Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Europe 1 le 27 février 2009, sur le dialogue avec les syndicats enseignants, le statut des enseignants chercheurs et l'autonomie universitaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
 
F. Namias.- V. Pécresse, dans quelques minutes vous recevrez les présidents d'université, puis les syndicats d'enseignants, sans F. Fillon. Cette fois, c'est comme les universités, vous avez retrouvé l'autonomie ?
 
Je crois que c'est important aujourd'hui que le dialogue se noue, que le dialogue se noue avec l'ensemble des acteurs parce que pour moi, c'est la seule voie possible aujourd'hui, à la fois pour poursuivre la réforme et en même temps pour répondre à toutes les préoccupations qui s'expriment.
 
Parce qu'il n'y avait pas de dialogue jusqu'à aujourd'hui, il faut qu'il se noue aujourd'hui, ça veut dire qu'il n'existait pas avant ?
 
Ça veut dire que quand il y a des crispations, la seule voie possible pour dénoncer ces crispations, c'est le dialogue. Je crois que c'est l'esprit de la journée d'aujourd'hui. La journée d'aujourd'hui, c'est réécrire entièrement le statut des enseignants-chercheurs dans le dialogue et vraiment donner des garanties pour répondre aux préoccupations qui s'expriment.
 
Réécrire entièrement le statut sur les enseignants-chercheurs, donc le décret, c'est le Premier ministre qui vous a demandé de le faire. Ça veut dire que ce qui était prévu précédemment, ça n'existe plus, tout est ouvert aujourd'hui ?
 
Ça veut dire que tout est ouvert aujourd'hui, mais ça veut dire aussi que nous devons poursuivre la réforme de l'université. Il ne peut pas y avoir d'université qui rayonne sans une bonne gestion des ressources humaines. Dans l'université, la première richesse ce sont les universitaires et le statut des enseignants-chercheurs, qui date de 1984, de ce point de vue, est complètement inadapté. Il n'offre plus ni les souplesses ni les protections nécessaires aux universitaires pour avoir des bons déroulements de carrière. Il n'est pas transparent, il n'est pas...
 
Mais ce que vous avez proposé jusqu'à maintenant, ça n'a pas fonctionné...
 
...Il est trop rigide.
 
Alors qu'est-ce que vous allez proposer aujourd'hui ? Qu'est-ce qui peut débloquer la situation ?
 
Alors comme nous allons dialoguer, je ne préempterai évidemment aucune des conclusions de la journée d'aujourd'hui. Mais ce que je peux dire, c'est qu'il y a eu vraisemblablement une série de malentendus, peut-être des maladresses de rédaction et donc, il faut corriger tout ça, retrouver les bons équilibres...
 
Notamment sur l'évaluation, sur le partage du temps recherche/enseignement. Là-dessus, il va y avoir des aménagements, des modifications ?
 
Mais par exemple l'évaluation, qui est le coeur de ce nouveau statut que nous voulons construire ensemble, l'évaluation est importante parce qu'elle permet de donner une transparence et une impartialité aux promotions sur tout le territoire. Et c'est encore plus essentiel au moment où on passe à l'autonomie. Et il y a eu effectivement des craintes qui se sont exprimées parce que...
 
Notamment sur qui va évaluer...
 
Oui, le texte prévoyait une évaluation nationale par les pairs de chaque discipline, mais il y avait une disposition transitoire qui nous avait échappée et qui a laissé nourrir toute une série de craintes, comme quoi l'évaluation pourrait être locale. Donc il faut retravailler ce texte, il faut le réécrire pour éviter ce genre de malentendu.
 
Ce ne sera plus en tout cas, l'évaluation ne sera plus locale donc, en tout cas vous êtes ouverte...
 
Il n'y a jamais eu d'évaluation locale. Mais le texte sera réécrit et je crois qu'en tout cas, ce qui sortira d'aujourd'hui... Mais là encore, je ne veux préempter aucune des conclusions de la journée d'aujourd'hui, mais je pense qu'effectivement ce qui émergera, c'est l'idée d'une évaluation nationale par les pairs de la même discipline, dans le cadre du Conseil national des universités.
 
Ça, on le saura quand ce texte sera réécrit ; mais quand la version définitive ?
 
Ecoutez, le dialogue prendra le temps qu'il faudra...
 
