Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur les relations de la France et des pays africains, sur la dévaluation du franc CFA, Paris le 28 janvier 1994.

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Circonstance : Commémoration du cinquantenaire de la conférence de Brazzaville le 28 janvier 1994

Texte intégral

La célébration de l'anniversaire du discours de Brazzaville est l'occasion de rendre hommage à l'esprit visionnaire du Général de Gaulle et à son sens de l'histoire. Elle est aussi pour nous qui sommes engagés dans l'action présente une ardente obligation de réfléchir à l'avenir de l'Afrique et à celui des liens très étroits qui l'unissent à la France.
Les pays d'Afrique sont aujourd'hui souverains. Ils ont derrière eux l'acquis de plus de trente ans d'indépendance au cours desquels ils se sont efforcés de construire leurs Etats et de mobiliser leurs efforts en faveur du développement. C'est le destin naturel des peuples que d'affirmer leur indépendance et de chercher le progrès dans la coopération internationale.
Le Général de Gaulle était pénétré de cette conviction et en a marqué l'histoire à deux reprises. Lors de la Conférence de Brazzaville en 1944 qui fut le point de départ d'un mouvement considérable de réforme ; au moment des indépendances à partir de 1958, qui illustrent de manière spectaculaire sa volonté de donner aux pays de l'ancien empire français la possibilité de bâtir eux-mêmes leur avenir.
La France et l'Afrique sont à nouveau à la croisée des chemins. Le monde que nous quittons était divisé en deux blocs. Il était marqué par un conservatisme dont la pleine souveraineté de beaucoup de pays de par le monde a souffert.
Désormais, les barrières de l'idéologie ont été abaissées. La liberté a fait un pas considérable et le monde s'est engagé dans la grande compétition du développement économique et social. Selon l'usage qu'en feront les peuples, cette liberté peut apporter le meilleur comme le pire. Le meilleur lorsque, comme dans certains pays d'Asie, elle libère les capacités créatrices des individus et les mène à marche accélérée vers le progrès économique ou encore lorsqu'elle conduit à la recherche de la solidarité nationale. Mais il peut aussi mener au pire comme nous l'observons tristement dans l'ex-Yougoslavie ou dans certains pays qui ne respectent plus les lois élémentaires de la sagesse économique et de la cohésion sociale.
Il revient aujourd'hui à la France et à l'Afrique d'orienter résolument leurs efforts vers l'avenir et vers toutes les chances de progrès qu'il leur propose.
Le "nouveau départ" des relations entre la France et ses partenaires africains doit s'organiser à mes yeux autour de trois idées essentielles : bâtir une Afrique plus stable ; assurer le redémarrage des économies africaines ; penser l'Afrique de demain.
- Bâtir une Afrique plus stable. J'ai déjà eu l'occasion de souligner qu'il n'y a pas de progrès économique durable, et donc de bien-être pour les peuples, sans stabilité politique ni sécurité. Or, l'Afrique est aujourd'hui dominée par les conflits et les tensions qui atteignent directement les populations civiles, provoquent des flux dramatiques de réfugiés et fragilisent le tissu social des pays concernés. La France, grâce à sa présence militaire, apporte une importante contribution à la stabilité du continent, et elle continuera à le faire.
Elle soutient également l'organisation des processus électoraux dès lors que ceux-ci permettent l'expression d'une légitimité démocratique. D'une manière générale, la France, respectueuse de la culture et des traditions africaines, entend favoriser la conclusion d'accords politiques partout où cela est possible. Mais en dernier recours, il est clair que c'est aux Africains eux-mêmes qu'il revient de s'organiser et de favoriser ces évolutions notamment au sein de l'OUA.
- Il faut aussi assurer le redémarrage des économies africaines : la marginalisation économique de l'Afrique a longtemps été considérée comme une évolution inéluctable. La décision prise à Dakar le 11 janvier dernier nous prouve le contraire. Les chefs d'Etat de la zone, en plein accord avec les autorités françaises, ont décidé de dévaluer le franc CFA et le franc comorien et de maintenir l'unité de la zone franc.
Cette mesure courageuse prise par des Etats souverains après une longue réflexion est le témoignage que l'Afrique prend son destin en main et se donne à long terme les moyens d'assurer son développement et le bien-être de ses populations. Elle est à mes yeux le témoignage de la maturité de ces Etats, qui au lieu de se laisser porter par la fatalité de la crise économique, ont décidé de s'adapter aux réalités par un ajustement majeur de leurs économies. Loin de distendre les liens traditionnels que ces pays entretiennent avec la France, cette mesure contribuera, j'en suis convaincu, au contraire à les renforcer. Le montant exceptionnel des concours financiers que la France mobilise à cette occasion, comme son action incessante auprès des institutions financières internationales, en est la meilleure preuve.
La France est aujourd'hui le seul des grands pays industrialisés à maintenir le niveau de son aide au développement en dépit des difficultés économiques et budgétaires qu'elle traverse. La poursuite de cet effort est une priorité pour mon gouvernement qui entend privilégier à l'avenir une coopération concrète sur des projets qui concernent directement les populations. Nous éviterons ainsi de consacrer la majorité de notre effort à des dépenses de fonctionnement.
- Il convient enfin de penser ensemble à l'Afrique de demain : à l'heure de la mondialisation des échanges, de la construction de l'Union européenne et de la signature des accords entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, l'Afrique ne doit pas rester à l'écart et la France entend l'y aider.
L'Afrique doit aujourd'hui s'insérer résolument dans les grandes évolutions des échanges qui conduisent les Etats à se rassembler à l'intérieur de grandes zones régionales. Ce mouvement d'intégration permettra de résoudre pacifiquement beaucoup de différends entre pays africains comme l'Union européenne a contribué à stabiliser l'Europe de l'Ouest. Sur le plan économique et financier, cette intégration est une réponse à l'émiettement des économies locales et au développement des activités du secteur informel, qui déstabilisent les économies nationales. Enfin, sur la scène internationale, de tels accords régionaux permettraient à l'Afrique de parler plus efficacement et de manière plus unie.
L'Afrique doit entretenir des relations étroites avec l'Europe. Dès l'origine de la construction européenne, la France a joué un rôle essentiel dans ce domaine, tant en direction des pays membres de l'Union européenne que vers ses partenaires africains.
Dans les années à venir, elle devra s'employer à mieux faire connaître et accepter les nécessités d'une coopération renforcée avec l'Union européenne, qui entend s'affirmer dans le monde et qui est naturellement le premier et le plus proche partenaire de l'Afrique.
Contribuer à bâtir une Afrique plus libre et plus forte, où l'indépendance de chaque pays et la dignité de chaque Africain seraient clairement affirmées, tel a été depuis le 30 janvier 1944 le message du Général de Gaulle. Cette haute ambition, nul n'a su mieux que lui la faire partager et la mettre en oeuvre. C'est aujourd'hui notre fierté de la reprendre à notre compte. Nous Français, nous y appliquerons tous nos efforts.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2004)