Texte intégral
Monsieur le Président de l'Assemblée Nationale,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Madame la Vice-présidente du Conseil Régional,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les Maires de Thônes et de la Balme de Thuy,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le Président de l'association des Glières, cher général Bachelet
Mesdames et Messieurs les représentants du monde combattant,
Mesdames et Messieurs,
Il y a 65 ans, des hommes guidés par un même idéal de liberté et de fraternité menaient ici, durant deux mois, un combat héroïque, contre un ennemi vingt fois supérieur en nombre. Pour la première fois depuis l'Armistice de 1940, des hommes luttaient, les armes à la main, contre l'Occupant, pour défendre une parcelle de territoire national libéré, sur laquelle flottait le drapeau tricolore. Ce combat de David contre Goliath est entré dans la légende, et nous rendons hommage aujourd'hui à tous les braves qui ont écrit ici un chapitre du grand livre de la liberté humaine. Cet épisode majeur de la Résistance militaire à l'Occupation allemande se déroula ici, en Haute-Savoie, au plateau des Glières, durant les premiers mois de l'année 1944.
Depuis l'instauration du Service du Travail Obligatoire au mois de février 1943, la Haute-Savoie était devenue une zone d'insoumission et un inquiétant foyer d'insurrection pour les autorités de Vichy. Les réfractaires, luttant contre la déportation et le travail forcé en Allemagne, y affluaient en nombre. Certes, la géographie était propice. Mais il y avait aussi chez les savoyards une solide tradition d'hospitalité, à laquelle les habitants de la région n'entendaient pas déroger. C'est pourquoi la population accueillit ces insoumis, c'est pourquoi elle les protégea et accepta de les nourrir. L'Occupant et la police de Vichy ne s'aventuraient qu'avec peine dans les vallées. Ainsi la Haute-Savoie devint durant l'hiver 1943 la terre des hommes libres. Au fil des mois, les effectifs des maquis avaient grandi et s'étaient structurés. Alors la police de Vichy intensifia sa lutte contre les réfractaires. Les patrouilles fouillèrent les villages, pourchassant les patriotes tandis que les barrages de police entravaient leurs mouvements.
En ce début d'année 1944, les maquisards n'eurent d'autre choix que de se réfugier dans les montagnes. Plutôt que de laisser leurs campements de fortune être pris les uns après les autres, ils choisirent de concentrer les forces dans un endroit défendable, où le ravitaillement serait possible. Il y avait justement là-haut des terrains propices aux parachutages. Au mois de février 1944, les hommes se dirigèrent ainsi vers le plateau des Glières, où un miracle devait s'opérer. Là haut, des hommes issus de tous les horizons se retrouvèrent. Des hommes dont les choix politiques avaient été radicalement différents, des hommes qui s'étaient parfois durement opposés soudain se retrouvèrent et s'embrassèrent dans une même fraternité d'armes. Des hommes d'obédience et de religion différents fraternisaient : les FTP communistes, les républicains espagnols, les maquisards sans grade, les officiers de l'armée d'armistice entrés en dissidence. Là haut, les officiers catholiques encadraient soudain des républicains espagnols.
Aux Glières, l'heure n'était plus aux guerres de religion. Il y avait toutes les confessions, aux Glières, à côté de ceux qui ne croyaient pas. Par une alchimie secrète, la liberté, soudain, renaît : les hommes prennent racine dans ces plateaux de liberté, où l'on aménage quelques chalets. Malgré les difficultés du ravitaillement, les paysans soutiennent les maquis. Des parachutages sont organisés, qui confortent l'espoir des hommes, qui ont élu domicile dans la montagne. Depuis Londres, la voix éloquente de Maurice Schuman, au micro de la BBC, leur donne du courage. Grâce à radio-Londres, le monde libre entend battre le coeur des Glières ; les Alliés suivent pas à pas l'épopée glorieuse de ces hommes qui proclament à la face de l'Occupant leur volonté de vivre libre. Guidés, inspirés par un jeune chef d'exception, les combattants des Glières gardent espoir. Celui que ses compagnons appellent Tom Morel a donné à cette troupe éparse un visage et une âme. Animateur exceptionnel, le lieutenant Théodore Morel a hissé là-haut le drapeau tricolore frappé de la Croix de Lorraine.
