Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical, citoyen, et divers gauche à l'Assemblée nationale, sur les raisons de son appel à censurer le gouvernement, Paris le 27 janvier 2009.

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Circonstance : Motion de censure à l'Assemblée nationale, Paris le 27 janvier 2009

Texte intégral

Je voudrais, avant d'entamer mon propos, avoir une pensée particulière pour tous nos concitoyens qui ont souffert ces dernières heures des terribles intempéries qui se sont abattues sur le sud-ouest de notre pays. Aux familles dans l'épreuve, à celles qui sont dans le deuil, je veux dire notre compassion et la solidarité de toute la représentation nationale.
M. le Premier Ministre
M. le Président,
Mes chers collègues,
C'est d'une autre tempête dont je voudrais vous parler maintenant, une tempête financière dont l'essentiel des conséquences est encore devant nous, car la crise économique et sociale qui en résulte, s'installe, s'aggrave, et rien dans les politiques menées ne semble hélas empêcher ses ravages.
Les circonstances sont exceptionnelles :
- Le pouvoir d'achat de nos concitoyens ne cesse de baisser.
- Le chômage, ces derniers mois, a déjà frappé des dizaines de milliers de salariés.
- Une récession profonde frappe notre continent, et plus particulièrement notre pays. Les prévisions des économistes se vérifient hélas dans les détresses concrètes de nos concitoyens les plus vulnérables.
La gravité du moment impose la responsabilité et l'engagement total de tous les acteurs de la vie publique.
C'est pour cette raison que je suis aujourd'hui à cette tribune, dans cet hémicycle que nous avons quitté il y a une semaine.
C'est pour faire entendre une voix, celle de l'opposition.
Cette voix, précisément, que l'on voudrait brider, contenir et maîtriser. Ce que nous n'accepterons jamais.
Hier, par un appel à la pensée unique sous couvert d'unité nationale.
Aujourd'hui, par une limitation drastique du droit d'amendement.
Demain par la réforme de la carte territoriale et le redécoupage des circonscriptions.
Pourtant,
. C'est cette voix de l'opposition qui, dès la précédente législature, a dénoncé les dangers du vote d'une loi encourageant le crédit hypothécaire rechargeable, cette voix qui a dénoncé les « subprimes à la française » que le candidat Nicolas Sarkozy proposait d'instaurer dans notre pays.
. C'est cette voix qui n'a jamais sous-estimé l'état du pays et a appelé dès juillet 2007 à ne pas dilapider au bénéfice d'une poignée de privilégiés, 15 milliards d'euros intégralement financés par la dette, et donc par l'emprunt, à travers votre désastreux « paquet fiscal ».
. C'est cette voix encore qui a porté le principe d'un revenu de solidarité active, mais qui n'a pas accepté en septembre dernier que les hauts revenus soient exonérés de son financement à cause de votre « bouclier fiscal ».
. C'est cette voix qui n'a jamais refusé d'apporter des fonds propres aux banques, mais qui, dès l'automne, vous a alertés sur la nécessité de soumettre ces aides à l'exigence de contreparties.
C'est cette voix différente et utile que vous devriez écouter et pourquoi pas, entendre...
Nous partageons avec vous une nécessité, celle de l'action. Acceptez donc que l'on puisse débattre, sans a priori, des analyses et des solutions qui la fondent. Acceptez une démocratie adulte où la majorité n'a pas forcément raison contre tous et l'opposition forcément tort contre vous.
La crise économique et sociale était déjà installée en France, avant que la crise financière, derrière laquelle vous voulez masquer vos erreurs, ne frappe notre pays. Votre politique a placé la France en quasi-récession dès le début de l'année 2008. La consommation des ménages a reculé dès le 1er trimestre. L'emploi salarié a baissé dès le second. Le pouvoir d'achat s'est affaissé, forcément au même moment. Mais vous n'avez rien voulu voir.
Croissance promettiez-vous ? Nous entrons en récession. Confiance nous demandiez-vous ? C'est la défiance qui est au rendez-vous.
