Entretien de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, avec le quotidien iranien "Etemad" le 12 avril 2009, sur le dialogue franco-iranien et les relations entre les Occidentaux et l'Iran, notamment sur le dossier nucléaire.

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Texte intégral

Q - Le fait que vous nous rencontriez ici, est un signe que quelque chose de positif arrivera bientôt entre l'Occident en général et l'Iran.
R - A votre place ont été assis M. Velayati, M. Larijani, M. Mottaki, tout le monde et cela n'a rien changé. Nous, les Français, nous avons essayé de rétablir la confiance avec le peuple iranien, qui est très important, ce grand pays qui est l'Iran, cela n'a pas marché.
Nous avons envoyé des émissaires, nous avons un ambassadeur bien sûr, nous avons envoyé à Téhéran des chargés de mission, des gens importants du ministère, cela n'a rien changé.
J'ai fait une émission de CNN pendant une heure et demie avec M. Mottaki, il y a un mois à Davos, cela n'a rien changé. Nous essayons d'établir la confiance. Nous voulons absolument que le dialogue se fasse entre les Iraniens et les Français, mais nous ne sommes pas parvenus à faire comprendre au peuple iranien que nous étions ses amis, que jamais nous avons voulu interdire au peuple iranien d'avoir le pouvoir nucléaire civil, jamais au contraire, nous leur avons proposé, cela n'a pas marché, donc il n'y a rien de nouveau.
Q - Etant donné les changements qui se sont passés aux Etats-Unis et le dernier message de M. Obama, on connaît aussi la réponse des Iraniens, mais est-ce que vous pensez que quelque chose d'heureux se produira suite à ces récents évènements positifs ?
R - Je l'espère sincèrement. Nous avons toujours été partisans des contacts directs puisque nous avons eu des contacts directs, nous les Français, de l'autre côté, du côté iranien, hélas nous n'arrivions pas à faire comprendre notre position. J'espère qu'avec M. Obama, bien que la réponse du Guide soit un tout petit peu robuste, j'espère que cela va se passer. Il va y avoir des élections et nous les suivrons attentivement.
Q - On connaît maintenant le discours des deux parties. Les Occidentaux disent : "il faut arrêter l'enrichissement" et les Iraniens disent : "nous n'arrêtons pas l'enrichissement". Est-ce qu'il y a un espoir pour que ce discours de cette nature change finalement et que l'on voie quand même un autre discours ?
R - Il y a toujours un espoir que l'Iran accepte. Il y a quelque chose qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'avant le Conseil de sécurité il y a eu, depuis 2003, l'Agence internationale de l'Energie atomique qui a constaté des violations de l'accord de garanties, fait des demandes - dont la suspension - et posé des questions. Pourquoi nos amis iraniens ne répondent-ils pas aux questions ? C'est tellement simple... En répondant aux questions, ils lèveraient une suspicion, ils lèveraient un obstacle. L'Agence leur demande de répondre à leurs questions. C'est une première étape sur le chemin de la paix qui pourrait être quelque chose d'efficace, je crois.
De toute façon, nous sommes partisans des contacts que nous continuons d'entretenir. Nous sommes ravis que le président Obama ait présenté ce message au peuple et au gouvernement iranien. Je suis disposé à tous les contacts que l'on veut, et je l'ai même dit à M. Mottaki la dernière fois, à une visite à Téhéran le moment venu. Mais il faut certaines conditions et répondre à quelques questions précises et techniques de l'Agence me semble important, de même que suspendre le programme actuel qui n'a à l'évidence aucune finalité civile. Je le répète, l'Iran a le droit de s'équiper de capacités électronucléaires. Non seulement nous sommes d'accord pour cela, mais aussi nous sommes prêts à les aider, nous l'avons proposé, les Russes aussi d'ailleurs et tous les autres partenaires des E3+3, à partir du moment où l'Iran ne sera plus en violation de ses obligations.
