Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre de la Défense, comment le retour de la France dans les structures intégrées peut-il permettre une "européanisation" de l'OTAN ?
Q - Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes, comment, selon vous, les missions de l'OTAN doivent-elles évoluer ?
R - M. Hervé Morin, ministre de la Défense - Pour ce qui concerne tout d'abord l'"européanisation" de l'OTAN, la démarche du président de la République est extrêmement claire et a été annoncée dès son entrée en fonction : il s'agit, d'une part, de construire l'Europe de la défense et, d'autre part, de permettre aux Européens de devenir en quelque sorte "adultes" en matière de sécurité et de défense pour participer davantage à l'Alliance atlantique, tout en faisant justice de l'idée, répandue chez la plupart de nos collègues européens, selon laquelle la France voudrait promouvoir l'Europe de la défense contre l'Alliance atlantique.
Tous ceux qui, autour de cette table, ont exercé des responsabilités ou connaissent les relations européennes savent en effet que la plupart des Européens - sinon la totalité d'entre eux - voient dans l'Alliance atlantique le système qui assure leur sécurité collective depuis 1949. Plus encore que le camp occidental traditionnel, les pays qui ont rejoint l'Union européenne depuis la chute du mur de Berlin la considèrent comme la garantie de sécurité de leur indépendance. La démarche du président de la République a donc consisté à convaincre nos partenaires européens que la construction de l'Europe de la défense soutenue par la France donnait à l'Europe une capacité autonome de mener des opérations militaires - comme celle qui est actuellement engagée, sous le commandement d'un amiral britannique, contre la piraterie dans le golfe d'Aden.
Il s'agit également de faire sortir les Européens de l'infantilisation dans laquelle ils sont plongés depuis longtemps et de leur faire prendre conscience que l'Europe que nous voulons n'est pas dirigée contre l'Alliance atlantique. Lever ce doute était indispensable pour que l'Europe de la défense puisse progresser.
L'Europe s'est construite en renonçant aux instruments traditionnels de la puissance et a été conçue comme une école de paix et de stabilité, comme une puissance normative, et non comme une puissance militaire. Jusqu'au milieu des années 1990, aucune déclaration politique des chefs d'État et de gouvernement n'évoque même le terme d'"Europe de la défense". Des avancées importantes ont été réalisées dans ce sens durant la présidence française de l'Union européenne, qui se traduisent en particulier par le lancement du programme d'imagerie spatiale MUSIS, la mise en oeuvre d'un programme de rénovation des hélicoptères, la mise en place d'une flotte commune de transport tactique répondant à un besoin criant, l'élaboration d'un plan d'évacuation des ressortissants européens en cas de crise, la création d'un réseau permettant de mutualiser la surveillance et la protection des côtes européennes de la Baltique à la Méditerranée et le lancement de programmes tels que l'ERASMUS militaire, qui permet aux officiers de tous les pays de suivre une partie de leur formation dans un autre pays.
Je le répète, le président de la République souhaite convaincre les Européens que la construction de l'Europe de la défense ne se fait pas contre l'Alliance atlantique. Les Européens doivent devenir responsables de leur propre sécurité et ne pas la faire reposer sur les autres. La montée en puissance de l'Europe de la défense nous permettra de peser davantage au sein de l'Alliance atlantique et de nous inscrire dans un rapport plus équilibré avec nos alliés et nos amis américains.
J'en viens à la question des postes. Indépendamment des questions politiques, qui seront étudiées en leur temps, le retour de la France au sein du commandement intégré se traduira par la participation au comité des plans de défense, dont la France est aujourd'hui absente, et par un net renforcement de la présence française dans les états-majors. Si cette présence devait être comparable à celle des autres pays participant au commandement intégré, on compterait environ 900 militaires français dans ses différentes structures, contre 100 actuellement. La négociation de postes de responsabilité est menée au plus haut niveau avec les chefs d'Etat et de gouvernement concernés. Le symbole de l'européanisation de l'OTAN serait bien évidemment que soient confiés à des Français des postes aujourd'hui occupés par des Américains - ce qui est précisément le cas du commandement opérationnel de Lisbonne et du commandement stratégique de Norfolk, que vous évoquez.
R - M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes - Aujourd'hui, les deux postes de commandement dit "suprême" de l'Alliance - celui de Mons, opérationnel, et celui de Norfolk, stratégique et consacré aux missions, aux équipements et aux risques du futur -, sont détenus par des Américains. Si l'un était confié à la France, je confirme que cela serait un grand pas en avant pour l'européanisation de l'Alliance.
Pour ce qui est des missions, la France a participé à une place de choix à toutes celles qui ont été mises en oeuvre par l'OTAN. Qu'il s'agisse en effet de la Bosnie, du Kosovo, de l'opération "Active Endeavour" en Méditerranée ou de l'Afghanistan, notre pays se situe au deuxième ou troisième rang - au quatrième tout au plus - en termes de forces déployées sur le terrain.
La participation au commandement intégré fait cependant une grande différence. En effet, lorsque la France, avant même de participer à la force terrestre envoyée au Kosovo, a décidé de s'associer à l'opération de pression aérienne exercée sur la Serbie depuis la Méditerranée, nous ignorions tout, malgré quelques accords comme jadis l'accord Ailleret-Lemnitzer, des plans stratégiques et, une fois la décision prise, c'est le commandant suprême - le SACEUR - qui a remis les plans au général Jean-Pierre Kelche. Aujourd'hui, nous sommes, si je puis dire, dans la situation où nous avons le choix du casting et de la mise en scène, mais nous ne connaissons pas le scénario. C'est ce à quoi nous voulons remédier en réintégrant le comité des plans de défense et le commandement intégré : non seulement nous saurons ce qui se prépare, mais nous le préparerons avec les autres. Quant au groupe des plans nucléaires, il n'est pas question de remettre en cause la totale autonomie de la force nucléaire française.
