Déclaration de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants, notamment sur la place de la France dans l'OTAN, à Paris le 3 mars 2009.

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Circonstance : 14èmes conférences stratégiques annuelles de l'IRIS "La France, l'OTAN, l'Europe : quelles perspectives de sécurité ?", à Paris les 3 et 4 mars 2009

Texte intégral

Messieurs les Ministres ;
Messieurs les Ambassadeurs ;
Messieurs les Parlementaires ;
Messieurs les officiers généraux (et représentants des forces) ;
Messieurs les professeurs et directeurs de centres de recherche et d'études stratégiques (français, européens, américains, russes et méditerranéens) ;
Monsieur le Président de l'IRIS, Jacques Boyon (ancien Secrétaire d'Etat à la Défense) ;
Monsieur le Directeur de l'IRIS, Cher Pascal Boniface ;
Monsieur le Secrétaire général, Jean-François Bureau (SG adjoint de l'OTAN pour la diplomatie publique / ex-DICOD),
Mesdames et Messieurs ;


Il faut se féliciter qu'à un mois du Sommet de Strasbourg-Kehl, qui verra l'Alliance atlantique fêter son 60ème anniversaire, l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques ait décidé de consacrer deux journées au lien consubstantiel existant entre acteurs de la sécurité à l'échelle du continent européen et de la communauté euro-atlantique. Le ministre de la Défense, Hervé Morin l'a encore rappelé la semaine dernière à Cracovie (19 et 20 février derniers), à l'occasion de la réunion des ministres de la Défense de l'Alliance Atlantique : La France, en tant que 4ème contributeur (derrière les USA, la Grande-Bretagne, l'Allemagne) - tant sur le plan budgétaire que capacitaire - souhaite prendre toute sa part dans le processus de transformation que connaît l'Alliance depuis une dizaine d'années. Ce faisant, elle souhaite apporter sa contribution à la stabilité internationale qu'entend garantir l'OTAN.

Si nos choix en termes d'emploi de nos troupes sont écoutés et respectés, comme en témoigne l'engagement significatif de nos 3400 hommes en Afghanistan, il convient néanmoins de constater que notre dispositif actuel au sein de la structure militaire ne reflète pas suffisamment l'importance de notre position dans l'Alliance. Cela ne nous permet pas non plus de disposer d'un réseau d'impulsion dans la chaîne de commandement de même niveau que celui de nos principaux alliés européens. La France envisage de rénover sa relation avec l'Alliance à un moment charnière, où toutes ces orientations importantes doivent être redéfinies.

En renforçant notre dispositif, nous nous donnerons ainsi les moyens de peser davantage sur les débats internes. Le retour de la France au sein du comité des plans de défense (DPC) lui permettra ainsi d'être davantage impliquée dans le processus de prise de décisions, sur les questions relatives à la structure militaire intégrée et de peser sur sa transformation. De même, l'obtention de postes à responsabilités plus grandes renforcera à l'évidence notre capacité d'influence. De manière plus générale, l'accroissement de nos effectifs dans la structure de commandement nous permettra aussi de disposer de capteurs et de relais plus visibles afin d'être mieux informés pour pouvoir anticiper et peser davantage sur les grandes décisions en préparation à l'OTAN. Le sujet est d'importance, au moment où les relations entre ces acteurs n'ont jamais été aussi interdépendantes : ·
- L'UE à travers une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) qui développe sa capacité à mener des opérations militaires et civilo-militaires ; ·
- L'ONU, vecteur essentiel de la sécurité collective, garantie par des opérations de maintien de la paix ; ·
- L'OTAN, dont l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord, portant sur la solidarité entre ses membres en cas d'agression - est la clé de voûte ; Il s'agit surtout d'une réflexion qui nous concerne tous : celle visant à construire collectivement l'architecture de paix, de stabilité et de la sécurité du continent européen et de son voisinage stratégique proche et éloigné.

L'OTAN développe ainsi des relations avec de nombreux pays, notamment du Maghreb et du Moyen-Orient visant à contribuer à la sécurité et la stabilité de cette région périphérique de l'Europe centrale pour la stabilité planétaire. Celles-ci s'expriment, entre autres, à travers trois cadres formels multilatéraux, auxquels nous participons activement et tenons beaucoup : ·
- Le Dialogue méditerranéen (DM lancé en 1994) ; ·
- L'Initiative de Coopération d'Istanbul (ICI de 2004) ; ·
- Le Partenariat pour la Paix (PpP - 1994).

