Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à France Inter le 16 avril 2009, sur la distinction entre sabotage et terrorisme, le violence des jeunes et l'interdiction des cagoules dans les manifestations.

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Média : France Inter

Texte intégral

E. Delvaux.- M. Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales, c'est dire si ce matin on a pas mal de questions...
 
Et des Cultes...
 
...et des Cultes, exactement ! On va commencer par vos responsabilités à l'Intérieur. L'affaire J. Coupat et ses camarades militants de Tarnac. Les contre-enquêtes journalistiques, du Monde de Charlie Hebdo hier, de Libération ce matin, affirment que rien dans l'instruction ne justifie la qualification de "terrorisme", "qualification abusive", disent encore les avocats des Tarnac. Estce que cela peut finir par ébranler vos convictions ?
 
Certainement pas, et notamment ma conviction que ce ne sont pas les journaux qui rendent la justice dans notre pays, et que ce ne sont pas forcément les avocats qui sont le mieux à même d'exprimer une vision objective d'un dossier.
 
Cela dit, la police n'a toujours trouvé aucune preuve formelle qui justifie ce mot de "terrorisme".
 
La police a apporté au juge et continue d'apporter au juge, un certain nombre d'éléments qui ont conduit celui-ci à mettre en examen, sous une inculpation d'association de malfaiteurs en liaison avec une entreprise terroriste, plusieurs personnes, à les maintenir, je vous le signale, sous contrôle judiciaire, ce qui n'est pas rien, et à maintenir en prison monsieur Coupat.
 
L'un des mis en examen. Cela dit, on est, semble-t-il, d'après non pas les enquêtes policières, mais ce que les journalistes vont chercher, on est plus près du sabotage que du terrorisme, vous ne l'entendez toujours pas ?
 
Encore une fois, ce n'est pas à moi de donner une qualification, c'est au juge. Je suis ministre de l'Intérieur, et donc, à ce titre, en charge des services de police et de gendarmerie qui ont pour but d'empêcher des personnes d'apporter une nuisance dans un certain nombre de cas, de les empêcher de commettre des délits ou des crimes, qui ont également la responsabilité d'interpeller des personnes qui ont commis des actes contraire à la loi, de les déférer au juge, et de donner au juge ce que celui-ci demande. A partir de là, j'ai un trop grand respect de la séparation des pouvoirs et de la justice dans notre pays pour m'exprimer davantage sur ce dossier. C'est peut-être d'ailleurs l'un des problèmes aujourd'hui, c'est-à-dire que ceux qui savent n'ont pas le droit de parler, tandis que d'autres, qui ont peut-être des présupposés ou ont moins de connaissances, eux, ont la possibilité de s'exprimer.
 
Vous prendriez comme un camouflet pour vous peut-être et pour votre ministère, si J. Coupat s'avérait innocent ?
 
Encore une fois, c'est à la justice de se prononcer...
 
On a compris, on a compris...
 
J'ai apporté des éléments à la justice, le juge...
 
Des éléments un peu à charge tout de même, à charge pour le terrorisme !
 
Attendez...Non mais soyons clairs : quel est le rôle des policiers des gendarmes ? Il faut bien le répéter, ils sont là pour protéger la société, pour faire respecter les lois. Quand il y a un certain nombre de personnes qui sont soupçonnées d'avoir commis des actes contraires à la loi, leur rôle c'est d'interpeller ces personnes et de donner à la justice des éléments sur lesquels c'est ensuite à elle de se prononcer. Point à la ligne. Je pense que, en la matière, les policiers et les gendarmes ont fait leur métier. Maintenant, je pense qu'il serait bon que chacun attende les décisions qui seront celles de la justice.
 
Alors on va attendre. La violence, la violence des jeunes aujourd'hui, est-ce que vous estimez qu'il y a une recrudescence des phénomènes de bandes en France liée aux récents évènements ?
 
La violence, ce ne sont pas que les bandes malheureusement. Effectivement, je constate que nous sommes dans une société où on voit monter beaucoup de violence. On le voit monter à travers, bien entendu, des grands événements tels que ceux de Strasbourg ou de Bastia ; on le voit également avec les phénomènes de bandes qui vont, y compris dans les établissements scolaires. Mais on le voit tout simplement, ce qui s'est passé avant-hier soir, lorsque des groupes de jeunes, qui ne constituent pas des bandes, se rencontrent et sur un détail, c'est-à-dire une moquerie de l'un à l'autre, se bagarrent avec des armes blanches, ce qui se traduit par un décès et par deux blessés. Et ça, c'est une vraie préoccupation. J'ai constaté cela depuis maintenant l'été dernier, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'avais demandé au Préfet de police de Paris de mener des contrôles systématiques sur le port d'armes blanches, en particuliers, de couteaux, de canifs, de cutters, etc., par un certain nombre de jeunes parce que c'est préoccupant. Nous voyons également se développer un certain nombre de vols à main armée, pour des toutes petites sommes, des choses qui ne concernent, bien entendu, pas des banques ou des compagnies d'assurance, mais parfois le fleuriste, le marchand de journaux ou des choses comme ça.
 
Mais qui sont ces jeunes ?
 
