Texte intégral
J.-L. Hees.- Vous êtes notre ministre de la Culture et de la Communication, c'est un beau job, comme on dirait aujourd'hui. On va parler de ces parcours de femmes, puisque Radio Classique a décidé de devancer un petit peu la Journée de la femme qui a lieu dimanche, mais ce n'est pas plus mal le vendredi non plus. J'aurais bien aimé d'abord, avoir votre sentiment sur ce genre de manifestation, parce que, au fond, il y a la journée des grands-mères, il y a la journée de ceci, de cela, et la Journée de la femme est là. Enfin, il y a une journée spéciale tous les jours. Est-ce que cela reste tout de même un symbole qui vous parle ?
Je crois que c'est en effet un symbole. C'est vrai qu'on aimerait qu'à un moment, il n'y ait plus de Journée de la femme.
Que ce soit tous les jours, ce serait pas mal...
Voilà, ou qu'il n'y en ait plus, tout simplement, parce qu'il n'y aurait pas nécessité effectivement d'avoir un moment dans l'année où l'on regarde peut-être la situation des femmes. Moi, c'est vrai que par nature, je suis toujours un petit peu réservée sur les journées de ceci, les journées de cela. Parce que c'est un peu daté en fait, par rapport à l'évolution de la société. Mais c'est vrai qu'il y a aussi l'évolution un peu théorique et puis il y a les faits. Et c'est vrai que les femmes sont très présentes, le sont de plus en plus. Mais il y a quand même encore des conquêtes, il y a encore beaucoup de secteurs où elles pourraient l'être davantage, y compris d'ailleurs dans le domaine culturel, finalement. Parce que je prends le spectacle vivant, il n'y a pas tellement de femmes qui en fait dirigent des lieux. Par exemple il y a, M. Mayette qui dirige maintenant la Comédie française. Personnellement, j'ai nommé D. Hervieu à Chaillot, j'ai nommé J. Brochen à Strasbourg. Dans la danse, par contre, il y a beaucoup plus de femmes, naturellement, on pense à M. Monnier, M. Marin, etc. Mais finalement, il y a quand même encore beaucoup de grandes disparités. Elles sont plutôt par exemple dans le domaine culturel, plutôt professeurs, plutôt conservatrices, plutôt etc. Que, par exemple, scénaristes, que réalisatrices de cinéma. Donc cela veut dire que dans tous ces lieux, il y a encore du chemin et c'est intéressant peut-être de le souligner, de regarder, d'en avoir conscience tout simplement.
Cela fait une petite piqûre de rappel tous les ans.
Voilà, exactement.
C'est peut-être nécessaire. Alors, on peut regarder la bouteille à moitié vide, à moitié pleine, mais les choses évoluent, les sociétés évoluent. Alors il y a une crise en ce moment, donc ce n'est pas très favorable à l'emploi évidemment. Et je regardais hier des chiffres qui montrent que l'emploi des femmes baisse en ce moment. Donc c'est lié à cette crise, mais tout de même, est-ce qu'elles sont plus victimisées, à votre avis, par cette violence économique ?
Que fait la crise ? La première conséquence de la crise, c'est que l'on va réduire quoi ? On va réduire l'intérim, tout ce qui est un petit peu précaire. On va réduire les CDD bien sûr, et il est clair qu'il y a beaucoup de femmes qui sont dans des situations effectivement précaires. Et comme, actuellement, nous avons tout ce phénomène des familles monoparentales, il est sûr qu'elles sont plus exposées encore à la pauvreté, au phénomène de pauvreté. Et c'est normal qu'il y ait une mobilisation maximum autour d'elles, parce qu'on voit bien qu'en effet, la crise fait que les femmes sont certainement les premières victimes.
Alors on va parler politique aussi, vous êtes ministre de la République, donc, vous savez ce que c'est que la politique. On dit, à propos de vous, que c'est un virus qui est venu, très, très, très, très jeune. C'est une légende ou c'est vrai ?
C'est-à-dire, est-ce que aimer Balzac par exemple, est-ce que l'on peut dire que c'est un virus politique ?
Oui !
C'est en tout cas l'ébauche, le terreau favorable. C'est vrai que j'ai toujours été intéressée en effet, par ce grand théâtre finalement. C'est vrai que je suis arrivée à l'Elysée un peu par hasard, j'avais 23 ans. Et puis, je suis restée très longtemps, mais plus dans des postes de conseiller que dans des positions de décisionnaire direct. C'est à Versailles en fait, que pour la première fois j'ai vraiment dirigé quelque chose, pris vraiment des décisions dont je voyais, après, pleinement l'effet. Et j'ai trouvé ça, évidemment complètement passionnant.