Comme en témoignent les éléments cités par M. Morin, l'Europe dispose d'ores et déjà d'une vraie capacité d'intervention. Le succès des nombreuses missions conduites par l'Union européenne le démontre. La plus importante d'entre elles, la mission EUFOR, menée au Tchad et en RCA, qui a mis sur le terrain 4.500 hommes issus de 17 contingents nationaux européens et qui sera relayée le 15 mars par une force des Nations unies, a été engagée sans rien demander aux Américains. Depuis la mise en oeuvre de cette opération de maintien de la paix, on n'a pas observé une seule intrusion des Janjaweed venus du Soudan - bien qu'il eût été nettement préférable de prévoir une force de l'ONU plus importante de l'autre côté de la frontière. Voilà une opération typique, que seuls les Européens pouvaient réaliser. De même, c'est l'Union européenne seule qui a déployé en trois semaines 300 observateurs en Géorgie. C'est l'Europe encore qui a déployé au Kosovo - après bien des difficultés, certes, mais avec un certain succès - 2.000 responsables de EULEX, au nord de Mitrovica et jusqu'aux frontières de la Serbie. Ces opérations de maintien de la paix font généralement suite à des opérations des Nations unies, ou en font partie.
Si tout se passe comme nous le souhaitons, la réflexion stratégique portera, à partir du sommet de Strasbourg-Kehl, sur ce que sera l'OTAN du XXIe siècle. De fait, sur 26 alliés, 21 sont membres de l'Union européenne. Cela n'enlève rien, du reste, à l'importance des Etats-Unis, car l'immense majorité des forces est américaine. Cependant, nous pèserons beaucoup plus que par le passé, où notre seul poids était lié à la participation à des missions que nous n'avions pas contribué à définir au départ. Ce sommet devrait également engager une réflexion sur les missions de l'OTAN dans ce monde globalisé, nécessairement différentes de la mission initiale de l'OTAN qui était directement liée à l'existence du pacte de Varsovie.
Je vais vous expliquer la raison pour laquelle il ne faut plus employer le mot "intégration". J'observe que le refus du Général de Gaulle portait sur une intégration fixée d'avance, qui devait conduire nos armées à participer très rapidement, avec d'autres forces, à une éventuelle réaction contre les troupes du pacte de Varsovie - et, à cet égard, je ne rappellerai pas les expressions employées par la gauche et par le centre lors du débat de censure qui a suivi la décision du Général de Gaulle de quitter le commandement intégré ! Il n'est plus question aujourd'hui d'une telle intégration automatique, non seulement parce qu'il n'y a plus de pacte de Varsovie, mais aussi parce que, quelles que soient les missions envisagées, une décision à l'unanimité est nécessaire. Ainsi, la décision prise par l'Allemagne, qui faisait pourtant partie du commandement intégré de l'OTAN, de ne pas participer à ce qui aurait pu être une opération de l'OTAN en Irak a eu pour effet de bloquer toute intervention de l'Alliance - et cela ne l'a pas empêchée, politiquement, de s'opposer à la décision américaine. De même, au sommet de Bucarest, notre décision de ne pas accepter la perspective d'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie a donné lieu à une rude bataille contre les Américains mais s'est bien soldée par un refus. En décembre dernier, à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères ont mené une nouvelle bataille contre l'administration sortante du président Bush et nous n'avons pas cédé. Nous sommes individuellement responsables de l'utilisation de nos troupes et jamais personne, comme l'a répété le président de la République et comme vient de le redire Hervé Morin, ne nous forcera à les utiliser.
Il conviendra bien évidemment de débattre de ce que devront être dans l'avenir les activités de l'OTAN. La lutte contre le terrorisme, les problèmes de pauvreté liés au changement climatique, par exemple, feront-ils partie de ses missions ? La mission actuelle, qui consiste à défendre collectivement le territoire des membres de l'OTAN contre toutes les invasions et menaces extérieures, peut évoluer et évoluera dans sa mise en oeuvre.
Les actions auxquelles participe actuellement la France - en Bosnie hier, au Kosovo et en Afghanistan actuellement - sont toutes des missions des Nations unies, régies par des résolutions du Conseil de sécurité. Lorsque l'Union européenne a décidé de lancer des missions comme EULEX ou EUFOR, elle n'a pas demandé la permission à l'OTAN. C'est la démonstration de l'autonomie et de la force croissante des décisions européennes et de leur application. Le champ est très vaste. Les tâches de l'OTAN ne sont pas celles d'une Europe qui change, d'une Europe qui prend conscience d'elle-même et de la nécessité de se protéger.
Quant à l'élargissement, il ne faut pas multiplier exagérément les possibilités d'adhésion. Ce n'est pas un hasard si la première aspiration de tous les pays anciennement communistes, comme les pays baltes ou la Pologne, a été de demander l'adhésion à l'OTAN. Je ne pense pas qu'il faille pour autant accepter tout le monde. Il faut certainement conserver le Conseil qui, sous l'autorité du secrétaire général, est chargé de maintenir des relations avec la Russie. La France s'intéresse d'ailleurs aux propositions du président Medvedev sur la sécurité européenne, et j'espère qu'il en ira de même pour l'Europe et pour l'OTAN. Développer les contacts avec la Russie est nécessaire mais cela ne signifie pas pour autant que cette dernière doive adhérer dès maintenant à l'OTAN, même si cette adhésion est peut-être une perspective envisageable.
Q - Monsieur le Ministre de la Défense, pouvez-vous nous indiquer le coût du retour de la France dans le commandement intégré, tant sur le plan financier que sur celui des effectifs ?
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - En année pleine et si l'on prend pour référence la présence britannique, qui est la plus importante, l'effectif se situerait à 900 hommes environ. Il n'est évidemment pas question que tous ces personnels arrivent d'un coup dans les états-majors. Au terme de la montée en puissance progressive, le coût supplémentaire annuel serait de 80 millions d'euros.
Les économies devraient résulter de la réorganisation engagée par l'Alliance atlantique à la demande de la France, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, afin d'alléger sa structure, qui occupe aujourd'hui 13.000 hommes. Mais si ces trois pays souhaitent réellement cette réorganisation afin de réaliser des économies de fonctionnement, les autres Etats, de moindre dimension sur le plan militaire, sont très attachés au maintien de l'ensemble des structures.
