Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France 2 le 23 mars 2009, sur la situation dans les universités, le refus de l'autonomie universitaire par les mouvements étudiants et les effectifs des enseignants.

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Média : France 2

Texte intégral


 
 
 
R. Sicard.- Bonjour à tous, bonjour V. Pécresse. On parlera tout à l'heure des élections régionales, vous avez battu votre collègue du Gouvernement, R. Karoutchi, dans le cadre des primaires pour l'UMP, on y reviendra, mais d'abord, l'université. Elles sont en grève, pour plusieurs d'entre elles, depuis des semaines. Quelle est la situation aujourd'hui ?
 
Aujourd'hui, la situation est très contrastée. Il y a une trentaine d'universités qui ont des perturbations, mais à des degrés très divers. Alors, ce que moi je souhaite aujourd'hui et ce que j'ai demandé à tous les présidents d'université, c'est que l'on puisse s'organiser, de façon à ce que les étudiants ne soient pas victimes de ces blocages et de ces malentendus avec la communauté universitaire, j'ai demandé que des rattrapages soient organisés, afin que tous les étudiants puissent être bien préparés pour leurs examens.
 
Ça veut dire que les examens auront lieu, quoi qu'il arrive.
 
Mais, les examens sont encore loin. J'espère que cette semaine le dialogue va s'intensifier et j'espère que nous allons pouvoir trouver des voies de passage qui permettront à la situation de revenir à la normale et, dans ce cas-là, nous organiserons tous les rattrapages nécessaires pour que les étudiants puissent passer évidemment leurs examens dans de bonnes conditions.
 
Il y aura peut-être des examens en juillet, par exemple ?
 
Non, pour l'instant, nous ne l'envisageons pas.
 
Alors, une des premières raisons de la contestation, c'est la réforme ce que l'on appelle « les enseignants chercheurs ». Les enseignants n'en veulent pas. Est-ce que vous allez reculer ? Vous avez déjà réécrit votre décret, F. Fillon vous l'a demandé, qu'est-ce qu'il y a de nouveau dans ce nouveau décret qui sera d'ailleurs présenté aujourd'hui ?
 
Alors, pourquoi est-ce que l'on change le statut des universitaires ? Eh bien tout simplement parce que c'est un statut qui est vieux de 25 ans, qui n'est plus du tout adapté à la façon dont on fait cours aujourd'hui en France. Aujourd'hui, il n'y a pas seulement la présence devant une classe, il y a l'Internet, les cours par Internet, il y a le tutorat, il y a le soutien pédagogique, il y a la formation professionnelle tout au long de la vie, il y a toute une série de missions de enseignants chercheurs qui n'étaient pas prises en compte. Donc, là, ça va être un statut plus souple, un statut qui organise l'évaluation de tous les universitaires, périodiquement...
 
Mais c'est de ça dont ils ne veulent pas.
 
Non, je crois qu'ils sont d'accord pour être évalués, d'ailleurs la plupart le sont très souvent, mais ce qui est important, c'est de fixer des règles du jeu impartiales, parce que maintenant il y a l'autonomie des universités, et que cette autonomie des universités elle doit se faire avec des règles du jeu très strictes, de façon à garantir à tous les universitaires, une carrière indépendante et une carrière, j'allais dire, épanouissante. Derrière le statut, le nouveau statut, il y a tout un programme de revalorisation de toutes les carrières de l'université, qui est très important pour nos jeunes, pour les attirer vers ces métiers de la transmission du savoir.
 
Mais, qu'est-ce que vous avez modifié pour faire passer la pilule, entre le premier et le deuxième décret ?
 
Alors, il y avait une très grande réticence chez les universitaires, à donner l'ensemble du pouvoir de nomination aux universités, et donc nous avons avancé vers un compromis, et le compromis c'est 50 % de nominations locales, dans les universités, et 50 % de promotions qui resteront nationales, pour garantir aux universitaires leur indépendance.
 
Et vous pensez que cette fois-ci ça va passer ?
 
Ecoutez, je l'espère, en tout cas nous avons vraiment réécrit ce texte, dans la concertation, avec l'ensemble des partenaires et j'espère effectivement que nous allons trouver une voie de passage, parce que je pense vraiment que ce nouveau statut est meilleur, qu'il apportera à la fois plus de protection et plus de souplesse pour l'épanouissement des universitaires.
 
Deuxième source de contestation, les suppressions de postes. Il y en a qui sont prévues en 2009. Là-dessus, est-ce que vous êtes prête à faire un geste ?
 
Alors, vous savez que le ministère de l'Enseignement supérieur et la Recherche sont des priorités absolues du gouvernement, des priorités financières, puisque le président de la République nous donne 1,7 milliard d'euros par an, et des priorités aussi en terme d'emplois. L'année dernière, en 2008, il n'y a eu aucune suppression de postes dans l'enseignement supérieur et...
 
Mais cette année il y en a.
 
