Interview de M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à RMC le 5 mars 2009, sur la fin de la grève en Guadeloupe, les négociations sur les salaires et l'intervention de l'Etat dans le conflit.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

G. Cahour.- Ce matin, notre invité jusqu'à 9 heures est Y. Jégo. Bonjour Y. Jégo. Avec deux évènements aujourd'hui dans les départements d'Outremer qui sont de votre registre, puisque, vous êtes secrétaire d'Etat à l'Outremer. D'abord, la fin de la grève en Guadeloupe et ensuite, on parlera bien évidemment de La Réunion, qui elle, entame aujourd'hui une mobilisation générale. Le collectif LKP en Guadeloupe a signé l'accord. Cela veut dire que la grève en Guadeloupe est réellement terminée ?
 
Ah oui, enfin, en tout cas il y a un appel de tous les syndicats à ce que la grève s'achève dès aujourd'hui et que l'activité reparte. Au bout de 45 jours - maintenant nous sommes au 45ème jour - c'était urgent.
 
Est-ce qu'aujourd'hui, ils ont obtenu plus que ce qu'on leur proposait il y a trois semaines ? Est-ce qu'il y a vraiment un plus ?
 
Vous savez ce qui faisait blocage - moi j'étais sur place, on a réussi à régler une immense partie des choses, 131 mesures sur 132 - ce qui faisait blocage c'était les questions de salaire. Effectivement il y a eu des difficultés à ce que le patronat d'un côté, les salariés de l'autre, se mettent d'accord sur des chiffres. C'est ça qui a...
 
Donc ça, cela veut dire que le Medef a signé l'accord ?
 
Non... ça c'est l'accord de l'Etat qui garantit toutes les autres mesures, les 131 mesures que j'évoquais tout à l'heure. L'accord avec le patronat, il a été signé il y a quelques jours, le Medef a accepté qu'il soit étendu pour partie dans ses entreprises. Et donc le collectif considère que sur la partie salariale, ils ont obtenu satisfaction.
 
Donc, est-ce que cela veut dire que sur la question salariale, celle qui bloquait depuis tant de semaines, est-ce que tout le monde est d'accord, est-ce qu'on a un accord gagnant-gagnant ?
 
Un accord c'est toujours gagnant-gagnant, il y a un accord qui a été signé...
 
Pas forcément, à l'usure, cela peut-être gagnant-perdant !
 
Ça c'est possible, notamment pour l'économie qui est une économie fragile. Mais il y a un accord qui a été signé entre le LKP d'un côté et un certain nombre de syndicats patronaux, qui sont des syndicats minoritaires, qui représentent donc un nombre d'entreprises limitées. Et puis, il y a eu hier, une proposition du Medef et de la CGPME, qui représente les entreprises de façon plus majoritaire, pour un certain nombre d'augmentations, qui vont d'ailleurs jusqu'à 250euros d'augmentation de salaire dans un certain nombre de grandes entreprises. Et donc l'addition de ces...
 
Donc cet accord sera appliqué dans toutes les entreprises ?
 
C'est l'addition de ces deux documents qui doit maintenant former la base d'application. Pour l'aspect juridique des choses, il y aura une intervention du ministre du Travail, puisque, sur l'extension d'un accord qui n'a pas été signé par certaines organisations il y a un processus, une procédure. Mais je suppose que si le LKP a signé et si le LKP a appelé...
 
...Ca veut dire que le ministère du Travail va demander l'extension de l'accord à toutes les entreprises ?
 
Le ministère du Travail va écouter tous les partenaires sociaux et si on lui demande l'extension, il va étudier cette possibilité d'extension. Je considère que si le LKP a signé un document qui ne concernait pas les salaires, cette nuit - c'était tout le reste, c'était toutes les mesures sociales, c'était tout ce qui avait été discuté - et que ce document se termine par un appel à la reprise de l'activité, c'est que le KLP considère que les accords sur la table lui permettent de sortir de cette grève.
 
Ce n'est pas un peu confus finalement cette sortie de crise sur les salaires ?
 
Mais vous savez c'est très compliqué, si c'était simple, cela n'aurait pas duré 45 jours !
 
Mais du coup, est-ce que ce n'est pas une bombe à retardement pour relancer ... ?
 
Si c'était simple, ça n'aurait pas duré 45 jours, si cela avait été simple et que les rapports sociaux soient normaux et fluides, il n'aurait pas fallu qu'il y ait un ministre avec toutes les conséquences médiatiques que vous imaginez, aille sur place.
 
Non mais sur la question des salaires, on n'a pas l'impression que tout le monde soit d'accord, dans ce que vous nous décrivez ?
 
Moi, je considère qu'à partir du moment où des partenaires demandent la reprise d'activité et la cessation de la grève, c'est qu'ils considèrent que ce qui est sur la table leur permet de sortir de la grève. Ensuite...
 
