Texte intégral
N. Demorand : Bonjour F. Fillon.
Bonjour.
N. Demorand : On va commencer par l'actualité sociale. Des salariés de Continental ont laissé éclater leur colère hier et dévasté la sous préfecture de Compiègne, ainsi qu'une partie de leur usine. Quelle est votre réaction à cette montée de violence ?
On est dans une crise très grave et s'agissant par exemple de Continental, il y a un effondrement de l'activité automobile et notamment de l'activité des fabricants de pneumatiques. Ce qui s'est passé hier, ce sont des violences qui ne sont pas acceptables mais en même temps ce sont des violences qui sont le fait d'une petite minorité de salariés et qui ne doivent pas attirer toute l'attention alors que l'attention doit être portée sur l'avenir de Continental et l'avenir des salariés de Continental. Nous avons proposé déjà depuis plusieurs jours une médiation de l'Etat. C'est-à-dire puisque la direction et les salariés n'arrivent pas à trouver le moyen de parler ensemble, que ce soit sous l'égide de l'Etat, sous l'égide du Gouvernement que ce dialogue s'instaure. L. Chatel a réitéré hier cette proposition. Nous sommes par ailleurs à la recherche depuis plusieurs semaines d'un repreneur pour le site de Continental, donc le gouvernement est complètement mobilisé, comprend la colère des salariés de cette entreprise d'autant que le dialogue social y semble extrêmement difficile. Mais en même temps, il faut maintenant que la main que l'Etat tend soit prise.
N. Demorand : Et qui la refuse cette main ?
Il faut dire les choses clairement : il y a une petite minorité, très petite minorité à Continental, qui rend les choses très difficiles. Même les organisations syndicales ont du mal à jouer leur rôle plein de médiateurs dans cette crise en raison de cette minorité très agissante, très violente et pour lesquelles je dis clairement qu'il y aura, s'agissant des violences qui ont été commises hier, des poursuites judiciaires.
N. Demorand : Il y aura des poursuites ?
Bien sûr.
N. Demorand : C'est quoi, c'est de la délinquance en bande organisée ?
C'est en tous cas le non respect de la loi. Vous savez, il y a dans notre pays un arsenal de textes législatifs qui permettent de protéger les droits des salariés. Je prends l'exemple de ce qui s'est passé à Molex où il y a eu une prise d'otages hier.
N. Demorand : Qui s'est dénouée hier soir.
Qui s'est dénouée hier soir. Les salariés accusent la direction de ce qu'on appelle un délit d'entrave, c'est-à-dire que la direction n'aurait pas communiqué aux salariés des informations importantes, notamment sur le déménagement d'une activité. C'est un délit et dans le droit social français, ce délit doit faire l'objet d'une procédure et si le délit est prouvé, la direction de Molex sera condamnée. Il n'y a pas besoin de recourir à la violence pour obtenir le respect des droits.
N. Demorand : Est-ce que cette radicalisation vous inquiète aujourd'hui ?
Aucun gouvernement ne peut se satisfaire de cette situation. Il faut aussi noter qu'elle ne concerne pas l'ensemble du territoire et d'ensemble des entreprises françaises. Mais en tous cas, la responsabilité de chacun c'est de faire en sorte que ce climat de violence cesse et je pense en particulier à tous les irresponsables qui semblent s'en satisfaire, voire y appellent.
N. Demorand : Vous pensez à qui ?
Un certain nombre d'hommes politiques.
N. Demorand : Par exemple ?
Vous les citez vous-mêmes, ce n'est pas à moi de les désigner.
N. Demorand : Ben, si.
Simplement je constate que leur discours tranche très fortement avec celui des organisations syndicales qui elles sont extrêmement responsables dans ce climat, parce qu'elles savent très bien les dangers qu'il y a pour les salariés à laisser éclater une violence qui ne débouchera sur rien. Je pense que beaucoup de responsables politiques devraient prendre exemple aujourd'hui sur les responsables syndicaux, quelles que soient d'ailleurs les organisations syndicales.