Q - (A propos de l'alliance Amérique et Europe en tant qu'entité)
Q - (Au sujet de l'avenir de la construction d'une Europe de la défense autonome)
Q - (Concernant la stratégie de l'OTAN)
Q - (A propos de l'avenir de l'Union de l'Europe Occidentale dans ce dispositif)
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - Monsieur le Député, je vous rappelle ce que prévoit l'article 42, alinéa 7 du Traité de Lisbonne : "Au cas où un Etat membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. (...) Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre". Les Européens considèrent donc que leur sécurité ne dépend pas seulement de la construction de l'Europe de la défense, mais aussi du système de sécurité collective établi par le traité de l'Atlantique Nord, auquel nous participons depuis 1949 et que nous n'avons jamais dénoncé.
Certes, les Européens se trouvent dans une position de vassalité militaire, parce que, à l'exception des Français et des Britanniques, ils ne consacrent pas à la défense suffisamment de moyens. Toutefois, vouloir construire, par l'Europe de la défense, une alliance de pays européens susceptibles de prendre leurs propres responsabilités n'est pas contradictoire avec une participation à l'Alliance atlantique : le Traité de Lisbonne indique clairement que les deux institutions participent d'une démarche conjointe visant à assurer la sécurité collective du continent européen. Il ne s'agit pas de jouer l'une contre l'autre, mais l'une avec l'autre.
Madame la Députée, je suis d'accord avec vous sur certains points. En effet, l'Alliance atlantique n'a pas vocation à s'étendre indéfiniment ; en particulier, si elle continue à se rapprocher des frontières russes, cela risque de renforcer en Russie un sentiment traditionnel d'encerclement. Et en effet, l'Alliance atlantique a besoin, non de se bâtir une frontière, puisqu'elle n'est pas un ensemble politique, mais de s'interroger sur ses limites géographiques.
Elle doit aussi, comme le soulignait Bernard Kouchner, s'interroger sur ses missions. Doit-elle participer à la lutte contre le terrorisme, devenir une organisation globale, s'engager dans l'aide au développement, s'occuper de la défense antimissile ? Ces questions restent ouvertes. L'organe qui, au sein de l'Alliance, s'occupe de la "transformation", c'est-à-dire de définir les concepts stratégiques, la planification et les missions de l'organisation, c'est ACT, à Norfolk. Or c'est précisément l'un des commandements dont nous pourrions hériter. Nous prendrions ainsi la tête de la réflexion sur l'évolution de l'Alliance atlantique suite à la fin de la guerre froide et à la sortie de la logique bloc contre bloc.
Lorsque vous estimez que les moyens que nous mobiliserons en faveur de l'Alliance devraient être affectés à l'Europe, permettez-moi de vous dire que vous commettez une erreur majeure, puisqu'il s'agit d'un même réservoir de forces. Les forces françaises resteront totalement indépendantes et autonomes, sous la seule responsabilité du président de la République. En fonction des opérations auxquelles nous déciderons de participer, elles seront mises à la disposition de l'Alliance atlantique ou de l'Union européenne. Il n'est pas question de toucher à ce réservoir unique.
Monsieur le Député, que vous placiez sur le même plan une organisation internationale comme l'UEO et l'Union européenne prouve que nous ne partageons pas la même conception de l'Europe ! Si l'on souhaite que l'Union européenne devienne un jour un ensemble politique capable de parler de politique étrangère et de défense, il ne faut pas confier ces deux domaines à l'UEO !
Certes, l'UEO a été créée il y a cinquante ans. Toutefois, quand on relit les déclarations des dirigeants européens des années 1990, comme Helmut Kohl ou François Mitterrand, on note qu'ils qualifiaient toujours l'UEO de "bras armé pour une politique européenne de sécurité commune". A l'époque, on n'osait pas parler de "défense européenne" : c'était un sujet quasiment tabou.
Quant à la défense antimissile, la France, pour le moment, a uniquement engagé des programmes de défense antimissile de théâtre. La défense antimissile balistique fait actuellement l'objet de discussions au sein de l'Alliance atlantique. Pour le moment, la France y est hostile et s'interroge fortement. Quelle analyse précise de la menace fera-t-on ? Qui aura la clef de cette défense antimissile ? Quel en sera le coût ? Tant que des réponses n'auront pas été apportées à ces questions, la France s'opposera à un tel projet.
Q - (Concernant la position de la France et de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes - De toute évidence, Mesdames et Messieurs les Députés, votre principale interrogation est de savoir si nous sommes à la remorque des Américains. Je vous réponds clairement par la négative.
A vous écouter, Monsieur Boucheron, nous serions les ambassadeurs des Américains. Mais regardez la politique étrangère que nous menons ! En Syrie, nous nous sommes opposés aux Américains. Et l'exemple évoqué par Mme Guigou est encore plus probant puisque, précisément, nous avons refusé qu'un droit d'entrée automatique dans l'OTAN soit accordé à l'Ukraine et à la Géorgie. C'est à la suite de la prise de position de la France et de l'Allemagne que les six pays fondateurs de l'Union européenne se sont déclarés hostiles à cette éventualité.
En Géorgie, la Présidence française et l'ensemble de l'Union européenne se sont interposées et ont arrêté la marche des troupes russes vers Tbilissi. Là aussi, nous n'avons pas toujours eu la même position que les Américains. Ne nous qualifiez donc pas d'ambassadeurs des Etats-Unis !
Toutefois, construire la défense européenne n'est pas chose facile. Les budgets varient considérablement d'un pays à l'autre ; certains bénéficient du "parapluie" américain et ne souhaitent pas y renoncer ; la plupart des opérations militaires communes sont essentiellement composées, pour ce qui est des Européens, de l'Angleterre et de la France, le reste étant constitué de contributions marginales. Bien sûr, il faut convaincre nos partenaires, Lituanie, Lettonie et Estonie comprises, de s'y investir davantage. Mais comment le faire si nous sommes taxés d'antiaméricanisme systématique et si chacune de nos initiatives en faveur de la défense européenne est perçue comme dirigée contre l'OTAN ?
