Déclaration de M. Brice Hortefeux, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, sur la sécurité et la santé au travail, les conditions et les accidents de travail, ainsi que sur l'élaboration d'un plan santé au travail, Paris le 30 avril 2009.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Installation du Conseil d'orienetation sur les conditions de travail (COCT) à Paris le 30 avril 2009

Texte intégral


Madame la présidente [de la section sociale du Conseil d'État et d'une commission générale du COCT, Yannick MOREAU],
Monsieur le vice-président [du COCT, Bernard KRYNEN],
Monsieur le secrétaire général [du COCT, Daniel LEJEUNE],
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d'orientation,
Deux jours après la Journée Mondiale sur la sécurité et la santé au travail, j'ai tenu à être présent parmi vous, ce matin, pour installer, dans cette salle des Accords si chargée d'histoire, le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT). Créé par le décret du 25 novembre 2008, ce Conseil d'orientation est l'un des aboutissements concrets de la politique du Président de la République : rénover la démocratie sociale et revaloriser le travail.
Rénover la démocratie sociale, en ce que votre Conseil est directement issu d'un dialogue entre les différents acteurs concernés - c'est-à-dire, l'État, les partenaires sociaux, les organismes de prévention et les associations - mené à l'occasion de la première conférence sur les conditions de travail du 4 octobre 2007.
Revaloriser le travail ensuite, parce que tout est lié : en nous permettant d'innover en matière de conditions de travail, le COCT participera à l'amélioration de la santé, de la sécurité et de la qualité de vie au travail et, au-delà, il contribuera à diminuer les facteurs de pénibilité et à créer des conditions favorables au maintien dans l'emploi des seniors. Notre ambition est claire : nos concitoyens doivent pouvoir travailler mieux, aux différents âges de leur vie.
I. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Il y a encore beaucoup trop d'insécurités et de souffrances liées aux conditions de travail.
- Les chiffrent parlent d'eux-mêmes :
(1) En 2007, 720 150 accidents du travail ont été comptabilisés en France, dont 46 426 accidents graves et 622 décès.
(2) On estime que, chaque année, entre 4 000 et 9 000 cas de cancer auraient une origine professionnelle. Par ailleurs, 13,5% de la population active, soit plus de 2 millions de salariés, seraient exposés à au moins un agent cancérogène sur leur lieu de travail. Moins de la moitié des entreprises ont procédé à une évaluation des risques liés à l'utilisation d'agents cancérogènes.
(3) De même, les troubles musculo-squelettiques (TMS) représentent près de 75% des maladies professionnelles reconnues par la Sécurité sociale et 736 millions d'euros de frais couverts par les cotisations des entreprises. Chaque année, les TMS contribuent à exclure des salariés du monde professionnel et font perdre 7,5 millions de journées de travail.
(4) Je pense, enfin, aux troubles liés au stress excessif, ainsi qu'au harcèlement et aux violences au travail, voire aux suicides au travail. Le coût social du stress et des violences au travail, qu'il s'agisse d'antidépresseurs ou de journées d'arrêt-maladie, est évalué entre 800 millions et 1,2 milliard d'euros.
Je mesure combien, depuis 2007, beaucoup a été fait.
L'ensemble des acteurs a été sensibilisé et mobilisé grâce aux deux conférences sur les conditions de travail pour créer une nouvelle dynamique.
Le cadre institutionnel a été entièrement renouvelé et modernisé, en créant le COCT bien sûr, mais aussi en renforçant l'inspection du travail avec la création d'équipes pluridisciplinaires composées de médecins et d'ingénieurs au sein des directions régionales.
Enfin, sur le fond, trois risques majeurs ont été ciblés et des résultats ont été obtenus.
Sur les risques psychosociaux, une réflexion a été lancée sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail grâce au rapport de MM. Philippe NASSE et Patrick LEGERON.
Sur les troubles musculo-squelettiques, une campagne d'information triennale à destination du grand public a été conçue en mars 2008. Elle a permis une prise de conscience du phénomène.