Q - D'un autre côté l'Agence internationale de l'Energie atomique n'a jamais dit que l'Iran était sur le chemin d'acquérir la bombe nucléaire ou utiliser en tout cas cette énergie à des fins non civiles...
R - ... Tout le monde le dit, et l'Agence elle-même affirme ne pas être en mesure d'affirmer qu'il s'agit d'un programme civil. Et l'Agence parle ouvertement de travaux liés au nucléaire militaire, dans ses derniers rapports.
Q - Mais d'un autre côté, il y a toujours eu des pré conditions à un dialogue, est-ce qu'aujourd'hui avec le changement de la position américaine, est-ce que l'on peut espérer finalement que ces conditions préalables vont sauter et que l'on entrera dans un dialogue sans conditions préalables ?
R - Il faut demander aux Américains, je ne peux pas répondre pour eux. Nous avons parlé, nous avons dialogué. La dernière fois que nous avons rencontré les Iraniens, c'était à Genève : les Américains étaient là. Je rencontre les Iraniens sans conditions, mais voilà, cela n'avance pas. L'Iran est un grand peuple, un peuple qui dans l'histoire a compté de façon extraordinaire. C'est le berceau de la civilisation, placé géographiquement entre l'Asie et le Moyen-Orient, c'est une région où nous ne pouvons rien faire sans les Iraniens. Je suis en plus conscient qu'il y a une dimension très importante qui s'appelle le chiisme. Je suis l'un des rares Occidentaux qui ait eu pendant plus de 35 ans des amis chiites. L'un de mes maîtres a été l'imam Moussa al-Sadr. C'est une dimension que je connais physiquement, que je ressens. Je sais cette différence entre les Sunnites et les Chiites. L'Iran c'est à la fois la vieille tradition des Perses, c'est à la fois un grand pays de religion chiite et c'est à la fois un grand pays placé au centre des dynamiques régionales, donc il n'y a aucune raison qu'il ne participe pas au mouvement général, au contraire. Je suis partisan de parler avec l'Iran, mais pourquoi ne répond-il pas aux petites questions de l'Agence Internationale ? C'est une erreur.
Q - Dans la mesure de mes informations, l'Iran dit qu'il a toujours répondu à des questions, il n'y a plus de questions à répondre.
R - Non. Il y a un homme qui s'appelle Mohamed El Baradei, un homme très sérieux, qui dirige l'Agence internationale de l'Energie atomique - une Agence de l'ONU - et de qui je suis très proche. Il n'a jamais été contre les Iraniens, au contraire. C'est un partisan du dialogue. Mais il est désarmé parce que les demandes de l'Agence restent lettre morte et que même les questions restent sans réponse. Ce sont pourtant des questions simples : qu'est-ce que vous avez fait ? Les Français n'ont jamais refusé le dialogue avec les Iraniens, la semaine dernière le directeur du Moyen-Orient, Patrice Paoli était, avec l'un de ses collaborateurs, à Téhéran, chez vous. Ce que l'on veut, c'est qu'il n'y ait pas de surenchère atomique dans cet endroit, comme ailleurs, qu'il n'y ait pas de danger de guerre dans cet endroit du monde précis, où les Iraniens occupent une place si grande. Et moi, personnellement, je souhaite que le peuple iranien soit associé à ce mouvement de l'histoire parce que je le connais bien. Je vous l'ai dit, j'ai un parcours au côté de mes amis chiites qui me permet de comprendre les différences.
Q - Lors des envois des émissaires, comme vous avez dit, français à Téhéran, est-ce que la France a émis de nouvelles propositions ?