De ce point de vue, le discours de Georges Bush au sommet de Bucarest a été décisif : "Nous comprenons la nécessité d'un pilier européen et d'une défense européenne", a-t-il affirmé. Joe Biden l'a répété avec davantage de lyrisme il y a quelques jours à Munich : non seulement il a accepté l'idée de défense européenne, mais il lui a apporté le soutien des Etats-Unis. Voilà ce que nous recherchons et, contrairement à ce que vous prétendez, cela n'a rien d'idéologique.
A quoi sert l'OTAN ? Tant que nous n'y participerons pas, tant que nous n'aurons pas conçu un nouveau dispositif dans lequel nous ne serons pas systématiquement opposés aux Américains et à ceux qui, comme les anciens pays de l'Est, recherchent une protection, nous n'aboutirons à rien. Dire que l'OTAN a changé et qu'il n'est plus dirigé contre le pacte de Varsovie n'a rien d'extravagant : c'est du bon sens !
Vous voudriez qu'on ne revienne pas sur la décision de 1966 ? Que Pierre Lellouche me permette de citer le propos de François Mitterrand dans son intégralité : il évoquait "une volonté d'isolement fondée sur l'idée que le nationalisme est la vérité de notre temps". Et il ajoutait : "S'il me fallait définir votre politique de façon plus précise, je dirais que c'est une sorte de poujadisme aux dimensions de l'univers".
C'était le même débat, mais à l'époque les positions étaient inversées : il convient de le rappeler.
La défense européenne est fragile, nous en sommes tous d'accord, et il ne sera pas facile de la consolider dans cette période de crise. Ce n'est pas une raison pour renoncer. Pourrions-nous aller plus loin en conservant le dispositif actuel ? Je ne le crois pas.
Quant au dialogue avec d'autres pays, le Dialogue méditerranéen de l'OTAN, lancé en 1994, a permis d'instaurer un partenariat avec l'Algérie, l'Egypte, Israël, la Jordanie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Il a été complété par l'Initiative de coopération d'Istanbul. Par ailleurs, des contacts ont été établis avec les grandes puissances d'Asie et avec les pays émergents. Certes, c'est insuffisant, mais cela a le mérite d'exister.
Enfin, prenez deux pays géographiquement et politiquement aussi différents que l'Espagne et la Pologne : ils sont tous les deux d'accord pour construire la défense européenne sans s'opposer à l'OTAN. Nous ne sommes pas les seuls ! Pour définir à quels nouveaux dangers nous devrons faire face, il nous faut participer à la réflexion commune. Rester, comme actuellement, à l'extérieur, serait insuffisant.
Q - (Au sujet d'une éventuelle remise en cause de l'indépendance et de l'originalité de la politique française dans cette démarche)
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - La démarche actuelle ne remet absolument pas en cause notre indépendance. S'engager dans une opération militaire relève en effet d'une décision politique nationale souveraine. De même, chaque pays membre de l'Alliance fixe, par l'intermédiaire des caveat, les conditions d'engagement opérationnel de ses forces, ainsi que de leur équipement. En Afghanistan, les forces françaises restent ainsi en permanence sous l'autorité politique du président de la République, chef des armées.
En outre, je me permets de vous signaler que depuis six ou sept ans, nous participons aux forces de réserve stratégiques ainsi qu'à la force de réaction rapide de l'OTAN, et que nous avons fait certifier tous nos commandements, sous des gouvernements de gauche comme de droite. Toutes ces démarches ont été faites sans jamais être perçues comme une remise en cause de notre indépendance !
Par ailleurs, Alain Jupp?? était Premier ministre en 1996, alors que nous étions sur le point de réintégrer l'OTAN pour obtenir un seul commandement, celui de Naples.
Enfin, relisez la déclaration du Général de Gaulle en 1966 : elle concernait, premièrement, la question du nucléaire, deuxièmement, la présence de forces étrangères en France et l'utilisation de notre espace aérien par des forces militaires étrangères, troisièmement, la territorialisation des forces françaises dans un système totalement intégré et automatique. Aujourd'hui, l'Alliance atlantique est non seulement un système de sécurité globale pour les Européens, mais aussi une force de maintien de la paix au service de l'ONU. Le Général de Gaulle avait pris la décision de sortir de l'OTAN en raison d'une modification du contexte géostratégique. Depuis, celui-ci a encore changé : il y a eu 1989 et la chute du mur de Berlin.
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes. Je tiens à vous rassurer. Lors du déclenchement de l'intervention américaine en Irak, j'ai publié un article qui s'appelait : "Non à Saddam, non à la guerre" et qui défendait la position inverse de celle que vous me prêtez, puisque je réclamais l'intervention de l'ONU. Je vous le ferai parvenir.
Monsieur Fabius, nous avons déjà entamé une réflexion. Toutefois, elle ne prendra sa véritable ampleur qu'après le sommet de Strasbourg-Kehl, dans la mesure où, comme l'a dit M. Fromion, nous pourrons alors mieux défendre nos positions en faveur de la défense européenne.
La Russie pourrait-elle être membre de l'OTAN ? Elle ne le demande pas. En revanche, il existe une instance de réflexion et d'action conjointes, le conseil OTAN-Russie, dont nous nous sommes efforcés d'obtenir la poursuite des travaux. En outre, la France a accueilli avec beaucoup d'intérêt la proposition de sécurité européenne du président Medvedev. Nous souhaitons que ce dialogue se poursuive.
Quant à la lutte contre le terrorisme, elle est contenue dans le texte même du concept stratégique de l'OTAN. C'est déjà une réalité. L'opération "Active Endeavour", en Méditerranée, est ainsi une opération antiterroriste. Il ne s'agit pas pour autant du but suprême de l'Alliance qui reste, selon les termes très précis de l'article 5 du Traité de Washington, la défense du territoire des pays membres.
Enfin, à l'heure actuelle, aucune des missions de l'OTAN n'est conduite hors d'un mandat de l'ONU. Ainsi, les opérations au Kosovo et en Afghanistan se font en application de résolutions du Conseil de sécurité.
Je le répète, le monde a changé : il convient, afin de garantir l'indépendance et la sécurité de la France et de l'Europe, de changer avec lui.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2009
Q - Monsieur le Ministre des Affaires étrangères et européennes, comment, selon vous, les missions de l'OTAN doivent-elles évoluer ?
