Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "RMC" le 29 janvier 2009, sur le maintien du cap gouvernemental de relance de l'économie par l'investissement.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin.- Vous êtes ministre du Budget et de la Fonction publique. Je vais vous lire ce que j'ai entendu sur RMC depuis ce matin : Bruno, la trentaine, marié, deux enfants ; sa femme travaille. Un couple de Français moyens : + de 3.000 euros à deux, ils n'y arrivent plus. Marina a 72 ans, elle vit seule, avec sa toute petite retraite, un peu plus de 800 euros ; il fait 15 degrés chez elle. Khader, qui pour sauver sa petite entreprise, a diminué son salaire de 30 %. Et puis Jérôme, employé de banque, qui travaille, qui sera pour la première fois dans la manifestation aujourd'hui. Malika, Robert, Marion, qui voudrait offrir un voyage à ses parents, elle travaille dans l'immobilier, elle n'y arrive pas. E. Woerth, vous entendez tous ces Français-là ?

Oui, évidemment qu'on les entend, enfin, heureusement. D'abord, on vit en France, évidemment qu'on entend tout cela, bien sûr. Vous me citez beaucoup d'exemples, je pourrais vous en citer encore beaucoup plus, je suis maire, je suis élu... Tout le monde voit les uns et les autres vivre, bien sûr que...

Parce que vous avez demandé aux Français de se retrousser les manches plutôt que de...

Oui, bien sûr...

...Comment peut-on se retrousser les manches quand on s'appelle Marina... ?

Je crois que c'est une habitude à un moment donné...

...qu'on a 72 ans, et qu'on a 800 euros de retraite à la fin du mois, comment on se retrousse les manches ?

Ce n'est ni de la provocation, on a le droit de dire aussi ce qu'on pense, gentiment, et avec courtoisie, heureusement d'ailleurs.

Bien sûr.

Donc, je pense que devant une telle crise, qui à la limite révèle aussi plein de choses, mais enfin il y a la crise elle-même qui est extraordinairement lourde et difficile, et qui provoque du chômage, et qui provoque des craintes, donc beaucoup de craintes parmi tous nos concitoyens d'ailleurs, quelle que soit leur situation, on a aussi... je veux dire un pays doit aussi essayer de se mobiliser, de se mobiliser d'une manière positive, parce que, il y aura deux types de pays en sortie de crise, au fond : il y aura ceux qui seront définitivement déconnectés, qui avanceront moins vite que les autres, et puis il y a ceux qui auront réussi à se transformer, il y a ceux qui auront réussi à en sortir plus vite, différemment. Il s'agit quand même de l'avenir des Français dans cette affaire-là, de notre avenir, de l'avenir de notre pays. Donc, il ne faut pas rigoler, il faut faire les choses sérieusement. Et quand je dis "se retrousser les manches", ou je ne sais quelle expression j'ai employée, ça veut dire simplement qu'on a le droit de faire grève, bien sûr qu'on a le droit de faire grève, évidemment je ne condamne pas la grève en tant que telle, et jamais je le ferai. Mais je considère qu'à un moment donné, il faut un peu chercher de la solidarité économique et sociale, dépasser un tout petit peu ses craintes personnelles, qui sont très, très lourdes, parce que l'accumulation de craintes personnelles fait un pays de plus en plus tétanisé. Donc, on doit aller de l'avant. Finalement, un prof il doit rentrer dans son lycée avec encore plus envie de former les jeunes ; une infirmière avec encore plus envie de soigner ses malades ; un ministre avec encore plus envie de réussir à sortir de la crise, c'est un peu ça ce que je dis. Rien d'autre, ce n'est pas provocateur, mais je pense que c'est une attitude, et nous devons absolument essayer de nous serrer les coudes, "nous" serrer les coudes entre Français, pour faire en sorte que nous puissions sortir de cette crise le plus vite possible. Ce n'est pas un problème de droite ou de gauche, c'est un problème de communauté nationale.

On est bien d'accord. Allez-vous changer de politique ?

Nous, on a une politique qui est une politique de réforme et une politique de plan de relance...

Donc, vous ne changez pas de politique.

La grève n'est pas une réponse à la crise, la réponse à la crise c'est les plans de relance, de tous les pays, c'est ça qui est important. Et nous devons au maximum essayer de faire en sorte qu'ils soient efficaces, et en même temps en profiter pour continuer à réformer.

Rien dans l'immédiat pour les salariés et la consommation ?

Nous écoutons au maximum. Le Gouvernement, le président de la République on est en écoute maximum, comme le doivent être d'ailleurs l'ensemble de...

Vous écoutez, mais vous continuez la même politique !

Ecoutez ! Je ne crois pas qu'il faille zapper et changer de politique sans arrêt, nous devons être... D'abord, on doit garder son sang-froid, vous savez c'est un peu comme le pilote de 67 ans qui a posé son avion sur l'Hudson River : il a sauvé ses passagers parce qu'il a gardé son sang-froid ; il faut garder son sang-froid dans ces périodes de très très grande tempête. Les pays qui perdront leur sang-froid perdront la bataille de l'après crise. Et la bataille de l'après crise, ce n'est pas la théorie, c'est du pouvoir d'achat pour les gens, pour les Français, c'est des emplois pour les Français. Et on ne peut pas plaisanter avec ça, on ne peut pas faire n'importe quoi, on ne peut pas céder à toutes les démagogies à cause de ça, c'est trop grave.

