Déclaration de François Bayrou, président du MoDem, sur l'action et le rayonnement de l'Union européenne dans le monde, à Paris le 13 mai 2009.

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Circonstance : Discours de clôture de la septième convention thématique européenne sur le thème "Quelle Europe pour quel monde ?", à Paris le 13 mai 2009

Texte intégral

Je suis très heureux de cette journée qui était la septième que Marielle a organisée, dont elle a inspiré la préparation et le travail, et qu'elle a voulue en tant que coordinatrice de la campagne européenne. Je crois que cela mérite donc que vous lui disiez notre gratitude par vos applaudissements...
Ce cycle de réflexion de fond -car pas une seule de ces rencontres n'a été organisée autour de préoccupations partisanes, nous avons toujours voulu qu'elles soient sur le fond- s'achèvera dimanche, à Montpellier par une réflexion sur le modèle européen. Réflexion à laquelle participeront Francesco Rutelli, notre ami responsable et co-président avec moi du Parti Démocrate Européen, et Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre de Belgique, homme avec qui nous travaillons beaucoup sur l'avenir de l'Union européenne.
Nous parlerons donc du « modèle européen » pour conclure ce cycle et nous avons voulu que la rencontre de cet après-midi soit consacrée à la question de l'action internationale, en matière de sécurité et de modèle de l'Union européenne.
* L'Union européenne doit achever son modèle politique
Il y a en effet, vous le savez, deux visions de l'Europe, deux visions historiques de l'Europe qui, aujourd'hui, sont en confrontation. La première vision est celle qui veut faire de l'Europe un espace consacré uniquement au marché et au droit.
Je ne suis pas en train de dire que ce n'est rien, le marché et le droit. Bien entendu, la création d'un marché commun, avec des règles de marché unique, a été, pour chacune des économies de chacun de nos pays, une extraordinaire occasion de développement.
La richesse qui s'est bâtie en Europe a été produite, car nous avions fait un marché qui a, tout d'un coup, ouvert aux industries de chacun de nos pays une capacité de conquérir des millions de consommateurs qu'autrement on n'aurait jamais rencontrés.
Le droit, c'est encore plus important, car cela signifie que, peu à peu, des standards de respect de la personne humaine, de ces libertés, de la loyauté des contrats, s'établissent partout en Europe et c'est quelque chose de très important, mais, pour nous, cela ne suffit pas.
Le temps est maintenant venu de dépasser l'étape du marché, de regarder au-delà de l'accomplissement du droit, pour penser autre chose, qui est l'action volontaire de l'Union européenne dans le monde.
Je veux insister sur ce point, car si l'Union européenne demeure spectatrice de décisions prises ailleurs dans le monde, à ce moment-là, elle subira et son modèle de développement, son modèle social, son modèle de citoyenneté sera durablement mis de côté, écarté, mis sur la touche.
Dans le monde qui vient, on ne peut pas être spectateur, si l'on veut défendre son modèle de société. On doit être acteur. C'est vrai pour nous, monsieur le Premier ministre (NDLR : de la République Centrafricaine, Martin Ziguelé), que je veux remercier de sa présence. C'est vrai pour d'autres, au Nord et au Sud.
Pour nous, cette question est absolument cruciale, pour une raison que vous connaissez bien. C'est qu'il y a un tel déséquilibre entre le poids des puissances dominantes ou en voie de le devenir, et le poids de chacun de nos pays, que si nous restons isolés, nous n'aurons aucune efficacité et nous ne serons pas entendus.
De ce fait, le modèle politique que nous sommes en train de construire au sein de l'Union européenne est crucial, si nous voulons obtenir, un jour, un équilibre sur la planète entre les puissances de premier rang et les démocraties que nous sommes.
C'est d'autant plus important que nous croyons que ce modèle politique-là est précurseur et que, bientôt, un jour, il s'appliquera dans d'autres grandes régions du monde, si on veut obtenir un équilibre -certains disent un multilatéralisme- des puissances que, nous, citoyens français et européens, nous puissions être assis par la voix de nos représentants autour de la table où se décideront les grands enjeux, où se trancheront les grands défis de la planète.
