Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Europe 1 le 3 février 2009, sur les réformes sur l'autonomie universitaire et le statut des enseignants chercheurs.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
 
J.-P. Elkabbach.- Les universités en effervescence, V. Pécresse, bonjour ! Les enseignants chercheurs poursuivent les grèves qu'ils ont engagées. Le mouvement va s'amplifier sans doute, c'est une conséquence de la réforme sur l'autonomie des universités, ils la rejettent. Est-ce que vous restez optimiste sur cette réforme ?
 
Je crois que cette réforme elle est essentielle pour les universités, qui la souhaitent et qui la demandent depuis longtemps. Et je crois surtout que c'est une condition nécessaire pour le rebond. On est aujourd'hui en pleine crise, la relance elle passera par l'enseignement supérieur et par la recherche.
 
Les gens concernés n'en veulent pas. Par exemple, il y a presque 60.000 enseignants chercheurs, ils trouvent que les présidents d'université ont plus de pouvoir. Ils craignent leur arbitraire et la perte de leur propre indépendance.
 
Ce qu'il faut dire c'est qu'il y a eu effectivement des perturbations, des perturbations limitées, hier, à propos...
 
45 % de cessation d'activité.
 
...Ce sont les chiffres des syndicats. Les chiffres des syndicats ce n'est pas exactement...
 
Et les vôtres ?
 
On n'a pas de chiffre, on a eu des perturbations mais limitées, un peu sporadiques, qui touchaient un petit peu partout et notamment quelques phénomènes de rétention de notes, que je déplore, parce que les étudiants n'ont pas à être victimes d'une réforme du statut des enseignants chercheurs qui vise à améliorer le fonctionnement des universités, et qui ne touche que leurs professeurs, qui ne doit pas les toucher eux. Alors sur la question du décret, ce décret il ne comporte que des avancées pour les enseignants chercheurs.
 
Ils disent le contraire !
 
Oui, mais un certain nombre les avait demandées, notamment dans les états généraux de la recherche en 2004. Ils avaient demandé que l'ensemble de leurs services puisse être pris en compte dans leur statut. Aujourd'hui, le statut qui date d'il y a 25 ans, c'est des heures en présence des étudiants et de la recherche. Je suis désolée, aujourd'hui un enseignant il fait bien d'autres choses que ça, il fait du tutorat, il fait des cours par Internet.
 
D'accord, mais est-ce qu'un prof d'université pourra organiser son temps entre la recherche et l'enseignement, sans avoir la pression d'un président d'université ?
 
Le décret le prévoit. Le décret prévoit aujourd'hui que l'enseignant fait son propre projet, élabore son projet, pour sa carrière. Qu'à un moment, il veuille chercher plus, qu'à un moment il veuille faire davantage des tâches d'enseignement, faire de la formation professionnelle continue, tout ça c'est possible avec ce nouveau décret. Ce n'était pas possible avant.
 
Mais pourquoi, ils ne savent pas lire ?
 
Alors il y avait peut-être dans ce décret pas assez de garanties pour les assurer complètement et ces garanties...
 
Donc vous l'avez réécrit, vous leur avez accordé, vous avez fait deux concessions.
 
Nous l'avons remis, ce n'était pas des concessions, c'était des précisions. L'esprit du décret c'est celui de plus de souplesse, plus de transparence, plus d'évaluation.
 
Pour l'évaluation, ils n'aiment pas l'évaluation entre nous.
 
Ecoutez, en tout cas je crois que c'est très important. Parce que, si on veut éviter que l'autonomie ne dérive, il faut une évaluation nationale, il faut une évaluation indépendante de toutes les activités. Cela n'existait pas jusqu'à présent, aujourd'hui c'est l'opacité. Aujourd'hui, les activités des enseignants chercheurs ne sont évaluées que très rarement, quand ils veulent une promotion.
 
Donc vous dites : le système ancien il doit être mort, parce que de toute façon, il n'a pas fonctionné ou il place les universités au bas des classements internationaux dans les universités ?
 
Je crois que la gestion des ressources humaines au plus près des besoins d'une université, c'est essentiel pour qu'elle puisse innover, pour qu'elle puisse faire des nouvelles formations, des nouvelles recherches. C'est essentiel dans le monde d'aujourd'hui !
 
