Interview de M. Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, à France-Inter le 9 mars 2009, sur les propositions du Gouvernement concernant la jeunesse dans le cadre de la crise économique et du marché de l'emploi et du pouvoir d'achat.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
 
 
N. Demorand.- Vous lancez aujourd'hui le processus qui doit déboucher au mois de juillet prochain sur les propositions du Gouvernement concernant la jeunesse. Il y a le feu au lac, la crise économique touche très durement les jeunes. Ils sont en première ligne eux aussi...
 
Oui, vous avez tout à fait raison. Ils étaient en première ligne déjà avant la crise, on avait des résultats dont on ne pouvait pas être fiers, les jeunes en France étaient peu intégrés. Et là, ils sont carrément dans le viseur. Ils sont carrément, au moment où la crise prend de telles proportions, celles et ceux qui ont moins d'intérim, moins de contrats, moins de ressources. Donc mon travail est extrêmement simple, c'est chambarder tout cela. C'est être le grand chambardeur pour les jeunes, pour faire en sorte qu'effectivement, on renverse la tendance et que la crise ne se fasse pas sur le dos des jeunes mais la crise se fasse sur la force des jeunes.
 
Pourquoi sont-ils si visés, les jeunes, dans la crise économique ? Quelle est la spécificité, on va dire, du marché de l'emploi français qui fait que les jeunes en souffrent particulièrement chez nous ?
 
C'est qu'on a un marché de l'emploi qui est malthusien et on a un système dans lequel on demande si vous voulez, de manière presque ironique, à des gens d'avoir déjà de l'expérience professionnelle pour acquérir la première expérience. C'est aussi bête que ça. C'est aussi scandaleux que cela d'ailleurs, parce que quand on voit l'ensemble des jeunes diplômés, non diplômés, etc., on leur renvoie toujours à la figure quelque chose qu'on ne leur permet pas d'acquérir.
 
C'est-à-dire "soyez expérimentés et vous pourrez rentrer dans l'entreprise", mais vous ne pouvez pas rentrer dans l'entreprise parce que vous n'avez pas d'expérience...
 
Exactement !
 
Mais ça, est-ce que c'est réformable parce que ça existe depuis des années ? C'est l'une des spécificités du marché du travail français...
 
Oui, et on pourrait en prendre d'autres. C'est le renvoi de balle entre les uns et les autres. Si vous voulez, moi ce qui m'a frappé depuis deux mois que je fais le tour des différents interlocuteurs, c'est que tout le monde est d'accord sur le constat - d'ailleurs je pense que cet après-midi, on sera soixante autour de la table, on mettra peu de temps sur le constat -, et tout le monde est d'accord pour dire que c'est la faute de l'autre. C'est-à-dire que les entreprises vous diront que c'est la faute de l'Education, l'Education vous dira que c'est la faute des Missions locales, les Missions locales vous diront, etc. Chaque acteur considère qu'il fait bien son boulot mais que c'est la faute de l'autre. Voilà. Quand on est dans cette situation-là, on met tout le monde autour de la table et on les cadenasse. C'est-à-dire pas de stratégie du bouc émissaire, il faut qu'entre Etat, régions et départements, entre partenaires sociaux et Etat, il y ait un moment prise de conscience et réalisation. On ne lâchera pas.
 
Vous avez eu des mots avec la présidente du Medef, L. Parisot. Est-ce que les patrons jouent le jeu ?
 
Ça dépend lesquels. Moi, j'ai passé toute ma journée de samedi enfermé avec quelques grands patrons d'entreprise à discuter de ces sujets-là, avec le professeur Yunus - et d'ailleurs la question des jeunes est passée en premier...
 
Le professeur Yunus qui est...
 
...Prix Nobel de la paix, inventeur du micro crédit et quelqu'un qui...
 
Grande conscience mondiale !
 
Oui. Et donc, effectivement, ce qui m'a frappé, c'est qu'on entendait des chefs d'entreprise très clairs sur le sujet, en disant effectivement si la manière dont on sort de la crise, c'est pour privilégier nos actionnaires, fonds de pension, c'est-à-dire les vieux au détriment des jeunes, à moyen terme, nous sommes fichus. Si nous prenons conscience qu'effectivement nous devons faire la place aux jeunes maintenant, dans ce cas-là on peut s'en sortir. Donc c'est là-dessus qu'on va s'appuyer, ce n'est pas sur les forces conservatrices.
 