Enfin, concernant les risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, des conventions d'objectifs ont été conclues, en avril 2008, avec les branches professionnelles de la métallurgie, de la chimie et de la peinture pour améliorer la protection des salariés de ces industries et celle de leurs sous-traitants.
II. Nous ne pouvons plus nous contenter de simples améliorations, le temps est maintenant venu de changer de dimension.
J'en suis convaincu : nous devons changer de braquet. Ce que nous avons fait contre l'insécurité routière, nous pouvons et nous devons le faire contre l'insécurité liée aux conditions de travail en développant la culture de prévention des risques.
Grâce au plan gouvernemental pluriannuel de lutte contre l'insécurité routière, nous y sommes parvenus sur la route avec une diminution de moitié du nombre de décès : nous sommes passés de 8 160 décès en 2001 à 4 274 décès en 2008, soit une baisse de 47%. C'est bien la preuve qu'il n'y a pas de fatalité quand la volonté de tous est au rendez-vous.
Force est de constater que, pour ce qui est des accidents du travail, nous sommes encore loin de ce genre de baisse. Si j'en juge par le taux de fréquence des accidents avec arrêt de travail, nous sommes passés en dix ans, de 50,2 accidents pour 1 000 salariés en 1998 à 39,4 en 2008, soit une baisse de seulement -21,5%.
C'est pourquoi je veux que soit élaboré, d'ici la fin de l'année et en étroite concertation avec les partenaires sociaux, un nouveau « Plan Santé au travail » pour la période 2010-2014. A cette occasion, je souhaite que nous amplifiions l'effort sur les risques existants et nouveaux et, surtout, que nous mettions en place un tableau de bord avec objectifs de résultats assortis d'indicateurs chiffrés.
Je pense, tout d'abord, à la pénibilité : c'est-à-dire la prise en compte des conditions de travail difficiles subies par les salariés et de leurs conséquences. Je ne me résous pas au constat d'échec des 16 séances de discussion qui se sont achevées en juillet 2008. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que la pénibilité soit à l'ordre du jour des travaux de 2009 entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, ce qu'on appelle « l'agenda social ».
Je propose une méthode et un calendrier en invitant les partenaires sociaux, à me faire part, d'ici la fin du mois de mai, du dernier état de leurs réflexions. Je m'appuierai ensuite sur le Conseil économique et social pour apporter des propositions au défi de la pénibilité.
Je souhaite que nous progressions très concrètement sur les deux aspects, l'amélioration des conditions de travail et la compensation des difficultés et, au-delà, des séquelles en termes d'espérance de vie, subies par les salariés ayant travaillé dans des conditions particulièrement pénibles. C'est bien sûr le sujet le plus compliqué à régler, car le plus coûteux et aussi le plus complexe. Je vous le dis d'ores et déjà, il faudra être imaginatif.
Toujours dans cette optique de la priorité données à la prévention, je souhaite, ensuite et surtout, un nouvel effort basé sur 3 piliers.
Premier pilier : les risques cancérogènes, mutagènes et repro-toxiques. L'amélioration des connaissances et de la prévention des cancers professionnels est l'une de mes priorités. Et la façon la plus efficace de les prévenir, c'est encore d'éviter au maximum les expositions aux polluants. Cette démarche de prévention primaire, nous la portons de 4 façons complémentaires.
(1) Je pense, d'abord, au lancement, aujourd'hui même, de www.substitution-cmr.fr. Développé par l'AFSSET, ce site constitue un lieu unique d'information, de partage et de mutualisation des expériences pour les dirigeants d'entreprise qui veulent éliminer ou remplacer les produits cancérogènes de leur processus de production et de leur environnement de travail.
(2) Je pense, ensuite, au futur « Plan national Santé Environnement 2 » qui est élaboré par le ministère chargé de l'environnement et auquel le ministère du travail contribue largement. Parce que les cancers ont des origines diverses qui tiennent parfois au mode de vie, parfois à l'environnement et parfois aussi à la profession, nous devons adopter une approche globale. Ce futur plan permettra notamment de mieux maîtriser le risque chimique et d'éviter la dissémination des polluants.
