Texte intégral
Monsieur le Directeur,
Mesdames, Messieurs,
Bonjour.
Je retrouve parmi vous quelques visages amis que j'ai eu l'occasion de rencontrer sur le terrain. C'est un plaisir pour moi d'être ici. Je m'en faisais un devoir. J'ai demandé il y a peu à Thierry SIMON qu'il m'en fournisse l'opportunité. C'est donc fait aujourd'hui.
Mes premiers mots seront d'abord pour remercier Thierry SIMON, le féliciter, lui dire combien je suis sensible au travail qu'il accomplit, à l'énergie qu'il ne cesse de déployer, à la qualité d'engagement de ses collaborateurs que j'ai rencontrés tout à l'heure. Je crois que nous faisons ensemble une bonne équipe.
Un engagement personnel de longue date
Je me fais une haute idée de la mission que nous accomplissons tous ensemble au service de notre pays. C'est aussi le résultat d'un choix de vie. Je crois utile de commencer par là. On ne se comprend pas vraiment quand on ne sait pas de quel bois sont faits les hommes et les femmes qui s'impliquent dans une cause. L'engagement international, peut-être en raison de mon âge, et donc des expériences politiques auxquelles j'ai été associé, a toujours représenté un fil conducteur et pour ainsi dire une constante naturelle de mon engagement personnel. Devenu ministre après avoir été sénateur pendant quatorze ans, et engagé de mille et une manières dans la vie publique depuis plus de 30 ans, j'ai donc voulu immédiatement comprendre ce qu'étaient le champ et les moyens dans lesquels s'inscrivait l'action du ministère de l'Éducation nationale en matière de relations internationales. L'action internationale n'est pas un ajout à mon identité politique. Je vous parle de mon identité politique parce que j'assume complètement la légitimité démocratique. Je suis un homme de gauche, membre d'un gouvernement de gauche, et j'ai l'intention de mettre en uvre une politique de gauche. Ceux qui n'en sont pas contents disposent d'un bulletin de vote pour en changer. D'ici là, comme c'est sa vocation, l'ensemble de l'outil étatique remplira sa mission qui est de servir et d'obéir.
L'identité républicaine des Français
Dans sa présence internationale, l'Éducation nationale ne propose pas qu'un savoir-faire ! Elle porte avec une identité nationale. Si divers, si mêlés qu'ils soient, les Français ne peuvent avoir d'autre patrie que la République, c'est-à-dire d'autre patrie qu'une sorte d'idéal, peut-être de rêve qu'ils font sur eux-mêmes, mais qui leur permet de vivre ensemble.
Quel que soit notre nombre, nous les Français, (60 millions, c'est peu de chose dans les multitudes humaines), nous sommes souvent plus grands que ce nombre. Nous sommes souvent vus dans la toute dimension de l'idéal dont nous sommes porteurs, par notre histoire, mais surtout par notre mode d'être : la force des idées peut devenir une force matérielle, vous le savez bien.
Et cette République entretient avec son école un lien intime, au point que l'on peut penser que c'est elle, l'école, qui en est le premier point d'appui. Elle est bien ce lieu où, sans cesse, se ressource, se reformule, se réorganise, se retrempe l'identité républicaine de notre patrie, dans cette recherche éperdue d'égalité, parfois différée mais toujours là. Nous devons être le seul peuple du monde où existe cette expression consacrée du langage ordinaire que l'on se jette à la figure : " Ah ! si tout le monde faisait pareil ! ". J'ai lu quelque part que cette expression est quasiment intraduisible. C'est comme ça ! Elle est dans nos " habitus " au sens bourdieusien du terme et c'est un point d'appui précieux.