Si nous n'avons pas cela à l'esprit, alors, je crois que le jour viendra où on ne parlera plus de G20, ni même de G8, mais de G2 !
Et l'on verra, des deux côtés du Pacifique, les États-Unis et la Chine engagés au pire dans une espèce de bras de fer, au mieux dans une coopération à deux dans les grandes décisions qui commanderont l'avenir de la planète.
C'est donc, pour nous, une responsabilité, pour nous citoyens européens et une responsabilité pour les autres citoyens du monde, que d'achever le modèle politique de l'Union européenne et de lui donner une volonté et une voix audible sur les grands enjeux de la planète.
Voilà quelle est la première vision. Je le répète ou j'insiste sur ce point : responsabilité pour nous, responsabilité pour les autres citoyens du monde.
Si l'Europe est une voix respectée, à ce moment-là, d'autres voix le seront également. Je suis pour le pluralisme, pas seulement dans la vie politique nationale, mais pour le pluralisme évidemment efficace et vrai dans la vie politique internationale.
Je suis persuadé que le jour viendra, monsieur le Premier ministre (NDLR : de la République Centrafricaine, Martin Ziguelé), où il y aura une Union africaine qui reprendra le modèle de l'Union européenne, que le jour viendra où il y aura une Union d'Amérique latine qui reprendra le modèle qui est le nôtre, que le jour viendra où, en Orient et en Extrême-Orient, on verra également naître des modèles de cet ordre. Nous avons la responsabilité de le réussir pour nous et pour les autres citoyens du monde.
C'est la première idée que je voulais développer devant vous.
* L'Union européenne doit pouvoir agir et parler d'une seule voix
Évidemment, l'urgence, deuxième idée, c'est que l'Union européenne développe une stratégie anti-crise, qu'elle développe ensemble, solidairement, une stratégie anti-crise. S'il y a une chose qui est une insuffisance ou un échec dans les mois qui viennent de s'écouler, notamment dans le bilan que l'on peut faire de la France au niveau de l'Union européenne, c'est que le "chacun pour soi" l'a trop souvent emporté sur le "tous ensemble".
Or, le "chacun pour soi" est une impasse, nous le croyons, pour revivifier l'économie des pays, mais plus encore si l'on pense à l'avenir, c'est-à-dire à la mise en place de règles qui soient des règles de loi de précaution, de principes à respecter pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets.
Or, comme cela a été dit lors de la première table-ronde, et je partage ce sentiment, ce que l'on voit apparaître aujourd'hui, c'est moins d'appel à des règles qui mettront un peu de stabilité et d'équilibre dans l'économie, notamment dans l'économie financière internationale, que le retour ou la tentation du retour aux vieilles habitudes.
Beaucoup d'acteurs qui sont des acteurs de premier rang dans la vie, notamment financière du monde, ne cherchent qu'à revenir au statu quo ante, à la situation d'avant, et pas à trouver une situation dans laquelle ils seront forcés de respecter des règles de précaution plus importantes. Et ainsi, si l'on veut éviter la réédition de crises ou l'aggravation de ces crises, il est nécessaire que l'Union européenne soit capable d'agir et de parler d'une seule voix pour imposer un certain nombre de règles que l'on appelle prudentielles.
Ce sont des règles pouvant toucher des domaines aussi différents -j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce point- que les marchés à terme, que les monnaies. Je trouve extrêmement dangereux pour le monde qu'il n'y ait qu'une monnaie de référence au bout du compte, le dollar, qui est une monnaie qui dépend, dans son équilibre, des choix internes des autorités publiques américaines et, notamment pour son équilibre, des choix internes effectués en matière de déficit par les autorités publiques américaines. Il y a là quelque chose qui est, me semble-t-il, facteur d'instabilité pour le monde.
Je veux répéter, devant vous, que le principal ou l'essentiel de la lutte contre la crise est de remplacer les facteurs d'instabilité par des facteurs de stabilité, notamment dans la vie financière, ce qui veut dire également, par exemple, s'interroger sur les ratios bancaires.