Autrement dit, c'est un peu plus difficile pour une femme non dans ce milieu masculin, enfin essentiellement masculin ?
Ce qui est difficile sans doute, c'est de franchir le premier plafond de verre, parce que c'est peut-être là, qu'est la difficulté. Une fois qu'il est franchi, après on va penser, spontanément aux femmes que l'on connaît. Et souvent ces femmes que l'on connaît, après on va les retrouver dans beaucoup de lieux, mises très souvent à l'honneur. Donc la difficulté, c'est le premier étage, ce n'est pas le quatrième ou le cinquième.
Enfin, vous connaissez mieux votre parcours que moi, mais tout de même - parce que vous avez longtemps travaillé avec J. Chirac, aussi bien à la mairie de Paris qu'à l'Elysée -,pourquoi ne vous a-t-il pas nommée ministre de la Culture ? Au fond, vous aviez la légitimité...
Peut-être qu'il trouvait que je n'étais pas prête complètement. Mais c'est surtout parce que je pense que J. Chirac, comme beaucoup de personnalités politiques, on met un peu les gens aussi dans des profils, dans des cases. Et pour lui, j'étais une conseillère culture et éducation, j'étais aussi une plume - enfin, je lui ai écrit un certain nombre de discours...
Un nègre...
Oui, c'est ça, je lui ai écrit un certain nombre de discours. Donc je crois qu'il y a la difficulté à imaginer quelqu'un qui est proche, autre que dans la fonction qu'il occupe, et qui en plus vous est utile. Parce qu'on n'a pas forcément très envie de voir partir les gens. Et moi, j'ai quitté l'Elysée en 2000, effectivement, c'était pour le Conseil d'Etat à l'époque.
Il y a ces discours, donc il y a un discours fameux qui était le discours qu'il avait prononcé pour l'anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv, ça c'est des grandes satisfactions pour vous ?
Oui. En tout cas, c'est vrai que je suis heureuse. Je suis fière d'avoir pu participer et d'avoir fait ce discours. Parce que, encore une fois, c'est un discours qu'il voulait faire, qu'il voulait dire et qui a marqué une véritable étape qui a été une césure, la reconnaissance par l'Etat français de ce qui s'était passé pendant l'Occupation. Cela a été très, très important et cela a été après le point de départ de la par exemple de la Fondation pour la Shoah, qui s'est ensuite créée, et de tout un mouvement de réparation et au fond, d'appropriation par le pays de sa propre histoire. Donc ça c'est vrai, je crois que c'était un moment important.
Je ne sais pas à quoi ressemble la scène, quand un président de la République travaille avec sa plume. Donc il vous connaissait, il a confiance en vous, mais on apporte beaucoup, beaucoup ? Enfin qu'est-ce qu'on sent à ce moment-là, à part le talent d'écriture ?
Vous savez, ça c'est un souvenir assez particulier, parce que la plupart du temps, il y avait des relectures à plusieurs. En fait, on était souvent, surtout à l'Elysée, à peu près huit ou dix autour de la table. Alors que là, comme en fait c'était l'inauguration d'une plaque, et donc on s'est retrouvé tous les deux dans son bureau pour lire ce discours, pour travailler sur ce discours. Et donc, j'en ai un souvenir vraiment assez fort, parce qu'on voyait bien que c'était un discours qui avait une importance. Et nous n'étions en fait que tous les deux pour le relire et travailler dessus.
Je vous pose la question, parce que je me demande à partir de quel moment, on se dit "je ne suis pas une femme exceptionnelle, mais je fais un parcours d'exception" ? Je suis femme et c'est un peu plus compliqué manifestement, je crois que cela a quand même pas mal de difficultés. On vous a vu d'ailleurs beaucoup pendant la réforme de l'audiovisuel public, soutenir le choc à l'Assemblée. Donc on se dit, est-ce qu'ils se conduiraient comme ça avec un homme ? Peut-être que oui...