R - M. Hervé Morin, ministre de la Défense - Pour ce qui concerne tout d'abord l'"européanisation" de l'OTAN, la démarche du président de la République est extrêmement claire et a été annoncée dès son entrée en fonction : il s'agit, d'une part, de construire l'Europe de la défense et, d'autre part, de permettre aux Européens de devenir en quelque sorte "adultes" en matière de sécurité et de défense pour participer davantage à l'Alliance atlantique, tout en faisant justice de l'idée, répandue chez la plupart de nos collègues européens, selon laquelle la France voudrait promouvoir l'Europe de la défense contre l'Alliance atlantique.
Tous ceux qui, autour de cette table, ont exercé des responsabilités ou connaissent les relations européennes savent en effet que la plupart des Européens - sinon la totalité d'entre eux - voient dans l'Alliance atlantique le système qui assure leur sécurité collective depuis 1949. Plus encore que le camp occidental traditionnel, les pays qui ont rejoint l'Union européenne depuis la chute du mur de Berlin la considèrent comme la garantie de sécurité de leur indépendance. La démarche du président de la République a donc consisté à convaincre nos partenaires européens que la construction de l'Europe de la défense soutenue par la France donnait à l'Europe une capacité autonome de mener des opérations militaires - comme celle qui est actuellement engagée, sous le commandement d'un amiral britannique, contre la piraterie dans le golfe d'Aden.
Il s'agit également de faire sortir les Européens de l'infantilisation dans laquelle ils sont plongés depuis longtemps et de leur faire prendre conscience que l'Europe que nous voulons n'est pas dirigée contre l'Alliance atlantique. Lever ce doute était indispensable pour que l'Europe de la défense puisse progresser.
L'Europe s'est construite en renonçant aux instruments traditionnels de la puissance et a été conçue comme une école de paix et de stabilité, comme une puissance normative, et non comme une puissance militaire. Jusqu'au milieu des années 1990, aucune déclaration politique des chefs d'État et de gouvernement n'évoque même le terme d'"Europe de la défense". Des avancées importantes ont été réalisées dans ce sens durant la présidence française de l'Union européenne, qui se traduisent en particulier par le lancement du programme d'imagerie spatiale MUSIS, la mise en oeuvre d'un programme de rénovation des hélicoptères, la mise en place d'une flotte commune de transport tactique répondant à un besoin criant, l'élaboration d'un plan d'évacuation des ressortissants européens en cas de crise, la création d'un réseau permettant de mutualiser la surveillance et la protection des côtes européennes de la Baltique à la Méditerranée et le lancement de programmes tels que l'ERASMUS militaire, qui permet aux officiers de tous les pays de suivre une partie de leur formation dans un autre pays.
Je le répète, le président de la République souhaite convaincre les Européens que la construction de l'Europe de la défense ne se fait pas contre l'Alliance atlantique. Les Européens doivent devenir responsables de leur propre sécurité et ne pas la faire reposer sur les autres. La montée en puissance de l'Europe de la défense nous permettra de peser davantage au sein de l'Alliance atlantique et de nous inscrire dans un rapport plus équilibré avec nos alliés et nos amis américains.
J'en viens à la question des postes. Indépendamment des questions politiques, qui seront étudiées en leur temps, le retour de la France au sein du commandement intégré se traduira par la participation au comité des plans de défense, dont la France est aujourd'hui absente, et par un net renforcement de la présence française dans les états-majors. Si cette présence devait être comparable à celle des autres pays participant au commandement intégré, on compterait environ 900 militaires français dans ses différentes structures, contre 100 actuellement. La négociation de postes de responsabilité est menée au plus haut niveau avec les chefs d'Etat et de gouvernement concernés. Le symbole de l'européanisation de l'OTAN serait bien évidemment que soient confiés à des Français des postes aujourd'hui occupés par des Américains - ce qui est précisément le cas du commandement opérationnel de Lisbonne et du commandement stratégique de Norfolk, que vous évoquez.
R - M. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes - Aujourd'hui, les deux postes de commandement dit "suprême" de l'Alliance - celui de Mons, opérationnel, et celui de Norfolk, stratégique et consacré aux missions, aux équipements et aux risques du futur -, sont détenus par des Américains. Si l'un était confié à la France, je confirme que cela serait un grand pas en avant pour l'européanisation de l'Alliance.
Pour ce qui est des missions, la France a participé à une place de choix à toutes celles qui ont été mises en oeuvre par l'OTAN. Qu'il s'agisse en effet de la Bosnie, du Kosovo, de l'opération "Active Endeavour" en Méditerranée ou de l'Afghanistan, notre pays se situe au deuxième ou troisième rang - au quatrième tout au plus - en termes de forces déployées sur le terrain.
La participation au commandement intégré fait cependant une grande différence. En effet, lorsque la France, avant même de participer à la force terrestre envoyée au Kosovo, a décidé de s'associer à l'opération de pression aérienne exercée sur la Serbie depuis la Méditerranée, nous ignorions tout, malgré quelques accords comme jadis l'accord Ailleret-Lemnitzer, des plans stratégiques et, une fois la décision prise, c'est le commandant suprême - le SACEUR - qui a remis les plans au général Jean-Pierre Kelche. Aujourd'hui, nous sommes, si je puis dire, dans la situation où nous avons le choix du casting et de la mise en scène, mais nous ne connaissons pas le scénario. C'est ce à quoi nous voulons remédier en réintégrant le comité des plans de défense et le commandement intégré : non seulement nous saurons ce qui se prépare, mais nous le préparerons avec les autres. Quant au groupe des plans nucléaires, il n'est pas question de remettre en cause la totale autonomie de la force nucléaire française.
