Texte intégral
Q - Quels sont les sujets majeurs dont vous allez traiter avec les responsables saoudiens lors de cette visite ?
R - Cette visite s'inscrit dans le cadre des relations de grande confiance que nous entretenons avec l'Arabie Saoudite et des rencontres régulières avec notre partenaire saoudien. Elle sera l'occasion de poursuivre le dialogue entre nos deux pays sur les questions régionales, qu'il s'agisse de la situation à Gaza, de la relance indispensable du processus de paix, de la réconciliation interpalestinienne, du programme nucléaire iranien, du Liban, de l'Afghanistan ou encore du Soudan. Elle permettra également d'aborder un sujet prioritaire, à la veille du sommet du G20, celui de la crise financière et la refonte de l'architecture financière internationale.
Il sera aussi question de notre coopération bilatérale que la France souhaite voir se développer encore davantage, et cela, dans tous les domaines, en particulier dans ceux de la formation et de la culture, de l'énergie électro-nucléaire ou encore des équipements.
Q - Quel bilan dressez-vous des relations franco-saoudiennes depuis l'élection du président français Nicolas Sarkozy ?
R - Depuis l'élection du président Sarkozy, nos deux chefs d'Etat se sont rencontrés à de nombreuses reprises. Outre leurs rencontres dans un cadre multilatéral, le Roi Abdallah est venu en France en juin 2007, aux lendemains de l'élection du président, et a été ainsi l'un des tout premiers chefs d'Etat à faire le déplacement à Paris, ce à quoi nous avons été extrêmement sensibles, et M. Sarkozy s'est rendu deux fois en Arabie Saoudite, en janvier et en novembre 2008. Je suis moi-même très heureux de pouvoir me rendre en Arabie Saoudite dans le cadre d'une visite officielle. Comme vous le savez, la France et le Royaume entretiennent une relation de très grande confiance basée sur un partenariat stratégique renouvelé. L'Arabie Saoudite est incontournable pour la France et indispensable pour la paix dans la région. Je tiens à cet égard à saluer les initiatives du Roi Abdallah de réconciliation interarabe et interpalestinienne qui me paraissent aujourd'hui essentielles pour faire progresser la cause de la paix. Il est pour moi primordial de poursuivre le dialogue franc et confiant que nous entretenons avec les autorités saoudiennes, notamment - mais pas seulement - sur les questions régionales.
La question du dialogue des civilisations est un autre exemple de notre proximité. La France souhaite, comme l'Arabie Saoudite, que ce dialogue engagé par le Roi Abdallah permette une meilleure écoute et un respect mutuel entre les peuples. Le processus engagé à La Mecque en juin dernier a permis d'ouvrir un dialogue utile entre les différentes religions. La France encourage toute initiative véhiculant un message de paix universel. La récente tenue à Riyad du premier forum franco-saoudien pour le dialogue des civilisations répond à une volonté commune de promouvoir ce message en encourageant l'échange et la réflexion entre intellectuels et universitaires français et saoudiens.
Notre partenariat dont je disais tout à l'heure combien nous étions évidemment désireux de le développer, n'a cessé de se renforcer. Notre objectif principal est une adaptation de notre relation aux défis de notre époque, et aux priorités qui sont celles de l'Arabie Saoudite, notamment en terme de développement, d'éducation et de formation.
Q - En matière de coopération bilatérale, quels sont les axes prioritaires que la France souhaite privilégier avec le Royaume d'Arabie Saoudite ?
R - Le choix du Roi Abdallah de parier sur la jeunesse et la connaissance en donnant la priorité à l'éducation, à la formation et à la recherche nous a permis de développer plus particulièrement cet axe de coopération. Nous avons signé deux accords très importants dans ce domaine en janvier 2008 et en avril dernier, ce sont plus de cinquante accords qui ont été signés entre les universités françaises et saoudiennes, ce qui devrait permettre un accroissement significatif du nombre de boursiers saoudiens en France.