Combien cela va coûter à l'Etat ?
 
Alors combien cela va coûter d'argent nouveau ou combien cela va coûter au total ?
 
D'argent nouveau ?
 
Si par exemple vous prenez en compte le RSA, bon, c'était quelque chose qui était prévu, mais qui était prévu en 2011. Nous allons avancer cette dépense, environ 280 millions d'euros. Le plan annoncé par le président de la République c'est autour de 600 millions d'euros. Si vous ajoutez à ça les mesures qui ont été prévues, mais qui vont venir dans le cadre de cette crise - je pense par exemple au chantier de la relance ; la relance par la construction, par l'investissement public - eh bien au total on est sur une opération en Guadeloupe qui va avoisiner... enfin au total pour toute l'Outremer, qui va avoisiner un plus autour de 700 millions d'euros.
 
Et sur cette question des salaires pour les bas salaires, cette augmentation de salaire et de pouvoir d'achat, quelle est l'intervention de l'Etat ?
 
Elle est assez simple, en fait : nous transformons le Revenu de solidarité active. Vous savez, le Revenu de solidarité active c'est deux choses : c'est un revenu pour les érémistes, ça, cela ne change pas, mais c'est aussi pour ceux qui travaillent, ceux qu'on appelle les travailleurs pauvres, les bas salaires, c'est un plus. Eh bien ce plus, au lieu de l'apporter de façon cadrée sur ce qui est en métropole, c'est-à-dire de l'apporter en fonction de la position de la famille, du revenu de la famille, du nombre d'enfants, nous en faisons pendant maintenant trois ans un Revenu Supplémentaire Temporaire d'Activité. C'est-à-dire que nous apportons dans les départements d'Outremer, 100euros par mois à tous les bas salaires, jusqu'à 1,4 SMIC. Et ce sont ces 100euros de RSA transformé - donc c'est la même mesure qu'en métropole, mais appliquée différemment dans ses modalités - c'est sur cette base de ce RSA transformé qu'évidemment ont eu lieu les négociations salariales pour ajouter les plus qu'apportent les entreprises. Parce que, encore une fois, de décider d'un montant de salaire, ce n'est pas à l'Etat de le faire, mais c'est au patronat d'un côté et aux syndicats de l'autre.
 
Il y a quelques jours, la présidente du Medef, L. Parisot disait : il y a un engagement financier qui rend cet accord mortel pour la plupart des entreprises en Guadeloupe. Beaucoup d'entreprises avaient peur que lorsque l'engagement de l'Etat se terminerait, dans 24 ou 36 mois, elles récupèrent cette obligation de payer des salaires plus élevés en fait.
 
Il y a des débats sur l'avenir, mais enfin l'avenir économique de ces territoires dans trois ans, dans une économie dont on voit bien qu'en six mois, la donne de l'économie mondiale change de façon considérable, c'est tout de même des débats qu'il faudra avoir dans le temps. L'objectif c'était d'abord de sortir de ce conflit qui était un des plus longs de l'histoire des Antilles et de la Guadeloupe en l'occurrence. C'est ensuite, maintenant, le travail qui est devant nous, qui est le travail le plus difficile. C'est de conforter l'économie, c'est de conforter les entreprises. Je débute mardi au Sénat...
 
On pourra parler de ces états généraux et de ses lois...
 
...Je débute mardi au Sénat l'examen d'une loi qui va apporter 1,5 milliard d'aides aux entreprises de l'Outremer, justement pour leur permettre de passer la période difficile de la crise.
 
Alors on va parler des perspectives, mais encore un mot de la crise : pourquoi l'Etat a toléré des fermetures forcées d'entreprises, comme on nous en a décrites sur place en Guadeloupe ?
 
Mais d'abord l'Etat n'a pas toléré. Dès qu'il y a eu des plaintes de déposées, l'Etat est intervenu. Moi, quand j'étais sur place, on me parlait beaucoup de ces fermetures forcées effectivement. Il y a beaucoup de témoignages, il n'y avait peu de plaintes, il n'y avait que deux plaintes de déposées sur ces fermetures. Je crois qu'il y avait un climat qui était un climat de tension, un climat d'affrontement. Et le problème, une des parties du problème auquel nous nous sommes confrontés, c'est que les rapports sociaux en Guadeloupe sont des rapports qui étaient fondés sur l'affrontement, sur la pression, sur la tension qui est parfaitement inacceptable. Obliger un chef d'entreprise à fermer son rideau, parce qu'il y a des gens qui arrivent en lui disant : on t'oblige à fermer ton rideau, même si tes employés ne sont pas en grève - c'est parfaitement inacceptable. Mais c'est la nature même des rapports sociaux en Guadeloupe qu'il faut faire évoluer. J'espère que les états généraux de l'Outremer permettront aux rapports sociaux d'être en Guadeloupe ce qu'ils doivent être partout, c'est-à-dire des rapports où l'affrontement n'est pas le lieu commun et où c'est la négociation, où c'est la discussion qui permettent d'en sortir par le haut. Il y a eu des situations intolérables, l'Etat ne les a pas tolérées. Il faut reconnaître aussi qu'il y a eu très peu de plaintes de déposées, sans doute dans un climat de peur et que tout ceci est très malsain.
 