(3) Je pense, également, au rapport GRÜNFELD qui formule des propositions pour structurer le « Plan Cancer 2 » (2009-2013) notamment sur la question des cancers professionnels et des répercussions du cancer sur la vie professionnelle. Sur ces deux sujets, je compte agir en étroite collaboration avec le ministère de la santé.
(4) Je pense, enfin, aux développements du rapport de Daniel LEJEUNE sur la traçabilité des expositions professionnelles, qui a été adopté à l'unanimité par les partenaires sociaux dans le cadre de la Commission « accidents du travail et maladies professionnelles » de la Caisse nationale d'assurance maladie. Avec la loi du Grenelle 1, adoptée au Sénat, nous avons, par exemple, mis en place un dispositif retraçant l'exposition aux substances dangereuses durant la vie professionnelle avec une première expérimentation sur les cancérogènes d'ici le 1er janvier 2012.
Je ne peux pas conclure sur les risques à effet différé sans évoquer le dossier de l'amiante et vous annoncer que nous allons donner des suites au rapport de l'AFSSET sur les fibres courtes et les fibres fines d'amiante. Concrètement, cela passera par un renforcement de la réglementation.
Deuxième pilier : les troubles musculo-squelettiques. Pour lutter contre ce fléau qui pénalisent les salariés et désorganisent les entreprises, le ministère du travail lancera, dès la semaine prochaine, la 2e étape de sa campagne triennale d'information. Cette année, nous visons plus spécifiquement les chefs d'entreprises avec, comme objectif principal, de passer de l'impératif de sensibilisation au réflexe de prévention.
J'ai tenu à ce que cette nouvelle étape s'appuie, sur le terrain, sur les actions conduites avec les organismes de prévention. Un colloque sur les TMS dans l'agro-alimentaire a déjà eu lieu mardi au Conseil économique, social et environnemental, et d'autres événements se succèderont d'ici le mois de juin. Je pense à la semaine TMS de la Caisse nationale d'assurance maladie du 11 au 15 mai prochains, au colloque TMS dans le BTP qui se tiendra le 11 juin à l'initiative de l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux public et, enfin, à la semaine de la qualité de la vie au travail de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, qui se déroulera du 15 au 19 juin.
Troisième pilier : en cette période de crise, je souhaite également redoubler d'effort face aux troubles suscités par un stress excessif. _ Nous sentons tous que, dans le contexte actuel, les incertitudes économiques, les tensions accrues sur le management et le bouleversement des organisations de travail qui accompagnent les restructurations risquent d'accroitre les tensions. Sur ces sujets, j'entends promouvoir et faire connaître les outils et les bonnes pratiques.
(1) Cela passe par l'enrichissement du site internet « travailler-mieux.gouv.fr ». En ligne depuis le 14 janvier dernier, ce site qui permet aux employeurs et aux salariés de disposer d'informations lisibles, est d'ores et déjà un franc succès avec plus de 150 000 visites.
(2) J'entends aussi améliorer l'implication des services de santé au travail dans la prévention des risques psychosociaux.
(3) Je souhaite également améliorer notre appareil statistique. C'est pourquoi je serai très attentif aux travaux confiés à l'INSEE pour aboutir, d'ici 2010, à la mise en place d'un indicateur de mesure des risques psychosociaux conformément aux recommandations du rapport NASSE-LEGERON.
(4) Enfin, je veux sensibiliser les dirigeants de demain avec la création, d'ici la fin de l'année, d'une formation initiale sur la santé sécurité au travail pour les futurs manageurs dans le cadre du réseau des grandes écoles et en partenariat avec le Conservatoire national des arts et métiers. Je souhaite, à cet égard, que le second Plan santé au travail intègre des objectifs chiffrés en matière de nombre de personnes formées et de modules de formation à mettre en place dans les 18 prochains mois.
III. Sur tous ces sujets, je sais à présent pouvoir compter sur l'expertise et la capacité de proposition du Conseil d'orientation sur les conditions de travail.
