Texte intégral
Intervention de Laurent Fabius,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE À L'ASSEMBLÉ NATIONALE
MERCREDI 6 JUIN 2001
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le débat d'orientation budgétaire qui nous réunit doit être un débat de transparence et de cohérence. C'est d'autant plus nécessaire que notre contexte économique connaît certaines évolutions : des inquiétudes s'expriment, des interrogations se font jour. Beaucoup nous sont adressées, d'ailleurs dans des sens opposés à Florence Parly et à moi-même. En ce qui nous concerne, nous souhaitons tout simplement agir et parler vrai.
1. Quelle est la situation de notre économie au regard de la conjoncture internationale ? Dégradation extérieure, résistance intérieure.
Le ralentissement de la conjoncture mondiale est incontestable. Son origine est américaine. L'économie américaine, dont beaucoup soulignaient auparavant le caractère déséquilibré par son " exubérance " même, connaît une chute brutale de sa croissance : 1% en 2001, contre 5% en 2000. Cet atterrissage était attendu, il a surpris par son ampleur et sa rapidité. La globalisation des marchés et la financiarisation des économies accélèrent la transmission des chocs. Le Japon reste à une croissance "plate". Ces deux pays, à eux seuls, représentent 45 % du PIB mondial. La hausse des prix du pétrole porte aussi une responsabilité dans l'amputation de la croissance prévue. Malgré l'affaiblissement mondial, le cartel de l'OPEP a réussi à maintenir des prix élevés - trop élevés pour un bon équilibre global -, les marges des raffineries sont fortes et la baisse du cours externe de l'euro complète le panorama. Il nous faut à cet égard réinsister sur la notion d'équilibre durable entre producteurs de brut et consommateurs autour d'un prix de 20 à 25 $ le baril, et mettre en uvre à l'échelle européenne et mondiale des politiques d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables. L'Europe est, elle aussi, atteinte. L'Allemagne, notre principal partenaire, l'est nettement. Par contrecoup, la France l'est aussi : la demande extérieure est moins forte.
Certes nous sommes moins touchés que d'autres : notre économie présente une solide capacité de résistance. Deux indicateurs clefs en témoignent : la consommation des ménages et l'investissement des entreprises. En ce qui concerne ce dernier, il pourrait connaître, malgré tout, une croissance d'environ 6 % en 2001. C'est moins qu'en 2000, mais autant qu'en 1998 et en 1999. L'ajustement constaté au premier trimestre 2001 ne devrait pas se répéter aussi brutalement au cours des trimestres suivants. La tendance des investissements reste orientée de façon positive.
La consommation des ménages, ce second moteur de notre croissance, reste dynamique. En mai 2001, les ventes des voitures ont dépassé les 200 000 véhicules, soit 10 000 de plus qu'en mai 2000. Considérée globalement, la demande des ménages a progressé de 1,3% au premier trimestre, en relation avec l'évolution des salaires et la baisse des impôts. En sens inverse, chacun aura noté que le moral des ménages a chuté depuis le pic d'optimisme atteint en janvier 2001 . Il reste cependant de 30 points supérieur à ce qu'il était en 1995. Dans la presse et les médias, les annonceurs ont réduit leurs achats, , indication généralement significative, mais il n'y a pas et il ne doit pas y avoir de crise de confiance.
Car il faut nous garder d'une erreur d'optique. Même si l'année 2001 est moins favorable que l'année 2000, marquée par des performances très élevées tant en termes d'activité que d'emplois, néanmoins la tendance générale reste positive, dans la continuité du redressement à l'uvre depuis 1997. Nos perspectives de croissance pour 2001 devraient se situer dans la fourchette basse de nos prévisions, à un taux plus proche de 2,7 % que de 3 %. Mais, d'une part, il est encore trop tôt pour fixer un chiffre certain. D'autre part, la France fait mieux que ses voisins : pour la 4ème année consécutive, notre performance sera supérieure à celle de l'Allemagne ; pour la première fois au 1er trimestre 2001, notre activité est plus soutenue qu'aux Pays-Bas.
