Interview de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, à "Europe 1" le 22 avril 2009, sur le coût annoncé par le FMI de la crise financière mondiale, sur l'effervescence sociale comme à l'usine Continental de Clairvox.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Ce matin, on commence avec la douche froide du Fonds monétaire international. La crise financière mondiale va coûter plus que prévu, 4.000 milliards de dollars, et il parait que ce n'est pas fini d'après D. Strauss-Kahn, et davantage aux Etats-Unis. Et puis, par ailleurs, on nous dit que B. Obama voit des lueurs de reprise aux Etats-Unis, les Chinois aussi, F. Fillon aperçoit une reprise - même mollassonne, mais une reprise - ; vous-même, vous dites pour 2010. Est-ce que la récession approche de la fin ?

Ce que l'on voit en tout cas, c'est que... on espère. Vous savez, l'économie, ce n'est pas uniquement de la technique, c'est aussi de la confiance, donc on voit bien qu'en 2010, en tout cas tout le monde peut l'espérer, les plans de relance auront joué leur rôle. Et puis, on voit, dans ce ciel un peu, assez lourd sur le plan économique, il y a aussi des morceaux de ciel bleu. On voit le commerce international qui repart un peu, on voit la production industrielle qui cesse de diminuer, on voit l'inflation qui disparaît. Donc ça, c'est des éléments de reprise, mais il faut être très très prudent dans ce domaine-là. Il faut surtout continuer à combattre la crise.

Est-ce que nous prenons nos désirs pour des réalités ou les réalités vont-elles rejoindre bientôt nos désirs ?

Non, on ne prend pas nos désirs pour des réalités. On ne l'a jamais fait dans cette crise, on a toujours dit la vérité, le président de la République en premier, dans l'ensemble des réunions internationales qui ont eu lieu. Donc, pour bien combattre une crise comme celle-là, il faut la regarder bien en face, droit dans les yeux.

Mais, ce matin, l'embellie, c'est une illusion, une réalité prochaine ?

Ce n'est pas une illusion du tout, c'est un certain nombre de signes, très modestes d'ailleurs, mais qui laissent montrer que le toboggan, si vous voulez, ou la pente du toboggan commence un peu à s'adoucir. C'est très, très important parce que l'économie c'est aussi beaucoup de la confiance. Le commerce international, le fait d'échanger des biens, le fait d'emprunter, tout ça c'est de la confiance, ce n'est pas de la technique.

Alors, que fait le FMI, qui dit que les banques européennes sont en retard sur le nettoyage ce leur bilan ? Est-ce que les banques françaises, aussi, sont dans ce cas ?

Je ne crois pas. Il faut demander aux banquiers, banquier par banquier, mais nous recevons régulièrement les banquiers, C. Lagarde discute avec eux sans arrêt en tant que ministre de l'Economie. Moi, je crois très sincèrement que les banques françaises ont plutôt passé le cap de la crise, un peu mieux que la plupart des autres banques.

Alors, regardez ce qui se passe précisément en Allemagne : la chancelière Merkel réunit à Berlin des économistes, des industriels et des syndicalistes sur la crise, et elle va proposer de créer une "bad bank", une banque qui rassemblerait le pourri et les déchets des autres banques, pour épurer le système interbancaire. Est-ce que la France doit le faire aussi ?

Je ne crois pas que ce soit les orientations que nous suivons. Là aussi, il faudra voir ça avec C. Lagarde, mais ce n'est pas les orientations que nous suivons. Pourquoi ? Parce que, essentiellement, ça veut dire cantonner, mettre ensemble, en fait, des actifs qui sont toxiques - comme on dit aujourd'hui -, de mauvais actifs, et puis essayer de les gérer. Je pense que dans une banque - je crois que ce n'est pas une banque publique, c'est ça que veut dire la chancelière allemande -, on a déjà fait ça, vous savez, au moment de l'affaire du Crédit Lyonnais, et ce n'est pas nécessairement un très bon souvenir. Donc je ne suis pas sûr que ce soit une bonne formule pour l'ensemble de la France, enfin pour la France elle-même.

Alors, l'effervescence sociale : ce matin, l'usine Continental de Clairoix est fermée après les incidents d'hier ; raisons de sécurité. Est-ce que vous savez combien de temps, d'abord, elle restera fermée ?

Non, je ne sais pas. Moi, je vois quand même se succéder un certain nombre de crises comme celle-là, extrêmement lourdes, ça provoque de la violence. On ne peut pas accepter ça. Quand la sous-préfecture de Compiègne est saccagée, mise à sac par un certain nombre...