Donc, relancer la consommation, augmenter les salaires c'est de la démagogie, ces demandes salariales ?

Je n'ai pas dit ça, j'ai dit "céder à toutes les démagogies", parce que j'entends un certain nombre, notamment "d'autorités" entre guillemets au Parti socialiste, faire beaucoup de démagogie en ce moment.

On va oublier l'aspect politique...

C'est vous qui m'en parlez.

Non, c'est vous.

Non, non, c'est parce que ce sont des mots d'ordre qui sont... Et quand vous me parlez de la consommation, excusez-moi, c'est totalement (comme) avec le Parti socialiste. Son plan de relance...

Attendez ! Quand Marina, 72 ans, vit avec 800 euros par mois, elle a des problèmes de fin de mois et de consommation !

Oui, mais elle a des problèmes de consommation, mais elle les avait bien avant la crise, ce n'est pas un problème de... elle les avait bien avant la crise, et elle ne les a pas plus pendant la crise. Pourquoi ? Parce que nous avons un système social que nous avons construit, qui n'existe pas dans d'autres pays au monde, qui n'existe pas ! Quand les Américains disent "on va vous envoyer un chèque de 500 dollars"...

Il faut le défendre ?

Bien sûr qu'il faut le défendre. Quand nous avons un système social qui permet aux plus fragiles d'entre nous de trouver un filet de sécurité, qui n'est jamais suffisant, qui permet de survivre, ça ne permet pas de vivre, ça permet de survivre, ça permet de passer un cap difficile, ça permet d'essayer de remettre le pied à l'étrier et de repartir, c'est vrai pour le RMI et c'est vrai pour tous les systèmes sociaux français, mais ils sont extraordinairement protecteurs, à un moment donné où plus aucune protection ne joue à cause de la crise. Et dans d'autres pays, ils n'ont pas ça ! C'est ça que je veux dire aussi.

Alors les propositions sur la consommation sont démagogiques ?

Non, ne caricaturez pas ce que je dis. Je ne provoque ni... Je dis que parfois, notamment lorsque je regarde les propositions, parce que ce qui compte c'est quelles sont vos propositions ou les propositions qui sont aujourd'hui faites pour sortir de la crise ? Je dis qu'il y a beaucoup de démagogie là-dedans. Quand j'entends Mme Royal dire qu'il faut envoyer un chèque de 1.000 euros ! Mais c'est la réalité des choses, je veux dire, ce n'est pas moi qui lui ai demandé de le dire, d'envoyer un chèque de 1.000 euros à chaque Français pris sur les niches fiscales, je lui dis : mais quelle niche fiscale ? La Prime pour l'emploi ? Je lui demande si c'est le taux r??duit de TVA. Nous avons...

Donc, vous ne changez pas de politique ?

Nous devons écouter, nous devons ajuster, nous devons discuter ; discuter avec les hôpitaux, discuter avec l'Éducation nationale, avec la fonction publique, on va discuter avec les retraités...

Mais est-ce qu'on a les moyens de mettre en place un autre plan de relance ? L'Etat français a-t-il les moyens ?

Les mesures de relance, il y a un plan de relance de 26 milliards d'euros, etc., qui est un plan de relance essentiellement fondé sur l'investissement, parce que l'investissement ce n'est pas quelque chose que paieront vos enfants. L'investissement, on en a besoin...

Ils paieront la dette.

Oui, peut-être, mais en même temps, ils bénéficieront de... je ne sais pas, quand on fait de l'infrastructure, ça veut dire que notre pays, parce qu'il y aura plus de routes, plus de TGV, plus de ports, notre pays sera plus à même de se développer, à profiter de l'après crise. Si vous faites uniquement de la consommation, c'est-à-dire l'envoi d'un chèque à un moment donné, ça ne sert en réalité que d'une manière très provisoire, ça accroît les dettes et cela fait que vos enfants...

Je vous pose une question, vous ne me répondez pas !

Bien sûr que si je vous réponds !

L'Etat français a-t-il les moyens de proposer un autre plan de relance ?

Mais l'Etat français... Attendez ! Il faut... ce sont des sujets extrêmement sérieux, donc il faut y répondre très sérieusement. Donc, nous avons mis en place beaucoup d'initiatives qui ne se limitent pas aux 26 milliards. Parce que j'entends, ici ou là "les Allemands font plus", "les Américains font plus" ! Ce n'est pas certainement vrai. Les Français font un plan de relance massif, 26 milliards c'est massif. Et puis, il y a toutes les mesures d'augmentation des minima sociaux, de la protection sociale, il y a tout ce qu'on fait vis-à-vis des PME, vis-à-vis du secteur automobile, vis-à-vis du secteur du bâtiment, vis-à-vis des établissements financiers, des banques pour qu'elles re-prêtent, et je sais bien que c'est parfois incompris. Mais c'est bien tout cela le plan de relance. Il est parfaitement à la hauteur de la situation française.

Il est à hauteur de la situation !

Oui, évidemment qu'il est à la hauteur. S'il faut prendre d'autres initiatives, on en prendra. Evidemment qu'il faut en prendre. C'est pareil pour l'automobile, notamment. [...]

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 janvier 2009