Texte intégral
P. Biancone.- H. Morin, après bien des débats, le 60ème sommet de l'OTAN est marqué par le retour dans le commandement militaire intégré de notre pays. Comment expliquez-vous l'hypersensibilité française sur ce sujet ?
Depuis 1995, la France est à peu près revenue dans tout : le chef d'état-major des Armées participe aux comités militaires, nous sommes dans la force de réserve stratégique, nous sommes dans la force de réaction rapide de l'OTAN, nous participons à toutes les opérations de l'OTAN, nous les commandons même, nous avons même commandé en Afghanistan, ce qu'aucun Français ne sait ou presque. Et donc en quelque sorte, on continuait à crier sur les toits que nous n'étions pas dans le commandement intégré de l'Alliance alors que nous étions dans 38 comités sur 40 et que nous avions réinséré déjà 120 militaires dans les états-majors. Et donc en quelque sorte, il y a eu probablement un moment de vérité pour beaucoup de nos compatriotes.
Donc aujourd'hui c'est 39, il n'y en aura pas 40 puisque la dissuasion nucléaire reste à la discrétion du pays.
Oui, mais elle le serait restée tout de même, mais il a été décidé de ne pas rentrer dans le comité des plans nucléaires, en effet.
Alors H. Morin, il y a 2 jours à l'Assemblée nationale, D. de Villepin a dit que la décision française va dans le sens d'une militarisation des relations internationales. Est-ce que c'est une opinion qui vous semble recevable ?
Ecoutez, ce qui est assez cocasse avec D. de Villepin, c'est que c'est lui qui a négocié pour J. Chirac le retour dans le commandement intégré de l'Alliance en 1996. Et avec comme motivation - si j'en crois ce qu'il a dit ou écrit - que le contexte géostratégique était devenu totalement différent en 1996 avec la chute du Mur de Berlin. Je crois que le Mur de Berlin n'a pas été reconstruit, que le multilatéralisme est une réalité et que l'Alliance atlantique aujourd'hui est à la fois un pacte de sécurité collective mais a aussi des missions de maintien de la paix qui lui sont confiées par l'ONU. Et donc, il ne s'agit pas de rentrer dans une militarisation des relations internationales, il s'agit simplement de tirer les conséquences d'une évolution des missions de l'Alliance et d'une évolution du monde et aujourd'hui, les motifs du général de Gaulle n'existent plus. Le motif principal du retrait du commandement intégré pour le général de Gaulle, c'était un, le caractère quasi automatique de l'engagement des forces françaises à l'époque. Ça n'est plus le cas. Aujourd'hui, on décide de participer si on a envie de participer, on participe avec le niveau de force qu'on a envie et on décide ou non de se retirer quand on le veut. Et d'ailleurs, les opérations que nous menons, comme en Afghanistan, restent en permanence sous le double contrôle à la fois du commandement de l'Alliance mais en même temps du commandement national. Et donc...
On va parler de l'Afghanistan...
Et donc, on est dans un contexte radicalement différent et ce contexte-là imposait de toute évidence qu'on revoie notre relation avec l'Alliance... Comment peut-on considérer justifier d'envoyer des militaires français participer à des opérations, risquer leur vie sur le terrain et refuser de participer dans les états-majors à la définition et à la conduite des opérations ? Il y a quand même quelque chose de pas très cohérent...
Alors avec le retour de la France dans ce commandement militaire intégré, est-ce que la France peut encore rester le trait d'union entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud ? Ça c'est une vraie question, c'est le rôle que traditionnellement la France a voulu jouer depuis le général de Gaulle ?
Mais qui peut croire, qui peut prétendre que dans le monde, nous ne soyons pas considérés comme appartenant à la famille des démocraties occidentales ? Il n'y a que nous pour penser ça...
On l'a pensé longtemps en tout cas !
Oui, bien sûr mais... et cela ne nous empêche pas d'être le trait d'union d'une nouvelle relation, par exemple de participer à l'élaboration d'une nouvelle relation avec la Russie. Et d'ailleurs vous aurez observé que Medvedev, le Président russe, s'est félicité du retour de la France dans le commandement intégré en disant : enfin, on va avoir des partenaires et des amis qui vont être capables de pouvoir adresser un autre message... et j'allais vous dire...
Malgré des relations un peu difficiles avec les Américains ?
Et j'allais vous dire autre chose, c'est que je pense même que la France peut jouer un rôle plus important sur la scène internationale parce que être partenaire de la France, ça n'est pas éventuellement montrer un acte d'hostilité aux Etats-Unis. Et je pense, dans le Golfe, par exemple, où un certain nombre de pays du Golfe n'entretenaient plus beaucoup de relations avec nous, ont réengagé un vrai partenariat stratégique avec la France parce qu'ils savent que s'engager dans une relation nouvelle avec la France, ça n'est pas non plus s'engager dans une relation qui risque de déplaire aux Etats-Unis. Nous sommes des partenaires, nous sommes libres, nous sommes indépendants mais nous ne sommes plus considérés comme hostiles.