V. Pécresse, est-ce que de leur part c'est du conservatisme, ou de la vôtre, comme ils disent, du mépris, de l'arrogance à leur égard ?
 
Ma porte est constamment ouverte, je suis en dialogue permanent avec les organisations syndicales, avec les conférences de doyens. A chaque fois que quelqu'un souhaite être reçu, il est reçu, écouté et entendu, puisque je modifie le décret pour rassurer.
 
Non, mais les profs alors ils ne savent pas lire et en même temps ils sont sourds, puisque vous les recevez et que vous leur dites tout. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Par exemple, je cite un des leaders, inattendu de la contestation, qui est le professeur de droit O. Beaud, jusqu'ici réputé plutôt discret que vous avez apparemment reçu...
 
Deux fois !
 
Vous ne l'avez pas convaincu. Il confiait hier au journal Le Monde, je cite : "la réforme Pécresse va réaliser une lente mise à mort de l'université, parce qu'elle aspire à transformer les universitaires en employés de l'université et en sujets des administrateurs professionnels que sont les présidents autonomes".
 
Alors ce n'est pas vraiment du tout, ni l'esprit, ni la lettre de ce texte. L'indépendance des enseignants chercheurs c'est le bien le plus précieux que nous avons. La pensée libre c'est le bien le plus précieux du pays, et c'est comme ça que l'on va faire de la recherche. C'est comme ça que l'on va former nos jeunes et c'est comme ça que l'on fera les découvertes de demain. Donc m'accuser de cela, c'est m'accuser de ne pas être ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche.
 
Alors aujourd'hui, il faut que cela bouge. Les grévistes eux menacent d'une grève reconductible, illimitée, deux jours de manifestation, les 5 et 10 février pour obtenir le retrait de vos deux projets. Est-ce que vous allez les retirer ?
 
D'abord, je voudrais qu'on essaye de travailler ensemble sur une charte de la bonne application de ces textes. Avec qui ? Avec les présidents d'université, l'ensemble de la communauté universitaire, parce que si...
 
Mais vous ajoutez les professeurs qui sont là, en état de grève ?
 
Le Conseil national des universités qui représente tous les professeurs, les conférences de doyens sont invités, évidemment à participer. Je souhaite que les présidents donnent des garanties désormais.
 
Vous les recevrez à quel moment ?
 
Je vais voir les présidents demain, donc je parlerai avec eux demain, de comment on peut mettre en place une charte de bonne pratique, qui vise à rassurer. Parce que, qu'est-ce qu'on dit ? On dit les présidents feront mauvais usage de ce texte. Eh bien nous allons travailler avec les présidents et l'ensemble de la communauté universitaire pour prouver, pour montrer, comment les universités utiliseront ce texte, comment ils vont faire les promotions. Et j'ajoute, j'ajoute qu'il va y avoir une revalorisation sans précédent des carrières des enseignants chercheurs cette année. On va doubler les promotions, on va mettre des primes d'excellence, jusqu'à 15.000euros par an. Ce texte, il est nécessaire de l'adopter pour pouvoir mettre en place ces revalorisations de carrière, ils sont essentiels !
 
Donc, vous ne retirez pas, vous dites : vous avez raison, vous allez l'aménager, vous allez les recevoir, mais il n'y a pas de raison de retirer le projet.
 
Je dis que la priorité pour moi c'est la revalorisation des carrières des enseignants chercheurs, mieux rémunérés...
 
Mais ce n'est pas une réponse...
 
Ah, mais c'est important !
 
...pour eux qui écoutent.
 
... et que nous travaillerons à une charte pour les rassurer.
 
Mais les textes seront maintenus et la réforme se fera. Parce qu'on a l'exemple de la réforme des lycées, elle a été reportée d'un an. Est-ce que la réforme des universités ne va pas connaître le même destin ? Est-ce que vous n'allez pas faire, V. Pécresse, comme X. Darcos ?
 
D'abord, Monsieur Elkabbach, la réforme des universités, ça y est, elle a porté ses fruits, nous avons vingt universités autonomes aujourd'hui.
 
Elle est nécessaire ou pas ?
 
Elle est ultra nécessaire. Dans tous les pays du monde, aujourd'hui, nous avons des universités autonomes, puissantes et avec une gestion des ressources humaines intégrée dans chaque établissement, tout en gardant et en conservant l'indépendance des enseignants chercheurs et l'évaluation nationale.
 