Le matin, il organise le salut aux couleurs. Le soir, lors de veillées autour du feu, on chante. Morel a donné une devise à ces hommes : « Vivre libre ou mourir ». D'une pâte humaine disparate, il a forgé « l'esprit des Glières ». En l'espace de quelques semaines, le plateau des Glières est devenu la République des hommes libres. Alors que Vichy piétine face à cette poignée d'insoumis, l'ennemi s'impatiente. L'air de la Haute-Savoie rend libre. Les maîtres allemands ont fixé un ultimatum, au 10 mars. En bas, la répression s'intensifie. Le 31 janvier, est proclamé l'Etat d'urgence. Des cours martiales fusillent sans appel les patriotes. Déjà, Darnand et sa milice rodent à Annecy : ils veulent en finir avec les maquis de Haute-Savoie. Encadrés et formés par des officiers d'active, les maquisards des Glières se sont enhardis. Maintes fois, ils ont repoussé les miliciens.
A plusieurs reprises, ils ridiculisent les gardes mobiles, avec lesquels les heurts se multiplient. Mais le 9 mars, c'est le drame d'Entremont. Les maquisards investissent la ville. Le commandant des GMR avec qui il négocie, abat Tom Morel d'une balle en plein coeur. Le corps du jeune lieutenant est alors porté par ses camarades dans une procession funèbre qui le ramène parmi les siens, dans la montagne. Le 13 mars, ses compagnons d'armes lui rendent un dernier hommage au coeur des Glières, là où il s'est employé avec ardeur à faire battre le coeur de la Résistance française. Déjà le capitaine Anjot arrive et se présente à ses troupes. Il a repris sa vareuse de chasseur, car s'il faut mourir, a-t-il dit, il veut « mourir Anjot ». Le 28 mars, débute la grande offensive allemande. Le plateau essuie les premiers bombardements d'aviation et d'artillerie. Les chalets, maigres refuges, sont détruits. Guidés par la milice de Darnand, les 7000 hommes de la 157e division alpine s'élancent à l'assaut des plateaux. Alors qu'elle lutte depuis plus d'un mois au grand jour, l'armée des Glières redevient l'armée des ombres.
L'honneur sauf, l'ordre est donné aux maquisards de décrocher. C'est le début d'une tragique chasse à l'homme, qui durera quatre jours. Par petits groupes, les combattants des Glières redescendent vers les vallées et tentent de forcer les barrages dressés par l'ennemi. Guettés aux détours de chaque ravin, ils sont traqués comme des bêtes, dans les cols, dans les grottes, dans les sentiers. Ils sont tantôt assassinés dans leur sommeil, tantôt froidement abattus dans le dos. Pris par la faim, les survivants marchent, exténués, dans la neige, au bord de l'épuisement. Souvent, ceux qui tombent ne se relèvent pas. Anjot est tué à son tour, le 27 mars. Pourtant beaucoup franchiront les barrages dressés par l'ennemi et la Milice. Beaucoup sont cachés par l'habitant, malgré les risques encourus. « Glières a été une défaite des armes mais une victoire des âmes » a écrit après le drame Romans-Petit, le chef de l'Armée Secrète de la région, l'homme qui a défilé le 11 novembre 1943 à Oyonnax à la tête de ses maquisards. Il manquait à la Résistance intérieure un exploit militaire. Avec les Glières, la résistance intérieure entre dans la légende militaire de la Seconde Guerre mondiale. Des sables de Bir Hakeim aux plateaux de Glières, c'est le même souffle de la liberté qui trace son sillon. Aux Glières, c'est l'âme de la France qui renaît. Ces combats héroïques annoncent ceux de la Libération.
L'amalgame effectué là-haut par les combattants des Glières annonce l'armée de la Libération. Malgré leur défaite, ces mêmes hommes reprendront bientôt les armes pour libérer, seuls, le département de Haute-Savoie. Mesdames et Messieurs il convient aujourd'hui de s'interroger sur le message des Glières, 65 ans après ces tragiques événements. Ce message, c'est la voix universelle de la liberté humaine. C'est le cri de conscience de l'homme qui ne veut pas vivre enchaîné. Ce message, les combattants des Glières nous l'ont laissé en héritage.
