Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à France-Inter le 24 mars 2009, sur le mouvement de protestation dans l'enseignement supérieur et les universités contre l'autonomie universitaire.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
N. Demorand.- Le mouvement de protestation dans l'enseignement supérieur, dans le monde de l'Education entre dans sa huitième semaine. Deux mois ! Comment en est-on arrivés là ?
D'abord, je voudrais faire observer que, derrière tous ces mouvements, il y a beaucoup de choses qui marchent. Et que, je prends par exemple dans l'école primaire ou dans le second degré, il y a énormément de services nouveaux qui ont été créés. Tous les jours, des enfants de collège, ils sont près d'1 million, restent de 16 à 18 heures pour avoir de l'accompagnement éducatif ; la réforme de l'école primaire est rentrée aujourd'hui dans sa... s'est installée en quelque sorte, les nouveaux programmes sont là ; l'accompagnement personnalisé fonctionne et donne satisfaction aux parents ; 91 % des parents dont les enfants bénéficient de ce soutien de l'école primaire en sont satisfaits. Nous avons créé des stages pendant les vacances, par exemple, pour les jeunes qui veulent apprendre l'anglais. Bref, il y a beaucoup de choses qui marchent. Et je ne voudrais pas que...
Mais il y a des choses qui ne marchent pas aussi.
Oui, c'est vrai, je vais y répondre, mais je ne voudrais pas que l'arbre cache la forêt, et que l'on ait l'impression, vu que rien ne fonctionne, et que tout est en vrac, parce que ce n'est pas le cas.
Mais c'est un arbre ou c'est une forêt, justement, que vous avez devant vous ?
Non, je pense que la manière dont les choses sont vues aujourd'hui est une manière qui est un peu dramatisée, qui passe évidemment par beaucoup de tension, mais qui cache que, au quotidien, partout, dans nos établissements, dans nos collèges, dans nos lycées, dans les écoles primaires, il y a des gens qui travaillent, des services qui sont rendus et des parents qui sont satisfaits.
Mais comment en est-on arrivé, je vous repose la question, à un tel niveau de défiance ?
En tous les cas, il y a dans les mouvements que nous voyons aujourd'hui, ceux qui se posent de vraies questions, qui souhaitent que les choses s'améliorent, qui veulent débattre avec nous ou avec V. Pécresse. Et puis il y a ceux qui considèrent que le verdict du suffrage universel ne concerne que ceux qui l'acceptent, et qui n'acceptent pas des réformes qui ont été décidées démocratiquement, qui ont été votées par le Parlement, et qui s'y opposent de manière systématique.
Donc, c'est un mouvement politique, vous dites, aujourd'hui ?
Je dis qu'il faut faire le partage entre les deux. Je dis qu'il y a beaucoup de questions qui sont posées, qui sont des questions de bonne foi, auxquelles d'ailleurs nous répondons petit à petit. Voyez par exemple, la question du recrutement des enseignants : nous sommes en train d'évoluer assez favorablement, parce que nous nous sommes beaucoup parlé, nous avons beaucoup avancé. Voyez la réforme du lycée, le travail qui est fait aujourd'hui pour entendre les lycéens.
Mais pour le reste, c'est politique, vous dites ?
Et puis, il y a parfois aussi des oppositions qui sont systématiques, et qui considèrent que les lois votées ne doivent pas s'appliquer, et qu'il faut à tout prix s'y opposer de manière systématique.
Mais vous le dites avec des euphémismes ; vous reculez sur tout en substance, et ça ne suffit pas à désamorcer la crise !
Non, non, nous ne reculons pas sur tout. Nous expliquons mieux et nous négocions. Lorsque nous ne...
Sur le lycée, vous reculez ? Sur le décret des enseignants-chercheurs, on reprend, on part d'une feuille blanche ?
Non, je ne le présenterais pas comme ça. D'ailleurs, vous voyez bien dans votre question : soit, vous dites : "vous êtes... vous n'entendez pas, vous êtes bloqué".
Ah ! Je n'ai pas dit ça, non !
...donc, vous avez une opposition absolument systématique et tout le monde proteste, et on dit : le Gouvernement est autiste, il n'entend rien, etc. Soit, nous disons, c'est vrai, il y a une contestation, il y a des discussions, reparlons, éventuellement repartons de zéro, oui, pourquoi pas, c'est bien ce que nous avons fait sur le lycée. Et à ce moment-là, on dit : vous reculez, etc., vous êtes faibles. Donc, il faut savoir. Ce que nous souhaitons c'est que les réformes que nous proposons soient comprises, et lorsque nous sentons qu'elles ne le sont pas ou qu'elles suscitent une opposition absolument systématique, nous reparlons. Sur le lycée, nous n'avons pas reculé, nous avons simplement décidé que des lycéens devaient être tous entendus. Sur le décret enseignants-chercheurs, il n'a pas été retiré, il est réécrit et d'ailleurs, je crois, c'est aujourd'hui même qu'il est examiné en CTP. Donc, c'est un travail très difficile, très long, un travail de discussions presque incessantes, mais on ne peut pas dire que ce soit un recul. Un recul ça consisterait d'ailleurs à faire le choix de ne pas réformer alors que le pays en a besoin.
"La coordination nationale des universités menace le Gouvernement", c'est le titre de la dépêche AFP que j'ai sous les yeux, "et pose ses conditions incontournables - je cite la coordination nationale - pour sortir de cette crise : retrait du décret statutaire, retrait du décret sur la masterisation, retrait du contrat doctoral unique, arrêt du démantèlement des organismes de recherche, engagement clair en matière d'emplois statutaires. Hors de ça, pas de sortie de crise". Que répondez-vous à la CNU ?