Vous dites « peser réellement », est-ce qu'on peut vraiment codiriger l'OTAN avec les Américains ?
Oui.
Est-ce qu'on peut vraiment prendre des décisions avec eux, dire non, dire oui ou...
Tous les jours, avant même le retour dans le commandement intégré, il nous arrivait de dire non. L'année dernière, nous avons dit non avec l'Allemagne à l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine, j'ai dit non sur un sujet secondaire qui est l'envoi d'un Awacs par l'OTAN en Afghanistan. L' "afghanisation" - le fait de confier progressivement à l'armée nationale afghane la sécurité d'un certain nombre d'espaces en Afghanistan -, c'est une proposition française.
Alors la France a décidé d'envoyer 150 hommes supplémentaires, des gendarmes essentiellement. Quelle va être leur mission et de qui vont-ils dépendre... Très précisément parce qu'il me semble qu'il y a un débat là-dessus.
Les choses ne sont pas définitivement fixées, l'idée est bien entendu de considérer que, puisque l'objectif c'est de donner à l'Afghanistan ses institutions pour qu'un jour nous puissions dire : voilà, le travail est fait, vous avez les instruments de votre souveraineté et nous, nous pouvons partir. Et nous avons fait un bel effort sur l'armée, la police il y a beaucoup de retard, et donc la France avec les Européens réfléchit au niveau d'engagement et même le chiffre pour l'instant n'est pas un chiffre définitivement fixé. Et...
Alors je renouvelle ma question : à qui obéiront-ils ?
Alors là aussi est la question. Est-ce que c'est une mission de l'Union européenne ? Tout ça n'est pas encore réglé.
Une dernière chose, deux chiffres : les opérations militaires en Afghanistan coûtent environ 250 millions d'euros par an...
Oui.
Alors que l'aide civile est de l'ordre de 15 millions. Ça va être augmenté, a dit P. Lellouche, ça peut passer à 40 millions je crois. Est-ce qu'on va faire un effort encore supplémentaire parce que là, on voit qu'il y a un déséquilibre ?
Notre engagement militaire, il a un coût, celui-ci (et j'allais dire) tant qu'on est à ce niveau de force, le coût restera toujours le même. La problématique pour nous, c'est d'accompagner l'effort de développement et de le faire de façon, à mon sens, plus significatif. Déjà, si nous triplons et si nous mettons en oeuvre tout ça, ça sera déjà bien.
H. Morin, je vous remercie.
Merci.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 avril 2009
Depuis 1995, la France est à peu près revenue dans tout : le chef d'état-major des Armées participe aux comités militaires, nous sommes dans la force de réserve stratégique, nous sommes dans la force de réaction rapide de l'OTAN, nous participons à toutes les opérations de l'OTAN, nous les commandons même, nous avons même commandé en Afghanistan, ce qu'aucun Français ne sait ou presque. Et donc en quelque sorte, on continuait à crier sur les toits que nous n'étions pas dans le commandement intégré de l'Alliance alors que nous étions dans 38 comités sur 40 et que nous avions réinséré déjà 120 militaires dans les états-majors. Et donc en quelque sorte, il y a eu probablement un moment de vérité pour beaucoup de nos compatriotes.
Donc aujourd'hui c'est 39, il n'y en aura pas 40 puisque la dissuasion nucléaire reste à la discrétion du pays.
Oui, mais elle le serait restée tout de même, mais il a été décidé de ne pas rentrer dans le comité des plans nucléaires, en effet.
Alors H. Morin, il y a 2 jours à l'Assemblée nationale, D. de Villepin a dit que la décision française va dans le sens d'une militarisation des relations internationales. Est-ce que c'est une opinion qui vous semble recevable ?
Ecoutez, ce qui est assez cocasse avec D. de Villepin, c'est que c'est lui qui a négocié pour J. Chirac le retour dans le commandement intégré de l'Alliance en 1996. Et avec comme motivation - si j'en crois ce qu'il a dit ou écrit - que le contexte géostratégique était devenu totalement différent en 1996 avec la chute du Mur de Berlin. Je crois que le Mur de Berlin n'a pas été reconstruit, que le multilatéralisme est une réalité et que l'Alliance atlantique aujourd'hui est à la fois un pacte de sécurité collective mais a aussi des missions de maintien de la paix qui lui sont confiées par l'ONU. Et donc, il ne s'agit pas de rentrer dans une militarisation des relations internationales, il s'agit simplement de tirer les conséquences d'une évolution des missions de l'Alliance et d'une évolution du monde et aujourd'hui, les motifs du général de Gaulle n'existent plus. Le motif principal du retrait du commandement intégré pour le général de Gaulle, c'était un, le caractère quasi automatique de l'engagement des forces françaises à l'époque. Ça n'est plus le cas. Aujourd'hui, on décide de participer si on a envie de participer, on participe avec le niveau de force qu'on a envie et on décide ou non de se retirer quand on le veut. Et d'ailleurs, les opérations que nous menons, comme en Afghanistan, restent en permanence sous le double contrôle à la fois du commandement de l'Alliance mais en même temps du commandement national. Et donc...