Vous appelez ça de la délinquance sociale ?

Il faut faire attention aux mots, parce qu'on voit bien que derrière ça, il y a une colère, il n'y a pas une intention de délinquance, il n'y a pas cela. Mais enfin, s'en prendre aux biens communs, aux biens de l'Etat...

Mais ça ressemble ou pas ?

...simplement parce que l'on est dans une colère, si juste cette colère soit-elle, est évidemment une très mauvaise action et c'est inacceptable. Maintenant, il faut combattre ces plans sociaux, il faut tout faire...

Monsieur Fillon, le Premier ministre, vient de dire que, en effet, les violences à Continental ne sont pas acceptables et elles vont entraîner et elles vont entraîner des poursuites judiciaires.

A Continental et ailleurs. On ne peut pas voir des dirigeants séquestrés, on ne peut pas voir des sous-préfectures saccagées. Les gens qui font ça prennent leurs responsabilités, ce sont des adultes, ils prennent leurs responsabilités et l'Etat de droit, ça vaut pour tout le monde. Maintenant, après, il y a l'autre côté des choses, qui est les entreprises qui ferment, des familles inquiètes, et là l'Etat se bat, l'Etat est à leurs côtés. C'est pour ça qu'aller saccager des biens de l'Etat, quand c'est l'Etat lui-même qui est le seul recours pour l'ensemble de ces salariés, c'est assez paradoxal. Mettons ça sous le coup d'une colère mal maîtrisée. Mais nous devons tout faire...

Mais vous dites : il ne faut pas que ça continue ?

Non, il ne vaut pas que ça continue, il faut que ça s'arrête et il faut choisir les moyens légaux d'expression de sa propre colère. Ces moyens existent.

Mais pour Continental, est-ce qu'il est vrai qu'il y a "des pistes sérieuses", dit P. Devedjian, "l'hypothèse d'un repreneur", dit L. Chatel, est-ce que c'est vrai, est-ce que c'est un Français, est-ce que c'est un étranger ou, là encore, c'est une illusion ?

Il faut demander à P. Devedjian ce qu'il a souhaité dire. Moi, je pense qu'il faut faire très attention, dans ce type de dossier, à ne pas faire naître de fausses illusions. D'un côté, il y a probablement, dans ce monde, des gens qui sont intéressés par reprendre des usines de cette qualité, comme celle de Continental ou comme d'autres société de cette nature.

Mais ce n'est pas le cas ou c'est le cas ?

Mais je ne m'appelle ni P. Devedjian, ni L. Chatel. Donc vous leur demanderez.

Mais vous êtes dans le même Gouvernement...

Vous leur demanderez !

Vous êtes dans le même Gouvernement !

Oui, d'accord, mais c'est des déclarations récentes sur des dossiers spécifiques...

Des déclarations contradictoires...

Mais, tout ce que je sais, c'est que nous avons nommé des commissaires à l'industrialisation, et c'est vrai tout particulièrement pour le département de l'Oise. Il faut explorer toutes les pistes de solutions. et parfois une piste qui n'était pas visible la semaine d'avant, devient visible la semaine d'après. C'est une unité de production, avec des capacités techniques extrêmement importantes, il y a peut-être des gens que ça intéresse. Mais on doit travailler.

Mais vous qui avez l'image de la rigueur, même si vous battez des records - pas vous...

Pas moi, oui...

... de déficit, aujourd'hui en France.

Mais ce déficit, c'est pour combattre la crise.

Oui, mais l'image de la rigueur, est-ce que vous dites, il ne faut pas faire naître des illusions à propos de...

Il faut dire la vérité. Il faut systématiquement dire la vérité. On l'a fait pour la crise, on doit le faire aussi, problème d'entreprise par problème d'entreprise. Tous ces problèmes sont extrêmement différents. Continental n'est pas, ne ressemble pas aux autres questions, chaque entreprise, Molex, etc., chaque entreprise a ses propres difficultés. Mais on est là pour ça. Et on assume.

Heuliez, etc. Et le Parti socialiste qui dit que le Gouvernement abandonne les salariés, vous répondez ?