Oui... Disons, la difficulté peut-être pour une femme, vous êtes plus exposée encore qu'un homme, en fait c'est plutôt ça. C'est-à-dire à la fois, parce que vous êtes aussi une femme, vous pouvez représenter des choses peut-être en plus, ce qui fait que l'équation de votre nomination va être peut-être plus diverse finalement que celle d'un homme. Mais la contrepartie c'est qu'on va aussi vous regarder. Et si vous êtes en plus le ministre de la Culture et de la Communication c'est en soi, une fonction assez publique, assez exposée. Et vous allez l'être encore davantage. Ce qui fait que par exemple, il y a eu des réflexions sur la façon dont j'étais coiffée, sur l'habillement, sur ceci, sur cela. Il y a peut-être plus de sévérité et plus de vacheries peut-être que pour un homme, que l'on observe moins, tout simplement. Enfin, il y a peut-être moins d'attention portée. Sur la réforme de l'audiovisuel, je crois qu'il y avait un côté très politique, évidemment. Il y a eu d'ailleurs une obstruction très importante de l'opposition. On voit bien d'ailleurs avec la décision du Conseil constitutionnel que beaucoup des accusations portées n'avaient vraiment pas de fondement. Bon, c'est vrai que cela a été dur, mais moi ce n'était pas en tant que femme, je ne me suis pas sentie spécialement attaquée. Mais par contre, c'est vrai que cela a été dur.
On va faire un petit arrêt sur image, enfin, un petit retour en arrière. Vous êtes agrégée de philo... de Lettres, pardon. Et vous avez, alors ça, cela m'a fait sourire, je me suis dit : "elle est agrégée de Lettres et puis elle se retrouve à enseigner dans un lycée technique". Mais pourquoi pas, d'ailleurs tant mieux, il faut de bons enseignants dans les lycées techniques.
Entre autres ! Mais je me dis, bon, vous êtes une femme ambitieuse, sinon, vous ne seriez pas là. Donc comment est-ce qu'on envisage, enfin quelle perspective on a ? En plus, je crois que vous avez un enfant, un grand garçon maintenant. Donc il faut élever son fils, il faut faire carrière, il y a ce virus politique dont on parlait tout à l'heure. Est-ce qu'il faut serrer les dents simplement, ou se dire, "après tout, c'est pour tout le monde pareil, femme, pas femme, femme ou homme c'est pareil !" ?
D'abord je pense que moi, j'ai quand même été en situation privilégiée, malgré tout. C'est-à-dire que pour élever mon fils, j'ai pu être un petit peu aidée, beaucoup de femmes ne le sont pas. Mais c'est vrai qu'il a toujours été prioritaire, c'est-à-dire que je suis toujours rentrée assez tôt...
On dit que vous êtes une mère poule, oui...
Oui, j'ai toujours été chez moi tous les soirs à 7 heures et demie...Alors je ne pourrais plus le faire en tant que ministre. C'est vrai que la fonction de ministre, en fait, fait que vous êtes dépossédé de votre temps, très, très largement. Et cela me parait complexe et je pense à celles qui ont des enfants petits. Parce que moi, mon fils avait 18 ans quand j'ai été nommée, ce n'est pas la même chose naturellement. Mais pendant très longtemps, c'est vrai, j'ai essayé d'être là les week-ends et quand il y avait des réunions les week-ends, j'étais la seule à protester autour de la table, et qu'on disait : "mais est-ce qu'il y a quelqu'un que cela gêne ?". Et moi je disais oui, cela me gêne, parce que dimanche à quatre heures, je préfère faire des choses avec mon fils. Pour le reste, vous savez, les choses se sont faites, bon... Pas par hasard en réalité, parce que je pense que j'avais le goût effectivement, de ce qui se passait en politique. J'étais professeur en effet au départ. J'ai eu l'opportunité d'aller travailler à l'Elysée, mais c'était sous Giscard, auprès de madame Giscard d'Estaing au départ, et c'est vrai que j'étais le matin dans un lycée de la Seine-Saint-Denis, qui est un lycée communiste en fait. Et puis je me changeais sur le périph', et puis...
Vous vous changiez comment, en quoi ?
Eh bien je me changeais du côté de la porte de Charenton, il y avait un endroit où je partais, et puis là, je mettais un tailleur, parce que j'avais un tailleur donc. Mais à l'époque, vous savez, c'était en 1979, on n'avait pas le droit d'être en pantalon à l'Elysée quand on était une femme en fait, on devait être en jupe. Et puis après, cela s'est un peu enchaîné, je suis repartie dans l'enseignement, effectivement, en 1981 et puis j'ai été contactée par l'Hôtel de Ville, ensuite par J. Chirac en réalité. Et après j'ai fait un long parcours auprès de J. Chirac, qui n'a pas été non plus linéaire. C'est-à-dire que j'ai eu la chance de travailler avec quelqu'un qui était maire de Paris, Premier ministre, donc, cela a été l'un des plus longs parcours, d'ailleurs, je pense des dernières décennies et des plus passionnants. Mais cela n'a pas été linéaire, c'est certain qu'à l'Hôtel de ville au début des années 90, on ne donnait pas cher à l'avenir...
Est-ce qu'il y a une fraternité entre les femmes qui sont au Gouvernement ?