La capacité de résistance de notre économie se traduit à travers deux autres éléments significatifs. L'inflation restera maîtrisée en 2001, mieux que chez la plupart de nos partenaires. Toutefois, le gouvernement reste attentif à tout signe d'accélération afin d'éviter de grignoter les gains de pouvoir d'achat. Dans cet esprit, nous devons veiller à ce que les règles de la concurrence fonctionnent de façon satisfaisante dans la grande distribution et -je l'ai dit- dans le secteur pétrolier. Concernant l'emploi, le chômage continue de diminuer, mais à un rythme moins fort que l'année passée. Cette tendance intervient au moment même - on le remarque trop rarement - où la population active augmente fortement : plus de 200 000 entrées nouvelles sur le marché du travail en un an. C'est dire si le gouvernement met en oeuvre une politique favorable à l'emploi, que nous avons la détermination de poursuivre.
2. Où en sommes-nous de l'exécution du budget 2001 ?
S'agissant des dépenses 2001 de l'Etat, nous avons annoncé une progression de 0,3 % en volume. Nous sommes déterminés à tenir cet objectif. L'augmentation constatée au premier trimestre correspond essentiellement à l'avancement de certaines dépenses en capital du budget de la Défense. Elles traduisent un meilleur lissage sectoriel et non un dérapage.
S'agissant des recettes, nous sommes globalement en ligne avec nos engagements. Si les recettes augmentent moins que dans le passé, c'est aussi la traduction du fait que les impôts ont été allégés. Quand les recettes de TIPP sont moindres qu'auparavant, c'est bien parce qu'il y a désormais un mécanisme fiscal de stabilisation. S'agissant de la TVA, n'oublions pas que nous avons réduit son taux de 20,6 % à 19,6 %. La baisse des impôts devrait être encore plus manifeste quand les Français recevront leur avis d'impôt sur le revenu 2000 : ils verront alors mieux la différence entre ce qu'ils devront payer et ce qu'ils auraient dû payer avant le plan triennal du gouvernement. De même pour la prime pour l'emploi qui sera versée comme prévu début septembre. J'avais dit, dès le mois de mars, que nous pourrions enregistrer des recettes inférieures à nos prévisions initiales. Cet aléa sera connu avec davantage de précisions en juillet. A ce moment là, comme je l'ai fait l'an dernier, je dirai ce qu'il en est précisément.
3. Dans ce contexte, quelles orientations budgétaires pour 2002 ? Elles seront, dans leur détail, rendues publiques en septembre lors de la discussion du PLF 2002. Le débat d'orientation budgétaire n'est pas le débat sur la loi de finances. Mais je veux dès à présent affirmer avec force notre choix central : nous maintiendrons le cap fixé depuis 1997, qui tient en trois éléments nécessaires pour développer l'emploi et la solidarité qui devront être jugés sur la durée de la législature : la maîtrise de la dépense publique ; la baisse des prélèvements ; la réduction des déficits.
Maîtrise de la dépense publique. Notre chiffre de progression des dépenses de l'Etat sera de 0,5 % en volume pour 2002. A l'échelle de la législature, cela représente une progression au total de 1,8 % en volume, c'est-à-dire l'équivalent de ce qui se faisait avant 1997 pour une seule année. Comment dès lors parler de laxisme ? Pas davantage ne convient-il d'évoquer des coupes qui seraient excessives : nous continuerons de financer nos priorités budgétaires, l'éducation, la sécurité, la justice, ainsi que l'environnement. Les budgets correspondant à ces secteurs prioritaires ont progressé de 14 % en valeur depuis 1997, progressions qui ont été rendues possibles par des dépenses nouvelles, mais aussi par des redéploiements internes, à hauteur de 25 à 30 milliards par ans. Soit une gestion à la fois maîtrisée et stratégique de la dépense publique. Ce dont témoigne également la démarche de contractualisation avec les ministères.
A ceux qui voudraient dépenser plus (au lieu de dépenser mieux), à ceux qui - constituant en réalité une sous-catégorie des premiers - prétendent dépenser au total moins tout en dépensant davantage sur plusieurs postes massifs, je souhaite rappeler qu' en préservant des fondamentaux sains, nous réunissons les conditions d'une croissance durable et créatrice d'emplois. Toute autre attitude ne pourrait donner que des résultats éphémères, puis entraîner une véritable dégradation. Si les dépenses dérapaient, les taux d'intérêts augmenteraient et l'activité serait rapidement freinée. L'emploi serait donc pénalisé. Ce n'est pas ce que nous voulons. C'est pourquoi aussi nous devons rester vigilants sur nos dépenses sociales. La bonne tenue actuelle des comptes de la sécurité sociale doit beaucoup à l'amélioration de la situation de l'emploi. Nous devons veiller à maîtriser nos dépenses d'assurance maladie. Nous devons faire face aux besoins en emplois des services publics mais ne pas alourdir nos dépenses d'une façon qui serait insupportable, d'autant plus que, à terme, il reste à mieux équilibrer le financement des retraites.
