Texte intégral
J.-F. Rabilloud et A. Crespo-Mara.- J.-F. Rabilloud : Bonjour J.-C. Mailly.
Bonjour.
J.-F. Rabilloud : Secrétaire général de Force Ouvrière. Vous venez d'entendre C. Barbier. Commentaire sur les débordements ? Par exemple, les risques de débordements aujourd'hui ?
Non, je ne pense pas qu'il y a beaucoup de risques de débordements dans les manifestations. Par contre il peut y avoir, il y a déjà, mais il peut y avoir dans les semaines à venir, des conflits durs dans les entreprises, qui sont des conflits où les salariés, comme je l'ai dit, sont en légitime défense. On l'a vu à Continental, on l'a vu dans d'autres entreprises, et ça il peut y avoir des conflits durs, tout à fait.
A. Crespo-Mara : Vous misez sur une plus forte participation des salariés du privé aussi, à côté des fonctionnaires, des enseignants ?
Oui, c'était déjà le cas le 29 janvier, mais ce sera le cas aujourd'hui bien entendu. Il y a, y compris des appels à la grève dans le secteur privé, mais il y aura des salariés du privé dans les manifestations aujourd'hui, qui sont directement impactés par la crise, notamment sur le domaine de l'emploi, c'est évident.
J.-F. Rabilloud : Beaucoup de gens se demandent à quoi ça sert de manifester contre une crise économique internationale.
Mais attendez ! Ce n'est pas contre une crise économique, ce n'est pas du happening, je veux dire. Si on veut sortir le plus rapidement possible de cette crise - et C. Barbier le disait, personne ne sait en fait combien de temps elle va durer, quelles conditions, qu'est-ce qui va se passer dans les semaines à venir -, il faut pouvoir jouer sur toutes les manettes. Alors il y a les manettes européennes, il y a les manettes internationales, mais il y a aussi les manettes nationales. Et c'est ce que nous disons au Gouvernement. Pour le moment, il a fait un plan de relance assez inefficace, il faut le reconnaître, donc à partir de là il faut jouer sur d'autres leviers, y compris le soutien à la consommation, si l'on veut sortir... on ne sortira pas tout seul de la crise, mais en tous les cas il faut, y compris en France, prendre des mesures, et des mesures fortes.
A. Crespo-Mara : Concrètement, les nouvelles mesures sur l'emploi que vous attendez, par exemple dans un secteur comme l'automobile, qui est frappée de plein fouet par la crise, où il y a donc des ventes qui chutent, des emplois qui sont supprimés, vous attendez quoi comme mesures concrètes ?
On attend notamment ce que l'on nous dit depuis des mois, mais il n'y a rien de fait par exemple, qu'à chaque fois qu'il y a une aide à l'entreprise, elle soit conditionnée. S'il n'y a pas d'engagement de l'entreprise, il n'y a pas d'aide. Il faut que les choses soient claires. Et ça il faut une disposition législative ensuite. Il faut que le comité d'entreprise soit informé etc., bien entendu, mais s'il n'y a pas la contrainte d'une aide avec des contreparties, ça ne marchera pas. Il faut soutenir la consommation par des augmentations de salaire également. Il faut bien comprendre, il y a un élément de fond aujourd'hui. Qu'est-ce qui fait que pendant une période de crise, crise très forte, les salariés descendent dans la rue, les salariés relèvent la tête ? C'est qu'ils ont un profond sentiment d'injustice sociale. Et ça, je crois que, ni le Gouvernement, ni le patronat, ne l'ont encore compris.
J.-F. Rabilloud : Où est la barre du succès et de l'échec ce soir au terme de la journée ?
Ce que l'on souhaite, ce que l'on attend, c'est au moins la même chose que le 29 janvier. Si c'est ça, ça veut dire qu'il y a une mobilisation qui aura été très forte aujourd'hui également.
A. Crespo-Mara : Et vous espérez un coup de fil de l'Élysée, qui pour l'instant s'engage à ne pas faire de dépenses supplémentaires ?
Il faut faire la part des postures. Est-ce que c'est des postures d'avant manifestations ? J'ai compris que le Premier ministre sera sur TF1 ce soir. Si c'est pour nous dire : attendez ! Les mesures du 18 février elles n'ont pas encore été mises en place, on va peut-être un peu les accélérer, c'est court. Si c'est ça, c'est vraiment trop court. Il faut qu'il ouvre des portes, et rapidement, parce que plus on va attendre, plus ce sera dur.
J.-F. Rabilloud : Qu'est-ce que vous lui demandez, en deux phrases, pour ce soir ?
Qu'il fasse des gestes significatifs, à la fois sur le domaine fiscal, on demande tous la remise en cause du paquet fiscal, ce n'est pas simplement le bouclier fiscal, c'est le paquet fiscal.
J.-F. Rabilloud : N. Sarkozy a dit non, je ne suis pas là pour augmenter les impôts.
Oui, enfin, il n'était pas là non plus pour baisser le pouvoir d'achat et augmenter le chômage ! On peut jouer à ce petit jeu-là pendant longtemps, je veux dire. Ce n'est pas sérieux de genre de réponse.
J.-F. Rabilloud : Donc le paquet fiscal, et puis ?
Il faut qu'il fasse un geste sur le SMIC, et le plus rapidement possible, nous le demandons depuis longtemps également, et il faut qu'on accélère sur les questions d'emploi et de formation. C'est les trois points clés aujourd'hui. Et le service public, bien entendu.
J.-F. Rabilloud : Est-ce que vous avez le sentiment, comme le dit une grande partie de la presse quotidienne ce matin, c'est assez étonnant d'ailleurs, que L. Parisot, la patronne du Medef, jette de l'huile sur le feu ?