Quel est le bon rapport entre le patrimoine qui assure votre sécurité et le risque que vous avez pris ? Les ratios d'aujourd'hui, dont la réalité est de peut-être 1 à 17 ou 18, mériteront que l'on s'interroge, au moment de la sortie de la crise comme Jean Peyrelevade l'a dit dans « Le Monde », dans une tribune que j'ai trouvée très intéressante, il y a quelques jours.
En matière monétaire, je trouve très intéressant que l'Union européenne réfléchisse à l'édification d'un étalon monétaire ou d'une référence monétaire internationale qui ne soit pas le dollar, à laquelle le dollar et l'euro soient rattachés, ainsi que les autres monnaies de la planète.
Mettre de la stabilité à la place de l'instabilité me paraît tout à fait essentiel, notamment -cela a été évoqué par certains-, car on va assister cette année, au lieu d'une poursuite un peu ralentie de la planète, à une décroissance de la planète, ce qui est une occasion pour juger ceux qui prétendaient faire de la décroissance leur axe politique. On va découvrir ce que la décroissance porte avec elle de misère, de malheur et de chômage.
Notre vision à nous est une croissance équilibrée et durable, comme tout le monde dit, par un usage un peu excessif d'un adjectif qui commence à être agaçant, car il n'est de sauce à laquelle "durable" ne soit mis... Je propose que nous utilisions le plus souvent possible des adjectifs plus compréhensibles comme « équilibré » et « tenable » sur le long terme. Nous avons le devoir de mettre en place les piliers de ce monde plus équilibré.
* Vers un modèle européen inspiré du pacte social français
Troisièmement, nous avons, nous, Union européenne, une responsabilité sur laquelle j'insisterai dimanche, comme modèle de société. Le pacte social que nous avons construit au sein de l'Union européenne, je le considère, non pas comme une charge, mais comme une chance et comme une chance à défendre.
De la même manière, je considère -je l'ai assez dit dans le livre qui vient de sortir- que le pacte républicain français n'est pas à regarder comme quelque chose qui appartient au passé, mais comme quelque chose qui appartient à l'avenir.
Peut-être aurez-vous observé que, dans les dernières semaines, depuis la sortie ce livre, une partie des observateurs ou des intellectuels du monde se mettent à regarder le modèle français de manière différente. Je ne veux pas dire que ce soit à cause du livre, mais cela y concourt. Tout cela est un mouvement.
« The Economist », ce matin, un très grand journal très respectable, l'arbitre ou la référence d'une certaine pensée néolibérale dans le monde a fait sa Une sur le modèle français et je suis très heureux que ceci commence à apparaître dans la conscience des citoyens.
Nous avons un modèle à défendre, alors que nous croyons que les choix politiques nous entraînaient à abandonner ce modèle. Et l'on reliera ainsi de manière différente les débats de la campagne présidentielle.
Nous avons un modèle de société qui comporte un volet Pacte social et un volet Pacte environnemental, auxquels nous sommes très attachés. Il s'agit, pour employer un mot que nous aimons, de valeurs humanistes que nous avons l'intention de défendre, y compris dans le nouvel acte qui s'ouvre pour les sociétés de la mondialisation après la crise.
* L'Europe peut être la garante d'un réel équilibre diplomatique
Quatrièmement, nous avons à être les promoteurs de cette idée d'un réel équilibre diplomatique dans le monde.
Je viens d'en parler à propos des monnaies et des États-Unis. Je veux en parler à propos de la Russie, car il me semble qu'un certain nombre de choses très intéressantes ont été dites à cette tribune concernant ce sujet.
Je pense que la question de la Russie face à l'Europe est l'une des deux ou trois grandes questions que nous aurons à traiter dans les décennies qui viennent.
Cela impose de comprendre un certain nombre de choses qui, jusqu'à maintenant, ne l'ont pas été.
Par exemple, j'ai été surpris que Nicolas Sarkozy propose que le pacte de voisinage privilégié auquel il pense pour la Turquie soit proposé en même temps à la Russie !