Ces remarques de bon sens sur la maîtrise des dépenses publiques s'appliquent également aux dépenses militaires. Une forte hausse des dépenses militaires, comme on l'envisage parfois, ne m'apparaîtrait personnellement ni nécessaire pour notre indispensable sécurité ni compatible avec nos équilibres économiques, avec notre priorité à l'emploi et avec les engagements financiers de la France.
Baisse des prélèvements également : le plan triennal 2001-2003 doit se traduire par une baisse de 120 milliards de francs d'impôts. En 2002 et même si on doit prendre beaucoup de précautions avec le concept de "prélèvements obligatoires", le taux global des prélèvements obligatoires devrait être de l'ordre d'environ 44,5 % contre 45,6 % en 1999. Le gouvernement s'est engagé sur un plan triennal d'allègement des impôts. L'Etat doit respecter sa parole. Le gouvernement précédent, pour avoir contredit les promesses de l'actuel Président sur ce point, avait été sanctionné par les Français. Autre aspect essentiel à garder à l'esprit : au moment où la conjoncture hésite, il faut soutenir le retour vers l'emploi, la consommation des ménages et la compétitivité des entreprises. Tel est l'objectif des baisses d'impôts qui interviendront en 2002. Dans les textes déjà votés ou proposés, les baisses prévues se décomposent de la façon suivante : 8,5 milliards supplémentaires pour la prime pour l'emploi (contribuant au retour vers l'emploi), 12 milliards pour la baisse des tranches de l'impôt sur le revenu (soutien à la consommation), 10 milliards pour la baisse du taux de l'impôt sur les Sociétés (soutien à la compétitivité de nos entreprises, notamment les plus petites). Concernant nos entreprises, la poursuite de la réforme de la taxe professionnelle en 2002 participe aussi de la politique de plein emploi. Augmenter les impôts alors même que les ménages et les entreprises ont besoin d'oxygène constituerait une erreur de pilotage économique et social. Ne la commettons pas.
Concernant la réduction des déficits, il s'agit aussi d'un choix fait depuis 4 ans. Depuis 1997, une réduction de 100 milliards du déficit pour l'Etat a en effet été opérée, là où la précédente majorité, tout en augmentant fortement les impôts, n'avait réduit le déficit que de 20 milliards. La réduction de la dette confirme notre gestion sérieuse : son poids dans le PIB devrait diminuer de près de 5 points d'ici 2002 par rapport à son niveau de 1997, alors qu'elle avait explosé lors de la précédente législature. Là encore, nous faisons le choix d'une croissance juste et durable. La logique de la croissance asphyxiée, des ménages assommés et des entreprises découragées a été celle de certains de nos prédécesseurs ; elle n'est pas et elle ne sera pas la nôtre.
Avant de conclure, quelques réponses à des critiques entendues ici ou là.
Le gouvernement manquerait de transparence, selon certains ? Je crois, avec Florence Parly, démontrer le contraire. Sur l'exécution du budget 2001, je souligne que nous avons transmis aux assemblées le décret d'avance ; ce qui ne s'était jamais fait. Très régulièrement, vous recevez les situations budgétaires : il n'y a donc plus de contestation possible, plus de débat sur la vraie ou fausse cagnotte. Fondamentalement, le soutien apporté par le gouvernement à la réforme de l'ordonnance de 1959 initiée dans cette Assemblée témoigne de notre volonté d'associer pleinement le Parlement aux travaux budgétaires. Il s'agit d'une démarche de transparence. Elle se poursuivra
Seconde critique parfois entendue : la solidarité serait insuffisante à l'égard des plus pauvres. Bien sûr, des progrès sont toujours à accomplir mais telle n'est pas la réalité. Notre approche est celle de la solidarité durable, elle passe par le soutien à l'emploi et au pouvoir d'achat plus que par des dépenses éphémères et non financées. Dès cet automne, les ménages les plus modestes, souvent non imposables, pourront le constater de façon tangible : beaucoup recevront un chèque au titre de la prime pour l'emploi ; d'autres verront, à la lecture de leur avis, que leur impôt sur le revenu a diminué. Au début de l'année prochaine, interviendra la seconde tranche de réforme des allocations logement. Plus globalement, la politique du gouvernement, même si - je le répète - des progrès sont toujours utiles, porte ses fruits en matière de rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée : comme le montre la partie du document consacré à l'évolution de l'économie nationale que nous avons déposé au Parlement avec Florence Parly, 80 % des fruits de la croissance sont allés au travail depuis 1997. Peu remarqué, ce chiffre de 80 % traduit un choix clair en faveur des revenus du travail. Donc des choix de justice sociale et de solidarité active.