N. Demorand : Quand D. de Villepin parle d'un risque révolutionnaire en France, c'est l'une des personnes auxquelles vous pensez dans les irresponsables politiques ?
Oui notamment. Je pense que c'est de la part de quelqu'un qui a été à la tête du Gouvernement français une attitude qui n'est pas responsable. Il est vrai qu'il n'a pas une grande expérience du dialogue social. Qu'il regarde ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays en terme de dialogue social : les rencontres entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales sont quasiment permanentes et notez qu'il y a beaucoup d'accords qui sont signés, voire même à l'unanimité par les partenaires sociaux. Il y a eu un accord sur l'indemnisation du chômage, il vient d'y avoir un accord sur la formation professionnelle. On a mis en place juste avant Pâques avec le président de la République, le fonds stratégique social qui va nous permettre d'intervenir de manière massive pour mettre en formation des gens qui sont licenciés du fait de la crise. Donc il y a un dialogue social très intense, des partenaires sociaux très responsables, et puis, autour, un certain nombre de gens qui ne comprennent pas que dans une crise aussi grave que ça, la responsabilité d'un homme politique ou d'une femme politique c'est de se retrousser les manches et d'essayer d'aider son pays.
N. Demorand : F. Chérèque de la CFDT disait à ce micro, lundi dernier, qu'il n'y avait sans doute pas de risque révolutionnaire en France mais il était très inquiet d'un risque insurrectionnel notamment pour ce qui concerne la jeunesse. [Votre réaction] sur ce point ?
La jeunesse elle est frappée doublement par cette crise : elle est frappée par cette crise parce que dès qu'il y a des difficultés économiques, c'est sur l'embauche des jeunes qu'on fait immédiatement les économies et les impasses ; et puis elle est frappée par un système éducatif qui fonctionne mal dans notre pays et qui continue à générer un taux d'échec qui est trop élevé. Donc c'est pour ça qu'on se bat avec le Gouvernement sur les deux fronts, d'abord sur l'amélioration du système éducatif, sur la réforme de l'université, sur la lutte contre l'échec scolaire ; et puis deuxièmement - le président de la République dans quelques jours va annoncer des mesures dans ce sens - sur un plan de soutien et d'aide aux jeunes qui du fait de la crise, notamment aux jeunes les plus défavorisés, qui du fait de la crise n'ont pas trouvé d'emploi. Donc l'idée elle est très simple : c'est un, de permettre à ces jeunes de reprendre des formations qui les armeront mieux lorsque la crise sera terminée ; et puis c'est deuxièmement de regarder avec les entreprises ; il y a beaucoup d'entreprises qui nous disent on sait que dans un an ou dans 18 mois, on va avoir des besoins de recrutement massif et qu'on ne trouvera pas les gens dont on a besoin. Donc on voudrait regarder avec les entreprises comment faire en sorte qu'avec l'aide de l'Etat, elles puissent au fond pré-recruter malgré la crise des jeunes dont on sait qu'elles auront besoin bientôt.
N. Demorand : Alors il y a un autre conflit qui dure depuis des semaines et même des mois, c'est celui des chercheurs qui a considérablement désorganisé l'année universitaire. C'est l'un des aspects du problème. Très concrètement, très pratiquement, est-ce que les examens peuvent avoir lieu normalement cette année ?
D'abord, il y a un nombre minoritaire de sites universitaires qui sont concernés par ce mouvement. Je veux dire qu'il y a grosso modo une centaine d'universités en France, il y en a à peu près aujourd'hui entre 20 et 25 qui sont affectées par ce mouvement. Dans ces sites, dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue. Il faudra au minimum que les examens soient retardés de quelques mois et que les cours de rattrapage soient conduits. Je dis tout de suite que le Gouvernement n'acceptera jamais, de même d'ailleurs qu'une grande partie de la communauté universitaire, que les examens soient bradés. Ce serait catastrophique pour l'avenir de l'université française, pour sa réputation, pour son image dans le monde et donc pour ces étudiants qui auraient ces examens au rabais. Quelle est la situation à l'université ? On a des enseignants chercheurs qui sont parmi les meilleurs du monde.