Et en 2010 et en 2011, le Premier ministre a annoncé qu'il n'y en aurait pas non plus. Donc, nous sommes très privilégiés. En 2009, il y en a eu, symboliquement, puisque, un départ sur six à la retraite n'a pas donné lieu à un remplacement ; un départ sur six c'est trois fois moins que dans tous les autres ministères. Ça montre vraiment la priorité que nous donnons à l'université et à la recherche.
 
Il y a un troisième motif de contestations, c'est la formation des enseignants. Là aussi, les enseignants refusent ce qui est proposé, est-ce qu'il va falloir reculer ?
 
Alors, la réforme de la formation des enseignants c'est de les recruter désormais, non plus après trois ans d'études, à Bac +3, comme on dit, mais de les recruter après 5 ans d'études, avec un diplôme de master. Alors, c'est évidemment une chance, c'est une chance pour nos futurs enseignants, parce qu'ils vont avoir 5 ans d'études et une carrière avec 5 ans d'études....
 
De leur point de vue, ce n'est pas une chance, ils disent qu'ils n'en veulent pas.
 
Ah, non, non, non, je crois qu'ils savent très très bien que les salaires et la formation que l'on reçoit quand on a un Bac +5, quand on a un master, ce n'est pas la même que quand on a un Bac +3. C'est une bonne réforme aussi pour nos enfants, parce qu'ils vont avoir des professeurs des écoles et des professeurs du second degré qui auront un diplôme à Bac +5, qui auront été formés pendant 5 ans à l'université. Donc, c'est une chance. Maintenant, le problème c'est de réaliser une formation de très grande qualité, très rapidement, et de ce point de vue, vous savez que X. Darcos a dit que nous allions étaler le déroulé de la réforme ; elle rentre en vigueur en 2010, l'année prochaine, c'est-à-dire que l'on sera recruté à Bac +5 dès l'année prochaine, mais les concours resteront identiques l'année prochaine, de façon à se donner le temps de faire une formation vraiment de très grande qualité.
 
La coordination des étudiants demande, elle, carrément, purement et simplement, la suppression de l'autonomie des universités. C'est une réforme qui vous tient à coeur...
 
Oui.
 
Vous serez obligée de céder, aussi ?
 
Je crois que l'autonomie c'est la clef du succès de toutes les grandes universités du monde et quand j'ai présidé, vous savez, le Conseil Education européen, pendant la présidence française de l'Union européenne, on a voté une résolution européenne pour dire : toutes nos universités doivent aller vers l'autonomie, parce que l'autonomie c'est à la fois la liberté et en même temps c'est plus de responsabilités. Et donc, cette autonomie, je crois qu'elle est au coeur du succès des universités, pour les étudiants, pour la recherche et donc aujourd'hui il y a 20 universités autonomes, ça fait 20 ans qu'on les attendait, je crois que ça se passe plutôt bien...
 
Il n'y aura pas de recul là-dessus.
 
Ah, mais les universités ça y'est, les universités sont autonomes aujourd'hui, un quart de nos universités sont autonomes.
 
Comment vous expliquez l'inquiétude des étudiants, qui refusent pratiquement toutes les réformes, les unes après les autres ?
 
Je crois que le changement fait peur et je crois qu'en période de crise, le changement fait sans doute encore plus peur. Donc je crois que le rôle de tous les ministres, c'est d'être vraiment en accompagnement de ce changement, en accompagnement avec les moyens mais en accompagnement aussi... Vous savez, c'est terrible dans les réformes, mais le diable est dans les détails, un texte mal rédigé, un changement mal expliqué, etc. des malentendus qui se créent, donc c'est vraiment beaucoup, beaucoup de travail, de lever tous les malentendus, de dialoguer, d'accompagner.
 
Un mot sur l'orientation, les étudiants ont pu choisir, les lycéens ont pu choisir. C'est terminé aujourd'hui, qu'est-ce qui va se passer ?
 
Alors, c'est vrai qu'aujourd'hui nous achevons la première phase d'une grande réforme. "Admissions post-bac" c'est un site Internet sur lequel tous les lycéens de Terminale, dès le mois de février, ont pu inscrire leur choix pour après le Bac et nous avons 120 000 demandes de conseils, qui vont être adressés aux établissements d'enseignement supérieur, aux BTS, aux IUT, aux classes préparatoires, aux universités, pour qu'elles répondent aux lycéens. Je crois que ce conseil d'orientation en période de crise c'est une avancée majeure pour tous nos élèves.
 
Juste un mot sur les régionales. Je disais que vous aviez battu votre collègue du Gouvernement, R. Karoutchi. La bataille a été rude, ça laissera des traces ?
 
Ecoutez, moi, je veux vraiment lancer cette reconquête de la région Ile-de-France dans l'unité, mais aussi dans la volonté de changement. Je crois que nous devons être tous rassemblés et je crois que surtout nous devons mettre en avant nos remèdes face à la crise. Je crois qu'aujourd'hui la région Ile-de-France est immobile face à une crise qui touche tous les Franciliens et je crois vraiment que nous allons travailler sur un plan de relance régional.
 
Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 23 mars 2009