Ce choix ne peut s'accompagner d'une hausse massive des déficits, à laquelle nous appelleraient volontiers certains. Le déficit public, faut-il le souligner, doit toujours être remboursé. Il est souvent un vocable savant ou facile, pour désigner une hausse d'impôts supportés par les générations futures. Comme tous les pays de l'Union Européenne le savent, nous ne sommes pas dans une situation où un surcroit de croissance pourrait être assuré par une augmentation de la dépense publique. Loin d'une soumission à je ne sais quelle orthodoxie, l'augmentation massive des déficits, dans un pays qui comme le nôtre et malgré ses progrès comporte encore un déficit notable, outre son absence d'effet économique positif, serait le contraire même de la solidarité durable. Facilité plus inégalités, ce serait (prétendument au nom de la justice,) une manifestation de démagogie.
Une troisième critique, de sens inverse, appelle le même qualificatif : les économies réalisées, nous disent certains, seraient très insuffisantes. Je le redis avec force : oui à la maîtrise des comptes publics, non aux coupes sauvages dans les budgets des services publics. Nous avons besoin des services publics, hôpitaux, police, enseignement, etc. Au nom même des services rendus aux citoyens, de l'égalité indispensable, de la "compétitivité globale" de notre pays. Or, je constate parfois sur ce point une tendance à la schizophrénie : dans l'hémicycle, certains réclament moins de dépenses publiques ; mais dans leurs déplacements de pré-campagne, ils multiplient les promesses dépensières. Peut-être est-ce l'air du temps. Personnellement, je le récuse, et j'espère que vous le récuserez aussi.
Pour cette dernière année de la législature 1997/2002, le gouvernement de Lionel Jospin veut donc maintenir le cap de sa politique économique. Je vois dans cette attitude de constance et de cohérence la meilleure réponse que nous puissions apporter aux aléas de la conjoncture. Sachant que l'avenir de la croissance, en 2002 et au-delà, dépendra aussi d'une étape importante : le passage à l'Euro. Réussir ce passage tous ensemble nous permettra de consolider notre croissance économique. Le gouvernement s'emploiera avec vous à cet objectif : faire en sorte que l'Euro concret soit aussi un Euro facile. Le prochain budget vous sera présenté en euros. Il devra concilier, en euros et pour encourager l'emploi, la modernité, la solidarité et le sérieux.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, ma conclusion sera celle-ci.
Au moment de débattre de nos orientations budgétaires, je veux souligner combien la conjoncture est incertaine. Le ralentissement mondial est incontestable, mais la durée de cette évolution ne peut pas, à ce stade, être connue avec certitude. D'où une nécessité de sagesse.
Les discours, entendus ici ou là, et réputés définitifs, sur l'autonomie totale de la zone européenne par rapport aux États-Unis, au Japon, au reste du monde, sont pour une bonne part des songes creux. Globalisation plus financiarisation entraînent comme conséquence - même si on peut parfois le regretter - que les conjonctures sont "communicantes". Même si l'Europe a sa spécificité, renforcée utilement par la coordination de nos politiques économiques, les chiffres sont les chiffres. Nous résistons mieux que d'autres, mais nous sommes concernés avec les autres et par les autres.
Dans ce contexte, il est particulièrement important de garder le cap sur l'emploi et sur la solidarité, d'être responsables quant aux dépenses, de ne pas entrer dans je ne sais quel concours général de surenchère sous prétexte que les élections approchent, mais au contraire de poursuivre la modernisation solidaire de notre pays. C'est ainsi que nous servirons le mieux l'efficacité économique et la justice sociale.
C'est dans cet esprit que, ayant écouté vos réactions, propositions et observations, nous préparerons avec F. Parly et sous l'autorité de L. Jospin, la prochaine loi de Finances dont nous débattrons à l'automne.