Oui, mais il faut que ça aille vite, on a senti que le président de la République, le Premier ministre disent qu'il faut sortir de ce conflit...
 
Je crois que ce qui est important surtout, c'est que les universités puissent rayonner, qu'elles puissent rayonner vite, qu'elles soient vite modernisées. Parce que, vous savez, on est en temps de crise, quand on voit le chômage remonter de 90.000 ce mois-ci, la première chose qu'on pense c'est : et les étudiants, et les emplois de nos jeunes. Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le Gouvernement, qui fait de l'université et de la recherche sa priorité, qui va y mettre des augmentations budgétaires de 50 % en cinq ans, en bien ce gouvernement-là, il doit aussi donner aux universités les bons outils pour fonctionner. Et ça passe par un statut plus souple, ça passe par un statut rénové qui prendra en compte toutes les activités des enseignants-chercheurs au XXIème siècle, y compris le tutorat, y compris Internet, y compris la formation professionnelle tout au long de la vie, chose qu'elle ne peut pas faire aujourd'hui.
 
Il va y avoir de nouvelles concessions dans la journée ? Il y en a eu notamment sur les suppressions de postes : il n'y en aura pas en 2010, 2011. Vous faites mentir les promesses de N. Sarkozy là-dessus ?
 
Non, parce que le président de la République a toujours donné la priorité à l'enseignement supérieur. Nous avons toujours été traités à part depuis 2007. En 2008, il n'y avait aucune suppression de postes dans l'université et dans la recherche. En 2009, les suppressions de postes étaient minimes puisque nous n'étions...
 
900...
 
Oui, 1 non renouvellement de départ à la retraite sur 6, alors que les autres....
 
Mais alors là, il n'y en aura aucun en 2010, 2011 ? C'est une concession...
 
Alors pourquoi ? Pour plusieurs raisons. D'abord, compte tenu de l'ampleur des réformes qui sont en train de se faire à l'université. Excusez-moi, mais l'engagement de tous les personnels de la communauté universitaire dans ses réformes est extrêmement important. Permettez-moi de lister un peu tous les chantiers, mais l'autonomie...
 
Rapidement...
 
L'opération "campus", le plan pour la réussite des étudiants en licence, la masterisation de la formation des maîtres - excusez-moi c'est un terme barbare -, mais la formation des enseignants du second degré et du premier degré à bac+5, qui va faire arrive plusieurs dizaines...
 
Il n'en sera pas question aujourd'hui d'ailleurs, de la masterisation, ce n'est pas à l'ordre du jour de vos réunions...
 
Pardon, plusieurs dizaines de milliers de nouveaux étudiants dans l'université, tout ça, ça nécessite qu'on reconnaisse l'engagement de la communauté universitaire et ça nécessite aussi qu'on lève les craintes sur ces éventuelles suppressions de postes à l'avenir qui, en fait, mettaient péril le nouveau statut.
 
Ce matin, on sent que vous voulez rassurer, être à l'écoute. Sur ce plan-là, N. Sarkozy ne vous a pas facilité la tâche parce que dans toutes les manifestations, tous les mouvements, on entend quelque chose qui revient systématiquement, c'est son discours du 22 janvier devant les chercheurs, où il a parlé des chercheurs moins performants que les Anglais, qui aiment le confort et même le chauffage. Ça, ce n'est pas passé, il vous a fait beaucoup de mal avec ce discours N. Sarkozy.
 
Je crois que c'est une accusation qui est injuste vis-à-vis du président de la République...
 
C'est celle des chercheurs.
 
Mais le président de la République a décidé de faire de l'enseignement supérieur et de la recherche sa priorité, c'est son choix, c'est sous son impulsion que j'agis. Quand il dit "5 milliards d'euros pour des nouveaux campus", quand il dit "notre système n'est pas assez performant, on va le réformer pour être les meilleurs", c'est ça son message !
 
Mais est-ce qu'il aurait dû employer des mots différents ce jour-là ?
 
Mais son message c'est celui-là, et moi je crois qu'il faut le juger sur ses actes. Quand l'université a été délaissée depuis vingt ans, c'est ça la réalité, c'est ce malaise-là que nous entendons aujourd'hui s'exprimer dans la rue. Et le paradoxe, c'est que ce malaise de l'université délaissée, d'universitaires dont les carrières se sont petit à petit dévalorisées parce qu'on n'a pas fait, justement, ce que nous allons faire en 2009, un grand plan de revalorisation des carrières universitaires et de recherche, tous ces malaises du passé s'expriment aujourd'hui face à un gouvernement qui a décidé de mettre l'université au coeur de son projet.
 