La France, fort heureusement, s'est protégée des folies du différencialisme qui, toujours, s'abîme dans le communautarisme, et celui-ci dans des micro-nationalismes haineux et obscurantistes qui finissent, partout où ils prennent la main, dans la guerre civile. Ce n'est donc pas rien que nos compatriotes vivent dans cette idée d'eux-mêmes, à travers ce sentiment d'une égalité qui leur est due. Cela ne met pas toujours en jeu de grands motifs Par exemple, quand on répare (c'est l'élu local qui parle) le trottoir de gauche de l'Allée Danton, ceux de la rue Robespierre viennent et disent : " pourquoi pas nous ? ". On leur dit : " mais il est en très bon état ", et ils ne manquent pas d'ajouter : " oui, mais les autres l'ont eu ". Eh oui, c'est comme ça ! Un égalitarisme au quotidien est notre culture commune de base
Identité de notre école
De ces observations générales, nous pouvons déduire des motifs d'inspiration pour le présent. Je l'ai dit : la forme de l'organisation d'un système d'enseignement n'est jamais neutre politiquement. S'il faut prendre des exemples extrêmes, notamment en matière d'Enseignement professionnel, on peut comparer le lamentable système des Anglais avec le nôtre. Non seulement pour constater le désastre sur lequel débouche le premier, par comparaison aux réussites du second, mais également pour les logiques qu'il inspire.
Dans l'Enseignement professionnel, on voit tout de suite la différence : d'un côté (anglais), des clubs d'actionnaires qui délivrent des certificats de compétence validés à l'intérieur d'un groupe des entreprises ; de l'autre, le système français de diplôme à valeur nationale. Notre modèle prépare ce que j'ai appelé " la professionnalisation durable ". Ce modèle repose sur l'idée que les métiers de notre époque sont des " sciences pratiques " - science et pratique - c'est-à-dire qu'ils requièrent un haut niveau de savoirs fondamentaux et un haut niveau de savoirs techniques, à chaque niveau de qualification. Et c'est bien comme tels qu'ils sont enseignés dans nos lycées, dans nos universités. Dès lors, on place chaque citoyen en capacité d'accompagner les mutations inévitables de la production qu'il serait ridicule de vouloir repousser. On lui assure une réelle garantie, un réel droit à la sécurité individuelle face à la mutation.
Ce contexte brièvement rappelé montre comment les mêmes mots peuvent vouloir dire des choses complètement opposées. Mieux vaut s'en tenir d'ailleurs à un lexique fermement assuré. " L'adaptabilité " par exemple : qui est assez stupide pour être contre l'adaptabilité des travailleurs ? Personne. Les travailleurs eux-mêmes ont le goût du travail bien fait, ils aiment mettre en uvre leurs capacités professionnelles les meilleures. Mais si " l'adaptabilité " signifie que, sous prétexte d'évolution rapide des techniques, on délivre, à la sauce anglaise, ou à la sauce UIMM, ce qui est la même chose, des certificats de compétence, validant une technique professionnelle jusqu'à épuisement de sa productivité, et qu'une autre vienne la remplacer, l'alternative est simple : soit le travailleur a assimilé les nouvelles compétences, soit il est détruit avec la machine qu'il maniait.
On voit toute la différence des systèmes. Déjà on peut repérer ce qui est notre force : le système français est un des meilleurs système du monde. Je pense en fait que c'est le meilleur. En tout cas, lorsqu'en Europe on parle de mettre en place le système de l'enseignement tout au long de la vie, et qu'on glose à perte de vue sur ce sujet, nous, nous savons de quoi nous parlons. Parce que ce système existe chez nous. Bien plus, nous avons en France le seul système éducatif global d'Europe : nous avons la formation initiale, la formation continue et maintenant le système de la validation des acquis de l'expérience. Nous disposons de tous les outils qui permettent de concevoir, de transmettre, de perfectionner, et même d'extraire de l'école, le système de certifications des qualifications. Il s'agit bien sûr de ne pas prendre prétexte de la formation continue pour imaginer faire des économies sur la formation initiale ; de ne pas prendre prétexte de la validation des acquis de l'expérience pour écraser les investissements dans la formation continue et dans la formation initiale. Il faut que chacun de ces outils se déploie complètement : c'est ainsi que fonctionne et que pourra fonctionner en pleine efficacité le système français.