(Source http://finances.gouv.fr, le 11 juin 2001)
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE À L'ASSEMBLÉ NATIONALE
MERCREDI 6 JUIN 2001
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le débat d'orientation budgétaire qui nous réunit doit être un débat de transparence et de cohérence. C'est d'autant plus nécessaire que notre contexte économique connaît certaines évolutions : des inquiétudes s'expriment, des interrogations se font jour. Beaucoup nous sont adressées, d'ailleurs dans des sens opposés à Florence Parly et à moi-même. En ce qui nous concerne, nous souhaitons tout simplement agir et parler vrai.
1. Quelle est la situation de notre économie au regard de la conjoncture internationale ? Dégradation extérieure, résistance intérieure.
Le ralentissement de la conjoncture mondiale est incontestable. Son origine est américaine. L'économie américaine, dont beaucoup soulignaient auparavant le caractère déséquilibré par son " exubérance " même, connaît une chute brutale de sa croissance : 1% en 2001, contre 5% en 2000. Cet atterrissage était attendu, il a surpris par son ampleur et sa rapidité. La globalisation des marchés et la financiarisation des économies accélèrent la transmission des chocs. Le Japon reste à une croissance "plate". Ces deux pays, à eux seuls, représentent 45 % du PIB mondial. La hausse des prix du pétrole porte aussi une responsabilité dans l'amputation de la croissance prévue. Malgré l'affaiblissement mondial, le cartel de l'OPEP a réussi à maintenir des prix élevés - trop élevés pour un bon équilibre global -, les marges des raffineries sont fortes et la baisse du cours externe de l'euro complète le panorama. Il nous faut à cet égard réinsister sur la notion d'équilibre durable entre producteurs de brut et consommateurs autour d'un prix de 20 à 25 $ le baril, et mettre en uvre à l'échelle européenne et mondiale des politiques d'économie d'énergie et de développement des énergies renouvelables. L'Europe est, elle aussi, atteinte. L'Allemagne, notre principal partenaire, l'est nettement. Par contrecoup, la France l'est aussi : la demande extérieure est moins forte.
Certes nous sommes moins touchés que d'autres : notre économie présente une solide capacité de résistance. Deux indicateurs clefs en témoignent : la consommation des ménages et l'investissement des entreprises. En ce qui concerne ce dernier, il pourrait connaître, malgré tout, une croissance d'environ 6 % en 2001. C'est moins qu'en 2000, mais autant qu'en 1998 et en 1999. L'ajustement constaté au premier trimestre 2001 ne devrait pas se répéter aussi brutalement au cours des trimestres suivants. La tendance des investissements reste orientée de façon positive.
La consommation des ménages, ce second moteur de notre croissance, reste dynamique. En mai 2001, les ventes des voitures ont dépassé les 200 000 véhicules, soit 10 000 de plus qu'en mai 2000. Considérée globalement, la demande des ménages a progressé de 1,3% au premier trimestre, en relation avec l'évolution des salaires et la baisse des impôts. En sens inverse, chacun aura noté que le moral des ménages a chuté depuis le pic d'optimisme atteint en janvier 2001 . Il reste cependant de 30 points supérieur à ce qu'il était en 1995. Dans la presse et les médias, les annonceurs ont réduit leurs achats, , indication généralement significative, mais il n'y a pas et il ne doit pas y avoir de crise de confiance.
Car il faut nous garder d'une erreur d'optique. Même si l'année 2001 est moins favorable que l'année 2000, marquée par des performances très élevées tant en termes d'activité que d'emplois, néanmoins la tendance générale reste positive, dans la continuité du redressement à l'uvre depuis 1997. Nos perspectives de croissance pour 2001 devraient se situer dans la fourchette basse de nos prévisions, à un taux plus proche de 2,7 % que de 3 %. Mais, d'une part, il est encore trop tôt pour fixer un chiffre certain. D'autre part, la France fait mieux que ses voisins : pour la 4ème année consécutive, notre performance sera supérieure à celle de l'Allemagne ; pour la première fois au 1er trimestre 2001, notre activité est plus soutenue qu'aux Pays-Bas.