Un autre plan de relance
Au début de ce mois, vous avez présenté un plan de relance. Mais une fois encore, vous réagissez de manière inadaptée. Tous les observateurs s'accordent à en souligner l'insuffisance. Comme l'a relevé votre rapporteur général du budget, les milliards affichés sont des dépenses anticipées plutôt que de nouvelles dépenses. In fine, ce ne sont que quatre petits milliards euros qui seront consacrés à la stimulation de la croissance en 2009. Il n'y a pas là les éléments du plan massif nécessaire pour protéger notre pays des affres de la récession.
Tôt ou tard - et le plus tôt sera le mieux - il vous faudra présenter un deuxième plan de relance qui, alors, devra être à la hauteur des enjeux.
. L'Allemagne a engagé le plan de relance le plus massif de l'après-guerre : 50 milliards euros.
. Le Royaume Uni a mis en place un plan de soutien à l'économie de 38 milliards euros. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, a, quant à lui, proposé au congrès américain d'adopter un plan de 560 milliards euros.
Ce qui, rapporté aux populations respectives, représente :
. 610 euros par habitant en Allemagne,
. 644 euros au Royaume-Uni,
. 1800 euros aux Etats-Unis contre seulement 65 euros en France.
Aussi, un nouveau plan devra être mis à l'étude. Il sera alors encore temps de vous inspirer des propositions que Martine Aubry a présentées au nom du parti socialiste mercredi dernier.
Le plan que nous proposons aux Français nous l'avons voulu global, massif et à effets immédiats. Nous avons voulu également qu'il réponde à une certaine exigence de justice sociale.
1. Nous voulons d'abord un plan massif d'investissement de l'Etat en lien avec les collectivités locales
A coté des investissements privés qu'il faut encourager, il faut stimuler l'investissement des collectivités locales qui assurent 75% des investissements publics en France. Contrairement aux idées reçues, ces investissements ne creusent pas la dette publique, mais forgent la croissance de demain. Qu'il s'agisse de recherche, d'éducation, de transport public ou de logement, d'énergies renouvelables, nous savons qu'il y a là les ressources pour tirer le pays vers une croissance durable. La réponse à la crise actuelle ne doit pas se limiter au traitement de l'urgence, mais répondre aussi aux besoins des générations futures.
2. Nous sommes favorables ensuite à des aides aux entreprises, mais assorties de fortes contreparties.
. Est-ce que vous trouvez normal que l'argent versé aux banques puisse encore servir au versement de dividendes, de parachutes dorés, de stock-options, ou de retraites chapeaux, sans que s'améliore même l'accès au crédit ?
. Est-ce que vous trouvez acceptable que l'usage de l'argent des contribuables puisse ne pas donner lieu à un contrôle public de la façon dont il est utilisé ?
. Est-ce que vous trouvez juste de ne pas établir de différence entre les entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices dans l'outil de travail, l'emploi ou l'augmentation des salaires et celles qui privilégient toujours la distribution de dividendes aux actionnaires ?
. Est-ce que vous trouvez crédible de prétendre, à l'instar du chef de l'Etat, rompre avec le capitalisme financier sans rien entreprendre contre les licenciements d'opportunités ou les « licenciements boursiers » ? Et bien, pas nous !
3. Nous prônons enfin, à côté des efforts d'investissement, le soutien à la consommation des ménages en améliorant leur pouvoir d'achat, et en offrant une aide accrue aux chômeurs.
Pourquoi développons-nous ce volet que vous avez totalement éclipsé ? Parce que les dépenses d'investissement stimulent l'activité, améliorent la compétitivité, ouvrent de nouvelles opportunités de croissance, mais leurs effets ne se feront sans doute pas sentir avant 2011. Les mesures stimulant la consommation ont, elles, un impact immédiat et bénéficient à l'ensemble de la population.
Alors j'entends déjà vos réponses : 500 euros pour les plus modestes, la revalorisation du SMIC et des allocations logement, la généralisation du chèque transport ou la réduction de la TVA... tout cela dégraderait notre commerce extérieur !
Ces 25 milliards allant directement au pouvoir d'achat, seraient du gaspillage et profiteraient - c'est vous qui le dites - principalement aux importations. A vous entendre les bénéficiaires de nos mesures courraient dépenser cette manne en écrans plats produits en Asie. Quelle caricature ! Quel aveuglement quand on constate que les restos du coeur n'ont jamais connu une telle affluence et que le surendettement n'a jamais été aussi répandu qu'aujourd'hui !
