notre temps et mettent en lumière l'engagement d'artistes comme Tadashi Kawamata. Ils témoignent d'un art qui n'engage pas seulement l'artiste, autrefois replié dans son atelier, mais qui sort aujourd'hui du musée pour investir l'espace urbain, s'inscrire dans les enjeux sociaux et économiques d'une ville et de ses habitants tout en trouvant ses fondements dans l'histoire. L'histoire, je l'ai dit, c'est celle de votre ville et de sa reconstruction mais c'est aussi au regard de l'exposition présentée au musée celle de l'histoire des formes et de notre patrimoine artistiques, celle de notre humanité.
Comme sur cette place, Kawamata a rapproché passé et présent en plaçant quelques unes de ses maquettes en vis-à-vis ou en dialogue avec certaines oeuvres anciennes des collections permanentes du musée. Ainsi, comme ici, il a cherché à "construire des passerelles" entre différentes périodes en montrant qu'une démarche contemporaine aussi différente et inédite soit-elle, s'inscrit forcément dans une histoire, un patrimoine qui eux aussi on été contemporains à un moment donné.
Ces ponctuations à travers les salles du musée sont tout autant riches de sens que la passerelle que nous allons bientôt parcourir.
J'évoquais à l'instant la proximité d'une uvre comme celle de Kawamata avec la ville, l'économie et les habitants.
En effet, les notions d'usage, de construction qui dominent son uvre nous renvoient immédiatement à notre façon d'habiter la ville. Je pense plus précisément aux abris pour jardins familiaux dessinés par l'artiste, qui seront ensuite réalisés par les services municipaux à partir des lattes de bois qui supportent et construisent la passerelle. Ce souci d'une réutilisation et du recyclage des matériaux, notamment du bois, témoigne de la dimension publique et sociale du travail de l'artiste, mais constituera sans aucun doute un prolongement significatif et durable de cette uvre qui n'est éphémère qu'en apparence.
Toutes les traces, qui resteront dans vos mémoires, dans nos mémoires, du souvenir de cette fréquentation, de tous les débats, même les plus vifs et passionnés, constituent une culture qui densifie les rapports humains, qui leur donnent du sens et - est-il besoin de le rappeler?- il n'y a pas de sens sans dialogue, sans confrontation, sans dialectique.
Mesdames et messieurs, nous avons besoin d'art, nous avons besoin d'artistes, ils sont indispensables à la vraie vie de la cité.
Merci Evreux de le réaffirmer avec une telle force. Je vous remercie.

(source http://www.education.gouv.fr, le 22 mai 2000)