A l'instar du Comité d'orientation des retraites (COR) ou du Comité d'orientation pour l'emploi (COE), le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT) a vocation à devenir une instance de référence, c'est-à-dire de dialogue, de proposition et d'animation, sur l'amélioration des conditions de travail
Dès les prochains jours, le COCT aura l'occasion de s'illustrer en jouant un rôle moteur dans l'élaboration du nouveau « Plan santé au travail 2010-2014 ». J'attends vos préconisations sur ses grands axes et son contenu. Je voudrais orienter votre réflexion sur deux points : l'impératif de concertation et la culture du résultat.
(1) J'observe que la concertation est inscrite dans la diversité de votre composition. Sur les 50 membres du COCT, je compte, outre le vice-président, Bernard KRYNEN, et le secrétaire général, Daniel LEJEUNE, 16 représentants des partenaires sociaux, 11 représentants des administrations, 9 représentants d'organismes de prévention et 11 personnalités qualifiées. Je remercie, tout particulièrement, Madame Yannick MOREAU d'avoir accepté de présider les débats de la commission générale du COCT et d'y apporter tout à la fois son expertise juridique, son expérience administrative et sa parfaite connaissance des questions sociales.
Cette concertation, il vous reviendra non seulement de la faire vivre à l'intérieur, mais également de l'entretenir à l'extérieur. En effet, je veux que le prochain Plan santé au travail soit élaboré en associant largement aussi bien en interministériel qu'aux différents niveaux d'action - national comme régional - les partenaires sociaux, les associations et les acteurs de la prévention. Concrètement, il s'agira d'aboutir à :
- une bonne articulation avec, notamment, les priorités de la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » de la Caisse nationale d'assurance maladie telle qu'elles ressortent de la Convention d'objectifs et de gestion pour la période 2009-2012 ;
- une prise en compte des résultats de la négociation sur la médecine du travail ;
- et, enfin, à une déclinaison des objectifs nationaux au plan régional dans le cadre des Comité régionaux des risques professionnels (CRPRP).
(2) Si la concertation est le gage d'une action cohérente, elle doit se compléter d'une véritable culture du résultat pour tendre vers l'efficacité.
C'est pourquoi je vous demande de retenir des objectifs chiffrés dans l'élaboration du Plan santé au travail. Vous pourriez, par exemple, proposer la création d'un baromètre de la sécurité au travail pour suivre l'avancement des progrès.
Ces progrès, j'en suis convaincu, nous les obtiendrons par le respect de la norme légale, mais aussi en mettant en place des dispositifs reposant sur le volontariat et l'excellence avec, par exemple, l'instauration d'un label pour distinguer les entreprises les plus en pointe.
Madame la présidente,
Monsieur le vice-président,
Monsieur le secrétaire général,
Mon objectif principal, comme ministre du travail, est de créer les conditions d'un « dialogue social durable », c'est-à-dire un dialogue permanent, mené au plan national mais aussi au niveau des branches et des entreprises, pour éviter les conflits, anticiper les mutations et, bien évidemment, améliorer substantiellement les conditions de travail. C'est pour moi tout à la fois une question économique et un principe éthique.
Question économique, car les investissements dans la santé et les conditions de travail s'accompagnent d'une baisse des accidents et d'une augmentation de l'attractivité des métiers, tout en constituant un formidable levier d'innovation, par exemple, sur la substitution des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.
Principe éthique, ensuite, car l'action du Gouvernement, a fortiori dans ces temps de crise économique, est toute entière mue par un souci de justice. Et la justice, c'est être aux côtés de ceux qui travaillent et se soucier tout particulièrement de leur santé, de leur sécurité et des conditions d'exercice de leur activité.
Je souhaite à votre instance tout le succès qu'elle mérite et vous souhaite des travaux fructueux dans l'intérêt même de nos concitoyens salariés.
Permettez-moi, enfin, de souligner que le ministère du travail prend toute sa part dans l'effort de vigilance, demandé à tous les services de l'État, face à la « grippe mexicaine ». J'ai demandé à mes services d'être en alerte. Il est bien évident que les entreprises seraient en première ligne en cas de crise sanitaire et que le ministère du travail, avec notamment le réseau des médecins du travail, doit donc être totalement vigilant.
Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 6 mai 2009