R - Des propositions, nous en avons émis plusieurs fois. Nous avons voulu reprendre le contact avec nos amis sur place, voir comme cela se présentait parce que nous attendions que les positions américaines changent, nous avions salué les positions du candidat Obama et nous étions très heureux qu'il continue à dire qu'il y aura des contacts directs, puis il y a eu ce message sur Internet. J'espère que des contacts se noueront et nous sommes prêts à participer à tout cela. Nous avons beaucoup travaillé avec les Iraniens sur le Liban, j'ai beaucoup travaillé, j'ai le premier invité le Hezbollah en France ici, plusieurs fois, j'ai passé avec le Hezbollah et avec nos amis libanais deux jours de travail de séminaire qui, je crois, ont compté pour l'élection présidentielle au Liban.
Q - Pour un dernier mot, en tant que journaliste je pose la question : est-ce que vous auriez un nouveau message que je pourrais faire passer ?
R - Oui, je veux que les Iraniens comprennent que le peuple français n'a rien contre eux, au contraire : nous avons à son égard beaucoup d'admiration. Nous avons eu des rapports tellement précis, tellement fraternels. Vous savez, c'est chez nous que l'imam Khomeini est arrivé et j'étais là quand il est arrivé. Je voudrais qu'il comprenne que nous n'avons pas d'hostilité, nous voudrions lui parler, mais nous ne savons pas comment faire pour leur exprimer notre désir de paix, de fraternité et de contact. J'espère que les élections vont bien se passer et que les nouvelles décisions américaines seront suivies d'une ouverture. En effet, ce dialogue est nécessaire. Mais n'oublions pas de répondre aux questions de l'Agence qui est une agence internationale, c'est l'ONU, et de suspendre un programme sans finalité civile prouvée. Le Conseil de sécurité a, à cinq reprises, demandé la suspension de l'enrichissement. Il faut, peut-être le message est-il celui là, que nos amis iraniens comprennent que nous ne les contraignons pas, ils ont le droit de construire toutes les usines et toute l'énergie. Disposer de l'énergie atomique à des fins pacifiques car le pétrole ne sera pas éternel, c'est normal. Mais il faut que la confiance soit rétablie.
Q - Il y a des démarches qui se font et la France aura des bases militaires maintenant, quelle est la signification de ce changement ?
R - Nous allons avoir une base à Abu Dhabi. C'est une base qui était promise depuis des années à nos amis du Golfe. Nous sommes très proches des populations du Golfe, c'est pour cela que nous regrettons de ne pas être proches des Iraniens. Comme c'est une région, nous l'espérons, qui demeurera pacifique et que nous sommes très amis avec les Emirats arabes unis certes, avec l'Arabie saoudite certes, le Qatar certes, avec le Koweït certes, avec Bahreïn certes, avec Oman, nous, nous croyons parce qu'il faut veiller au déroulement pacifique de tous les échanges que ce soit les échanges de pétrole, de gaz, etc... nous dépendons de tout cela, et nos amis émiratis, avec lesquels nous avons une très ancienne coopération ont souhaité que nous établissions cette base à Abu Dhabi, une base militaire mais aussi une base pour notre coopération bien sûr. Je pense qu'elle signifiera que nous attachons beaucoup d'importance à la présence de la France dans cette région.
Q - Evidemment l'Iran a contribué au maintien de cette paix dans cette région.
R - J'espère qu'elle continuera au Yémen. Il y a aussi des Chiites au Yémen.
Q - Etant donné que des pays du Golfe ont des projets de centrales nucléaires aussi si l'Iran...
R - ... centrales nucléaires, c'est du nucléaire pacifique, c'est de l'énergie pacifique.
Q - Si l'Iran demandait, est-ce que la France serait prête à l'aider dans cette démarche ?
R - Bien sûr, absolument. Nous serions très heureux de les aider dans le développement du nucléaire civil bien sûr, à partir du moment où la confiance serait rétablie.
Q - Par exemple pour la centrale de Bouchehr, les Européens ont tellement tardé...
R - ... que les Russes sont là.
Q - L'Iran s'est finalement tournée vers ...
R - Vers la technologie russe, mais la France est tout à fait disposée, le moment venu et pour peu que les conditions soient remplies, à coopérer avec l'Iran dans le domaine nucléaire civil.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2009