La Turquie... La Russie ! Il me semble -je peux me tromper- que cela ne peut pas correspondre, pas le moins du monde, à l'idée que les citoyens russes et les dirigeants russes se font de l'avenir de leur grand pays.
Je n'ai jamais cru que la Russie pourrait demander son adhésion à l'Union européenne. Je pense que la Russie se voit comme une grande puissance, sinon à l'égal de l'Union européenne, du moins de la même gamme de responsabilités que l'Union européenne.
Se tourner vers la Turquie et vers la Russie du même mouvement, il me semble que l'on peut y voir ou que certains risquent d'y voir comme une condescendance. Ce statut de partenaire privilégié qui n'est pas un statut de voisinage équilibré est quelque chose qui mérite, me semble-t-il, que l'on y réfléchisse attentivement.
Je pense que la Russie se voit autour de la table des grandes affaires du monde à l'égal ou dans la même gamme de responsabilités que les États-Unis, la Chine, l'Union européenne et les autres partenaires dont j'évoquais la naissance, comme l'Inde, et futurs que je souhaite.
Je pense qu'il faut prendre garde, d'ores et déjà, à avoir avec la Russie ce rapport, qui est un rapport de respect mutuel. Cela ne veut pas dire qu'il faille être silencieux, et j'ai regretté, en particulier dans ce livre, l'attitude qui a été celle du Président de la République française, au moment de l'Union européenne, au moment de la crise géorgienne, car ce n'est pas une attitude que je souhaite pour l'Union européenne que d'aller jouer dans la main des dirigeants russes qui ont une suffisante idée des rapports de force, pour qu'ils puissent comprendre qu'en face d'eux, ils trouvent des partenaires exigeants et pas seulement qui décident d'habiller une invasion qui débouche, en fait, sur une annexion.
Après les grandes déclarations de satisfaction rencontrées de la part du Président de la République française, Président de l'Union européenne, quel est le résultat aujourd'hui ? On nous avait dit que la Russie allait évacuer les provinces. Elles sont occupées et l'annexion est une annexion de fait.
J'aurais donc préféré que nous soyons froids et exigeants, plutôt que d'aller, d'une certaine manière, servir les desseins de ceux qui avaient décidé cette opération, en particulier pour récupérer, auprès de leurs anciennes provinces, une part du prestige perdu et pour que, désormais, tout le monde sache qu'il importe de ne pas bouger une oreille, car la Russie est de retour.
Ceci est à mon avis, quelque chose de très important qui exige, si nous voulons que l'Union européenne ait cette attitude, de comprendre. J'ai été très heureux que soit évoqué ici le traumatisme qu'ont vécu les pays de l'Union européenne occupés pendant plusieurs décennies par l'URSS, traumatisme qui ne s'effacera pas avec de bons mots, qui exige qu'on le prenne en charge et qu'on le comprenne. C'est la raison pour laquelle je défendrai, dimanche, l'idée que je suis absolument certain qu'il faut introduire, dans les programmes d'histoire, une part de l'histoire européenne, que nous ne regardions pas l'histoire uniquement de notre simple point de vue national, mais que nous puissions partager entre élèves européens, futurs concitoyens européens, une vision de ce que nos expériences différentes nous ont appris de l'histoire, que nous avons souvent été de côtés opposés de la barricade. Et c'est très important de comprendre l'autre autant qu'il est important de se comprendre soi-même.
* Vers une diplomatie européenne « coopérative »
Cinquièmement, pour servir une telle stratégie d'équilibre, il faut inventer une diplomatie européenne qui pour l'instant ne l'a pas été. Je vais dire quelque chose avec prudence, attention, réserve, nuance. Je ne crois pas que l'on arrivera d'un seul coup à une diplomatie unifiée de l'Union européenne. Je ne crois pas que l'on aura un ministre des affaires étrangères européen qui portera la voix des pays européens unis. On en est si loin, que je ne crois pas cette perspective atteignable à court terme.