Comme en témoignent les éléments cités par M. Morin, l'Europe dispose d'ores et déjà d'une vraie capacité d'intervention. Le succès des nombreuses missions conduites par l'Union européenne le démontre. La plus importante d'entre elles, la mission EUFOR, menée au Tchad et en RCA, qui a mis sur le terrain 4.500 hommes issus de 17 contingents nationaux européens et qui sera relayée le 15 mars par une force des Nations unies, a été engagée sans rien demander aux Américains. Depuis la mise en oeuvre de cette opération de maintien de la paix, on n'a pas observé une seule intrusion des Janjaweed venus du Soudan - bien qu'il eût été nettement préférable de prévoir une force de l'ONU plus importante de l'autre côté de la frontière. Voilà une opération typique, que seuls les Européens pouvaient réaliser. De même, c'est l'Union européenne seule qui a déployé en trois semaines 300 observateurs en Géorgie. C'est l'Europe encore qui a déployé au Kosovo - après bien des difficultés, certes, mais avec un certain succès - 2.000 responsables de EULEX, au nord de Mitrovica et jusqu'aux frontières de la Serbie. Ces opérations de maintien de la paix font généralement suite à des opérations des Nations unies, ou en font partie.
Si tout se passe comme nous le souhaitons, la réflexion stratégique portera, à partir du sommet de Strasbourg-Kehl, sur ce que sera l'OTAN du XXIe siècle. De fait, sur 26 alliés, 21 sont membres de l'Union européenne. Cela n'enlève rien, du reste, à l'importance des Etats-Unis, car l'immense majorité des forces est américaine. Cependant, nous pèserons beaucoup plus que par le passé, où notre seul poids était lié à la participation à des missions que nous n'avions pas contribué à définir au départ. Ce sommet devrait également engager une réflexion sur les missions de l'OTAN dans ce monde globalisé, nécessairement différentes de la mission initiale de l'OTAN qui était directement liée à l'existence du pacte de Varsovie.
Je vais vous expliquer la raison pour laquelle il ne faut plus employer le mot "intégration". J'observe que le refus du Général de Gaulle portait sur une intégration fixée d'avance, qui devait conduire nos armées à participer très rapidement, avec d'autres forces, à une éventuelle réaction contre les troupes du pacte de Varsovie - et, à cet égard, je ne rappellerai pas les expressions employées par la gauche et par le centre lors du débat de censure qui a suivi la décision du Général de Gaulle de quitter le commandement intégré ! Il n'est plus question aujourd'hui d'une telle intégration automatique, non seulement parce qu'il n'y a plus de pacte de Varsovie, mais aussi parce que, quelles que soient les missions envisagées, une décision à l'unanimité est nécessaire. Ainsi, la décision prise par l'Allemagne, qui faisait pourtant partie du commandement intégré de l'OTAN, de ne pas participer à ce qui aurait pu être une opération de l'OTAN en Irak a eu pour effet de bloquer toute intervention de l'Alliance - et cela ne l'a pas empêchée, politiquement, de s'opposer à la décision américaine. De même, au sommet de Bucarest, notre décision de ne pas accepter la perspective d'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie a donné lieu à une rude bataille contre les Américains mais s'est bien soldée par un refus. En décembre dernier, à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères ont mené une nouvelle bataille contre l'administration sortante du président Bush et nous n'avons pas cédé. Nous sommes individuellement responsables de l'utilisation de nos troupes et jamais personne, comme l'a répété le président de la République et comme vient de le redire Hervé Morin, ne nous forcera à les utiliser.
Il conviendra bien évidemment de débattre de ce que devront être dans l'avenir les activités de l'OTAN. La lutte contre le terrorisme, les problèmes de pauvreté liés au changement climatique, par exemple, feront-ils partie de ses missions ? La mission actuelle, qui consiste à défendre collectivement le territoire des membres de l'OTAN contre toutes les invasions et menaces extérieures, peut évoluer et évoluera dans sa mise en oeuvre.
Les actions auxquelles participe actuellement la France - en Bosnie hier, au Kosovo et en Afghanistan actuellement - sont toutes des missions des Nations unies, régies par des résolutions du Conseil de sécurité. Lorsque l'Union européenne a décidé de lancer des missions comme EULEX ou EUFOR, elle n'a pas demandé la permission à l'OTAN. C'est la démonstration de l'autonomie et de la force croissante des décisions européennes et de leur application. Le champ est très vaste. Les tâches de l'OTAN ne sont pas celles d'une Europe qui change, d'une Europe qui prend conscience d'elle-même et de la nécessité de se protéger.
Quant à l'élargissement, il ne faut pas multiplier exagérément les possibilités d'adhésion. Ce n'est pas un hasard si la première aspiration de tous les pays anciennement communistes, comme les pays baltes ou la Pologne, a été de demander l'adhésion à l'OTAN. Je ne pense pas qu'il faille pour autant accepter tout le monde. Il faut certainement conserver le Conseil qui, sous l'autorité du secrétaire général, est chargé de maintenir des relations avec la Russie. La France s'intéresse d'ailleurs aux propositions du président Medvedev sur la sécurité européenne, et j'espère qu'il en ira de même pour l'Europe et pour l'OTAN. Développer les contacts avec la Russie est nécessaire mais cela ne signifie pas pour autant que cette dernière doive adhérer dès maintenant à l'OTAN, même si cette adhésion est peut-être une perspective envisageable.
Q - Monsieur le Ministre de la Défense, pouvez-vous nous indiquer le coût du retour de la France dans le commandement intégré, tant sur le plan financier que sur celui des effectifs ?
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - En année pleine et si l'on prend pour référence la présence britannique, qui est la plus importante, l'effectif se situerait à 900 hommes environ. Il n'est évidemment pas question que tous ces personnels arrivent d'un coup dans les états-majors. Au terme de la montée en puissance progressive, le coût supplémentaire annuel serait de 80 millions d'euros.
Les économies devraient résulter de la réorganisation engagée par l'Alliance atlantique à la demande de la France, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, afin d'alléger sa structure, qui occupe aujourd'hui 13.000 hommes. Mais si ces trois pays souhaitent réellement cette réorganisation afin de réaliser des économies de fonctionnement, les autres Etats, de moindre dimension sur le plan militaire, sont très attachés au maintien de l'ensemble des structures.