Donc c'est un phénomène global dans notre société, et c'est préoccupant. Ensuite, il y a le phénomène des bandes. Les bandes...
 
Est-ce que les jeunes dont vous parlez sont plutôt des jeunes déscolarisés que des véritables gangs ?
 
En ce qui concerne les bandes, il y a, j'ai eu l'occasion de le dire, 220 bandes qui ont été déterminées, si vous voulez, sur l'ensemble de la France, comportant environ 2.500 personnes qui sont des permanents de ces bandes, et il faut voir que dans 80 %, derrière ces bandes, vous avez des phénomènes de trafic de drogue. C'est finalement le trafic de drogue, très largement pas uniquement, mais qui sert à la constitution de ces bandes, et la bande, en quelque sorte, protège le trafic. Ces bandes peuvent être effectivement parfois extrêmement violentes.
 
Vous souhaitez interdire le port de la cagoule pendant les manifestations, on comprend bien pourquoi. Mais une fois qu'on a dit ça, comment fait-on pour appliquer, parce que ça peut aussi entraîner des dérapages dans la foule ?
 
Ce que je constate d'abord, c'est que cette interdiction existe dans d'autres pays européens...
 
...En Allemagne.
 
...Notamment en Allemagne, et qu'elle est mise en oeuvre. Donc, dans l'immédiat, effectivement, je viens de soumettre au Premier ministre un projet de décret pour interdire le port des cagoules dans les manifestations, parce que quand on manifeste c'est pour ses idées, et on ne cache pas normalement ses idées. Quand on arrive avec une cagoule...
 
Non, mais sur la justification pourquoi pas. C'est la mise en place qui nous semble un peu confuse.
 
Non, la mise en place, vous avez plusieurs façons. Vous avez d'abord des gens qui au moment où ils vont faire la manifestation mettent la cagoule ou d'autres éléments d'ailleurs pour se dissimuler, et là vous avez une possibilité d'intervenir. D'autre part, en ce qui concerne les grandes manifestations, très organisées, notamment par les syndicats, qui ont leur propre service d'ordre, on isole. Et d'ailleurs, les services d'ordre des syndicats isolent ces éléments de casseurs qui viennent en réalité perturber et ternir l'image des manifestations. Et donc, à partir de ce moment-là, on peut effectivement intervenir. Bien entendu, il faut prendre un certain nombre de précautions, mais à chaque fois c'est en quelque sorte le savoir faire et le jugement des policiers ou des gendarmes qui sont sur place qui permettent de voir quand on peut agir immédiatement ou quand on peut agir après, puisque dans un certain nombre de cas aussi vous avez, grâce au système de vidéo-protection dans un certain nombre de rues, le moyen de repérer des gens au moment où ils sont en train de se dissimuler, et donc la possibilité de les retrouver par la suite.
 
Une question sur l'ambiance au sein du Gouvernement en ce moment : N. Sarkozy qui appelle ses ministres au calme, contre éventuellement "un manque de sang-froid", dit-il. Il y a en ce moment des états d'âme au sein du Gouvernement ?
 
Je ne pense pas qu'il y ait d'états d'âme, il y a beaucoup de travail, c'est vrai...
 
Non, mais attendez ! Le président de la République vous a fait hier, paraît-il, une colère froide, qui a duré cinq minutes, c'est bien parce qu'il y a des états d'âme ? !
 
Ecoutez, moi, en tous les cas, je n'ai pas d'états d'âme dans la mesure où je ne dis pas ce qui s'est passé en Conseil des ministres. Cela ne me paraît pas convenable, je ne l'ai jamais fait dans ma vie. Et je pense que, d'une façon générale...
 
Le porte-parole l'a raconté, le porte-parole, L. Chatel l'a raconté !
 
Si c'est le porte-parole, vous pouvez croire le porte-parole puisque c'est son rôle. Mais je...
 
Il n'a pas parlé d' "états d'âme", mais je vous pose la question à vous : au sein du Gouvernement, est-ce qu'il y a des états d'âme, des ministres qui affichent leurs ambitions pour le prochain remaniement ?
 
Je crois que quand on a la chance et l'honneur d'occuper un poste ministériel, ce que l'on a à faire, c'est de remplir au mieux sa mission. Cette mission, c'est vrai, pour chacun des ministres, n'est pas forcément facile dans la période actuelle, mais nous devons tous être tendus pour essayer d'apporter des solutions aux difficultés qui sont celles des Français.
 
J. Chirac, homme politique préféré des Français, c'est l'effet nostalgie ou est-ce que, finalement, la discrétion et un peu de distance ne favorisent pas la sympathie ?
 
Je crois que J. Chirac a toujours eu une relation avec les Français qui était une relation affective. Et le fait que, aujourd'hui, il continue un peu à jouer ce rôle, je pense, fait que les Français lui manifestent, eux aussi, leur sympathie.
 
La discrétion ça joue ?
 
Je pense que la discrétion c'est une question de caractère. Je pense que selon leur caractère, certains se mettent très avant, d'autres sont plus discrets. J'aurais plutôt tendance à me rapprocher du système de la discrétion, certains ont pu parfois, y compris dans les médias, me le reprocher.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 21 avril 2009