Le Sénat vient de publier en collaboration avec l'Observatoire français des conjonctures économiques, un rapport selon lequel la part des produits importés dans la consommation est relativement faible, 14 %, et crée aussi de l'activité chez nous.
Mieux, ce rapport recommande qu'une relance par le pouvoir d'achat privilégie les « ménages fragilisés par la crise » car leur « propension à consommer des biens importés » est bien moins forte que celle des revenus élevés.
Vous voyez, on a toujours de bonnes raisons de tenir compte du travail parlementaire...
J'entends aussi que nous serions rattrapés par nos démons de 1981... Faut-il que vous soyez à court d'arguments : tous les pays européens et les Etats-Unis procèdent simultanément à une relance de la demande. Tous ces pays contribueront donc aux échanges extérieurs. La hausse de nos exportations compensera la hausse de nos importations et préservera l'équilibre de nos échanges extérieurs.
Mesdames et messieurs de la majorité, après vous être si longtemps inspirés de la politique économique outre-Atlantique, pourquoi rejeter toute relance par la consommation alors que ce sont 1000 dollars de plus et tout de suite dont bénéficieront plusieurs dizaines de millions d'Américains avec le plan Obama ?
La vérité, c'est que jusque dans vos propres rangs, certains s'interrogent. Ainsi, Gilles Carrez, rapporteur général UMP du budget, vous invite à ajouter 1 milliard d'euros à votre plan, pour la PPE, le RSA et les aides au logement. Voilà qui souligne la faiblesse actuelle de votre plan.
Monsieur le Premier Ministre, je vous ai entendu dire samedi que « tous les Français sont dans le même bateau, la même tempête ». Ce n'est pas contestable. Ce qui l'est, c'est votre politique, parce qu'avec vous, c'est toujours des mêmes que l'on exige les sacrifices ...
Restaurer la confiance.
Notre pays est en crise et doute de lui-même. Lors de son discours d'investiture le 16 mai 2007, le président de la République affirmait justement que « les Français en ont assez des sacrifices qu'on leur impose sans aucun résultat ». 20 mois plus tard, que leur a-t-on imposé ? franchises médicales, taxe sur les mutuelles, érosion des protections du travail, augmentation des tarifs publics, dégradation et démantèlement des services publics, suppressions de postes... Pour quels résultats ?
Nos concitoyens perdent patience parce qu'ils voient bien que l'argent débloqué l'est toujours au profit exclusif de ceux - privilégiés - qui refusent le changement des règles du jeu. Pour vous, tout est toujours trop grand et trop cher lorsqu'il s'agit de l'hôpital ou de l'école publics. C'est dans ces services publics, qui défendent ce que nous avons de plus précieux - l'avenir de nos enfants et la vie elle-même - que vous conduisez les plans sociaux les plus importants de notre pays, plans sociaux, auxquels nous vous demandons de renoncer.
Nos compatriotes perdent patience parce qu'ils entendent un président qui répète inlassablement qu'il faut parler du « travail », « des travailleurs » et des « ouvriers », mais qui, au quotidien, n'a rien à offrir, sinon son inépuisable, intarissable, incommensurable compassion...
. Monsieur le Premier Ministre, il y a pourtant une façon simple de valoriser le travail, c'est de commencer par ne pas le dénigrer ! Lorsqu'un drame intervient à l'hôpital, ce n'est pas qu'un « problème d'organisation », mais c'est d'abord la conséquence d'un manque criant de moyens humains. Lorsque l'échec scolaire frappe avec constance les quartiers populaires, ce ne sont pas les enseignants qu'il faut pointer du doigt, mais l'incurie financière avec laquelle ils doivent composer,
. il y a une façon simple de valoriser le travail, c'est de respecter le professionnalisme et la sincérité des enseignants, des chercheurs, des juges, des psychiatres, des infirmières, des journalistes, des travailleurs sociaux, des agents des services publics, des cheminots, des artistes...
