Tribune de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, dans "Le Figaro" le 14 mars 2009, sur la préparation du sommet du G20, intitulée "Pourquoi nous serons ambitieux au sommet de Londres".

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Pourquoi nous serons ambitieux au sommet de Londres
La Conférence économique mondiale s'est ouverte à Londres... il y a 76 ans. Le 12 juin 1933, pour mettre un terme aux désordres monétaires et aux guerres commerciales, 66 pays se retrouvaient dans la capitale britannique et tentaient de tirer les leçons de la grande dépression. Après plusieurs mois de négociations, les conférenciers se séparaient sur un constat d'échec.
Le 2 avril 2009, les chefs d'Etat et de gouvernement reprendront le chemin de Londres pour apporter une réponse à une crise économique et financière d'une ampleur sans précédent. Nous ne pouvons pas laisser l'histoire se répéter et l'inaction collective prévaloir, au risque de nous ramener aux impasses politiques et économiques des années 1930.
Pour préparer cette échéance, les ministres des Finances se réuniront ce week-end. Je proposerai à mes partenaires de poser les bases d'un système financier rénové fondé sur de nouvelles règles, les principes de responsabilité et de transparence.
Nous devons réagir ensemble en urgence à la dégradation de la conjoncture économique et à l'instabilité financière. C'est le rôle des plans de relance et des plans de sauvetage financiers mis en place, pour la première fois dans l'histoire, simultanément en Europe, aux Etats-Unis et dans certains grands pays d'Asie. Les plans européens sont plus importants que ne le disent certains : ils représentent 400 milliards d'euros, soit 3,3 points de PIB, en incluant les stabilisateurs automatiques. C'est aussi le rôle des institutions financières internationales d'apporter un soutien massif aux pays les plus fragilisés.
Mais il nous faut aller au-delà en redéfinissant les principes fondateurs et les règles de fonctionnement du système financier. Nous ne pouvons nous contenter de traiter les symptômes et réaliser demain que nous avons engagé un effort budgétaire considérable sans prendre les mesures structurelles d'accompagnement. Il faut plus de transparence et de responsabilité, une meilleure régulation et une supervision efficace. Je suis convaincue que nous ne sortirons de la crise qu'en mettant fin aux zones d'ombre du système financier, soit en étendant significativement le champ de la régulation et du contrôle. Comment imaginer faire revenir la confiance entre les acteurs, quand certains échappent aux règles ?
Lors du sommet de Washington, le 15 novembre 2008, l'Union européenne avait proposé un principe fondamental : tous les marchés, tous les territoires et tous les acteurs présentant des risques pour le système financier dans son ensemble doivent être l'objet d'un contrôle ou d'une surveillance. Ce principe, adopté par tous les participants, doit être mis en oeuvre, au risque de bousculer des habitudes et des rentes de situations confortables : ce sera un test de notre détermination.
Nous devons ainsi surveiller de près les acteurs des marchés financiers comme les hedge funds. Il n'est pas acceptable que certains, qui représentent jusqu'à plus de 50 % des transactions sur les Bourses, ne soient pas enregistrés et soumis à des règles de transparence. La supervision des banques doit-elle être aussi renforcée pour prendre en compte leur exposition à l'égard de ces fonds.
Cette même exigence s'applique aux agences de notation, dont les dysfonctionnements ont contribué à la formation de la crise. Les principes sont simples : des règles plus strictes notamment en matière de conflits d'intérêts, une échelle de notation spécifique pour les produits complexes et une publication régulière de leur performance. L'Europe s'est engagée en ce sens avec l'adoption prochaine d'un règlement européen préparé sous Présidence française. Nous attendons de tous nos partenaires qu'ils en fassent autant.
Lutter contre les zones d'ombre, c'est aussi mettre un terme à l'attitude des Etats qui refusent la coopération internationale dans les domaines de la fiscalité, de la lutte contre le blanchiment ou de la prévention des risques financiers. Nous ne construirons pas un système plus sûr en maintenant la possibilité d'échappatoires à ceux qui ne veulent pas respecter les règles. L'Allemagne et la France sont prêtes à aller très loin : nous demandons que soient établies des listes de ces pays non coopératifs et que nous ayons une boîte à outils de sanctions. A tout le moins, une banque qui décide de travailler avec un pays ne respectant pas les meilleurs standards dans le domaine prudentiel devra en faire état publiquement chaque année. Son superviseur devra lui imposer des contreparties financières, en réponse à ces risques supplémentaires.
Je proposerai aussi à mes collègues de replacer le principe de responsabilité au coeur d'un système qui avait perdu le sens de la mesure. Les modalités de rémunération des opérateurs de marché sont représentatives des erreurs collectives qui ont été commises. La priorité était donnée au très court terme et tout pouvait inciter à prendre des risques excessifs. Je propose que nous revoyions ces principes en différant le versement des bonus dans le temps, pour prendre en compte la rentabilité finale des opérations. En un mot : pas de bonus en cas de positions perdantes.
Enfin, les normes comptables doivent également refléter cette approche responsable. Leur rôle est d'amortir les chocs et non de les amplifier. Lorsque la conjoncture est favorable, les banques doivent constituer des provisions pour garantir une plus grande solidité du secteur financier lors des ralentissements économiques. Par ailleurs, il ne doit plus être possible d'élaborer ces normes sans donner toute leur place aux acteurs publics et sans un objectif clair de stabilité financière. C'est la raison pour laquelle j'ai appelé à une réforme de la gouvernance de l'IASB.
Toutes ces propositions, la France et ses partenaires européens, au premier rang desquels l'Allemagne, avec laquelle nous avons travaillé étroitement, les soumettront aux pays participant aux G20 pour que nous puissions agir ensemble. De même qu'une relance nationale est moins efficace qu'un effort coordonné, renforcer la régulation du secteur financier dans une région du monde en laissant le laxisme prévaloir ailleurs n'a pas de sens dans un monde globalisé. La concurrence entre les systèmes de normes et le moins-disant réglementaire ayant aussi leur part dans cette crise, nous devons y mettre fin pour nous attaquer à ses causes.
Dans trois semaines, au sommet de Londres, tout ne sera pas réglé. Mais nous devons donner des signes clairs d'une véritable ambition collective. Non seulement pour lutter contre la crise, sauver les banques et réformer la gouvernance mondiale, mais aussi réformer le système financier vers plus de responsabilité, de transparence et une régulation renforcée. La France et l'Europe y sont prêtes. L'histoire nous a enseigné qu'il était risqué de manquer certaines occasions. La France et l'Europe ne manqueront pas, j'en suis convaincue, celle de Londres. Les ministres des Finances sauront s'y appliquer.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2009