Elles sont où les forces conservatrices, au Medef ?
 
Un peu partout, elles sont un peu partout.
 
Et au Medef, où ça en est parce que c'est tout de même un acteur essentiel de la question de l'embauche, de l'emploi et de l'entreprise.
 
Oui, mais pas uniquement. Si vous voulez, le Medef a des bons côtés et des mauvais côtés. Il y a des bons côtés quand effectivement avec L. Parisot, on signe une convention pour que les entreprises embauchent des personnes qui sortent des entreprises d'insertion. Je voyais d'ailleurs qu'un certain nombre des patrons qui étaient là samedi n'étaient pas au courant de ce type d'accord. Donc il y a des choses qui sont bien, il y a d'autres choses sur lesquelles il y a un certain nombre de conservatismes.
 
Par exemple ?
 
Qui est de renvoyer la balle sur les autres, de ne pas se mettre en position de risque, de pouvoir faire en sorte... Voilà, c'est ces difficultés-là que je dénonce calmement chez les uns et chez les autres. On va se retrousser les manches et on s'en sortira. Moi, je prends un engagement solennel sur cette question-là. La question des jeunes est grave, la question des jeunes peut s'aggraver. Les jeunes, vous l'avez souligné vous-même et tout le monde le dit, sont en première ligne devant la crise. Je ferai tout et je prendrai tous les risques pour réussir, pour faire en sorte qu'à la rentrée prochaine, on ne se retrouve pas avec des centaines de milliers de jeunes en plus, laissés sans emploi, sans formation ou sans ressources. Je n'ai pas le choix que réussir. Je ne m'éterniserai pas, je ne ferai pas le malin. Si on ne réussit pas cela, je prends cet engagement solennel devant cette situation qui est suffisamment grave.
 
"Ne pas faire le malin", ça veut dire quitter le Gouvernement c'est ça ?
 
Soit on réussit, soit on ne s'éternise pas. Cela me parait assez logique. Je trouve que les jeunes prennent des risques. Moi, je mets...
 
...Votre portefeuille dans la balance, c'est ça, ce que vous êtes en train de dire M. Hirsch ?
 
La situation, tout, il faut y arriver. On n'a pas le droit de... Sinon, d'autres feront mieux que moi probablement. Mais là, on n'a pas le droit de se louper, il y a trop d'attente ! J'étais vendredi devant, enfin on est tout le temps devant mais c'est des bêtises ! Qu'est-ce qu'on va proposer ? Ils n'arrivent pas à trouver de travail parce qu'ils n'ont pas les quelques centaines d'euros pour payer le permis de conduire. Alors quand on était sur les moins jeunes avec le Revenu de solidarité active, au-delà de 25 ans, on a mis une aide personnelle au retour à l'emploi qu'on peut déclencher, eh bien je veux qu'on la déclenche. C'est ce qu'on proposera. D'ailleurs, avec L. Wauquiez, on est sur la même ligne, c'est ce qu'on proposera tout de suite pour que ce soit applicable aux jeunes, qu'on ne leur dise pas qu'on a rien à leur proposer. Je veux que les stagiaires de la formation, on proposera que ceux qui sont en formation professionnelle, ils soient moins payés au lance-pierres, qu'on revalorise l'accès à la formation professionnelle. Je souhaite qu'on puisse regarder et qu'on lance des programmes expérimentaux sur des territoires pour vérifier quelle est la distance pour ne pas laisser un seul jeune sans emploi, sans formation. Voilà, il y a vraiment énormément de choses que l'on fera.
 
B. Julliard, qui est membre du Parti socialiste, en charge des questions que vous venez de décrire aussi - des questions d'éducation, l'université et plus largement de jeunesse -, dit que votre budget, c'est 20 euros par jeune. C'est vrai ou c'est moins ?
 