Ce message, 65 ans après, il nous appartient de l'entretenir et de le transmettre aux générations futures. Mes chers amis, n'oublions pas cette leçon de liberté et de patriotisme que ces hommes ont écrit en lettres de sang dans ces montagnes. N'oublions pas le sacrifice de ces jeunes combattants. N'oublions pas cet élan sublime et tragique qui dit que l'heure de la délivrance était proche et qui annonçait la libération prochaine de la France. Mesdames et Messieurs, n'oublions jamais les morts de Glières.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 avril 2009
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Madame la Vice-présidente du Conseil Régional,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les Maires de Thônes et de la Balme de Thuy,
Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le Président de l'association des Glières, cher général Bachelet
Mesdames et Messieurs les représentants du monde combattant,
Mesdames et Messieurs,
Il y a 65 ans, des hommes guidés par un même idéal de liberté et de fraternité menaient ici, durant deux mois, un combat héroïque, contre un ennemi vingt fois supérieur en nombre. Pour la première fois depuis l'Armistice de 1940, des hommes luttaient, les armes à la main, contre l'Occupant, pour défendre une parcelle de territoire national libéré, sur laquelle flottait le drapeau tricolore. Ce combat de David contre Goliath est entré dans la légende, et nous rendons hommage aujourd'hui à tous les braves qui ont écrit ici un chapitre du grand livre de la liberté humaine. Cet épisode majeur de la Résistance militaire à l'Occupation allemande se déroula ici, en Haute-Savoie, au plateau des Glières, durant les premiers mois de l'année 1944.
Depuis l'instauration du Service du Travail Obligatoire au mois de février 1943, la Haute-Savoie était devenue une zone d'insoumission et un inquiétant foyer d'insurrection pour les autorités de Vichy. Les réfractaires, luttant contre la déportation et le travail forcé en Allemagne, y affluaient en nombre. Certes, la géographie était propice. Mais il y avait aussi chez les savoyards une solide tradition d'hospitalité, à laquelle les habitants de la région n'entendaient pas déroger. C'est pourquoi la population accueillit ces insoumis, c'est pourquoi elle les protégea et accepta de les nourrir. L'Occupant et la police de Vichy ne s'aventuraient qu'avec peine dans les vallées. Ainsi la Haute-Savoie devint durant l'hiver 1943 la terre des hommes libres. Au fil des mois, les effectifs des maquis avaient grandi et s'étaient structurés. Alors la police de Vichy intensifia sa lutte contre les réfractaires. Les patrouilles fouillèrent les villages, pourchassant les patriotes tandis que les barrages de police entravaient leurs mouvements.
En ce début d'année 1944, les maquisards n'eurent d'autre choix que de se réfugier dans les montagnes. Plutôt que de laisser leurs campements de fortune être pris les uns après les autres, ils choisirent de concentrer les forces dans un endroit défendable, où le ravitaillement serait possible. Il y avait justement là-haut des terrains propices aux parachutages. Au mois de février 1944, les hommes se dirigèrent ainsi vers le plateau des Glières, où un miracle devait s'opérer. Là haut, des hommes issus de tous les horizons se retrouvèrent. Des hommes dont les choix politiques avaient été radicalement différents, des hommes qui s'étaient parfois durement opposés soudain se retrouvèrent et s'embrassèrent dans une même fraternité d'armes. Des hommes d'obédience et de religion différents fraternisaient : les FTP communistes, les républicains espagnols, les maquisards sans grade, les officiers de l'armée d'armistice entrés en dissidence. Là haut, les officiers catholiques encadraient soudain des républicains espagnols.
Aux Glières, l'heure n'était plus aux guerres de religion. Il y avait toutes les confessions, aux Glières, à côté de ceux qui ne croyaient pas. Par une alchimie secrète, la liberté, soudain, renaît : les hommes prennent racine dans ces plateaux de liberté, où l'on aménage quelques chalets. Malgré les difficultés du ravitaillement, les paysans soutiennent les maquis. Des parachutages sont organisés, qui confortent l'espoir des hommes, qui ont élu domicile dans la montagne. Depuis Londres, la voix éloquente de Maurice Schuman, au micro de la BBC, leur donne du courage. Grâce à radio-Londres, le monde libre entend battre le coeur des Glières ; les Alliés suivent pas à pas l'épopée glorieuse de ces hommes qui proclament à la face de l'Occupant leur volonté de vivre libre. Guidés, inspirés par un jeune chef d'exception, les combattants des Glières gardent espoir. Celui que ses compagnons appellent Tom Morel a donné à cette troupe éparse un visage et une âme. Animateur exceptionnel, le lieutenant Théodore Morel a hissé là-haut le drapeau tricolore frappé de la Croix de Lorraine.
