Entretien de M. Bruno Le Maire, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "20 minutes" du 6 mai 2009, sur les élections européennes et l'avenir de la construction européenne.

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Texte intégral

Q - Comment expliquer le manque d'intérêt pour les élections européennes ?
R - Avec la crise sans précédent que l'on traverse, les Français sont moins préoccupés par ces élections que par la réponse au jour le jour à cette crise. Mais il n'y a pas de désintérêt des Français pour l'Europe. Il y a cinq ans, on hésitait entre la France et l'Europe. Aujourd'hui, on sait qu'il y a un avenir européen. La question, c'est lequel. Il faut proposer un projet politique. C'est ce qu'a fait le président à Nîmes, hier soir.
Q - Michel Barnier restera ministre durant la campagne contrairement à ce qu'il avait promis, c'est un mauvais coup porté à l'image des députés européens ?
R - Il faut être conscient du poids du Parlement européen aujourd'hui. C'est lui qui a corrigé la directive Bolkestein et préservé les acquis sociaux. Il faut des députés à plein temps. Tous les autres Etats envoient au Parlement des députés chevronnés. En France, on peut faire mieux pour accroître notre influence.
Q - La République tchèque se prononce aujourd'hui pour ratifier le traité de Lisbonne. Ce sera ensuite au tour de la Pologne, puis de l'Irlande. Craignez-vous un rejet ?
R - Le vote de la République tchèque est essentiel. J'ai bon espoir que le traité sera adopté. Notre objectif, c'est que le texte soit ratifié le plus vite possible. Le monde change radicalement, alors que les règles européennes restent les mêmes. Nous devons nous adapter en ayant de vraies institutions fortes. Concernant la Pologne, le président Kaczynski doit signer la ratification votée par le Parlement. Il n'y a pas de difficulté de fond, mais de calendrier. J'espère que l'Irlande sera la dernière étape.
Q - Dans votre livre, vous écrivez que "le bilan européen des dernières années laisse à désirer"...
R - Je maintiens, tout en rappelant que j'ai écrit ce livre avant la Présidence française. Il y a un décalage entre l'espoir que suscite l'Europe et son fonctionnement institutionnel, qui reste confus. On ne sait pas qui est responsable de quoi, alors que c'est la base de toute démocratie. Qui prend les décisions, avec quelle légitimité et comment sanctionner si nécessaire ? C'est pour cela que je propose que la nouvelle Commission fasse une déclaration de politique générale en disant : "Voilà ce que je vais faire."
Q - Va-t-on vers une Europe à la carte ?
R - Je rejette l'idée d'une Europe à la carte. Je préfère la voie du destin collectif européen. Ce qui n'interdit pas que certains Etats, notamment la France et l'Allemagne, montrent le chemin. La force de l'Union européenne, c'est d'être vingt-sept, avec des règles communes dans un espace politique déterminé. Une fois passé l'élargissement aux Balkans, il faudrait s'arrêter. Une Europe morcelée est affaiblie.
Q - Les intérêts nationaux des Vingt-Sept continuent de peser. Comment les dépasser ?
R - On doit regrouper nos compétences. Il faut choisir. Soit on aura une industrie européenne compétitive, capable d'innover, de se défendre, soit il y aura une juxtaposition d'industries nationales affaiblies. Il faut de la concurrence, mais aussi de la coopération.
Q - Donc, si l'avenir de Renault, c'est de construire un groupe avec Fiat, c'est envisageable ?
R - On a déjà fait cela avec Airbus. Notre capacité à créer des emplois, à innover, à garder une industrie performante, c'est le plus important. Je préfère une industrie européenne forte, même s'il faut passer au-dessus des marques, plutôt que de voir nos industries nationales menacées.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2009