Je ne vais pas plus avant. J'ai eu l'occasion de développer chacun de ces points de ma pensée, qui est celle du gouvernement sur le sujet, avec parfois pour conséquences qu'elle donne lieu à des polémiques. Je les crois toujours stimulantes, pour notre système éducatif
Contrairement à la perception dominante des années 70, dans un autre ordre d'organisation et de division du travail, le champ de la professionnalisation ne peut plus être pensé comme un champ dans lequel l'espace culturel, l'espace des savoirs se rétrécirait pour aboutir à une spécialisation étroite et mutilante. C'est tout le contraire. Le champ de la professionnalisation est aujourd'hui celui dans lequel s'élargit l'espace culturel des savoirs et de la construction de soi, dont je rappelle qu'elle fait partie des objectifs de l'école.
Les universitaires en conviennent, j'en suis heureux. J'ai pu le constater lors du colloque sur la professionnalisation de Paris-Sud ou à l'Université de Toulouse Le Mirail. C'est une idée qui fait bien son chemin. La création des licences professionnelles l'a illustrée dans l'enseignement supérieur. L'énergie et les moyens que nous déployons dans l'enseignement secondaire pour perfectionner notre système d'Enseignement professionnel en attestent.
On voit le lien qu'il y a entre cette manière de penser et de vivre l'Enseignement professionnel et l'idéal républicain émanciapteur qui est le nôtre. Je veux souligner l'importance de ce point. Je le rappelle pour ceux qui l'auraient oublié ou qui ne le savent pas : la moitié de chaque classe d'âge de jeunes Français est scolarisée dans l'Enseignement professionnel ; la moitié des bacheliers de notre pays viennent de l'enseignement technologique et professionnel ; et, autre donnée importante, plus de 60 % de la population active de notre pays est composée d'employés, d'ouvriers et de salariés des professions intermédiaires qui, tous, dans l'exercice quotidien de leur vie professionnelle, font appel à ces savoirs fondamentaux et ces savoirs techniques que j'ai évoqués tout à l'heure. Là est notre responsabilité.
Les Français ne sont que 60 millions, ils ne peuvent pas avoir d'autre investissement de puissance que celui de l'intelligence. C'est ce qui fait notre force. D'ailleurs, nous ne sommes pas surpris quand le sommet européen de Lisbonne décrit les savoirs et les connaissances comme la ressource stratégique du modèle de développement du Vieux Continent. Cela nous va ; nous ne craignons rien ; c'est bien notre terrain. C'est comme cela que nous sommes perçus de l'étranger. Comment faisons-nous, 60 millions de batailleurs jamais d'accord sur rien, champions du monde de l'auto-dénigrement et de l'auto-flagellation, pour être la 4e puissance économique du monde, le deuxième pays exportateur ? Comment, sinon en étant aussi le pays du meilleur rapport au monde entre le nombre d'années d'études, les niveaux de qualification atteints, et les gains de productivité. Tout cela se fabrique bien quelque part. Il faut bien qu'il y ait des enseignants qui enseignent et des jeunes qui étudient ! L'Éducation nationale a bien rempli sa mission pour le pays. Voilà ses résultats. Certes j'écoute tout ce qu'on me dit avec beaucoup d'intérêt : il faut se perfectionner, il faut avoir l'esprit critique mais enfin, au bout du compte, le résultat est là : notre système éducatif est un des plus performants du monde.
La valeur " travail " au cur des enjeux
Une fois posées ces observations générales, on s'aperçoit qu'il y a là un contenu politique précieux à défendre et à développer. L'Enseignement professionnel est au carrefour du monde de l'éducation et du travail. Il est donc au cur de ce que va être la " valeur travail " dans une société. Quand je dis la " valeur travail ", je le dis en matérialiste que je suis. Je vous ramène au vocabulaire courant : on parle du " marché du travail ". Bien sûr, on le sait, le travail n'est pas qu'un " marché ". Nous savons bien quelles relations sociales, culturelles, "civilisationnelles" se construisent autour du travail, n'en déplaise à ceux qui avaient pronostiqué la fin du travail et l'avènement du virtuel qui devait nous émanciper du réel. Peut-être quelques-uns d'entre vous se souviennent-ils des quolibets dont j'ai été accablé pour avoir dit, à temps, quelle illusion meurtrière seraient les logorrhées sur la net économie. Non que je conteste le rôle que joue déjà l'informatique dans les processus de production. Si on ne le sait pas dans l'Enseignement professionnel, où diable le saura-t-on ? Mais nous savons précisément que c'est une modification du processus de production, pas son annulation. C'est au contraire son enrichissement en contenu de savoirs. On n'est pas près d'être émancipé du réel !