Les étudiants commencent eux aussi à bouger, ils multiplient les assemblées générales, les AG, est-ce que vous pourrez éviter l'extension ?
 
Les deux sujets sont complètement différents et je crois qu'il ne faut vraiment pas les mêler ?
 
Il n'y aura pas de jonction ?
 
Mais ce serait une erreur. Les étudiants ont des préoccupations qui sont des préoccupations de vie quotidienne, des préoccupations liées à leur logement, des préoccupations liées à leur insertion professionnelle.
 
Justement !
 
Le président de la République m'a demandé d'ouvrir avec eux une deuxième discussion pour un plan « Vie étudiante 2 ». Et moi je les attends chez moi dès que possible pour en parler.
 
"Chez moi" : au bureau, oui.
 
Oui au ministère, pardon.
 
Vous étiez hier à Lyon aux côtés de F. Fillon, qui présentait les 1 000 projets du plan de relance. Il y a 731 millions d'euros qui vont aller à l'Enseignement supérieur, à la recherche. Alors vous parlez des étudiants, combien vous allez donner aux logements étudiants ? Et d'autre part, où, vers quoi vont aller vos priorités ?
 
Alors aux logements étudiants notamment, où il va y avoir 50 millions d'euros investis, cela fera 3 200 chambres supplémentaires pour le logement étudiant. Au total, on va dépasser nos objectifs qu'on n'avait jamais réussi à atteindre jusque là : 8 500 chambres de rénovées et 5 000 construites.
 
Et les amphis qui sont souvent vétustes, les pauvres.
 
Là aussi, nous allons doubler les moyens pour les universités, vous avez raison. Nous sommes partis d'une situation qui était catastrophique, nous aurons 70 nouveaux amphis dans le plan de relance.
 
Est-ce que tout ça n'était pas déjà prévu avant le plan de relance ?
 
Non, non, c'est pour accélérer un budget 2009 qui était déjà un budget tout à fait exceptionnel de 1,8 milliard, qui était augmenté déjà de 6,5%.
 
Un mot de politique, ce soir c'est le premier débat des primaires face à R. Karoutchi pour obtenir la tête de liste UMP aux régionales 2010. Pourquoi vous seriez, vous, un meilleur chef de file que lui ?
 
Moi j'ai la conviction que si on veut regagner la région Ile-de-France, il faut profondément renouveler. Renouveler à la fois nos équipes, mais renouveler aussi nos idées. Qu'il faut aller sur un certain nombre de sujets sur lesquels on n'entend pas l'UMP d'habitude. Je pense à l'écologie, je pense aussi à l'Enseignement supérieur à l'insertion professionnelle des jeunes, mais je pense aussi...
 
Renouveler, c'est-à-dire R. Karoutchi est out ?
 
Non, mais cela ne veut pas dire ça, cela veut dire que chacun d'entre nous doit proposer un programme de profond renouvellement et c'est les militants qui trancheront, projet contre projet.
 
Oui, les militants, les sondages ou déjà le président de la République ?
 
Les militants, c'est la liberté que le président de la République leur a donnée et j'espère qu'ils l'exerceront et qu'ils se mobiliseront.
 
N. Sarkozy n'a pas déjà chuchoté son avis, son choix ?
 
Eh bien écoutez, les militants en tout cas ont un bulletin de vote à mettre dans l'urne électronique.
 
R. Karoutchi vient de révéler, ici même, son homosexualité. Est-ce qu'il s'est renforcé pour vous médiatiquement et politiquement ?
 
Je crois que c'est sa vie privée, donc c'est à lui d'en parler. Moi je réclame l'indifférence pour la vie privée des hommes politiques. Mais je pense que quand on va à une élection importante, on doit y aller, j'allais dire, en dévoilant qui on est.
 
Tout va finir par un ticket finalement contre J.-P. Huchon : Pécresse/Karoutchi ou Karoutchi/Pécresse.
 
De toutes les façons, nous serons le couple de l'année, j'espère que cela sera Pécresse/Karoutchi.
 
Et lui, il dit : Karoutchi/Pécresse. On verra dans quel ordre, bonne journée, merci d'être venue V. Pécresse.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 février 2009