Q - (A propos de l'alliance Amérique et Europe en tant qu'entité)
Q - (Au sujet de l'avenir de la construction d'une Europe de la défense autonome)
Q - (Concernant la stratégie de l'OTAN)
Q - (A propos de l'avenir de l'Union de l'Europe Occidentale dans ce dispositif)
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - Monsieur le Député, je vous rappelle ce que prévoit l'article 42, alinéa 7 du Traité de Lisbonne : "Au cas où un Etat membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. (...) Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre". Les Européens considèrent donc que leur sécurité ne dépend pas seulement de la construction de l'Europe de la défense, mais aussi du système de sécurité collective établi par le traité de l'Atlantique Nord, auquel nous participons depuis 1949 et que nous n'avons jamais dénoncé.
Certes, les Européens se trouvent dans une position de vassalité militaire, parce que, à l'exception des Français et des Britanniques, ils ne consacrent pas à la défense suffisamment de moyens. Toutefois, vouloir construire, par l'Europe de la défense, une alliance de pays européens susceptibles de prendre leurs propres responsabilités n'est pas contradictoire avec une participation à l'Alliance atlantique : le Traité de Lisbonne indique clairement que les deux institutions participent d'une démarche conjointe visant à assurer la sécurité collective du continent européen. Il ne s'agit pas de jouer l'une contre l'autre, mais l'une avec l'autre.
Madame la Députée, je suis d'accord avec vous sur certains points. En effet, l'Alliance atlantique n'a pas vocation à s'étendre indéfiniment ; en particulier, si elle continue à se rapprocher des frontières russes, cela risque de renforcer en Russie un sentiment traditionnel d'encerclement. Et en effet, l'Alliance atlantique a besoin, non de se bâtir une frontière, puisqu'elle n'est pas un ensemble politique, mais de s'interroger sur ses limites géographiques.
Elle doit aussi, comme le soulignait Bernard Kouchner, s'interroger sur ses missions. Doit-elle participer à la lutte contre le terrorisme, devenir une organisation globale, s'engager dans l'aide au développement, s'occuper de la défense antimissile ? Ces questions restent ouvertes. L'organe qui, au sein de l'Alliance, s'occupe de la "transformation", c'est-à-dire de définir les concepts stratégiques, la planification et les missions de l'organisation, c'est ACT, à Norfolk. Or c'est précisément l'un des commandements dont nous pourrions hériter. Nous prendrions ainsi la tête de la réflexion sur l'évolution de l'Alliance atlantique suite à la fin de la guerre froide et à la sortie de la logique bloc contre bloc.
Lorsque vous estimez que les moyens que nous mobiliserons en faveur de l'Alliance devraient être affectés à l'Europe, permettez-moi de vous dire que vous commettez une erreur majeure, puisqu'il s'agit d'un même réservoir de forces. Les forces françaises resteront totalement indépendantes et autonomes, sous la seule responsabilité du président de la République. En fonction des opérations auxquelles nous déciderons de participer, elles seront mises à la disposition de l'Alliance atlantique ou de l'Union européenne. Il n'est pas question de toucher à ce réservoir unique.
Monsieur le Député, que vous placiez sur le même plan une organisation internationale comme l'UEO et l'Union européenne prouve que nous ne partageons pas la même conception de l'Europe ! Si l'on souhaite que l'Union européenne devienne un jour un ensemble politique capable de parler de politique étrangère et de défense, il ne faut pas confier ces deux domaines à l'UEO !
Certes, l'UEO a été créée il y a cinquante ans. Toutefois, quand on relit les déclarations des dirigeants européens des années 1990, comme Helmut Kohl ou François Mitterrand, on note qu'ils qualifiaient toujours l'UEO de "bras armé pour une politique européenne de sécurité commune". A l'époque, on n'osait pas parler de "défense européenne" : c'était un sujet quasiment tabou.
Quant à la défense antimissile, la France, pour le moment, a uniquement engagé des programmes de défense antimissile de théâtre. La défense antimissile balistique fait actuellement l'objet de discussions au sein de l'Alliance atlantique. Pour le moment, la France y est hostile et s'interroge fortement. Quelle analyse précise de la menace fera-t-on ? Qui aura la clef de cette défense antimissile ? Quel en sera le coût ? Tant que des réponses n'auront pas été apportées à ces questions, la France s'opposera à un tel projet.
Q - (Concernant la position de la France et de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis)
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes - De toute évidence, Mesdames et Messieurs les Députés, votre principale interrogation est de savoir si nous sommes à la remorque des Américains. Je vous réponds clairement par la négative.
A vous écouter, Monsieur Boucheron, nous serions les ambassadeurs des Américains. Mais regardez la politique étrangère que nous menons ! En Syrie, nous nous sommes opposés aux Américains. Et l'exemple évoqué par Mme Guigou est encore plus probant puisque, précisément, nous avons refusé qu'un droit d'entrée automatique dans l'OTAN soit accordé à l'Ukraine et à la Géorgie. C'est à la suite de la prise de position de la France et de l'Allemagne que les six pays fondateurs de l'Union européenne se sont déclarés hostiles à cette éventualité.
En Géorgie, la Présidence française et l'ensemble de l'Union européenne se sont interposées et ont arrêté la marche des troupes russes vers Tbilissi. Là aussi, nous n'avons pas toujours eu la même position que les Américains. Ne nous qualifiez donc pas d'ambassadeurs des Etats-Unis !
Toutefois, construire la défense européenne n'est pas chose facile. Les budgets varient considérablement d'un pays à l'autre ; certains bénéficient du "parapluie" américain et ne souhaitent pas y renoncer ; la plupart des opérations militaires communes sont essentiellement composées, pour ce qui est des Européens, de l'Angleterre et de la France, le reste étant constitué de contributions marginales. Bien sûr, il faut convaincre nos partenaires, Lituanie, Lettonie et Estonie comprises, de s'y investir davantage. Mais comment le faire si nous sommes taxés d'antiaméricanisme systématique et si chacune de nos initiatives en faveur de la défense européenne est perçue comme dirigée contre l'OTAN ?