Le matin, il organise le salut aux couleurs. Le soir, lors de veillées autour du feu, on chante. Morel a donné une devise à ces hommes : « Vivre libre ou mourir ». D'une pâte humaine disparate, il a forgé « l'esprit des Glières ». En l'espace de quelques semaines, le plateau des Glières est devenu la République des hommes libres. Alors que Vichy piétine face à cette poignée d'insoumis, l'ennemi s'impatiente. L'air de la Haute-Savoie rend libre. Les maîtres allemands ont fixé un ultimatum, au 10 mars. En bas, la répression s'intensifie. Le 31 janvier, est proclamé l'Etat d'urgence. Des cours martiales fusillent sans appel les patriotes. Déjà, Darnand et sa milice rodent à Annecy : ils veulent en finir avec les maquis de Haute-Savoie. Encadrés et formés par des officiers d'active, les maquisards des Glières se sont enhardis. Maintes fois, ils ont repoussé les miliciens.
A plusieurs reprises, ils ridiculisent les gardes mobiles, avec lesquels les heurts se multiplient. Mais le 9 mars, c'est le drame d'Entremont. Les maquisards investissent la ville. Le commandant des GMR avec qui il négocie, abat Tom Morel d'une balle en plein coeur. Le corps du jeune lieutenant est alors porté par ses camarades dans une procession funèbre qui le ramène parmi les siens, dans la montagne. Le 13 mars, ses compagnons d'armes lui rendent un dernier hommage au coeur des Glières, là où il s'est employé avec ardeur à faire battre le coeur de la Résistance française. Déjà le capitaine Anjot arrive et se présente à ses troupes. Il a repris sa vareuse de chasseur, car s'il faut mourir, a-t-il dit, il veut « mourir Anjot ». Le 28 mars, débute la grande offensive allemande. Le plateau essuie les premiers bombardements d'aviation et d'artillerie. Les chalets, maigres refuges, sont détruits. Guidés par la milice de Darnand, les 7000 hommes de la 157e division alpine s'élancent à l'assaut des plateaux. Alors qu'elle lutte depuis plus d'un mois au grand jour, l'armée des Glières redevient l'armée des ombres.
L'honneur sauf, l'ordre est donné aux maquisards de décrocher. C'est le début d'une tragique chasse à l'homme, qui durera quatre jours. Par petits groupes, les combattants des Glières redescendent vers les vallées et tentent de forcer les barrages dressés par l'ennemi. Guettés aux détours de chaque ravin, ils sont traqués comme des bêtes, dans les cols, dans les grottes, dans les sentiers. Ils sont tantôt assassinés dans leur sommeil, tantôt froidement abattus dans le dos. Pris par la faim, les survivants marchent, exténués, dans la neige, au bord de l'épuisement. Souvent, ceux qui tombent ne se relèvent pas. Anjot est tué à son tour, le 27 mars. Pourtant beaucoup franchiront les barrages dressés par l'ennemi et la Milice. Beaucoup sont cachés par l'habitant, malgré les risques encourus. « Glières a été une défaite des armes mais une victoire des âmes » a écrit après le drame Romans-Petit, le chef de l'Armée Secrète de la région, l'homme qui a défilé le 11 novembre 1943 à Oyonnax à la tête de ses maquisards. Il manquait à la Résistance intérieure un exploit militaire. Avec les Glières, la résistance intérieure entre dans la légende militaire de la Seconde Guerre mondiale. Des sables de Bir Hakeim aux plateaux de Glières, c'est le même souffle de la liberté qui trace son sillon. Aux Glières, c'est l'âme de la France qui renaît. Ces combats héroïques annoncent ceux de la Libération.
L'amalgame effectué là-haut par les combattants des Glières annonce l'armée de la Libération. Malgré leur défaite, ces mêmes hommes reprendront bientôt les armes pour libérer, seuls, le département de Haute-Savoie. Mesdames et Messieurs il convient aujourd'hui de s'interroger sur le message des Glières, 65 ans après ces tragiques événements. Ce message, c'est la voix universelle de la liberté humaine. C'est le cri de conscience de l'homme qui ne veut pas vivre enchaîné. Ce message, les combattants des Glières nous l'ont laissé en héritage.
Ce message, 65 ans après, il nous appartient de l'entretenir et de le transmettre aux générations futures. Mes chers amis, n'oublions pas cette leçon de liberté et de patriotisme que ces hommes ont écrit en lettres de sang dans ces montagnes. N'oublions pas le sacrifice de ces jeunes combattants. N'oublions pas cet élan sublime et tragique qui dit que l'heure de la délivrance était proche et qui annonçait la libération prochaine de la France. Mesdames et Messieurs, n'oublions jamais les morts de Glières.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 3 avril 2009