On va parler de l'Afghanistan...
Et donc, on est dans un contexte radicalement différent et ce contexte-là imposait de toute évidence qu'on revoie notre relation avec l'Alliance... Comment peut-on considérer justifier d'envoyer des militaires français participer à des opérations, risquer leur vie sur le terrain et refuser de participer dans les états-majors à la définition et à la conduite des opérations ? Il y a quand même quelque chose de pas très cohérent...
Alors avec le retour de la France dans ce commandement militaire intégré, est-ce que la France peut encore rester le trait d'union entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud ? Ça c'est une vraie question, c'est le rôle que traditionnellement la France a voulu jouer depuis le général de Gaulle ?
Mais qui peut croire, qui peut prétendre que dans le monde, nous ne soyons pas considérés comme appartenant à la famille des démocraties occidentales ? Il n'y a que nous pour penser ça...
On l'a pensé longtemps en tout cas !
Oui, bien sûr mais... et cela ne nous empêche pas d'être le trait d'union d'une nouvelle relation, par exemple de participer à l'élaboration d'une nouvelle relation avec la Russie. Et d'ailleurs vous aurez observé que Medvedev, le Président russe, s'est félicité du retour de la France dans le commandement intégré en disant : enfin, on va avoir des partenaires et des amis qui vont être capables de pouvoir adresser un autre message... et j'allais vous dire...
Malgré des relations un peu difficiles avec les Américains ?
Et j'allais vous dire autre chose, c'est que je pense même que la France peut jouer un rôle plus important sur la scène internationale parce que être partenaire de la France, ça n'est pas éventuellement montrer un acte d'hostilité aux Etats-Unis. Et je pense, dans le Golfe, par exemple, où un certain nombre de pays du Golfe n'entretenaient plus beaucoup de relations avec nous, ont réengagé un vrai partenariat stratégique avec la France parce qu'ils savent que s'engager dans une relation nouvelle avec la France, ça n'est pas non plus s'engager dans une relation qui risque de déplaire aux Etats-Unis. Nous sommes des partenaires, nous sommes libres, nous sommes indépendants mais nous ne sommes plus considérés comme hostiles.
Vous dites « peser réellement », est-ce qu'on peut vraiment codiriger l'OTAN avec les Américains ?
Oui.
Est-ce qu'on peut vraiment prendre des décisions avec eux, dire non, dire oui ou...
Tous les jours, avant même le retour dans le commandement intégré, il nous arrivait de dire non. L'année dernière, nous avons dit non avec l'Allemagne à l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine, j'ai dit non sur un sujet secondaire qui est l'envoi d'un Awacs par l'OTAN en Afghanistan. L' "afghanisation" - le fait de confier progressivement à l'armée nationale afghane la sécurité d'un certain nombre d'espaces en Afghanistan -, c'est une proposition française.
Alors la France a décidé d'envoyer 150 hommes supplémentaires, des gendarmes essentiellement. Quelle va être leur mission et de qui vont-ils dépendre... Très précisément parce qu'il me semble qu'il y a un débat là-dessus.
Les choses ne sont pas définitivement fixées, l'idée est bien entendu de considérer que, puisque l'objectif c'est de donner à l'Afghanistan ses institutions pour qu'un jour nous puissions dire : voilà, le travail est fait, vous avez les instruments de votre souveraineté et nous, nous pouvons partir. Et nous avons fait un bel effort sur l'armée, la police il y a beaucoup de retard, et donc la France avec les Européens réfléchit au niveau d'engagement et même le chiffre pour l'instant n'est pas un chiffre définitivement fixé. Et...
Alors je renouvelle ma question : à qui obéiront-ils ?
Alors là aussi est la question. Est-ce que c'est une mission de l'Union européenne ? Tout ça n'est pas encore réglé.
Une dernière chose, deux chiffres : les opérations militaires en Afghanistan coûtent environ 250 millions d'euros par an...
Oui.
Alors que l'aide civile est de l'ordre de 15 millions. Ça va être augmenté, a dit P. Lellouche, ça peut passer à 40 millions je crois. Est-ce qu'on va faire un effort encore supplémentaire parce que là, on voit qu'il y a un déséquilibre ?
Notre engagement militaire, il a un coût, celui-ci (et j'allais dire) tant qu'on est à ce niveau de force, le coût restera toujours le même. La problématique pour nous, c'est d'accompagner l'effort de développement et de le faire de façon, à mon sens, plus significatif. Déjà, si nous triplons et si nous mettons en oeuvre tout ça, ça sera déjà bien.
H. Morin, je vous remercie.
Merci.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 3 avril 2009