Il y a des liens, mais pas forcément des liens "nous sommes des femmes, on est des nanas, donc on s'entend bien". Il y a par moment une certaine complicité, parce qu'encore une fois, on partage la même exposition. Alors bien sûr, il y a des stars, il y a eu des stars bien sûr qui étaient cent fois plus exposées, mais malgré tout...
Vous pensez à qui ?
R. Dati a été clairement une star, Rama, etc. Des gens qui ont focalisés véritablement l'attention et dont la nomination a été vraiment un aspect symbolique quand même très, très fort. Nous, nous l'étions moins je dirais. Mais enfin, quand même, on a toutes rencontré un peu cette surexposition et cette attention, parfois pas bienveillante - parfois. Mais en même temps, après, on a des affinités. C'est vrai que par exemple moi, je m'entends très bien, j'aime beaucoup C. Lagarde, on s'entend très bien. C'est vrai que par exemple j'ai plus d'affinités.
Mais alors précisément, je reviens à R. Dati, parce qu'il y a une vieille coutume dans la presse et les médias. On dit toujours : "on lèche, on lâche, on lynche", c'est-à-dire qu'on court après les gens qui tombent en fait. Et est-ce que ça, par exemple, cela peut arriver autant, aussi spectaculairement à un homme à votre avis ?
Je ne crois pas, parce que je ne pense pas qu'il puisse y avoir autour d'un homme l'effet de déflagration, l'engouement, l'extrême "peopleïsation" qu'il peut y avoir peut-être autour d'une femme actuellement, je pense. Surtout quand elle a un parcours particulièrement exceptionnel. Je n'ai pas d'exemple récent dans la tête où on aurait la même chose pour un homme. Donc c'est pour ça que la vie politique est violente, parce qu'en effet, on peut passer de cette phase de lèche, on est dans le trop, dans le beaucoup, dans le trop. Et puis après, on est au contraire dans des choses où on est vraiment flingué. Et vraiment c'est très dur, c'est un monde très, très dur.
Est-ce que vous avez des antennes, vous reconnaissez un misogyne quand vous en voyez un immédiatement ?
Oui, je sens,
Qu'est-ce que vous sentez ?
Oh c'est difficile... Parfois c'est un excès d'amabilité ou c'est tout ce qui est lâché entre les lignes. C'est-à-dire que souvent les lignes sont tout à fait proches, positives et puis tout ce qui est entre les lignes. On sent tout simplement... Mais bon, moi je comprends très bien que vous avez des hommes qui ont plaisir à travailler entre hommes, c'est une chose que je comprends parfaitement. Mais on sent pour certains un plaisir, vraiment exclusif entre les lignes et une grande difficulté à travailler avec des femmes.
Et alors, c'est agaçant, ça motive ?
Non, cela s'accepte. On prend les gens comme ils sont.
J'ai une question à 1.000 euros : est-ce que N. Sarkozy a des zones de misogynie ?
Je crois que tous les hommes ont des zones de misogynie, mais il n'est pas misogyne. C'est quelqu'un qui a un rapport... qui aime les femmes bien sûr, qui est très intéressé, très passionné par les femmes mais qui a certainement aussi un côté féminin, certainement. Je veux dire, les deux sont mêlés. En tout cas, je ne le mets pas du tout dans les rangs des misogynes et je crois que sa volonté de faire une parité véritable, qui est quand même très, très forte, qu'il exprime à toute occasion n'est pas du tout qu'une posture de communication politique.
Mais il y a encore du boulot, si vous me passez l'expression. Je pense à l'Assemblée par exemple...
Ah oui, il y a du boulot véritablement, en effet. Mais enfin, je crois que ce qu'il faut vous savez, c'est la compétence et la compétence, il faut l'avoir cette compétence et à partir de là, mon dieu, l'aspect misogynie ou pas misogynie disparaît.
Votre ami Tillinac dit de vous que vous êtes une "Saint-Simon en jupon", c'est un beau compliment ?
Ça, c'est un compliment extraordinaire. C'est vrai que j'aime bien parfois observer et j'aime bien faire des petits portraits, des réflexions comme ça... Mais c'est un compliment qui m'est très précieux... "Saint Simonnette" !
C'était notre compliment pour la journée de la femme... Et un dernier point : l'écrivain Albanel, il s'est mis...
Cela fait longtemps, effectivement... Je crois que si j'étais restée à Versailles, j'avais vraiment envie de recommencer à écrire, mais c'est vrai que j'ai arrêté maintenant depuis longtemps, depuis plus de dix ans. Donc voilà, on verra par la suite, que ce soit roman ou théâtre. Mais j'écrirai, j'ai envie de renouer effectivement avec l'écriture.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 mars 2009