La capacité de résistance de notre économie se traduit à travers deux autres éléments significatifs. L'inflation restera maîtrisée en 2001, mieux que chez la plupart de nos partenaires. Toutefois, le gouvernement reste attentif à tout signe d'accélération afin d'éviter de grignoter les gains de pouvoir d'achat. Dans cet esprit, nous devons veiller à ce que les règles de la concurrence fonctionnent de façon satisfaisante dans la grande distribution et -je l'ai dit- dans le secteur pétrolier. Concernant l'emploi, le chômage continue de diminuer, mais à un rythme moins fort que l'année passée. Cette tendance intervient au moment même - on le remarque trop rarement - où la population active augmente fortement : plus de 200 000 entrées nouvelles sur le marché du travail en un an. C'est dire si le gouvernement met en oeuvre une politique favorable à l'emploi, que nous avons la détermination de poursuivre.
2. Où en sommes-nous de l'exécution du budget 2001 ?
S'agissant des dépenses 2001 de l'Etat, nous avons annoncé une progression de 0,3 % en volume. Nous sommes déterminés à tenir cet objectif. L'augmentation constatée au premier trimestre correspond essentiellement à l'avancement de certaines dépenses en capital du budget de la Défense. Elles traduisent un meilleur lissage sectoriel et non un dérapage.
S'agissant des recettes, nous sommes globalement en ligne avec nos engagements. Si les recettes augmentent moins que dans le passé, c'est aussi la traduction du fait que les impôts ont été allégés. Quand les recettes de TIPP sont moindres qu'auparavant, c'est bien parce qu'il y a désormais un mécanisme fiscal de stabilisation. S'agissant de la TVA, n'oublions pas que nous avons réduit son taux de 20,6 % à 19,6 %. La baisse des impôts devrait être encore plus manifeste quand les Français recevront leur avis d'impôt sur le revenu 2000 : ils verront alors mieux la différence entre ce qu'ils devront payer et ce qu'ils auraient dû payer avant le plan triennal du gouvernement. De même pour la prime pour l'emploi qui sera versée comme prévu début septembre. J'avais dit, dès le mois de mars, que nous pourrions enregistrer des recettes inférieures à nos prévisions initiales. Cet aléa sera connu avec davantage de précisions en juillet. A ce moment là, comme je l'ai fait l'an dernier, je dirai ce qu'il en est précisément.
3. Dans ce contexte, quelles orientations budgétaires pour 2002 ? Elles seront, dans leur détail, rendues publiques en septembre lors de la discussion du PLF 2002. Le débat d'orientation budgétaire n'est pas le débat sur la loi de finances. Mais je veux dès à présent affirmer avec force notre choix central : nous maintiendrons le cap fixé depuis 1997, qui tient en trois éléments nécessaires pour développer l'emploi et la solidarité qui devront être jugés sur la durée de la législature : la maîtrise de la dépense publique ; la baisse des prélèvements ; la réduction des déficits.
Maîtrise de la dépense publique. Notre chiffre de progression des dépenses de l'Etat sera de 0,5 % en volume pour 2002. A l'échelle de la législature, cela représente une progression au total de 1,8 % en volume, c'est-à-dire l'équivalent de ce qui se faisait avant 1997 pour une seule année. Comment dès lors parler de laxisme ? Pas davantage ne convient-il d'évoquer des coupes qui seraient excessives : nous continuerons de financer nos priorités budgétaires, l'éducation, la sécurité, la justice, ainsi que l'environnement. Les budgets correspondant à ces secteurs prioritaires ont progressé de 14 % en valeur depuis 1997, progressions qui ont été rendues possibles par des dépenses nouvelles, mais aussi par des redéploiements internes, à hauteur de 25 à 30 milliards par ans. Soit une gestion à la fois maîtrisée et stratégique de la dépense publique. Ce dont témoigne également la démarche de contractualisation avec les ministères.
A ceux qui voudraient dépenser plus (au lieu de dépenser mieux), à ceux qui - constituant en réalité une sous-catégorie des premiers - prétendent dépenser au total moins tout en dépensant davantage sur plusieurs postes massifs, je souhaite rappeler qu' en préservant des fondamentaux sains, nous réunissons les conditions d'une croissance durable et créatrice d'emplois. Toute autre attitude ne pourrait donner que des résultats éphémères, puis entraîner une véritable dégradation. Si les dépenses dérapaient, les taux d'intérêts augmenteraient et l'activité serait rapidement freinée. L'emploi serait donc pénalisé. Ce n'est pas ce que nous voulons. C'est pourquoi aussi nous devons rester vigilants sur nos dépenses sociales. La bonne tenue actuelle des comptes de la sécurité sociale doit beaucoup à l'amélioration de la situation de l'emploi. Nous devons veiller à maîtriser nos dépenses d'assurance maladie. Nous devons faire face aux besoins en emplois des services publics mais ne pas alourdir nos dépenses d'une façon qui serait insupportable, d'autant plus que, à terme, il reste à mieux équilibrer le financement des retraites.
