Interview de Mme Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, à RTL le 21 avril 2009, sur le discours du Président iranien à l'ouverture de la Conférence d'examen de Durban organisée par l'ONU.

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Circonstance : Conférence de l'ONU sur le racisme, dite conférence Durban II, à Genève du 20 au 24 avril 2009

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

S. Carpentier.- Comme le Président Sarkozy, comme le ministre B. Kouchner, vous êtes ce matin indignée par ces propos (ndlr : les propos de la veille, à la conférence de l'ONU sur le racisme, du Président iranien)...
 
Bien sûr ! Vous savez, cette conférence des Nations unies qui s'est ouverte lundi, avait un objectif et a toujours un objectif, c'est de rassembler et de mobiliser la communauté internationale autour de la lutte contre le racisme sous toutes ces formes. Et le discours prononcé par le Président iranien en est l'exact opposé à travers cet appel, finalement, à la haine raciste, qui bafoue toutes les valeurs inscrites dans la déclaration universelle des droits de l'homme. Oui, on est indignés, oui, c'est inacceptable, oui c'est scandaleux. Et évidemment, évidemment, il fallait, pour notre délégation présente à Genève, quitter la salle, ne pas assister à cette pantomime tragique.
 
En même temps, c'était attendu, c'était à craindre ce comportement...
 
Oui, avant même l'ouverture de la conférence, le Gouvernement iranien avait déjà tenu des propos du même tonneau. Et ce n'est pas la première fois, ce n'est pas la dernière fois. Il faut donc avoir une exigence morale vis-à-vis de lui, une vigilance de l'esprit, et c'est ce qui explique que l'instruction avait été donnée à notre délégation de quitter la salle au moment où elle constaterait, elle entendrait un dérapage verbal intolérable.
 
Il y a beaucoup de gens qui disent aujourd'hui, mais pourquoi la France a fait le déplacement finalement, est présente à cette conférence ? Et est-ce que le pays n'aurait pas dû anticiper, comme par exemple les Etats-Unis, l'Allemagne, l'Italie - si je ne me trompe pas -, en ne venant pas à cette Conférence, justement ?
 
Moi, j'ai longtemps hésité avant de proposer au président de la République, au Premier ministre, que nous y allions. J'ai longtemps hésité, à cause, justement, de ces risques que vous soulignez. Mais simplement, je me suis dis, au final, qu'il fallait y aller, il fallait y aller pour défendre notre point de vue, il fallait y aller parce que nous avons des valeurs, il fallait négocier pied à pied. La politique de la chaise vide s'apparentait pour moi - enfin, elle peut être compréhensible... - à la désertion parce qu'on aurait laissé la tribune des Nations unies aux extrémistes, donc au Président iranien et il n'y aurait eu personne en face pour le contredire. C'est ça le problème !
 
Et ça, c'est dangereux pour le texte qui sera rédigé ?
 
Non, par ailleurs, le texte c'est autre chose. L'autre raison pour laquelle on est allés à cette conférence, c'est que l'Union européenne et la France avaient fixé des lignes rouges à ne pas dépasser concernant le texte devant servir de base à la discussion. Il faut bien différencier ce texte qui suit son cours et le dérapage verbal, scandaleux du Président iranien, parce les lignes rouges que l'on avait fixées, dans le texte, il n'y a pas de dérive antisémite, il n'y a pas de reconnaissance de la notion de diffamation des religions, comme le souhaitaient certains. Donc c'est tout à fait un processus différent. Et c'est pour ces raisons-là, parce que ces lignes rouges n'ont pas été franchies, que nous avons décidé d'y aller. Parce que, imaginez, on dit, "nous avons des lignes rouges, nous irons si les lignes rouges ne sont pas franchies, elles ne le sont pas, et puis on leur dit "finalement, on n'y va pas. Cela n'aurait pas été, en terme de négociation, jouer franc jeu. Donc voilà les raisons pour lesquelles on y est allés. Mais surtout, pour porter le combat des droits de l'homme, jusque dans ces enceintes, qui, je vous le rappelle, sont des enceintes onusiennes. Et la question qui se pose, c'est faut-il laisser ces enceintes-là aux extrémistes en désertant en ras de campagne ? C'est la question que l'on s'est posée.
 
N. Sarkozy appelle l'Europe à la fermeté ; ça veut dire quoi ? Est-ce qu'il y a des sanctions possibles aujourd'hui ? Qu'est-ce que l'on peut faire finalement, à part être présents ?
 
La fermeté, c'est la réaction de notre ambassadeur hier, en entendant le discours du Président iranien, c'est ce geste de dégoût et de résistance face à l'indicible - je ne sais pas comment vous dire... -, c'était de quitter la salle et de marquer sa réprobation et la manifestation d'une Europe qui ne veut pas n'importe quoi. Maintenant, les ministres européens continuent de se parler. Pour l'instant, on a quitté la salle, on est encore dans la conférence, mais les ministres continuent de se parler, ça peut changer, et par ailleurs, il y a une déclaration finale qui suit son cours et donc il faut voir si, effectivement, les termes qui ont présidé à l'ouverture de la Conférence, resteront par la suite. Mais nous maintenons la pression. Nous estimons que notre présence n'est pas du tout acquise définitivement et que tout dépend de l'évolution des choses et des discussions qui se mènent entre les ministres européens.
 
On verra ça dans les prochains jours. Merci de votre intervention ce matin sur RTL.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 avril 2009