N. Demorand : Ca c'est vous qui le dites.
Oui mais enfin c'est reconnu, il y a des évaluations qui sont faites, on est dans le peloton de tête des grandes nations en matière de qualité des chercheurs et des enseignants chercheurs. Et en même temps, on a une université qui depuis des années décline, avec des classements internationaux qui sont mauvais et avec surtout un échec dans les premiers cycles universitaires qui ne cesse d'augmenter. Donc on a voulu s'attaquer à cette question en mettant en place plusieurs instruments. D'abord l'autonomie des universités : donner beaucoup plus de liberté comme c'est le cas partout dans le monde aux universités. Deuxièmement en mettant beaucoup plus de moyens financiers ; il faut le dire on met un milliard d'euros supplémentaire chaque année de plus pour l'université. C'est-à-dire qu'en cinq ans, on va doubler le budget de l'enseignement supérieur.
N. Demorand : Mais comment expliquer alors la dureté de ce mouvement qui dure depuis des mois ?
Il y a eu trois sujets de crispation entre une partie de la communauté universitaire et le Gouvernement sur cette réforme. Il y a d'abord eu la question du statut des enseignants chercheurs. Il y a un décret qui a été mal compris par les enseignants chercheurs, qui était sans doute mal écrit. J'ai demandé qu'il soit ré écrit intégralement. Il est passé au Conseil d'Etat hier, il va passer au Conseil des ministres ce matin. Ce décret il préserve totalement la liberté des enseignants chercheurs. C'est-à-dire qu'en gros, on résume : quand un enseignant chercheur à des tâches de recherche très importantes, il pourra se voir décharger d'une partie de sa mission d'enseignement et, à l'inverse, un enseignant chercheur qui voudrait faire plus de cours, de façon libre - c'est lui qui le décidera avec son université - pourra le faire. Mais surtout on revalorise à travers cette décision le métier d'enseignant chercheur. Cela veut dire que les enseignants chercheurs en début de carrière vont voir leur salaire augmenter entre 17 et 25%. Donc on a, là, je pense, maintenant, un décret qui est parfaitement conforme aux attentes de la communauté universitaire. J'ai encore reçu hier la conférence des présidents d'université. Il y a un accord parfait.
N. Demorand : Mais pourtant il y a encore des grèves perlées, comme on dit, le mouvement n'est pas arrêté. Il y a comme une cassure, non ?
Il y a encore un mouvement très minoritaire dans l'université. Il était, j'allais dire majoritaire, en tous cas il était très important il y a quelques mois. Il ne l'est plus aujourd'hui parce que nous avons fait ces gestes-là, parce qu'il y a eu des compromis, parce que chacun a fait un effort. Il y a encore et je m'en entretenais avec les présidents d'université hier, il y a eu des actes de violence par exemple à Toulouse, invraisemblables, avec des présidents retenus dans leurs bureaux, des saccages de bâtiments qui n'ont rien à voir avec le débat. Il y avait un deuxième sujet qui était les suppressions de postes à l'université, elles ont été annulées pour les deux années qui viennent. Et puis il y avait un troisième sujet qui était la formation des enseignants, des enseignants des écoles. On veut que cette formation passe de Bac plus 3 à Bac plus 5. Franchement, c'est un progrès, c'est un progrès d'ailleurs en terme de carrière pour les enseignants parce qu'à Bac plus 5 on est mieux payé qu'à Bac plus 3. Et puis enfin tout le monde comprend que c'est normal que nos enfants soient formés par des enseignants qui ont un niveau de formation à Bac plus 5, aujourd'hui, compte tenu de ce qu'est la société française. Il y avait des inquiétudes là-dessus. Le ministre de l'Education a installé hier une commission présidée par un président d'université et un recteur qui s'est donnée jusqu'au 15 juillet pour apaiser toutes les craintes et pour mettre en place. Donc le Gouvernement sur cette question est très ouvert au dialogue et donc maintenant il faut que ce mouvement s'arrête, d'autant qu'il est très minoritaire. Il faut bien voir que derrière la poursuite de ce mouvement, il y a des étudiants qui risquent de perdre une année. Et puis il y a quand même une image de l'université française qui est fragilisée.
