Conférence de presse de M. Jacques Voisin, président de la CFTC, sur les conséquences de la crise économique et financière sur l'emploi, le déficit budgétaire et le dialogue social, Paris le 22 janvier 2009.

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* Presse : « l'année de tous les dangers »
- Je tiens, tout d'abord, à vous souhaiter à vous ainsi qu'à vos proches les voeux de la CFTC pour 2009. Des voeux particulièrement chaleureux en cette année qui s'annonce très chargée pour les journalistes et comme « l'année de tous les dangers » pour votre profession. Je veux, bien entendu, parler des états généraux de la presse qui pourraient se trouver à l'origine d'une remise en cause de la liberté de la presse et du pluralisme, et dont le président de la République devrait dire, demain, ce qu'il a retenu du fameux « Livre vert ». Je veux également parler de vos élections professionnelles - qui se dérouleront en mai, si mes informations sont exactes - en espérant une forte participation, une participation qui a fait défaut lors des précédentes éditions, comme elle a fait défaut aux prud'homales et dont vous vous êtes fait l'écho pour la regretter. Je ne saurais donc trop vous inciter à aller voter : votez pour qui vous voudrez, mais votez !
* Les conséquences de la crise sur l'économie et l'emploi
- Cette année 2009 est également « l'année de tous les dangers » en matière économique et sociale. Permettez-moi de revenir, un instant, sur les causes de la crise. Cette crise, il y a longtemps que nous la pressentions, à la CFTC. Ce système fondé sur la spéculation et l'exploitation courait à sa perte. Son effondrement se révèle déjà catastrophique pour les économies nationales et pour les centaines de millions d'hommes et de femmes qui y participent. Banquiers, assureurs, industriels, instances de régulation, agences de notation, hommes politiques... tous ont failli, obnubilés par le profit de court terme. Et, aujourd'hui, c'est le monde du travail qui doit en subir les conséquences. Au nom de nos valeurs, parce que l'économie doit être au service de l'homme et non l'homme au service de l'économie, il faut en finir avec ce système qui bafoue la dignité humaine. Pour cette raison, je pense qu'il ne suffit pas de réformer le système il faut désormais en changer ! Je crois qu'il est nécessaire dès maintenant, d'effectuer une véritable transformation en profondeur et sans concession, qui placerait l'homme au centre de l'univers économique en lieu et place de la finance, de manière à ce que la mondialisation redevienne une espérance pour l'humanité entière, au lieu de le réduire à un objet de rejet !
- J'insisterai, ensuite, sur les conséquences de cette crise, la manière d'y répondre et les solutions à y apporter.
- Les premières conséquences sont évidemment celles sur l'emploi. Licenciements, chômage partiel, réduction des commandes, fermetures d'usines... les salariés sont les premiers à subir les effets d'une crise dont ils ne sont pas responsables. Et les prévisions ne laissent pas présager d'amélioration dans l'immédiat.
* Face à cette situation qui se dégrade de jour en jour, les réponses ne sont pas à la hauteur
- Ainsi, le plan de relance présenté par le président de la République est nécessaire, mais largement insuffisant. Quant aux sommes consacrées à la relance par rapport à ce que font nos voisins européens (notamment le Royaume Uni et l'Allemagne) et par rapport aux sommes débloquées pour les banques. Mais également quant à la stratégie adoptée. Nous refusons de nous prendre part à la polémique : relance par la consommation ou relance par l'investissement. Les deux sont aujourd'hui nécessaires : relance par la consommation pour répondre à l'urgence de la situation et relance par l'investissement pour préparer l'avenir.
- Pour relancer l'activité économique par la consommation, je vois deux pistes : une baisse de la TVA, comme l'ont fait les Britanniques, pour faire baisser les prix et la mise en place d'une TVA emploi qui consiste à diminuer la part salariale des cotisations sociales pour redonner du pouvoir d'achat aux ménages. Ces actions sur la TVA doivent, en outre, être ciblées sur les produits de première nécessité.
- Pour relancer l'investissement par la CFTC rappelle son attachement à la règle des trois tiers remise au goût du jour à plusieurs reprises par le président de la République, mais qui fait aujourd'hui figure d'arlésienne : un tiers aux salariés, un tiers aux actionnaires, un tiers à l'investissement. Ces dernières années, il y avait un déséquilibre au bénéfice de l'actionnaire, il faut rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée. Il est d'ailleurs révélateur que le débat actuel sur le non versement des dividendes aux actionnaires provoque plus d'état d'âme aux dirigeants des entreprises et des banques que pour l'absence de revalorisation des salaires.
- Dans tous les cas, on ne fera pas l'économie d'une augmentation du déficit budgétaire qu'il faut cesser de considérer comme un pis allé ; il faut cesser de le subir et être proactif, pragmatique et profiter de la crise pour favoriser le retour de l'Etat dans l'économie en lançant des projets ambitieux, politique industrielle, grands travaux, développement des emplois « verts »...