D'abord, il n'y a pas que a CNU qui parle dans ce...
Mais là, c'est sur ce point-là que je vous interroge.
La CNU demande le retrait de tout, de dossiers qui essentiellement sont liés d'ailleurs au supérieur. Je rappelle que nous négocions aussi avec d'autres interlocuteurs ; nous avons devant nous les présidents d'universités, les directeurs d'UIFM, les grands syndicats du supérieur, la Conférence des présidents d'universités qui sont aussi tout à fait représentatifs, et qui sont autour de la table et qui parlent avec nous. L'esprit de système qui consisterait à dire "le tout ou rien" n'est pas raisonnable, et ce n'est pas une manière de sortir de cette crise.
Mais vous reconnaissez bien qu'on est en crise en France, entre le monde de l'enseignement, de la recherche, et les membres du Gouvernement qui ont la charge de ces dossiers ?
Il me semble que la crise est moins grande aujourd'hui dans le second degré, dans l'école primaire, au collège, et au lycée. On peut même dire que les choses se sont à peu près stabilisées, qu'il reste un certain nombre de dossiers à terminer dans le supérieur. Mais on ne peut pas dire que tout soit en crise, en tous les cas ce n'est pas le sentiment qu'on a lorsqu'on va dans un établissement scolaire aujourd'hui du second degré.
Sur le dossier du recrutement des enseignants, des nouvelles manières de le faire, des nouvelles maquettes de concours, du nouveau contenu, de la formation également, où en est-on exactement ? Parce qu'un certain nombre des interlocuteurs que vous venez de décrire pointent le flou de la position aujourd'hui du ministre et du ministère ?
Oui, ils pointent le flou mais c'est en même temps avec eux que nous avons négocié cette position.
Alors, on en est où, comment peut-on la formuler clairement aussi pour dissiper le flou ?
Clairement, nous continuons à considérer tous que c'est dans l'intérêt de tout le monde que les professeurs soient recrutés lorsqu'ils auront bac + 5, que c'est l'intérêt général, que le niveau de recrutement des enseignants progresse, que c'est d'ailleurs un engagement qui correspond à ce que souhaite la France dans le cadre de ses accords européens, et que c'est un moyen de mieux payer les enseignants. Donc, cet objectif-là n'est pratiquement pas contesté, ne l'est plus. Et donc, que l'horizon pour cette masterisation c'est 2010-2011. Toute la difficulté c'est de savoir comment passer du système d'aujourd'hui au système de 2010-2011. Et donc, ce que nous avons négocié c'est surtout cette transition. Et nous sommes arrivés à cette constatation, qu'il est très très difficile, qu'il était très difficile, tout de suite, en 2009-2010, de faire passer les mêmes épreuves de concours que ce qui se ferait l'année suivante. Tout simplement parce que les étudiants sont engagés vers des processus de formation, parce qu'ils ont un cursus d'études particuliers, que certains s'étaient déjà présentés au concours cette année en étant...
Et les règles auraient changé sinon en cours de route...
Voilà. Donc, nous avons proposé que les épreuves mêmes du concours restent les mêmes, et par ailleurs, nous avons pris un certain nombre de décisions qui sont très favorables à ceux qui se présentent à nos concours. D'une part, pour qu'ils soient mieux formés avant - je rappelle que les accueillerons en stage dans nos établissements, en particulier 108 heures de stage rémunéré. Deuxièmement, pour qu'ils soient mieux accompagnés après, c'est-à-dire, ils passent le concours et ensuite ils sont en alternance dans nos établissements, accompagnés, ils continuent à se former, à avoir des cours à l'université. Et d'autre part, revaloriser les métiers. Donc, après une discussion très longue, ça fait pratiquement... pendant 15 jours nous n'avons que ça, nous sommes arrivés à un texte intermédiaire qui semble enfin une convergence, qui semble à peu près à un point d'équilibre, nous allons finir de négocier dans la semaine avec V. Pécresse. Mais je pense qu'on peut considérer que sur "la masterisation" comme on dit...
Et les nouveaux concours, donc, en 2011 ?
La nature des nouveaux concours, les concours avec nouvelles épreuves, telles qu'elles avaient été préalablement définies, ça sera pour l'année 2010-2011 en effet.
Pensez-vous, considérant que ce mouvement dure, qu'il y a une menace sur la bonne tenue des examens de fin d'année ?
Ce n'est pas la première fois qu'il y a des tensions très fortes au printemps dans le système scolaire ou le système universitaire. Jamais les enseignants n'ont fait payer le prix de leur mouvement aux élèves ou aux étudiants. Et donc, je crois que les examens se passeront.
Pensez-vous que les milieux de l'Education et de la recherche sont rétifs à la réforme ?
Je pense surtout que la réforme, à tout niveau, a peut-être été assez rapide et que...
Trop ?
En tout cas, c'est un milieu qui est très attaché à la notion de temps, à la notion de discussions, à l'indépendance aussi, et que c'est notre travail de continuer à parler. Je suis moi-même un peu issu de ce milieu, je connais l'attachement de ce milieu à ses traditions, à son indépendance, à son autonomie intellectuelle, et c'est un peu inévitable qu'il y ait parfois des tensions. Mais en même temps, je le répète, il ne faut pas qu'il y ait une opposition systématique aux réformes qui sont voulues par le pays, qui ont été votées par le Parlement. C'est le fonctionnement de la démocratie.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 24 mars 2009