Texte intégral
R. Sicard.- Aujourd'hui, nouvelle journée de grève et de mobilisation. Le Gouvernement, lui, a dit qu'il n'y aurait pas de nouvelles concessions, pas de nouveaux rendez-vous social. Comment vous espérez le faire plier ?
Je pense que c'est une posture relativement classique avant une journée de mobilisation. Je n'ai jamais connu de gouvernement qui, avant de constater qu'il y avait une foule impressionnante à apporter un certain nombre de messages auprès du Gouvernement, à dire avant "je vais examiner ce que vous avez à revendiquer". On verra après. Je pense que le Gouvernement et vous avez vu que sa disposition avait été prise, le Premier ministre est consigné à Paris pour suivre la situation. Beaucoup va dépendre, je crois, de la mobilisation. Et comme je pense qu'elle va être plus importante aujourd'hui qu'elle ne l'a été le 29 janvier. Il va y avoir plus de manifestations qu'il y en avait fin janvier, il y a plus de cars, par exemple, de réservés pour acheminer les manifestants. Il y a plus d'arrêts de travail, de grèves décidées dans les entreprises. Donc il va y avoir plus de monde. Je ne peux pas croire que le Gouvernement reste immobile après un tel phénomène.
Autrement dit, vous pensez qu'en dépit de ce qu'il a dit, le Gouvernement fera de nouvelles concessions ?
Il devra accepter de rediscuter avec les syndicats sur la base des revendications que nous avons présentées en début d'année. Il y a une plateforme commune aux huit syndicats, qui parlent de l'emploi, qui parlent du pouvoir d'achat, qui parlent des investissements, qui parlent des politiques publiques, il va falloir que le Gouvernement accepte de rediscuter de tout cela.
Mais il y a déjà eu un sommet social le mois dernier.
Oui, mais si il y a une mobilisation plus importante, c'est bien que ce sommet social n'a pas donné les résultats escomptés. Ou alors, on ne comprendrait pas pourquoi il y ait de plus en plus de monde qui descende dans la rue, avec un soutien de l'opinion publique, vous l'avez remarqué au travers de plusieurs enquêtes qui montrent que trois Français sur quatre comprennent, voire soutiennent ce mouvement. Et au-delà du soutien, j'espère que le plus grand nombre sera dans les rues des différentes villes de France.
Mais est-ce que, en période de crise, le Gouvernement, le patronat peuvent distribuer de l'argent ?
Regardez l'information qui nous est parvenue hier soir à la Société Générale ! Les dirigeants de la Société Générale se permettent en ce moment de s'attribuer des bonus considérables !
Des stock-options...
Il y a déjà de l'inéquité aujourd'hui, à la fois dans les politiques publiques, mais aussi le comportement des entreprises, voilà encore un autre exemple. Je rappelle que ceux qui nous expliquent en ce moment qu'il n'est pas possible, par exemple, d'examiner la question des salaires, sont les patrons les mieux rémunérés d'Europe. Ce sont les patrons français qui sont les mieux rémunérés d'Europe. Donc on ne peut pas traiter de cette manière-là les salariés. D'autant plus que nos revendications en matière de salaire sont aussi un élément pour la croissance économique et l'emploi. Cela fait vingt-cinq ans qu'on a opposé emploi et salaire, il est temps de réexaminer cette question, entre autres.
Mais est-ce que cette affaire des stock-options à la Société Générale, ça vous choque vraiment ?
Oui j'ai demandé, nous avons demandé, la CGT, que parmi les sujets de négociation, il y en ait un aussi à propos de la rémunération des dirigeants. Et nous aimerions bien, par exemple, qu'il y ait des indicateurs de résultat concernant la politique d'emploi, la politique salariale pour fixer la rémunération des dirigeants. Aujourd'hui, elle est uniquement, exclusivement dépendante des résultats financiers et des dividendes versés aux actionnaires. On ne peut pas continuer à diriger des entreprises simplement en ayant comme cap le niveau de dividende versé aux actionnaires.
On parlait de salaire. Sur le Smic, qu'est-ce que vous demandez précisément ?
Nous revendiquons depuis plus d'un an maintenant, 1.600 euros pour le Smic. Ça ne semble pas une somme démesurée au regard des dépenses incontournables, incompressibles que sont le logement, la nourriture, la santé, le transport, les besoins de communication minimum. Et pour ne pas parler de loisirs. Nous sommes dans une crise économique internationale, parce qu'on a mis en concurrence sur le coût salarial, le coût social, les salariés des différents pays. Il est temps, si on veut passer à un autre type d'économie, où la finalité sociale soit beaucoup plus importante, il est temps de revaloriser la reconnaissance du travail par le salaire et le niveau des retraites.
Il y a des mouvements sociaux en Métropole, il y en a eu aussi en Outre-mer ; est-ce que, en Métropole, il y a des leçons à tirer de ce qui s'est passé par exemple en Guadeloupe ?
Il y a toujours des leçons à tirer de mobilisation, d'autant plus que celles-ci sont parvenus pour l'instant, je dis "pour l'instant", parce que je vois bien que le patronat cherche à essayer de convaincre le Gouvernement de ne pas, par exemple, appliquer le protocole d'accord qui a été signé par les syndicalistes guadeloupéens à l'issue de ce conflit. Mais ils sont parvenus à un résultat dont il va falloir vérifier l'application dans les faits, notamment sur les revalorisations de salaire. Les enseignements, c'est quoi ? C'est une unité syndicale et elle existe en Métropole, une certaine détermination et je pense qu'elle existe aussi. C'est aussi une grande lucidité dans la conduite des mouvements, c'est-à-dire éviter tout ce qui peut diviser, tout ce qui peut être des éléments de provocation censés mettre la zizanie dans un mouvement. Donc une grande lucidité aussi, et un grand sens des responsabilités.