N. Demorand : Dernière question rapide sur ce sujet, ne pensez-vous pas que les propos du président de la République, N. Sarkozy, se moquant des universitaires qui voient de la lumière dans un laboratoire et y entrent parce que c'est chauffé, que ce n'est pas ça qui a cristallisé le malaise et la contestation ?
Non. J'étais à ce discours, donc ce n'est pas tout à fait ça qui s'est passé. Le président de la République expliquait aux enseignants chercheurs qu'il y a une réalité aux difficultés du système universitaire et de recherche français. Et sa formule a été de dire à ces enseignants chercheurs : si on n'en parle pas alors ça ne sert à rien, on peut se retrouver, il y a de la lumière. Très bien. Mais il ne se moquait pas des enseignants chercheurs. Le président de la République dit les choses comme elles sont avec le sens de la vérité qui est le sien. Il y a un certain nombre d'enseignants chercheurs qui ont peut-être été choqués par ce discours, je pense que depuis on leur a envoyé tous les signes qui leur montrent que le but du président de la République, c'est de donner plus de moyens à la recherche française et c'est de lui permettre de mieux réussir. Et on a le plus profond respect pour la communauté des chercheurs français.
N. Demorand : Quelle est votre prévision de croissance pour 2009 ? C'est moins 2,5 disait hier le gouverneur de la Banque de France, C. Noyer, chez nos confrères de RTL.
C'est très difficile de faire des prévisions comme vous avez pu le constater parce qu'à peu près tous les mois, les instituts révisent leurs prévisions, pour l'instant à la baisse. J'espère que progressivement le mouvement s'inversera. Ce qui est sûr c'est que l'année 2009 sera une année de récession forte. Elle sera, et c'est vrai pour 2009 comme pour 2010, moins forte dans notre pays que chez nos voisins, ce qui montre d'ailleurs le caractère parfaitement inutile de toutes les critiques qui sont faites sur le plan de relance français. C'est assez paradoxal de voir les mêmes instituts de recherche, d'analyse, nous expliquer que le plan de relance est insuffisant mais que grosso modo on aura une croissance un peu plus forte ou une décroissance un peu moins forte que celle des autres pays européens. Donc 2,5 c'est un chiffre qui est aujourd'hui probable. Ce que je regarde moi maintenant, c'est à partir de quel moment la courbe va s'inverser.
N. Demorand : Vous en savez quelque chose de ça ?
Non, je suis comme tout le monde. Et il faut encore attendre de voir l'efficacité des plans de relance dans le monde, voir si le système financier est complètement purgé ou s'il n'est pas complètement purgé. Mais il y a quand même des signes. Il y a un niveau d'inflation qui est historiquement bas, ce qui est bon pour la reprise. Il y a un niveau de prix des matières premières qui est extrêmement bas également. On voit en France des secteurs qui reprennent, notamment le secteur de l'immobilier. J'étais aux Etats-Unis il y a trois semaines, il y avait un consensus extrêmement fort au gouvernement comme dans l'opposition sur une reprise américaine au début de 2010, même au quatrième trimestre 2009. Donc voilà, nous, nous pensons et nous tablons sur une reprise qui sera sans doute lente en 2010 et nous mettons en place tous les instruments pour faire en sorte qu'on soit vraiment prêt à saisir le moindre souffle de cette reprise.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 avril 2009
Bonjour.