- Les économistes nous disent que les pouvoirs publics disposent de trois leviers pour relancer l'activité : la politique monétaire ? Aujourd'hui, elle est entre les mains d'une institution indépendante à laquelle les gouvernements ne peuvent pas dicter ses décisions. La politique de taux de change ? C'est le dollar qui mène la danse. Reste le déficit budgétaire. Reste à voir comment on le finance : certains économistes proposent de lancer des emprunts d'Etat.
- On peut également faire des économies : savez-vous que les aides aux entreprises représentaient en 2005, donc avant la crise, 65 milliards d'euros soit 4 % du PIB, soit deux fois plus que le budget de la Défense. On peut également comparer ce chiffre aux 22 milliards de prestations versés par l'Unedic aux demandeurs d'emploi en 2007. Alors que le Medef demande de renforcer le contrôle des chômeurs, il se garde bien de dire ce que font les entreprises de ces 65 milliards. Aucune évaluation n'a jamais été faite de l'utilisation de ces fonds Et, aujourd'hui, les entreprises voudraient bénéficier de nouvelles aides de l'Etat sans contrepartie... Le gouvernement a raison de mettre des conditions à la distribution de ces aides.
- Pour faire des économies, on peut également revenir sur la loi Tepa qui n'a pas donné les résultats escomptés et qui a coûté pas loin de 15 milliards aux finances publiques.
- Les réponses des grandes entreprises ne sont donc pas à la hauteur.
- Cette crise révèle la nécessaire réforme de la gouvernance à l'intérieur de l'entreprise. Dans la perspective d'un rééquilibrage des pouvoirs, la participation des salariés aux grandes orientations stratégiques de l'entreprise doit être instaurée. Eux seuls ont une vision du bien commun dans la mesure où ce sont eux qui risquent le plus. Cette revendication est développée dans la motion d'orientation que vous trouverez dans le dossier de presse. Parallèlement, la CFTC estime que les IRP doivent avoir le pouvoir de peser sur les licenciements économiques, notamment les licenciements économiques de confort. Enfin, à partir du moment où l'Etat s'engage à soutenir une entreprise ou un secteur, il faut qu'il ait un moyen de contrôle, notamment en siégeant au conseil d'administration de l'entreprise ou des entreprises du secteur.
- Cette crise a révélé, aussi, la nécessité pour les représentants des salariés - qui risque leur emploi - de participer aux instances de décisions de l'entreprise et aux grandes orientations stratégiques.
- Les réponses des entreprises publiques ne sont pas à la hauteur qui pour répondre aux incitations de Nicolas Sarkozy de relancer les investissements ne trouvent pas d'autre solution que d'augmenter leur prix, comme la SNCF, comme EDF...
- Les réponses ne sont pas non plus à la hauteur du côté des banques qui refusent d'exercer leur métier premier qui est de financer l'économie. D'où les difficultés de nombreuses PME et l'augmentation du nombre de défaillance d'entreprise en 2008. Un document officiel et confidentiel de la Banque de France, révélé hier par Le Canard, révèle que les banques profitent de la crise pour augmenter leurs marges sur le dos des particuliers et des entreprises. De novembre 2007 à novembre 2008, leurs marges auraient ainsi augmenté de plus de 69 % sur les prêts de trésorerie aux entreprises et de 82 % sur les prêts pour investissement.
- La CFTC regrette également le manque de coordination à l'échelon européen pour répondre à la crise. La boîte à outil mises à la disposition des gouvernements européens est l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire : cette pratique n'a contribué qu'à encourager des stratégies de relance différentes selon les intérêts particuliers de chaque pays de l'Union européenne.
* L'accord Unedic et le déficit de dialogue social
- Enfin, ne sont pas à la hauteur, non plus les réponses des partenaires sociaux. Alors que le nombre de demandeurs d'emploi va probablement augmenter dans des proportions considérables en 2009, trouvez-vous cohérents que l'on demande une baisse des cotisations ? C'est l'une des raisons qui a poussé la CFTC à ne pas signer l'accord sur l'Assurance chômage du 24 décembre dernier.
- La signature de la CFTC n'a jamais eu pour objectif de sauver le paritarisme, le paritarisme n'est pas une fin en soi. La CFTC a toujours été exigeante quant à la qualité des accords qu'elle signe. C'est cette qualité qui prime et cette qualité se juge à l'aune de la prise en compte des préoccupations des travailleurs, des retraités et de leur famille. Cette dimension est également développée au chapitre 3 de la motion d'orientation de notre dernier congrès confédéral consacré aux nouvelles solidarités.
- Pour relancer l'emploi, la CFTC propose qu'un fonds de soutien à l'emploi soit créé, abondé par l'Etat et remboursé par l'excédent de l'Unedic.
- C'est l'une des raisons, ce n'est pas la seule. Une autre - et non des moindres - figure dans le fait que cette négociation n'est pas allée jusqu'au bout. Des améliorations de l'accord étaient encore possibles que les organisations patronales n'ont pas souhaité à partir du moment où elles avaient obtenu ce qu'elles étaient venues chercher : les baisses de cotisations. Des améliorations que nous aurions pu obtenir par une réouverture des négociations que la CFDT n'a pas rendues possibles par l'annonce de sa signature.