Ces remarques de bon sens sur la maîtrise des dépenses publiques s'appliquent également aux dépenses militaires. Une forte hausse des dépenses militaires, comme on l'envisage parfois, ne m'apparaîtrait personnellement ni nécessaire pour notre indispensable sécurité ni compatible avec nos équilibres économiques, avec notre priorité à l'emploi et avec les engagements financiers de la France.
Baisse des prélèvements également : le plan triennal 2001-2003 doit se traduire par une baisse de 120 milliards de francs d'impôts. En 2002 et même si on doit prendre beaucoup de précautions avec le concept de "prélèvements obligatoires", le taux global des prélèvements obligatoires devrait être de l'ordre d'environ 44,5 % contre 45,6 % en 1999. Le gouvernement s'est engagé sur un plan triennal d'allègement des impôts. L'Etat doit respecter sa parole. Le gouvernement précédent, pour avoir contredit les promesses de l'actuel Président sur ce point, avait été sanctionné par les Français. Autre aspect essentiel à garder à l'esprit : au moment où la conjoncture hésite, il faut soutenir le retour vers l'emploi, la consommation des ménages et la compétitivité des entreprises. Tel est l'objectif des baisses d'impôts qui interviendront en 2002. Dans les textes déjà votés ou proposés, les baisses prévues se décomposent de la façon suivante : 8,5 milliards supplémentaires pour la prime pour l'emploi (contribuant au retour vers l'emploi), 12 milliards pour la baisse des tranches de l'impôt sur le revenu (soutien à la consommation), 10 milliards pour la baisse du taux de l'impôt sur les Sociétés (soutien à la compétitivité de nos entreprises, notamment les plus petites). Concernant nos entreprises, la poursuite de la réforme de la taxe professionnelle en 2002 participe aussi de la politique de plein emploi. Augmenter les impôts alors même que les ménages et les entreprises ont besoin d'oxygène constituerait une erreur de pilotage économique et social. Ne la commettons pas.
Concernant la réduction des déficits, il s'agit aussi d'un choix fait depuis 4 ans. Depuis 1997, une réduction de 100 milliards du déficit pour l'Etat a en effet été opérée, là où la précédente majorité, tout en augmentant fortement les impôts, n'avait réduit le déficit que de 20 milliards. La réduction de la dette confirme notre gestion sérieuse : son poids dans le PIB devrait diminuer de près de 5 points d'ici 2002 par rapport à son niveau de 1997, alors qu'elle avait explosé lors de la précédente législature. Là encore, nous faisons le choix d'une croissance juste et durable. La logique de la croissance asphyxiée, des ménages assommés et des entreprises découragées a été celle de certains de nos prédécesseurs ; elle n'est pas et elle ne sera pas la nôtre.
Avant de conclure, quelques réponses à des critiques entendues ici ou là.
Le gouvernement manquerait de transparence, selon certains ? Je crois, avec Florence Parly, démontrer le contraire. Sur l'exécution du budget 2001, je souligne que nous avons transmis aux assemblées le décret d'avance ; ce qui ne s'était jamais fait. Très régulièrement, vous recevez les situations budgétaires : il n'y a donc plus de contestation possible, plus de débat sur la vraie ou fausse cagnotte. Fondamentalement, le soutien apporté par le gouvernement à la réforme de l'ordonnance de 1959 initiée dans cette Assemblée témoigne de notre volonté d'associer pleinement le Parlement aux travaux budgétaires. Il s'agit d'une démarche de transparence. Elle se poursuivra
Seconde critique parfois entendue : la solidarité serait insuffisante à l'égard des plus pauvres. Bien sûr, des progrès sont toujours à accomplir mais telle n'est pas la réalité. Notre approche est celle de la solidarité durable, elle passe par le soutien à l'emploi et au pouvoir d'achat plus que par des dépenses éphémères et non financées. Dès cet automne, les ménages les plus modestes, souvent non imposables, pourront le constater de façon tangible : beaucoup recevront un chèque au titre de la prime pour l'emploi ; d'autres verront, à la lecture de leur avis, que leur impôt sur le revenu a diminué. Au début de l'année prochaine, interviendra la seconde tranche de réforme des allocations logement. Plus globalement, la politique du gouvernement, même si - je le répète - des progrès sont toujours utiles, porte ses fruits en matière de rééquilibrage du partage de la valeur ajoutée : comme le montre la partie du document consacré à l'évolution de l'économie nationale que nous avons déposé au Parlement avec Florence Parly, 80 % des fruits de la croissance sont allés au travail depuis 1997. Peu remarqué, ce chiffre de 80 % traduit un choix clair en faveur des revenus du travail. Donc des choix de justice sociale et de solidarité active.