Les chercheurs n'ont, jusqu'à aujourd'hui en tout cas, pas eu le sentiment d'être entendus, on va voir si ça évolue après la réunion. Je voulais vous poser une question, vous qui êtes issue de la haute fonction publique, il y a quelque chose qui doit vous étonner : F. Pérol qui, hier encore, était secrétaire général adjoint de l'Elysée, est ce matin le nouveau patron du groupe bancaire Banque Populaire-Caisse d'épargne. Il n'est pas passé par la Commission de déontologie qui est prévue dans ces cas-là. Est-ce que ça vous semble normal, vous ?
 
Je crois que la Commission de déontologie va être saisie de cette question, c'est une procédure normale. Mais...
 
Pour l'instant, elle ne l'a pas été et il est déjà en poste, ce qui n'est pas normal pour le fonctionnement de la fonction publique.
 
Ecoutez moi, la nomination de F. Pérol ne me choque pas. Elle ne me choque, pourquoi ? Parce qu'elle est fondée sur sa compétence et uniquement sur sa compétence. Il s'agit aujourd'hui de réaliser une fusion extrêmement risquée, extrêmement sensible, de deux grands réseaux bancaires français qui sont en difficulté aujourd'hui, et on a été chercher le meilleur. Il se trouve que le meilleur est conseiller du président de la République.
 
Mais ce n'est pas sa compétence qui est en cause mais la règle, qui n'a pas été respectée, vraisemblablement.
 
Oui, mais faut-il se priver de ce talent ? Alors moi, ce que je pense...
 
Au mépris de la règle ?
 
Non. Alors ce que je pense, c'est que pour la règle on voit qu'il y a un défaut dans les procédures en cours, il faudrait une procédure d'urgence, de saisine d'urgence de la Commission de déontologie, pour qu'elle puisse dans des cas de figure comme aujourd'hui se prononcer dans les 24 heures. Parce qu'on voit bien qu'aujourd'hui ce qui est en jeu, c'est la rapidité de la nomination qui est excessivement importante pour réussir ce processus de mariage...
 
C'est donc cette procédure d'urgence qui a manqué ?
 
Oui, il manque ça mais la Commission va être saisie, la procédure va être respectée.
 
On va suivre ça. Je reviens au conflit avec les chercheurs, s'ils s'enlisent, resterez-vous dans la course aux régionales ? Parce que vous êtes candidate aux primaires en Ile-de-France pour les régionales. Etes-vous encore candidate d'ailleurs ?
 
Je crois que moi, d'une manière générale, quand je fais quelque chose, quand je m'engage, je vais jusqu'au bout.
 
Et là donc aujourd'hui, vous êtes encore candidate ?
 
Je vais jusqu'au bout de ma réforme, je vais jusqu'au bout de mes engagements.
 
Candidate en Ile-de-France, le comité Balladur sur la réforme des collectivités territoriales propose de constituer un Grand Paris qui consisterait quand même à supprimer trois départements limitrophes de la capitale. Vous, puisque vous vous intéressez au dossier francilien, en un mot, êtes-vous favorable à Grand Paris ?
 
Alors j'ai eu l'occasion d'en parler avec E. Balladur. Je pense que ses réformes, les réformes qu'il propose sont audacieuses, et je pense qu'elles sont originales. Mais moi je pense qu'on aurait pu aller plus loin.
 
Sur la question du Grand Paris, notamment ?
 
Oui. Je suis favorable à un rapprochement résolu des départements avec les régions, il y a une simplification des échelons administratifs, c'est-à-dire que pour moi le Grand Paris, c'est la région Ile-de-France, c'est tous les départements d'Ile-de-France qui se rapprocheraient résolument de la région et qui, avec la simplification des échelons, le département devenant le bras armé de la région pour un certain nombre de compétences.
 
Ce n'est pas la bonne solution qui est donc proposée en tout cas dans ce rapport ?
 
Ça va dans le bon sens, mais pour moi, ça ne va pas encore assez loin.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 2 mars 2009