De ce point de vue, le discours de Georges Bush au sommet de Bucarest a été décisif : "Nous comprenons la nécessité d'un pilier européen et d'une défense européenne", a-t-il affirmé. Joe Biden l'a répété avec davantage de lyrisme il y a quelques jours à Munich : non seulement il a accepté l'idée de défense européenne, mais il lui a apporté le soutien des Etats-Unis. Voilà ce que nous recherchons et, contrairement à ce que vous prétendez, cela n'a rien d'idéologique.
A quoi sert l'OTAN ? Tant que nous n'y participerons pas, tant que nous n'aurons pas conçu un nouveau dispositif dans lequel nous ne serons pas systématiquement opposés aux Américains et à ceux qui, comme les anciens pays de l'Est, recherchent une protection, nous n'aboutirons à rien. Dire que l'OTAN a changé et qu'il n'est plus dirigé contre le pacte de Varsovie n'a rien d'extravagant : c'est du bon sens !
Vous voudriez qu'on ne revienne pas sur la décision de 1966 ? Que Pierre Lellouche me permette de citer le propos de François Mitterrand dans son intégralité : il évoquait "une volonté d'isolement fondée sur l'idée que le nationalisme est la vérité de notre temps". Et il ajoutait : "S'il me fallait définir votre politique de façon plus précise, je dirais que c'est une sorte de poujadisme aux dimensions de l'univers".
C'était le même débat, mais à l'époque les positions étaient inversées : il convient de le rappeler.
La défense européenne est fragile, nous en sommes tous d'accord, et il ne sera pas facile de la consolider dans cette période de crise. Ce n'est pas une raison pour renoncer. Pourrions-nous aller plus loin en conservant le dispositif actuel ? Je ne le crois pas.
Quant au dialogue avec d'autres pays, le Dialogue méditerranéen de l'OTAN, lancé en 1994, a permis d'instaurer un partenariat avec l'Algérie, l'Egypte, Israël, la Jordanie, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie. Il a été complété par l'Initiative de coopération d'Istanbul. Par ailleurs, des contacts ont été établis avec les grandes puissances d'Asie et avec les pays émergents. Certes, c'est insuffisant, mais cela a le mérite d'exister.
Enfin, prenez deux pays géographiquement et politiquement aussi différents que l'Espagne et la Pologne : ils sont tous les deux d'accord pour construire la défense européenne sans s'opposer à l'OTAN. Nous ne sommes pas les seuls ! Pour définir à quels nouveaux dangers nous devrons faire face, il nous faut participer à la réflexion commune. Rester, comme actuellement, à l'extérieur, serait insuffisant.
Q - (Au sujet d'une éventuelle remise en cause de l'indépendance et de l'originalité de la politique française dans cette démarche)
R - Hervé Morin, ministre de la Défense - La démarche actuelle ne remet absolument pas en cause notre indépendance. S'engager dans une opération militaire relève en effet d'une décision politique nationale souveraine. De même, chaque pays membre de l'Alliance fixe, par l'intermédiaire des caveat, les conditions d'engagement opérationnel de ses forces, ainsi que de leur équipement. En Afghanistan, les forces françaises restent ainsi en permanence sous l'autorité politique du président de la République, chef des armées.
En outre, je me permets de vous signaler que depuis six ou sept ans, nous participons aux forces de réserve stratégiques ainsi qu'à la force de réaction rapide de l'OTAN, et que nous avons fait certifier tous nos commandements, sous des gouvernements de gauche comme de droite. Toutes ces démarches ont été faites sans jamais être perçues comme une remise en cause de notre indépendance !
Par ailleurs, Alain Jupp?? était Premier ministre en 1996, alors que nous étions sur le point de réintégrer l'OTAN pour obtenir un seul commandement, celui de Naples.
Enfin, relisez la déclaration du Général de Gaulle en 1966 : elle concernait, premièrement, la question du nucléaire, deuxièmement, la présence de forces étrangères en France et l'utilisation de notre espace aérien par des forces militaires étrangères, troisièmement, la territorialisation des forces françaises dans un système totalement intégré et automatique. Aujourd'hui, l'Alliance atlantique est non seulement un système de sécurité globale pour les Européens, mais aussi une force de maintien de la paix au service de l'ONU. Le Général de Gaulle avait pris la décision de sortir de l'OTAN en raison d'une modification du contexte géostratégique. Depuis, celui-ci a encore changé : il y a eu 1989 et la chute du mur de Berlin.
R - Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères et européennes. Je tiens à vous rassurer. Lors du déclenchement de l'intervention américaine en Irak, j'ai publié un article qui s'appelait : "Non à Saddam, non à la guerre" et qui défendait la position inverse de celle que vous me prêtez, puisque je réclamais l'intervention de l'ONU. Je vous le ferai parvenir.
Monsieur Fabius, nous avons déjà entamé une réflexion. Toutefois, elle ne prendra sa véritable ampleur qu'après le sommet de Strasbourg-Kehl, dans la mesure où, comme l'a dit M. Fromion, nous pourrons alors mieux défendre nos positions en faveur de la défense européenne.
La Russie pourrait-elle être membre de l'OTAN ? Elle ne le demande pas. En revanche, il existe une instance de réflexion et d'action conjointes, le conseil OTAN-Russie, dont nous nous sommes efforcés d'obtenir la poursuite des travaux. En outre, la France a accueilli avec beaucoup d'intérêt la proposition de sécurité européenne du président Medvedev. Nous souhaitons que ce dialogue se poursuive.
Quant à la lutte contre le terrorisme, elle est contenue dans le texte même du concept stratégique de l'OTAN. C'est déjà une réalité. L'opération "Active Endeavour", en Méditerranée, est ainsi une opération antiterroriste. Il ne s'agit pas pour autant du but suprême de l'Alliance qui reste, selon les termes très précis de l'article 5 du Traité de Washington, la défense du territoire des pays membres.
Enfin, à l'heure actuelle, aucune des missions de l'OTAN n'est conduite hors d'un mandat de l'ONU. Ainsi, les opérations au Kosovo et en Afghanistan se font en application de résolutions du Conseil de sécurité.
Je le répète, le monde a changé : il convient, afin de garantir l'indépendance et la sécurité de la France et de l'Europe, de changer avec lui.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2009