Ce n'est pas vrai, c'est beaucoup plus. Le budget des jeunes, l'effort de la Nation vis-à-vis des jeunes, il est de plusieurs milliards. On va d'ailleurs le mesurer et on va voir s'il faut l'accentuer ou ne pas l'accentuer, dans quelle condition. La petite malinerie que fait B. Julliard, c'est de regarder quels sont les programmes expérimentaux. Sur les programmes expérimentaux, on a mis 150 millions d'euros. Quand j'ai commencé le RSA, on a fait des expériences avec 20 millions d'euros. Donc il y avait tous les ricaneurs de la terre, qui ne foutent rien, qui disaient, "qu'est-ce qu'il va faire avec 20 millions d'euros ?". 20 millions d'euros, 30 millions d'euros, trois mois après, un milliard et demi un an après, 2 milliards 3 un an et un mois après. Mais peu importe, c'est juste que, moi, il n'y a pas un seul engagement que je n'ai pas tenu ! Vous regardez depuis deux ans, tous les engagements que j'ai pris et c'était des engagements difficiles, je les ai tenus, je les ai tenus parce que c'est des engagements que l'on prend vis-à-vis des personnes les plus fragiles, vis-à-vis des personnes les plus en difficulté, vis-à-vis des personnes les plus vulnérables, dont les jeunes. Et donc, les engagements que je prends, soit je les tiens, soit j'en tire les conséquences. Voilà ça tranche peut-être avec la manière dont on agit en général, mais moi je n'ai pas peur de trancher. On prendra tous les risques.
 
Je vous sens particulièrement en colère ce matin, pour quelle raison ?
 
Si vous voulez, moi ça fait deux mois que je vois des gens qui ont fait tout ce qu'on leur a dit de faire bien. Ils ont suivi tout le parcours, ils ont envoyé des centaines de CV et quand il ne se passe pas grand-chose, je me dis qu'il y a un moment où il faut effectivement secouer, secouer, sortir, avoir un peu plus d'audace et appeler les uns et les autres à avoir de l'audace et ne pas se laisser faire.
 
On a pu lire dans la presse un écho qui indiquait que l'UIMM finançait ou compterait financer une partie de votre politique de la jeunesse ; est-ce vrai ?
 
Oui, une partie des programmes expérimentaux, mais j'espère que ce n'est pas une surprise pour vous. Et j'avais dit, le magot de l'UIMM, utilisons-le bien. Il y a une partie qui ira sur l'enseignement supérieur, une partie qui ira sur les programmes de formation. Quelque chose de très bien par exemple, on va cofinancer un programme qui permet de prévenir l'échec en apprentissage. Il y a un tiers des jeunes qui, quand ils rentrent en apprentissage, en sortent au bout de trois mois, au bout de quatre mois. On ne sait même pas dire pourquoi. Donc c'est ce genre de chose. Et je suis en contact avec d'autres entreprises pour financer d'autres choses. Pas à la place de l'Etat, bien évidemment, en plus de l'Etat. Voilà j'en appelle aux responsabilités et ensuite je fais.
 
Vous en avez appelé également à la responsabilité de Total, le jour où cette entreprise a annoncé de supers profits. Avez-vous eu une réponse ? Vous avez dit que ces supers profits soient investis dans une politique ambitieuse d'embauche et d'emploi. Avez-vous eu une réponse ?
 
Oui. Alors ? J'ai passé une heure et demie avec le patron de Total, il y a une huitaine de jours. J'ai expliqué pourquoi il me semblait qu'il y avait un certain nombre de choses qui pouvaient être faites, qui n'étaient pas faites aujourd'hui. J'ai fait des propositions. On est en discussion pour voir si effectivement Total peut, non pas faire de la charité mais investir dans un certain nombre de programmes qui concernent les jeunes, l'emploi et leur avenir. Et on ne m'a pas ri au nez pour l'instant.
 
Une dernière question : Le Gouvernement et les ministres en charge du dossier ont dit à plusieurs reprises que la politique de baisse de l'emploi public était confirmée et que ça ne bougerait pas. Il y a un gel qui a été annoncé pour l'enseignement supérieur mais pas pour les autres ministères. N'est-ce pas en contradiction absolue avec votre portefeuille de Haut commissaire à la jeunesse, qui cherche justement à faire travailler les jeunes ?
 
Non, ce n'est vraiment pas en contradiction. Et je ne le dis pas parce que vous venez de rappeler que c'était un principe qui était intangible, sur les volumes qui étaient tangibles entre les secteurs, et je me réjouis qu'effectivement on continue à faire une exception sur l'enseignement supérieur et la recherche. Les jeunes ont besoin d'emploi, de créer leurs entreprises, etc.
 
Il y en a qui peuvent vouloir être fonctionnaires, et être profs, et entrer à l'hôpital, je ne sais pas. Enfin, dans certains secteurs.
 
Ils continueront et il y aura toujours des besoins dans ces secteurs-là, mais pas au prix d'autre chose.
 
Source : Premier ministre, Service d' Information du Gouvernement du 9 mars 2009