Je tiens, ici, aussi, à me féliciter que la représentation nationale participe, débatte et contribuera, je n'en doute pas, in fine à mieux expliquer à nos concitoyens les nombreux enjeux liés à la pleine participation de la France dans les structures militaires de l'OTAN. La volonté du Président de la République est, en effet, d'associer davantage la représentation parlementaire aux décisions d'engagement de nos armées. Dans cet état d'esprit, le Gouvernement consultera le Parlement sur la rénovation de notre lien avec l'OTAN, une OTAN qui fasse plus de place à l'Europe.

La rénovation des relations de la France avec l'OTAN sera ainsi bénéfique pour l'Alliance, pour l'Europe et pour la France. Je voudrais ainsi profiter de l'occasion qui m'est donnée de me retrouver à cette tribune pour répondre - en quelque sorte - à l'exhortation à une plus grande participation de la France aux opérations de l'Alliance, exprimée, ici même (le 11 février dernier), par le Secrétaire général de l'organisation, Jaap de Hoop Scheffer. En effet, la France qui contribue déjà de manière très significative aux opérations de gestion et de résolution de crises (13 000 hommes), estime qu'elle doit se trouver autour de la table, lorsque les engagements se décident ! C'est du reste ce que j'aurai l'occasion de lui répéter, d'ici quelques jours, à Strasbourg dans le cadre de la préparation du Sommet des 3 et 4 avril prochains. D'ailleurs, le choix des deux villes frontalières franco-allemande de Strasbourg et de Kehl/Baden-Baden est plus qu'un symbole.

C'est, en effet, la première fois que deux pays - aux destins si intimement liés-, s'unissent pour accueillir un Sommet de l'OTAN. Nul doute, par ailleurs, que vos travaux d'aujourd'hui et par la suite, l'ensemble des manifestations qui vont jalonner le mois de mars jusqu'à la tenue du Sommet, faciliteront et contribueront à agir pour ce retour attendu. Il est tout aussi important de souligner que notre volonté est aussi d'accroître les responsabilités des Européens - et non uniquement de la France - au sein de l'OTAN. Je sais que vos travaux d'aujourd'hui et ceux de demain viendront enrichir utilement cette réflexion.

Je souhaiterai rappeler, à ce stade de mon intervention, que le plein retour de la France dans les structures de l'OTAN ne va en rien modifier les trois principes fondamentaux qui régissent notre participation à l'Alliance : ·
- L'indépendance des forces nucléaires françaises ; ·
- La liberté d'appréciation des situations par les autorités françaises, ce qui signifie le rejet de toute automaticité dans nos engagements militaires ; ·
- La liberté de décision en toutes circonstances, qui suppose qu'aucune force française ne soit placée en permanence, en temps de paix, sous le commandement de l'OTAN.

Dès lors, faut-il considérer cette relation OTAN-UE-France rénovée, au regard de relations particulières que nous entretenons aujourd'hui avec les Etats-Unis, l'OTAN et l'Union Européenne. Les Etats-Unis tout d'abord.

Les Etats-Unis sont nos amis et nos alliés. « Mais alliés ne veut pas dire alignés. La France est un ami debout, un allié indépendant, un partenaire libre" : ce sont les mots du Président de la République lors de sa venue au Congrès des Etats-Unis, le 7 novembre 2007. Nos valeurs sont proches mais nos objectifs et nos modes d'action sont parfois différents. Pour certains de nos partenaires européens, un pas de plus vers l'Europe de la défense, c'était un pas en arrière dans l'OTAN.

Cette crainte aujourd'hui n'est plus d'actualité après les premières déclarations du Président Obama comme celles de son vice-président Joe Biden à Munich (Conférence de sécurité de Munich : la Wehrkunde). Ces derniers ont ainsi tenus à rappeler l'importance d'une Europe, « partenaire » de sécurité, à la fois crédible et fort. Depuis dix ans, l'Union européenne a conduit avec succès plus d'une quinzaine d'opérations. Notre ambition est désormais d'en faire un acteur majeur de la gestion de crise et de la sécurité internationale. Pour la France, une OTAN rénovée est complémentaire avec une « Europe de la défense » renforcée, une OTAN plus souple, plus flexible, dont les moyens militaires puissent être mobilisés par l'Union européenne. La France peut et doit rénover ses relations avec l'OTAN en étant un allié indépendant et un partenaire libre.

Il fallait, pour le démontrer, qu'au préalable, nous ayons relancé la « défense européenne ». C'est ce qui a été fait durant la PFUE.