N. Demorand : On va commencer par l'actualité sociale. Des salariés de Continental ont laissé éclater leur colère hier et dévasté la sous préfecture de Compiègne, ainsi qu'une partie de leur usine. Quelle est votre réaction à cette montée de violence ?
On est dans une crise très grave et s'agissant par exemple de Continental, il y a un effondrement de l'activité automobile et notamment de l'activité des fabricants de pneumatiques. Ce qui s'est passé hier, ce sont des violences qui ne sont pas acceptables mais en même temps ce sont des violences qui sont le fait d'une petite minorité de salariés et qui ne doivent pas attirer toute l'attention alors que l'attention doit être portée sur l'avenir de Continental et l'avenir des salariés de Continental. Nous avons proposé déjà depuis plusieurs jours une médiation de l'Etat. C'est-à-dire puisque la direction et les salariés n'arrivent pas à trouver le moyen de parler ensemble, que ce soit sous l'égide de l'Etat, sous l'égide du Gouvernement que ce dialogue s'instaure. L. Chatel a réitéré hier cette proposition. Nous sommes par ailleurs à la recherche depuis plusieurs semaines d'un repreneur pour le site de Continental, donc le gouvernement est complètement mobilisé, comprend la colère des salariés de cette entreprise d'autant que le dialogue social y semble extrêmement difficile. Mais en même temps, il faut maintenant que la main que l'Etat tend soit prise.
N. Demorand : Et qui la refuse cette main ?
Il faut dire les choses clairement : il y a une petite minorité, très petite minorité à Continental, qui rend les choses très difficiles. Même les organisations syndicales ont du mal à jouer leur rôle plein de médiateurs dans cette crise en raison de cette minorité très agissante, très violente et pour lesquelles je dis clairement qu'il y aura, s'agissant des violences qui ont été commises hier, des poursuites judiciaires.
N. Demorand : Il y aura des poursuites ?
Bien sûr.
N. Demorand : C'est quoi, c'est de la délinquance en bande organisée ?
C'est en tous cas le non respect de la loi. Vous savez, il y a dans notre pays un arsenal de textes législatifs qui permettent de protéger les droits des salariés. Je prends l'exemple de ce qui s'est passé à Molex où il y a eu une prise d'otages hier.
N. Demorand : Qui s'est dénouée hier soir.
Qui s'est dénouée hier soir. Les salariés accusent la direction de ce qu'on appelle un délit d'entrave, c'est-à-dire que la direction n'aurait pas communiqué aux salariés des informations importantes, notamment sur le déménagement d'une activité. C'est un délit et dans le droit social français, ce délit doit faire l'objet d'une procédure et si le délit est prouvé, la direction de Molex sera condamnée. Il n'y a pas besoin de recourir à la violence pour obtenir le respect des droits.
N. Demorand : Est-ce que cette radicalisation vous inquiète aujourd'hui ?
Aucun gouvernement ne peut se satisfaire de cette situation. Il faut aussi noter qu'elle ne concerne pas l'ensemble du territoire et d'ensemble des entreprises françaises. Mais en tous cas, la responsabilité de chacun c'est de faire en sorte que ce climat de violence cesse et je pense en particulier à tous les irresponsables qui semblent s'en satisfaire, voire y appellent.
N. Demorand : Vous pensez à qui ?
Un certain nombre d'hommes politiques.
N. Demorand : Par exemple ?
Vous les citez vous-mêmes, ce n'est pas à moi de les désigner.
N. Demorand : Ben, si.
Simplement je constate que leur discours tranche très fortement avec celui des organisations syndicales qui elles sont extrêmement responsables dans ce climat, parce qu'elles savent très bien les dangers qu'il y a pour les salariés à laisser éclater une violence qui ne débouchera sur rien. Je pense que beaucoup de responsables politiques devraient prendre exemple aujourd'hui sur les responsables syndicaux, quelles que soient d'ailleurs les organisations syndicales.