En revanche, je crois à une diplomatie coopérative des Européens. Je dis toujours que si dans les drames du Moyen-Orient ou de l'Afrique, on mettait en commun l'expérience de ces régions, ce que représentent la diplomatie et l'histoire diplomatique françaises, la diplomatie et l'histoire diplomatique britanniques, la diplomatie et l'histoire diplomatique belges et la diplomatie et l'histoire diplomatique des Allemands, la diplomatie et l'histoire diplomatique des Espagnols, que de miracles on pourrait réaliser.
Nous sommes en prise avec le monde, puisque nous avons eu la responsabilité, bonne ou mauvaise, historique, de régions entières de la planète. Nous avons des richesses formidables, il faut les conjoindre, ces richesses.
Il faut être capable d'agir et d'agir ensemble, en rendant alliées des diplomaties qui jusqu'à maintenant se "tirent la bourre" -comme on dit- plus souvent qu'elles ne travaillent ensemble.
Je considère que cette diplomatie coopérative est probablement l'étape accessible. Cela signifie que nous sommes capables de débattre ensemble et que nous choisissons de partager la charge sans -ne voyez naturellement aucune allusion à ce que je vais dire- tirer perpétuellement la couverture à soi.
Il y a là quelque chose de très important auquel les dirigeants politiques ne sont pas très souvent habitués. Ils veulent se mettre en vedette par comparaison avec les autres. Or, cela exige que l'on ait une démarche de sobriété, de frugalité et de partage de bon aloi.
Il en est de même en matière de défense coopérative.
Je ne crois pas beaucoup, surtout maintenant que nous avons fait le choix du commandement intégré de l'OTAN, que va s'édifier tout de suite une défense européenne, mais nous pouvons coopérer entre défenses européennes, quoi qu'il en soit, celles qui le voudront, sur la base du volontariat, pour avancer alors que pour l'instant, nous stagnons.
Je prends d'ailleurs à témoin ceux de mes amis qui ont partagé mes combats depuis longtemps. Ils savent que, lors de l'annonce à Saint-Malo, entre la Grande-Bretagne et la France, on était désormais engagés dans une perspective de défense commune et que tout le monde applaudissait, nous étions les seuls à marquer un peu de scepticisme.
Plus de dix ans après, je constate que rien ne s'est passé de déterminant, que les grandes annonces n'ont jamais été suivies d'effet et je préférerais que l'on inverse les choses, que l'on mette des réalités avant de faire des annonces.
Cette démarche coopérative me paraît parfaitement juste en matière de défense comme en matière de diplomatie. Cela signifie, perspective générale, que nous défendons l'idée -ce sera dans notre programme- que pour faire évoluer l'Union européenne, il faut une avant-garde.
J'ai indiqué qu'en matière économique, la zone Euro me paraissait par vocation une avant-garde évidente qui aura à assumer des responsabilités qui viennent ou proviennent du fait que nous partageons une monnaie qui est l'une des grandes monnaies de la planète.
Si nous partageons une monnaie, il faut partager une politique économique, donc que nous acceptions de la définir ensemble et que nous abandonnions, chacun, une part de nos jalousies nationales pour entrer dans une action concernée.
Cette idée d'une avant-garde européenne permet naturellement d'avoir une vision différente de la dynamique de l'Union. Jusqu'à maintenant, l'Union c'est vingt-sept ou rien, l'acquiescement de vingt-sept ou rien !
On a montré, en matière d'euro, qu'il était possible d'aller plus loin sans rompre avec les autres. Il faut le montrer maintenant dans d'autres chapitres de l'action internationale et je défends donc l'idée d'une avant garde européenne.
* L'Europe doit permettre le développement des continents pauvres
Enfin, je veux, comme dernier point, suite à cette table ronde tout à fait passionnante, l'idée d'une stratégie de développement qu'assumerait l'Union européenne.
Je veux simplement revenir sur cette idée que Marcel Mazoyer a défendue souvent devant nous, à laquelle chacun des participants a fait écho, à savoir l'immense misère dont souffre le monde au travers du continent africain. Car ce n'est pas une misère réservée aux Africains, mais du monde qui se concentre sur le continent africain. C'est, d'abord, une misère de la paysannerie africaine.