Le Parti socialiste, je ne sais pas, je ne sais pas ce qu'il abandonne d'ailleurs, puisqu'il n'a plus rien à abandonner aujourd'hui, il est en situation systématique de critique. Dans un moment aussi difficile que celui-là, on ferait mieux de se serrer un peu les coudes. Je le disais il y a quelques mois, je le redis aujourd'hui. Ce n'est franchement pas à la hauteur de la situation de dire cela. Le Gouvernement il n'abandonne personne, bien au contraire, il fait aussi avec les armes qu'il a. le Gouvernement, il ne peut pas rouvrir, d'un coup de baguette magique, une entreprise parce qu'il n'y a plus de marché. Il peut par contre mettre des gens autour d'une table, rechercher d'éventuels repreneurs, limiter la casse sur le plan social, c'est ce que nous faisons tous les jours, réindustrialiser lorsque c'est nécessaire, anticiper sur tel ou tel type de recherche, comme c'est le cas pour Heuliez, mobiliser les banques. Tout ça, c'est des actes positifs que fait le Gouvernement. Et très sincèrement, personne, personne mais vraiment personne, ne peut nous reprocher la moindre inactivité dans ce domaine là. Au contraire, on est sur tous les fronts, vous le savez bien.

Sur le plan des jeunes, qui sera annoncé dans deux jours par le président de la République, vous avez une idée du montant des sommes qui vont être consacrées à aider les jeunes, pour que ce ne soit pas une génération sacrifiée ?

Il faut aider les jeunes, particulièrement et c'est notamment le fait d'avoir des mesures un peu complémentaires. On l'avait dit, au fur et à mesure du temps, au fur et à mesure de l'évolution de cette crise, que nous prendrions des mesures complémentaires. Le Président annoncera des mesures pour les jeunes. Je ne vais pas chiffrer, je ne veux surtout pas chiffrer d'ailleurs, mais il y a dans le plan de relance, des capacités évidemment à financer des mesures spécifiques pour l'ensemble des jeunes de France. Pourquoi ? Parce que les jeunes ne doivent pas subir cette crise. Eux, d'abord, ils n'y sont pour rien, ils ne doivent pas la subir de plein fouet, ils commencent dans la vie active, il faut évidemment leur donner tous les espoirs. On ne doit pas casser des générations, tout simplement parce qu'il y a une crise. Il faut tout faire pour absorber la difficulté de la crise, et pour tous.

Le plan de relance, il commence à donner des effets ?

Oui, il commence à donner des effets, absolument. On le voit par exemple dans le domaine de l'immobilier - le logement neuf, par exemple, se porte plutôt mal - ; on le voit dans le domaine de l'automobile, il y a plus d'immatriculations au mois de mars qu'au mois de février.

Donc il y a des signes ?

Mais les plans de relance, c'est quelque chose de terriblement efficace. Moi, je crois en la capacité du politique, de la politique économique et du politique, et de la volonté politique nationale et internationale, pour mettre fin à cette crise.

Qu'est-ce que vous vous battez, et vous vous battez bien, E. Woerth ! Vous avez entendu A. de Tarlé, et vous lisez la presse : EDF qui a un besoin d'argent pour financer des projets nucléaires, préparerait un grand emprunt obligataire destiné aux particuliers. Sur le principe, si c'est vrai, est-ce que l'Etat est d'accord ?

Je ne peux pas m'exprimer sur EDF, parce que c'est son affaire. Je ne peux pas m'exprimer sur EDF mais, d'une manière générale, on entend parler comme ça de grands emprunts auprès des Français, moi je pense que ce n'est pas une solution, en tout cas pas aujourd'hui, pour la bonne raison que d'abord, un emprunt c'est un emprunt, donc on en a déjà. Et puis deuxième point, on n'a pas de difficulté d'accès, aujourd'hui, à une ressource financière sur les marchés internationaux. Et de toute façon, si on empruntait aux Français, il faudrait bien rémunérer cet emprunt.

Pour terminer, la campagne 2009 de l'impôt sur le revenu est lancée, vous l'avez fait. Les experts d'Europe 1 vont aider les Français demain, toute la journée, à remplir et vérifier les déclarations qui doivent être envoyées jusqu'au 29 mai pour le papier et jusqu'en juin, en ligne. Désormais, si j'ai bien compris, Bercy traite les contribuables comme des clients, avec des égards et des gants blancs ?

On traite, effectivement, avec des gants blancs, et puis nous rendons de l'argent, ce qui est exceptionnel, en général c'est le contraire. Donc, là, nous rendons de l'argent puisqu'à peu près 6 millions de personnes se verront exonérer de deux tiers de l'impôt sur le revenu. Donc c'est l'inversion...

Vous voulez dire que c'est bon pour le pouvoir d'achat ?

C'est bon pour le pouvoir d'achat, c'est pour ça que nous le faisons. Le Président l'avait souhaité, nous le mettons en oeuvre dès maintenant, dès le mois de mai. Il y a 6 millions de personnes entre mai et septembre, qui n'auront pas à payer deux tiers de leur impôt sur le revenu.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 22 avril 2009