N. Demorand : Quand D. de Villepin parle d'un risque révolutionnaire en France, c'est l'une des personnes auxquelles vous pensez dans les irresponsables politiques ?
Oui notamment. Je pense que c'est de la part de quelqu'un qui a été à la tête du Gouvernement français une attitude qui n'est pas responsable. Il est vrai qu'il n'a pas une grande expérience du dialogue social. Qu'il regarde ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays en terme de dialogue social : les rencontres entre les pouvoirs publics et les organisations syndicales sont quasiment permanentes et notez qu'il y a beaucoup d'accords qui sont signés, voire même à l'unanimité par les partenaires sociaux. Il y a eu un accord sur l'indemnisation du chômage, il vient d'y avoir un accord sur la formation professionnelle. On a mis en place juste avant Pâques avec le président de la République, le fonds stratégique social qui va nous permettre d'intervenir de manière massive pour mettre en formation des gens qui sont licenciés du fait de la crise. Donc il y a un dialogue social très intense, des partenaires sociaux très responsables, et puis, autour, un certain nombre de gens qui ne comprennent pas que dans une crise aussi grave que ça, la responsabilité d'un homme politique ou d'une femme politique c'est de se retrousser les manches et d'essayer d'aider son pays.
N. Demorand : F. Chérèque de la CFDT disait à ce micro, lundi dernier, qu'il n'y avait sans doute pas de risque révolutionnaire en France mais il était très inquiet d'un risque insurrectionnel notamment pour ce qui concerne la jeunesse. [Votre réaction] sur ce point ?
La jeunesse elle est frappée doublement par cette crise : elle est frappée par cette crise parce que dès qu'il y a des difficultés économiques, c'est sur l'embauche des jeunes qu'on fait immédiatement les économies et les impasses ; et puis elle est frappée par un système éducatif qui fonctionne mal dans notre pays et qui continue à générer un taux d'échec qui est trop élevé. Donc c'est pour ça qu'on se bat avec le Gouvernement sur les deux fronts, d'abord sur l'amélioration du système éducatif, sur la réforme de l'université, sur la lutte contre l'échec scolaire ; et puis deuxièmement - le président de la République dans quelques jours va annoncer des mesures dans ce sens - sur un plan de soutien et d'aide aux jeunes qui du fait de la crise, notamment aux jeunes les plus défavorisés, qui du fait de la crise n'ont pas trouvé d'emploi. Donc l'idée elle est très simple : c'est un, de permettre à ces jeunes de reprendre des formations qui les armeront mieux lorsque la crise sera terminée ; et puis c'est deuxièmement de regarder avec les entreprises ; il y a beaucoup d'entreprises qui nous disent on sait que dans un an ou dans 18 mois, on va avoir des besoins de recrutement massif et qu'on ne trouvera pas les gens dont on a besoin. Donc on voudrait regarder avec les entreprises comment faire en sorte qu'avec l'aide de l'Etat, elles puissent au fond pré-recruter malgré la crise des jeunes dont on sait qu'elles auront besoin bientôt.
N. Demorand : Alors il y a un autre conflit qui dure depuis des semaines et même des mois, c'est celui des chercheurs qui a considérablement désorganisé l'année universitaire. C'est l'un des aspects du problème. Très concrètement, très pratiquement, est-ce que les examens peuvent avoir lieu normalement cette année ?
D'abord, il y a un nombre minoritaire de sites universitaires qui sont concernés par ce mouvement. Je veux dire qu'il y a grosso modo une centaine d'universités en France, il y en a à peu près aujourd'hui entre 20 et 25 qui sont affectées par ce mouvement. Dans ces sites, dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue. Il faudra au minimum que les examens soient retardés de quelques mois et que les cours de rattrapage soient conduits. Je dis tout de suite que le Gouvernement n'acceptera jamais, de même d'ailleurs qu'une grande partie de la communauté universitaire, que les examens soient bradés. Ce serait catastrophique pour l'avenir de l'université française, pour sa réputation, pour son image dans le monde et donc pour ces étudiants qui auraient ces examens au rabais. Quelle est la situation à l'université ? On a des enseignants chercheurs qui sont parmi les meilleurs du monde.