Y. Jégo, est-ce qu'une telle grève, si longue, si dure aurait été acceptée de la même manière dans un département métropolitain par N. Sarkozy qui a mis trois semaines à réagir par un simple communiqué à l'issue d'un Conseil des ministres ?
 
Je crois que ces polémiques sont vraiment, pardon de le dire, mais c'est vraiment...
 
On parle bien sûr d'un Président omniprésent. Là, il a été tout, sauf omniprésent.
 
Sur vos antennes, j'entends critiquer le Président quand il s'occupe de tout et là, on le critique, parce qu'il ne s'occuperait pas assez des sujets. L'Etat était omniprésent, aux premiers jours, aux premières heures...
 
L'Etat, oui, mais là, on vous parle de N. Sarkozy !
 
Mais l'Etat c'est aussi l'outil global de gestion des crises.
 
Non, mais reconnaissez que ce n'est pas trop sa méthode ?
 
Je reconnais surtout qu'il a eu l'intelligence d'intervenir au moment où cela a permis d'apaiser le conflit... vous n'avez pas remarqué une chose... ?
 
Mais est-ce que, finalement, vous n'avez pas été le premier ministre qui a été un fusible dans cette affaire ?
 
Oh, écoutez, je ne sais pas moi si je suis un fusible, moi je...
 
Depuis que N. Sarkozy est là, il s'est rarement servi de ses ministres comme de fusibles.
 
Moi j'ai fait mon travail, je suis en charge de l'Outremer. Quand je me suis aperçu que le préfet n'y arrivait pas, non pas en raison de son manque de qualités mais en raison d'une situation épouvantable, j'ai été sur place, j'ai mouillé ma chemise, j'y ai passé beaucoup de temps. J'ai réglé 99...
 
Et vous le regrettez ou pas ?
 
Mais bien sûr que non, j'ai fait mon métier et tout ce que j'ai dit, je l'ai pensé et tout ce que j'ai dit, c'est en train d'être fait. Donc je crois que je n'ai rien à regretter sur ce sujet, sur la façon dont je me suis appliqué. Et puis, à un moment, il y a eu un blocage ; à un moment, il y avait des dérives, à un moment il y avait un patronat qui disait : nous, on veut bien faire tout ce que vous voulez, mais l'Etat n'a qu'à payer les salaires à notre place. Vous voyez bien qu'on était dans une situation totalement impossible. Et le fait...
 
Et votre plus grand regret, c'est d'être rentré à la va vite en France métropolitaine ?
 
Vous savez, la signature a été faite il y a quelques heures. Commencer à se flageller ou à savoir si c'est des regrets ou pas ?...Moi, mon plus grand regret c'est de ne pas avoir réussi à faire que le patronat d'un côté et les syndicats de l'autre se mettent d'accord sur de bonnes conditions au moment où on aurait pu apaiser cette grève, sans arriver aux dérives qu'il y a eues. Mais le président de la République, pour dire un mot, il est intervenu au bon moment, puisque, c'est à partir de son intervention et du plan qu'il a proposé que les choses se sont apaisées qu'on a inversé la tendance qui était une tendance de blocage, qui est devenue une tendance allant jusqu'à l'apaisement d'hier.
 
Mais s'il était intervenu plus tôt, peut-être que cela aurait résolu les choses ?
 
Je ne crois pas, parce qu'il y a des moments où des conflits aussi lourds, aussi profonds, qui viennent d'aussi loin, doivent aussi avoir une forme d'expansion qui, quelle que soit l'intervention des uns et des autres, n'arrive pas à les régler. Vous voyez que dans cette affaire l'Etat a bien fonctionné, le préfet d'abord, le secrétaire d'Etat ensuite, le Premier ministre, puis le président de la République. C'était une chaîne tout à fait cohérente qui a permis, effectivement, après beaucoup de temps, à régler ce conflit. Vous parliez de la métropole, pardon de vous le dire, mais je ne pense pas qu'il puisse y avoir dans un de nos départements une situation de cette nature là, parce que c'est aussi la spécificité de l'insularité. Quand on est à 8 000 kilomètres de Paris, eh bien, il y a des conditions qui ne sont pas les mêmes que quand on est sur le territoire métropolitain. C'est ça la spécificité et le charme aussi, mais aussi les difficultés de l'Outremer.
 
Y. Jégo, on va se retrouver dans un instant, on va parler de La Réunion, qui elle commence sa mobilisation aujourd'hui. Puis on va parler aussi de : et après, comment relancer l'économie dans les départements d'Outremer ?
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mars 2009