C'était aussi la grève générale. Est-ce que vous, vous êtes prêts à faire la grève générale.
Mais vous savez, ce processus que beaucoup ont découvert en Guadeloupe, est aussi un processus qui date de très longtemps. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il y a eu des manifestations contre la vie chère. Donc il faut, par expérience, ne jamais prédéterminer la manière dont un mouvement peut se traduire, peut être reconduit, peut s'organiser et c'est avec les salariés, avec les autres interlocuteurs syndicaux que nous définissons au fur et à mesure la suite des mobilisations, leurs contours, leurs dates, leurs échéances.
Mais est-ce qu'en Métropole, une grève générale est aujourd'hui d'actualité ou pas ?
Aujourd'hui, c'est une grève qui se généralise dans la mesure où il y aura plus d'arrêts de travail qu'il y en avait en janvier. Maintenant, nous savons aussi d'expérience qu'il ne suffit pas de décréter une grève, c'est les salariés qui décident s'ils ont ou pas recours à la grève.
Il y aura des suites au mouvement d'aujourd'hui ?
Bien sûr, nous l'avons dit. Si le Gouvernement, si les employeurs, ils ont aussi une grande part de responsabilité dans cette situation, vous avez vu les déclarations récentes de madame Parisot qui, il y a quelques jours encore, nous demandait de nous asseoir à la table des discussions pour faciliter les procédures de licenciement économique, pour redéfinir le licenciement économique. Sous entendu : le patronat n'a pas les facilités qu'il attend pour se débarrasser des salariés. Alors que ce qui fait la Une tous les jours, depuis des semaines et des semaines, ce sont les plans de restructuration, de suppressions d'emplois. Ceux dont on parle, qui sont massifs, ceux dont on parle moins, qui sont beaucoup plus dilués et qui concernent les petites entreprises et l'ensemble du tissu économique de notre pays.
Justement, il y a des tensions très fortes entre les syndicats et le patronat. L. Parisot vous accuse de "démagogie" ; qu'est-ce que vous lui répondez ?
Je pense qu'elle est en complet décalage avec la grande majorité de nos concitoyens qui, encore une fois, comprennent, partagent, soutiennent et vont participer à cette journée de mobilisation, qu'ils jugent la situation inéquitable. Nous l'avons dit et nous allons le redire aujourd'hui, les salariés n'ont en rien la responsabilité de cette crise, ils ne peuvent pas en être les principales victimes, comme c'est ce qui est en train de se passer en ce moment.
Elle dit aussi que les grèves ont provoqué des faillites.
Oui, enfin, excusez-moi, mais il y a quand même beaucoup plus de disparitions d'entreprises pour des raisons spéculatives, des raisons financières, de mauvaise gestion de dirigeants d'une économie dont on a consacré la finance, plutôt que des suppressions d'emplois qui seraient dues à des actions syndicales. Ou alors, ça voudrait dire, en adhérant à ce message patronal, qu'il n'y a jamais place aux revendications parce que, par définition, les revendications seraient menaçantes pour les entreprises. Non, je crois que les salariés sont beaucoup plus lucides, ont l'expérience, même ceux à qui on a expliqué un temps qu'il fallait revenir sur certains droits sociaux, revenir sur les 35 heures comme à Continental, où l'on a fait revenir les salariés à 40 heures, même en acceptant pour certains la suppression du treizième mois - ça a existé dans certaines entreprises -, au bout du compte, ils ont les mêmes lettres de licenciement que les autres. Donc, je pense que madame Parisot a peu de chance d'être entendue sur cette idée que les revendications seraient suicidaires pour les entreprises.
Est-ce que vous craignez un durcissement du mouvement ? Est-ce que vous craignez des violences ?
Des violences, non. Qu'il y ait de l'exaspération et de la colère, oui, elle est légitime, et moi je le dis avec beaucoup d'insistance au Gouvernement. S'il se confirme aujourd'hui, nous verrons ce soir, mais s'il se confirme et que cette journée de mobilisation est plus importante que celle de fin janvier, ne pas y répondre de manière adaptée, c'est prendre des risques sur le contexte général, sur l'ambiance générale dans l'entreprise.
A quoi vous jugerez que la mobilisation est réussie ?
S'il y a plus de participation dans les cortèges. Et nous allons recenser à la fois les arrêts de travail et la participation dans les cortèges. Et nous l'avons dit...
Vous avez un chiffre en tête ?
...Déjà le fait d'atteindre le même niveau serait pour nous une réussite. Nous l'avons dit. Il y a eu une conférence sociale, il y a eu de nombreux discours du président de la République - je crois qu'on a battu tous les records cette année -, s'adressant aux Français pour expliquer la politique et malgré ça, il y a un désaccord persistant, voire qui s'amplifie avec ce qui est fait. Cela montre bien que ça ne va pas, que ça ne peut pas continuer comme ça. Donc si nous parvenons au moins aux mêmes résultats avec tout ce qui a été fait et dit entre temps, voire plus, à ce moment-là, il faut que le Gouvernement accepte de rediscuter.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 mars 2009