La Présidence française qui vient de s'achever, a ainsi été l'occasion d'une impulsion majeure : s'agissant des opérations, dans le domaine capacitaire, et en matière de planification stratégique. L'affichage d'un engagement sans ambiguïté au sein de l'Alliance a clairement contribué à la relance de la PESD. La réactualisation consubstantielle - en décembre dernier - de la Stratégie européenne de sécurité (SES dit « Document Solana », décembre 2003) et la définition d'un nouveau concept stratégique de l'Alliance (dix ans après son élaboration en 1999) sont là aussi pour en témoigner. C'est d'ailleurs à l'aune de ces profondes évolutions qui seront au coeur du Sommet des 3 et 4 avril que nous avons intérêt à consolider l'Alliance que nous souhaitons voir émerger... L'OTAN a beaucoup évolué depuis la fin de la Guerre froide.

Elle s'est déjà considérablement restructurée, pour passer notamment de 65 à 11 états-majors en l'espace de quinze ans. Les forces permanentes ont disparu. Elle s'est élargie pour accueillir les pays d'Europe de l'Est. Elle mène dorénavant des opérations de gestion de crise en dehors de l'espace Euro-Atlantique. Elle continue son adaptation à un environnement stratégique en constante évolution. C'est donc un processus continu et évolutif auquel nous devons prendre toute notre part, de manière, si j'ose dire, plus « ostentatoire ». La France a d'ailleurs largement contribué à cette mutation, en soutenant, en particulier, le développement de structures projetables et la mise sur pied d'une force de réaction rapide (Nato Response Force, NRF).

Nous estimons dorénavant que le renforcement de notre présence au sein des structures de l'OTAN nous permettra de peser davantage sur ce processus de transformation. Reste, comme l'a indiqué à maintes reprises, le Président de la République, à exprimer plus clairement notre souhait de voir attribuer à la France des responsabilités en cohérence avec l'importance de ses contributions aux opérations, au budget et à la transformation de l'Alliance. Nous avons, du reste, déjà commencé à rénover notre relation avec l'OTAN, en adoptant, concrètement, une approche plus ouverte que par le passé dans les débats au sein du Conseil atlantique.

Nous avons ainsi toujours cherché à défendre nos intérêts. Nous cherchons à promouvoir nos idées, mais le faisons sans dogmatisme. Cela a dissipé bien des doutes que nos partenaires, y compris européens, pouvaient avoir quant à nos objectifs vis-à-vis de l'Organisation. Nous avons aussi obtenu un soutien clair de la part des Etats-Unis quant au développement d'une Europe de la défense forte, dotée de capacités militaires et civilo-militaires crédibles et autonomes. Cette reconnaissance de la PESD est un grand pas en avant qui devrait contribuer à lever les dernières réticences formulées par certains de nos partenaires européens.

D'ailleurs, aujourd'hui le Royaume-Uni commande l'opération de l'UE « Atalanta » de lutte contre la piraterie dans le Golfe d'Aden.

En guise de conclusion, je voudrais vous rappeler que nos priorités et la logique que nous suivons dans les négociations en cours sont les mêmes que celles que nous avions retenues en 2003 dans l'optique de rejoindre la structure de commandement de l'OTAN : ·
Il s'agit tout d'abord d'obtenir des postes de responsabilité dans la chaîne « opérations » afin d'être pleinement associé à la planification et à la conduite des opérations de l'OTAN pour lesquelles nous sommes, je le rappelle, le 4ème contributeur en hommes et en capacités-clés ; ·
Il s'agit ensuite de prendre une part active à la définition de l'avenir de l'Alliance et des capacités dont devront se doter les Alliés.

Etre présent, à haut niveau, dans le commandement OTAN pour la transformation, constitue un enjeu capital qu'il convient de réaffirmer et d'expliquer aux Français. Ce débat, qui anime les Français et qui fera l'objet de vos échanges, démontre que la question du « plein retour » dans le commandement militaire intégré de l'OTAN porte à discussion. Je voudrais simplement vous apporter un témoignage et vous dire comment j'ai été convaincu personnellement de l'importance de la rénovation de notre relation avec l'OTAN. Dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne, j'ai effectué, en liaison avec Hervé Morin, une tournée des capitales européennes. C'est en dialoguant avec les dirigeants des pays, nouveaux membres de l'UE - que je me suis forgé l'intime conviction que cette décision était non seulement opportune pour la place de la France en Europe, mais qu'elle était indispensable pour l'autonomie stratégique de l'Europe. Il me reste à vous souhaiter de bons et fructueux travaux afin de tendre vers cet objectif, à la fois raisonnable et réaliste.

Je vous remercie pour votre attention.


Source http://www.defense.gouv.fr, le 5 mars 2009