A. Crespo-Mara : Elle parlait de démagogie des syndicats.
Oui, je ne comprends pas d'ailleurs, parce que sur certains dossiers on a des discussions pour améliorer la question des stagiaires en ce moment, là elle se montre ouverte, et puis sur les retraites complémentaires, et hier contre la grève, c'est un peu surréaliste. Moi je ne comprends pas tellement son intervention. Elle devrait comprendre, L. Parisot, que ce n'est pas la grève d'aujourd'hui qui va mettre en péril l'économie, mais c'est les théories économiques qu'elle défend depuis longtemps, qui ont mis en péril l'économie française et internationale.
J.-F. Rabilloud : Vous avez lu sans doute la Une du Figaro ce matin, toute la manchette : « La surenchère des syndicats face à la crise. » Vous êtes directement mis en cause, vous tous, l'ensemble des syndicats. Trois thèmes : l'unité de façade, la France seule en Europe à subir un tel mouvement, et puis les violences de la CGT - vous c'est Force Ouvrière - sur le port de Marseille. L'unité de façade des syndicats ?!
C'est une unité d'action, une unité d'action ça veut dire qu'on a des différences d'analyse entre nous, ce n'est pas nouveau. Force Ouvrière met plus l'accent sur le pouvoir d'achat, par exemple, mais on traite aussi des questions d'emploi et de formation, c'est une unité d'action. Une unité d'action c'est plusieurs organisations avec leurs spécificités, qui sont, pour le moment, dans un combat commun. Donc ce n'est pas une unité de façade, c'est une unité d'action.
A. Crespo-Mara : L. Parisot, on en parlait tout à l'heure, le Gouvernement lance un ultimatum au patronat en disant : attention, les bonus des patrons, il va falloir se calmer quand il y a des licenciements. Pour vous ça va dans le bon sens ?
Attendez, ça fait des mois que le Gouvernement lance des ultimatums. Il a dit aussi : on va regarder, sur les stock-options, les bonus ; le Medef dit on va faire un code de bonne conduite. Ah bien on va attendre le code de bonne conduite. Moi j'attends qu'il prenne des décisions, il faut arrêter de repousser... Ecoutez, Obama il en prend des décisions, sur ce plan-là au moins. Il dit : au dessus de 500.000 euros c'est interdit. Par rapport aux patrons d'AIG, il dit : si sous 24h00 vous n'avez pas réglé le problème, on fait une intervention. Voilà, c'est une question de justice également.
A. Crespo-Mara : Là c'est 15 jours pour L. Parisot, manifestement.
Qu'est-ce qu'ils vont faire dans 15 jours ? On en reparlera dans 15 jours.
J.-F. Rabilloud : C'est vrai qu'on est le seul pays d'Europe, ou l'un des seuls, à réagir par la grève et par les manifs, et des manifs en général spectaculaires, à la crise internationale.
Qu'il y ait une dimension internationale à cette crise, personne ne le nie, dimension européenne également, mais il y a aussi des dispositions nationales. Moi, il y a 3 jours, j'étais en réunion, la Confédération européenne des syndicats, avec l'ensemble des leaders syndicaux de l'Europe, il commence à y avoir quelques mouvements également dans d'autres pays. Il y a eu des manifs en Irlande, il y a eu des manifestations dans les pays Baltes, il y a quelques manifestations de prévues, de caractère européen cette fois, Bruxelles, Madrid etc. Donc, oui mais c'est aussi... les leaders des autres pays nous disent : écoutez, c'est bien ce que vous faites en France. On est très regardés également, y compris - c'est peut-être une spécificité française - certains disent que c'est archaïste, d'autres disent que c'est l'avant-garde.
A. Crespo-Mara : On parle beaucoup de la présence d'O. Besancenot dans les entreprises ; il a été contesté un peu par F. Chérèque récemment. Il vous dérange O. Besancenot ? Il prend trop de place ?
Ce n'est pas qu'il prend trop de place. O. Besancenot c'est un responsable politique, alors en tant que responsable politique il peut prendre les affirmations et les décisions qu'il veut, sauf que quand il y a des mouvements sociaux, ce n'est pas les politiques qui gèrent les mouvements sociaux, ce sont les syndicats. Alors chacun sa place.
J.-F. Rabilloud : Est-ce qu'il fait le rapace autour des entreprises ?
Ce n'est pas un terme que j'aurais employé, mais... c'est plus facile, quand est responsable politique, de dire par exemple : il faut faire une grève générale etc., quand on n'a pas à la mener. Mais ce n'est pas les responsables qui décident, ce sont les salariés.
J.-F. Rabilloud : Est-ce qu'on peut multiplier les journées d'action à l'infini comme ça ? Parce que finalement la dernière c'était il y a moins de 2 mois. Il va y avoir le 1er mai etc....
Non, moi je l'ai dit, on ne peut pas... ce qu'on appelle des journées sautemouton... on ne peut pas toutes les 3 semaines, ou tous les mois, dire aux salariés : on va appeler à une telle journée. Là, cette journée est forte, on va voir ce que dit le Gouvernement, mais ce qui est nécessaire c'est de maintenir la pression, y compris sur une longue durée. Ça veut dire qu'il y a une unité d'action qui se maintienne, avec des formes qu'on aura à discuter demain, et puis il y a d'autres rendez-vous de prévus.
J.-F. Rabilloud : Donc le bon titre c'est celui des Echos : « Les syndicats promettent une guerre d'usure à Sarkozy. »
La formule est pas mal.
J.-F. Rabilloud : Merci J.-C. Mailly.
Merci à vous. Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 mars 2009