Ce choix ne peut s'accompagner d'une hausse massive des déficits, à laquelle nous appelleraient volontiers certains. Le déficit public, faut-il le souligner, doit toujours être remboursé. Il est souvent un vocable savant ou facile, pour désigner une hausse d'impôts supportés par les générations futures. Comme tous les pays de l'Union Européenne le savent, nous ne sommes pas dans une situation où un surcroit de croissance pourrait être assuré par une augmentation de la dépense publique. Loin d'une soumission à je ne sais quelle orthodoxie, l'augmentation massive des déficits, dans un pays qui comme le nôtre et malgré ses progrès comporte encore un déficit notable, outre son absence d'effet économique positif, serait le contraire même de la solidarité durable. Facilité plus inégalités, ce serait (prétendument au nom de la justice,) une manifestation de démagogie.
Une troisième critique, de sens inverse, appelle le même qualificatif : les économies réalisées, nous disent certains, seraient très insuffisantes. Je le redis avec force : oui à la maîtrise des comptes publics, non aux coupes sauvages dans les budgets des services publics. Nous avons besoin des services publics, hôpitaux, police, enseignement, etc. Au nom même des services rendus aux citoyens, de l'égalité indispensable, de la "compétitivité globale" de notre pays. Or, je constate parfois sur ce point une tendance à la schizophrénie : dans l'hémicycle, certains réclament moins de dépenses publiques ; mais dans leurs déplacements de pré-campagne, ils multiplient les promesses dépensières. Peut-être est-ce l'air du temps. Personnellement, je le récuse, et j'espère que vous le récuserez aussi.
Pour cette dernière année de la législature 1997/2002, le gouvernement de Lionel Jospin veut donc maintenir le cap de sa politique économique. Je vois dans cette attitude de constance et de cohérence la meilleure réponse que nous puissions apporter aux aléas de la conjoncture. Sachant que l'avenir de la croissance, en 2002 et au-delà, dépendra aussi d'une étape importante : le passage à l'Euro. Réussir ce passage tous ensemble nous permettra de consolider notre croissance économique. Le gouvernement s'emploiera avec vous à cet objectif : faire en sorte que l'Euro concret soit aussi un Euro facile. Le prochain budget vous sera présenté en euros. Il devra concilier, en euros et pour encourager l'emploi, la modernité, la solidarité et le sérieux.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, ma conclusion sera celle-ci.
Au moment de débattre de nos orientations budgétaires, je veux souligner combien la conjoncture est incertaine. Le ralentissement mondial est incontestable, mais la durée de cette évolution ne peut pas, à ce stade, être connue avec certitude. D'où une nécessité de sagesse.
Les discours, entendus ici ou là, et réputés définitifs, sur l'autonomie totale de la zone européenne par rapport aux États-Unis, au Japon, au reste du monde, sont pour une bonne part des songes creux. Globalisation plus financiarisation entraînent comme conséquence - même si on peut parfois le regretter - que les conjonctures sont "communicantes". Même si l'Europe a sa spécificité, renforcée utilement par la coordination de nos politiques économiques, les chiffres sont les chiffres. Nous résistons mieux que d'autres, mais nous sommes concernés avec les autres et par les autres.
Dans ce contexte, il est particulièrement important de garder le cap sur l'emploi et sur la solidarité, d'être responsables quant aux dépenses, de ne pas entrer dans je ne sais quel concours général de surenchère sous prétexte que les élections approchent, mais au contraire de poursuivre la modernisation solidaire de notre pays. C'est ainsi que nous servirons le mieux l'efficacité économique et la justice sociale.
C'est dans cet esprit que, ayant écouté vos réactions, propositions et observations, nous préparerons avec F. Parly et sous l'autorité de L. Jospin, la prochaine loi de Finances dont nous débattrons à l'automne.
(Source http://finances.gouv.fr, le 11 juin 2001)