. il y a une façon simple de valoriser le travail et les salariés, c'est de ne pas stigmatiser les organisations syndicales qui les défendent, de ne pas leur faire porter l'inadaptation des services publics ou les blocages de la société,
. il y a une façon encore plus simple de valoriser le travail, c'est de le rémunérer ! Les milliards d'allègements de charge dont bénéficient les entreprises doivent être conditionnés à la conclusion d'accords salariaux !
Entendez-vous la colère qui monte dans le pays ? Elle s'exprimera massivement jeudi prochain. Elle touche tous les territoires, y compris l'outre-mer.
Votre échec est là, et plutôt que de le reconnaître, vous préférez faire taire tous les contre-pouvoirs.
. Est-il un seul pays pluraliste qui entreprenne un tel retour en arrière avec la nomination de ses dirigeants de télévision et radio par le président de la République ?
. Est-il un Etat de droit qui envisage de ramener l'instruction judiciaire dans l'orbite du pouvoir exécutif ?
. Est-il une autre démocratie où rééquilibrer les pouvoirs entre Gouvernement et Parlement se solde concrètement par une limitation du droit d'amendement de l'opposition ?
En déplacement permanent, le président pourtant n'écoute plus rien ni personne. Il déclare sans honte : « j'écoute, mais je n'en tiens pas compte ».
(C'est, chacun le constate, et vous aussi monsieur le Premier Ministre, une ambiance de cour qui prévaut de bas en haut de l'Etat. Un Etat ou plaire - et même complaire - permet de tout espérer, quand déplaire expose à toutes les humiliations. )
A propos du travail du dimanche, le petit noyau qui entoure le chef de l'Etat a imposé une proposition de loi pour contourner les règles du dialogue social préalable. Règles que vous avez pourtant vous-même faites adopter, monsieur le Premier Ministre. Les mêmes annoncent maintenant qu'en dépit du rejet d'une majorité de Français, ils feront adopter ces nouvelles dérogations dès que l'opposition sera bâillonnée par le nouveau règlement de l'assemblée nationale.
Le président, veut faire croire qu'entre lui et les Français, il n'y a rien ni personne. C'est cette méthode qui ne passe plus. Entre deux élections présidentielles, il y a pourtant place pour le débat public. La vie politique ne se limite tout de même pas à l'élection d'un chef !
Pour nous, il demeure la démocratie : la démocratie parlementaire avec les représentants du peuple, la démocratie sociale avec les partenaires sociaux, la démocratie participative avec les associations et les citoyens...
Mes chers collègues, comme lors de toutes les grandes épreuves que la France a traversées, la Nation doit toute entière être mobilisée.
Nos concitoyens doivent être réunis autour d'un grand projet qui nourrit l'espérance en un avenir commun. Notre pays a déjà montré qu'au-delà de ses divisions, il a les capacités, les atouts et les forces pour se mobiliser, ensemble.
Monsieur le Premier Ministre, vous nous demandez l'« union nationale », mais qu'entendez-vous par là ? Un plébiscite de votre politique ?
Pour nous cette crise n'est pas un accident regrettable. Elle est le produit, la conséquence d'une idéologie ultralibérale qui va jeter des centaines de milliers de femmes et d'hommes au chômage, des jeunes dans la précarité et des familles dans la pauvreté.
La question n'est pas simplement de juguler dans l'urgence une hémorragie financière, il s'agit surtout d'interdire tout retour à la situation antérieure. Nous ne pouvons accepter que le système redémarre comme si rien ne s'était produit, comme si la crise n'avait jamais eu lieu.
A cette nécessité, vous restez sourds parce que ce sont vos propres dogmes qu'il vous faudrait accepter de remettre en cause.
Le véritable enjeu, c'est de prévenir de nouvelles crises en modifiant en profondeur le système lui-même. La situation exige un changement de logique et de modèle de développement. Monsieur le Premier Ministre, ce n'est pas l'orientation que vous avez choisi de prendre.
C'est pourquoi, je demande à l'Assemblée nationale, au nom du groupe SRC, en application de l'article 49-2 de la Constitution, de bien vouloir censurer votre gouvernement.
source http://www.parti-socialiste.fr, le 28 janvier 2009