- Au-delà de tous ces griefs, ce que la CFTC reproche à cet accord, c'est qu'il demeure statique. Il ne considère la situation sur le front de l'emploi qu'à un instant « t », sans prendre en compte le caractère mouvant de ce front et la dégradation de l'emploi.
- D'où le reproche de la CFTC selon lequel l'accord Unedic s'inscrit contre la volonté politique qui a présidé à l'élaboration du RSA.
- Un accord statique, aussi, car il ne prend pas en compte une revendication de la CFTC émise durant les séances de négociation en faveur d'un cumul des droits. Car pas question dans la période actuel de laisser les plus fragiles sur le bord de la route ! Si la solidarité n'est pas un vain mot, c'est dans ces heures sombres qu'elle doit se manifester.
- Pour toutes ces raisons, nous avons écrit au Medef pour qu'il accepte de rouvrir les négociations, car tout n'était pas à jeter dans cet accord, loin de là. Aujourd'hui qu'on connaît la réponse de la CFE-CGC, on demande au gouvernement de nous soutenir.
- Cela pose la question du dialogue social et de la capacité des organisations syndicales à agir en répondant aux attentes des salariés. D'où, peut-être, le très faible taux de participation des salariés aux dernières élections prud'homales qui ont, d'abord, besoin de sécurité dans une période d'incertitudes quant à l'avenir. Il est important de tirer tous les enseignements du scrutin qui puisse répondre au message que les salariés ont voulu adresser aux organisations syndicales à cette occasion. Au-delà des raisons matérielles qui ont largement pesé (en particulier en PME PTE), je pense que les salariés pensent que les syndicats n'apportent pas les réponses attendues notamment dans le contexte actuel, qu'ils sont dans l'impossibilité de peser sur les évènements, qu'ils divisés.
- Cette « péripétie » autour de l'accord Unedic nous amène à poser la question de l'avenir du dialogue social, de la négociation collective. Quel dialogue social voulons-nous ? Voulons-nous conserver le système actuel ? Je pense qu'il faut redéfinir les conditions minimales à respecter pour que le dialogue social puisse être à la hauteur des attentes des travailleurs. Depuis quelques temps, la négociation collective est trop encadrée par le gouvernement qui ne laisse plus les partenaires sociaux négocier à la marge : les résultats sont quasiment connus d'avance, les délais sont fixés d'avance. Or, il faut laisser du temps et de plus grandes marges de manoeuvre pour arriver à un accord qui satisfasse l'ensemble des partenaires. Il faut dire aux politiques, comme je l'ai fait à plusieurs reprises, que le temps du politique n'est pas le temps du social.
- Pour la CFTC, il est temps de créer un lieu permanent du dialogue social. Un lieu où chacun aurait son mot à dire, un lieu où chacun pourrait prendre l'initiative.
- Le gouvernement, le Medef et les organisations syndicales signataire de la déclaration commune en avril dernier ont souhaité ardemment la mise en place d'accords majoritaires, s'ils étaient logiques avec eux-mêmes, ils ne l'agréeraient pas. Ce n'est pas ce que la CFTC souhaite : la CFTC souhaite que les négociations soient rouvertes, je le redis, pour pousser la négociations jusqu'à son terme.
- Cela pose, une nouvelle fois, la question du rôle de l'Etat.
* La journée d'action du 29 janvier
- C'est pour revendiquer une place plus importante pour le dialogue social en cette période de crise que la CFTC s'est jointe à la journée d'action du 29 janvier prochain. Pas question pour la CFTC d'appeler au grand soir, mais d'éviter le grand soir en faisant prendre conscience au gouvernement que l'heure est grave et qu'il convient d'associer toutes les bonnes volonté pour traverser la crise.
- C'est dans cet esprit que nous avons souhaité être reçu par le chef de l'Etat dès la fin octobre lors de notre congrès. Celui-ci a accepté de nous recevoir dès le début novembre, avant le G20 du 14. Nous nous sommes revus début décembre, puis la semaine dernière. Il a résulté de ces rencontres la mise en place d'un comité de vigilance à l'échelon national et local pour qu'un soutien soit apporté aux entreprises en difficulté.
- Il s'agit d'une première phase défensive qui doit être accompagné d'une seconde phase plus offensive pour que soit définie une nouvelle politique économique et industrielle. La France, en associant ses forces vives, a la possibilité, non seulement de traverser la crise sans trop de dégâts, mais aussi de s'en sortir et de se projeter dans l'avenir. C'est une question de volonté politique. Sachez que la CFTC fera tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser cette sortie de crise dans les entreprises, les secteurs d'activité, les régions et à l'échelon national.
- Encore une fois, bonne année 2009 !
source http://www.cftc.fr, le 3 février 2009