Les entreprises françaises sont évidemment prêtes à accompagner la croissance économique du pays. Par leur savoir-faire exceptionnel, souvent unique, elles sont en mesure de répondre aux besoins particuliers de l'Arabie Saoudite dans tous les domaines. L'Arabie Saoudite l'a parfaitement compris et les résultats sont déjà impressionnants. J'en veux pour preuve les derniers chiffres en matière commerciale : nos exportations ont augmenté de 15% en 2008 par rapport à 2007 et ont atteint un record historique de 2,2 milliards d'euros. Depuis la première visite du président Sarkozy en Arabie Saoudite, des contrats importants ont été signés avec des entreprises françaises : Veolia et Suez pour la gestion du réseau d'eau de Riyad et Djeddah, Alstom pour l'extension de la centrale de Shoaiba, ou encore Total pour la construction d'une raffinerie à Jubail. Et ce ne sont là que quelques exemples de cette confiance renouvelée de l'économie saoudienne dans le savoir-faire et la technologie française, dont nous sommes honorés.
Le partenariat franco-saoudien s'est également renforcé dans le domaine de la sécurité intérieure, avec la signature en février 2008 d'un accord qui permet d'approfondir notre coopération dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, mais aussi contre tous les trafics - trafic de drogue, trafic d'être humains etc. - et également contre les phénomènes de cybercriminalité. Dans le domaine de la justice, un accord de coopération est en préparation et devrait être signé prochainement.
Enfin, sur la question essentielle de l'énergie, nous avons signé en janvier 2008 un accord particulièrement innovant dans les secteurs pétrolier et gazier, qui met en place une coopération privilégiée dans le domaine énergétique avec la création d'un groupe de travail franco-saoudien, composé d'experts et ouvert à la société civile et aux entreprises. Nous avons également engagé une coopération dans le domaine du nucléaire civil, où la France dispose de la première technologie du monde. Nous travaillons actuellement à un projet d'accord-cadre avec les autorités saoudiennes que nous devrions signer rapidement.
Q - Que peut faire la France pour faire avancer le dossier de la paix proche orientale dans le contexte actuel ?
R - La France est déterminée à contribuer activement à l'amélioration de la situation au Proche-Orient, à la création de l'Etat palestinien et à la conclusion de la paix. J'ai beaucoup travaillé en ce sens avec le Prince Saoud El Faysal, à New York, lors de l'adoption de la résolution 1860 par le Conseil de sécurité appelant à un cessez le feu ou dernièrement lors du Sommet de Charm el-Cheikh consacré à Gaza. Je voudrais rendre hommage ici à la détermination et la sagesse du Prince. Il a toujours été de très bon conseil.
Comme le Président de la République l'a affirmé, le 2 mars, lors de la Conférence des donateurs à Charm el-Cheikh, le blocus de Gaza doit être levé pour permettre la reconstruction. Gaza ne peut rester une prison à ciel ouvert. La France soutient, dans le même temps, tous les efforts en faveur de la réconciliation interpalestinienne et appelle de ses voeux un gouvernement d'union nationale. Il n'y a pas d'autre voie pour restaurer la nécessaire unité du peuple palestinien. Enfin, la France a toujours formulé des positions fermes vis-à-vis de la colonisation. Celle-ci doit cesser. C'est la condition à la création d'un Etat palestinien viable.
Concernant la relance et l'aboutissement du processus de paix, nous considérons qu'il ne faut pas perdre de temps car les paramètres de règlement de ce conflit sont connus. Nous souhaitons donc la tenue d'un sommet dès le printemps afin d'encourager les parties à fixer un calendrier aboutissant, avant la fin de l'année à la création d'un Etat palestinien vivant côte à côte en paix et en sécurité avec Israël.
La France est très attachée à l'Initiative arabe de Paix. La Ligue arabe a fait un geste historique sous l'impulsion du Roi Abdallah: une offre de paix de l'ensemble du monde arabe avec Israël, une paix définitive et globale, en échange d'un retrait des territoires occupés, de l'émergence d'un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et du règlement juste et agréé de la question des réfugiés. A cette initiative ce sont joints l'ensemble des pays de l'Organisation de la Conférence Islamique. Cette initiative doit permettre de travailler à l'établissement d'une paix globale.
Q - Comment, à votre avis, mieux parvenir à faire face aux actes de piraterie dans le Golfe d'Aden, la mer Rouge et l'Ouest de l'Océan indien via une collaboration entre les pays européens et les pays du Golfe ?
R - Nous avons répondu très tôt à la menace de la piraterie dans le Golfe d'Aden et sommes à l'origine de l'engagement des Européens contre cette menace. Nous avons en effet mobilisé tous nos partenaires disposant de moyens navals à s'engager dans la première opération navale de l'Union européenne. Cette opération existe à présent, c'est l'opération Atalante.