N. Demorand : Ca c'est vous qui le dites.
Oui mais enfin c'est reconnu, il y a des évaluations qui sont faites, on est dans le peloton de tête des grandes nations en matière de qualité des chercheurs et des enseignants chercheurs. Et en même temps, on a une université qui depuis des années décline, avec des classements internationaux qui sont mauvais et avec surtout un échec dans les premiers cycles universitaires qui ne cesse d'augmenter. Donc on a voulu s'attaquer à cette question en mettant en place plusieurs instruments. D'abord l'autonomie des universités : donner beaucoup plus de liberté comme c'est le cas partout dans le monde aux universités. Deuxièmement en mettant beaucoup plus de moyens financiers ; il faut le dire on met un milliard d'euros supplémentaire chaque année de plus pour l'université. C'est-à-dire qu'en cinq ans, on va doubler le budget de l'enseignement supérieur.
N. Demorand : Mais comment expliquer alors la dureté de ce mouvement qui dure depuis des mois ?
Il y a eu trois sujets de crispation entre une partie de la communauté universitaire et le Gouvernement sur cette réforme. Il y a d'abord eu la question du statut des enseignants chercheurs. Il y a un décret qui a été mal compris par les enseignants chercheurs, qui était sans doute mal écrit. J'ai demandé qu'il soit ré écrit intégralement. Il est passé au Conseil d'Etat hier, il va passer au Conseil des ministres ce matin. Ce décret il préserve totalement la liberté des enseignants chercheurs. C'est-à-dire qu'en gros, on résume : quand un enseignant chercheur à des tâches de recherche très importantes, il pourra se voir décharger d'une partie de sa mission d'enseignement et, à l'inverse, un enseignant chercheur qui voudrait faire plus de cours, de façon libre - c'est lui qui le décidera avec son université - pourra le faire. Mais surtout on revalorise à travers cette décision le métier d'enseignant chercheur. Cela veut dire que les enseignants chercheurs en début de carrière vont voir leur salaire augmenter entre 17 et 25%. Donc on a, là, je pense, maintenant, un décret qui est parfaitement conforme aux attentes de la communauté universitaire. J'ai encore reçu hier la conférence des présidents d'université. Il y a un accord parfait.
N. Demorand : Mais pourtant il y a encore des grèves perlées, comme on dit, le mouvement n'est pas arrêté. Il y a comme une cassure, non ?
Il y a encore un mouvement très minoritaire dans l'université. Il était, j'allais dire majoritaire, en tous cas il était très important il y a quelques mois. Il ne l'est plus aujourd'hui parce que nous avons fait ces gestes-là, parce qu'il y a eu des compromis, parce que chacun a fait un effort. Il y a encore et je m'en entretenais avec les présidents d'université hier, il y a eu des actes de violence par exemple à Toulouse, invraisemblables, avec des présidents retenus dans leurs bureaux, des saccages de bâtiments qui n'ont rien à voir avec le débat. Il y avait un deuxième sujet qui était les suppressions de postes à l'université, elles ont été annulées pour les deux années qui viennent. Et puis il y avait un troisième sujet qui était la formation des enseignants, des enseignants des écoles. On veut que cette formation passe de Bac plus 3 à Bac plus 5. Franchement, c'est un progrès, c'est un progrès d'ailleurs en terme de carrière pour les enseignants parce qu'à Bac plus 5 on est mieux payé qu'à Bac plus 3. Et puis enfin tout le monde comprend que c'est normal que nos enfants soient formés par des enseignants qui ont un niveau de formation à Bac plus 5, aujourd'hui, compte tenu de ce qu'est la société française. Il y avait des inquiétudes là-dessus. Le ministre de l'Education a installé hier une commission présidée par un président d'université et un recteur qui s'est donnée jusqu'au 15 juillet pour apaiser toutes les craintes et pour mettre en place. Donc le Gouvernement sur cette question est très ouvert au dialogue et donc maintenant il faut que ce mouvement s'arrête, d'autant qu'il est très minoritaire. Il faut bien voir que derrière la poursuite de ce mouvement, il y a des étudiants qui risquent de perdre une année. Et puis il y a quand même une image de l'université française qui est fragilisée.