Je voudrais défendre devant vous -vous avez compris au travers des différentes interventions qu'il s'agit d'une idée qui nous travaille et au sujet de laquelle nous essayons de formuler des propositions de plus en plus précises- l'idée que le continent africain mérite bien ce que le Continent européen a connu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. À savoir une stratégie internationale concertée, visant à reconstituer ses capacités de production, à aller vers le plein emploi et vers l'autosuffisance alimentaire, c'est-à-dire d'abord la bonne santé des exploitations familiales dont étaient faites le continent européen.
On parle toujours de Plan Marshall, mais il n'aurait rien été sans la protection des marchés, sans une stratégie concertée pour que ce soit des industries européennes qui équipent le continent européen, et l'agriculture européenne qui nourrisse le continent européen.
Cet équilibre, cette autosuffisance, cette recherche, sans parler d'autarcie, d'autonomie économique, il est, selon nous, désormais nécessaire de l'appliquer au continent africain et de dire des choses précises.
Je sais bien que cela heurte un certain nombre de logiques entièrement fondées sur le dogme du libre-échange, mais je crois qu'il est nécessaire de franchir ce pas. En effet, si on n'avait choisi que le libre-échange, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'Europe n'en serait pas là. Et je pense qu'il faut définir, avec les responsables africains -j'allais dire avec les peuples africains- ce que sont leurs besoins. Ils savent mieux que nous ce dont ils ont besoin.
Le développement octroyé, ce n'est pas un développement efficace. Le seul développement qui vaille c'est une politique de développement concertée et une politique de développement co-définie. Ils ont -Dieu sait !- beaucoup plus d'expérience que nous n'en avons sur ces sujets.
Je pense nécessaire de dire clairement que c'est avec eux que l'Union européenne et la France, pour sa part, doivent définir les principes de ce développement nouveau.
Cela impose une rupture avec un certain nombre d'habitudes et de pratiques. Je ne parle même pas d'habitudes et de pratiques dévoyées, car il y en a beaucoup, pour des raisons sociologiques et historiques pouvant parfaitement s'expliquer, au sujet desquelles on ne peut pas simplement braquer le "projecteur de la honte". Il faut comprendre pourquoi un certain nombre de pratiques dévoyées existent et entraînent la moitié des sommes dues au développement vers des usages qui ne devraient pas être les leurs !
Il faut le comprendre et il est très important que nous acceptions et énoncions ce principe selon lequel les dirigeants européens et africains sont également légitimes à définir une politique de développement pour l'Afrique.
Nous avons, ensemble, cette co-responsabilité et je considère naturellement que ce dernier chapitre est probablement historiquement le plus important de ceux que nous avons à traiter dans cette campagne. Cela ne sera pas le seul, mais c'est le plus important.
Si nous échouons à offrir à l'Afrique une perspective crédible de développement endogène, pas une perspective crédible fondée uniquement sur l'utilisation de matières premières que l'on va extraire avec des contrats dûment signés à chaque déplacement industriel, notamment s'agissant des matières premières rares de la planète, si nous échouons à cela, nous aurons échoué, je crois à tout et je pense sans être d'un pessimisme excessif, que le pire n'est pas exclu, y compris des guerres ou, quoi qu'il en soit, des souffrances multiples.
Ce chapitre sur le développement porté par l'Union européenne, notamment en direction de l'Afrique, est le chapitre le plus important ce que nous avons à traiter. Cela exige une rupture dans la stratégie qui a été, jusqu'à maintenant, celle de l'Occident.
Je pense que c'est à la France de le porter et je serais très heureux que les perspectives que nous avons énoncées durant cette journée, diplomatiques, de défense, de sécurité, monétaires et, en même temps, de développement fassent l'objet, pour nombre de citoyens français, de leur réflexion avant le choix du bulletin qu'ils mettront dans l'urne pour les élections européennes. Et nous savons de quelle couleur nous souhaitons que ce bulletin soit !...
Je vous remercie.
Source http://www.mouvementdemocrate.fr, le 18 mai 2009