La recrudescence des actes de piraterie a amené d'autres Etats à déployer des moyens navals, et les Etats de la région à se mobiliser devant de la gravité du phénomène. Nous nous devons de répondre de manière cohérente, avec tous ces moyens dont nous disposons aujourd'hui, et pas seulement des moyens militaires. C'est pourquoi nous appelons au renforcement de la coordination de l'ensemble des acteurs impliqués régionalement dans la lutte contre la piraterie. Il en va de l'efficacité des opérations maritimes. Il en va de la responsabilité des acteurs de la zone d'en assurer la sécurité.
A ce titre, des mécanismes de coordination opérationnels existent, dont l'opération de l'Union européenne est un des pivots. Ainsi, l'Union européenne a établi des protocoles avec nombres de partenaires, dont l'Arabie Saoudite. Mais ces aspects, qui sont une réponse de court terme, ne seraient rien sans le développement des capacités des pays de la région. C'est pourquoi nous en discutons, avec l'ensemble des pays de la région, notamment l'Arabie Saoudite, et les pays engagés dans la lutte contre la piraterie, dans le cadre du Groupe de contact.
Q - Est-il encore possible de persuader l'Iran de renoncer à son programme nucléaire et comment ?
R - Nous sommes très préoccupés par le programme nucléaire iranien. L'Iran aura très bientôt accumulé le stock d'uranium faiblement enrichi lui permettant, après nouvel enrichissement, de fabriquer un engin nucléaire. Il continue de refuser de répondre aux questions de l'Agence internationale de l'énergie atomique de Vienne sur des activités pouvant être liées à la conception des armes nucléaires. Il a réalisé récemment des progrès préoccupants dans son programme balistique, comme en témoigne la mise en orbite d'un satellite en février 2009.
Notre objectif est clair : éviter la création d'une capacité nucléaire militaire iranienne, qui serait très déstabilisante pour la région et menacerait le régime de non-prolifération. Pour y parvenir, nous misons, avec nos partenaires européens, américain, russe et chinois, sur une approche alliant dialogue et fermeté.
Nous voyons se dessiner une fenêtre d'opportunité pour essayer d'obtenir le lancement de négociations sur le dossier nucléaire iranien en 2009, avec l'arrivée d'une nouvelle administration américaine. La disposition américaine à un contact direct avec les Iraniens offre une occasion d'amener les Iraniens à respecter les résolutions du CSNU et de lancer des négociations. Nous espérons que les Iraniens sauront saisir cette opportunité. Notre priorité va au dialogue et à la négociation. A l'ouverture américaine, doit répondre une volonté de coopération iranienne.
Q - En quoi la réintégration de la France dans le commandement militaire de l'Alliance atlantique peut-elle rendre plus efficiente les actions menées par celle-ci pour circonscrire les foyers de tension et de guerre dans le monde ?
R - Dans un monde de puissances relatives, de défis nouveaux et de tensions persistantes, la France a besoin d'une Europe forte et d'alliés sûrs. L'Union européenne et l'Otan sont les deux piliers de notre politique de sécurité. Nous avons travaillé durant notre présidence de l'Union européenne au renforcement de cette Europe de la défense. Ces progrès n'auraient pu être possibles sans l'évolution de la France à l'égard de l'Otan, qui a permis de changer les termes du débat, et d'obtenir le soutien de tous nos partenaires et des Etats-Unis. Cette réintégration est l'accomplissement d'un processus entamé il y a longtemps, et qui amène la France à y assumer à présent toute sa place. Il est temps pour la France de co-diriger.
En toute circonstance et face aux foyers de tension et de guerre dans le monde, la France gardera une liberté d'appréciation totale sur l'envoi de ses troupes en opération et ne placera aucun contingent militaire de façon permanente sous commandement de l'Otan en temps de paix. Elle garde bien évidemment l'entière maîtrise de la dissuasion nucléaire. Par ailleurs, cette réintégration nous permettra d'influencer pleinement tous les débats de l'Alliance et de participer pleinement à la définition des objectifs et la stratégie des opérations auxquelles nous participons. Cette implication au sein de l'Alliance, ne change rien au fait que la France est un ami debout, un allié indépendant et un partenaire libre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 mars 2009