N. Demorand : Dernière question rapide sur ce sujet, ne pensez-vous pas que les propos du président de la République, N. Sarkozy, se moquant des universitaires qui voient de la lumière dans un laboratoire et y entrent parce que c'est chauffé, que ce n'est pas ça qui a cristallisé le malaise et la contestation ?
Non. J'étais à ce discours, donc ce n'est pas tout à fait ça qui s'est passé. Le président de la République expliquait aux enseignants chercheurs qu'il y a une réalité aux difficultés du système universitaire et de recherche français. Et sa formule a été de dire à ces enseignants chercheurs : si on n'en parle pas alors ça ne sert à rien, on peut se retrouver, il y a de la lumière. Très bien. Mais il ne se moquait pas des enseignants chercheurs. Le président de la République dit les choses comme elles sont avec le sens de la vérité qui est le sien. Il y a un certain nombre d'enseignants chercheurs qui ont peut-être été choqués par ce discours, je pense que depuis on leur a envoyé tous les signes qui leur montrent que le but du président de la République, c'est de donner plus de moyens à la recherche française et c'est de lui permettre de mieux réussir. Et on a le plus profond respect pour la communauté des chercheurs français.
N. Demorand : Quelle est votre prévision de croissance pour 2009 ? C'est moins 2,5 disait hier le gouverneur de la Banque de France, C. Noyer, chez nos confrères de RTL.
C'est très difficile de faire des prévisions comme vous avez pu le constater parce qu'à peu près tous les mois, les instituts révisent leurs prévisions, pour l'instant à la baisse. J'espère que progressivement le mouvement s'inversera. Ce qui est sûr c'est que l'année 2009 sera une année de récession forte. Elle sera, et c'est vrai pour 2009 comme pour 2010, moins forte dans notre pays que chez nos voisins, ce qui montre d'ailleurs le caractère parfaitement inutile de toutes les critiques qui sont faites sur le plan de relance français. C'est assez paradoxal de voir les mêmes instituts de recherche, d'analyse, nous expliquer que le plan de relance est insuffisant mais que grosso modo on aura une croissance un peu plus forte ou une décroissance un peu moins forte que celle des autres pays européens. Donc 2,5 c'est un chiffre qui est aujourd'hui probable. Ce que je regarde moi maintenant, c'est à partir de quel moment la courbe va s'inverser.
N. Demorand : Vous en savez quelque chose de ça ?
Non, je suis comme tout le monde. Et il faut encore attendre de voir l'efficacité des plans de relance dans le monde, voir si le système financier est complètement purgé ou s'il n'est pas complètement purgé. Mais il y a quand même des signes. Il y a un niveau d'inflation qui est historiquement bas, ce qui est bon pour la reprise. Il y a un niveau de prix des matières premières qui est extrêmement bas également. On voit en France des secteurs qui reprennent, notamment le secteur de l'immobilier. J'étais aux Etats-Unis il y a trois semaines, il y avait un consensus extrêmement fort au gouvernement comme dans l'opposition sur une reprise américaine au début de 2010, même au quatrième trimestre 2009. Donc voilà, nous, nous pensons et nous tablons sur une reprise qui sera sans doute lente en 2010 et nous mettons en place tous les instruments pour faire en sorte qu'on soit vraiment prêt à saisir le moindre souffle de cette reprise.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 avril 2009