Si vous êtes d'accord pour parler de " marché du travail ", alors il faut bien convenir que le travail est une " marchandise ". Comme nous le savons depuis saint Augustin (pardon d'invoquer une telle autorité dans un haut lieu de la laïcité, à laquelle je suis attaché) ou Karl Marx, le travail en tant que marchandise se présente donc sous le double aspect d'une valeur d'usage et d'une valeur d'échange comme toutes les marchandises. L'Éducation nationale, si elle veut contribuer à l'élévation, non seulement des individus, mais également de leur capacité sociale à négocier la valeur travail, doit travailler d'abord à élever la valeur d'usage de cette " marchandise ". Élever la valeur d'usage, cela veut dire enrichir sans cesse le contenu des enseignements, les porter à la pointe de la perfection technique. Nous y sommes strictement obligés. Dans l'Enseignement professionnel, on ne peut pas mentir : quand vous avez fini votre parcours, vous savez faire ou vous ne savez pas faire ; vous êtes capable de manier la machine, vous êtes capable d'organiser le processus de production ou non. On ne peut pas, là, être dans l'approximation. Évidemment, ce que je dis n'a de sens que dans le cadre de la " professionnalisation durable ", d'où l'importance de nos efforts et de nos réussites dans ce domaine. Ils sont reconnus à l'étranger. C'est un signe fort. Mesurons-le rapidement.
Car c'est bien en raison de la réussite de notre système qu'on se tourne vers nous. Au plan international, nous battons les Anglais (ce qui n'est pas difficile) et les Allemands dans l'offre d'ingénierie de la formation en Chine pour les métiers de l'environnement, pour les métiers de l'automobile, pour les métiers de la mode qui sont aussi des métiers techniques.
C'est bien en raison des réussites de notre système qu'on se tourne vers nous lorsqu'il s'agit de réorganiser le système des Instituts Universitaires Technologiques au Venezuela, au Mexique
C'est vers nous que se tournent tant de pays aux économies avancées. Je pense par exemple à notre coopération avec le Brésil. Le Brésil est la 10e puissance économique du monde ; il y a une industrie automobile, une industrie aéronautique, des industries à haute valeur ajoutée. Je n'ai évoqué tous ces exemples que pour faire vérifier par notre rayonnement international notre capacité à tenir l'objectif de faire fonctionner une machine à produire une haute valeur d'usage des formations professionnelles. Voilà pour la valeur d'usage.
Après il y a la valeur d'échange.
La valeur d'échange est un rapport de force social. Mais dans un pays civilisé, il entre dans des règles reconnues par tous. Ce sont les conventions collectives (c'est du domaine du contrat), et la loi garantit la valeur nationale des diplômes. Voilà décrite la fonction sociale du " diplôme ". C'est la garantie de " la bonne monnaie ", battue et certifiée par l'État, garantie de la liberté des individus qui, porteurs d'un diplôme, peuvent choisir à qui ils s'adressent pour offrir leur capacité à travailler. Dans l'ordre du monde actuel, de tels concepts, leur mise en uvre quotidienne, retentissent partout comme des symboles de la liberté et de l'égalité. Vous voyez, des choses banales et ordinaires au prime abord ne le sont, en fait, pas. Elles représentent un parti pris social. Ce parti pris se confond avec notre identité républicaine. Cette partie se joue aussi dans l'arène internationale. Au séminaire européen de Biarritz, j'ai affirmé que la France entendait garder fermement des objectifs éducatifs qualitatifs et chaque élément de son dispositif : formation initiale, formation continue, validation des acquis de l'expérience. J'ai affirmé que l'on ne ferait pas des économies sur un élément du dispositif (la formation initiale par exemple) en reportant les investissements dans la phase suivante. D'aucuns m'ont dit que j'exagérais, que je faisais des procès d'intention. L'actualité s'est chargée de montrer qu'en la circonstance, c'était plutôt vigilance et prévention. En effet, aussitôt après, l'UIMM s'est empressée de déclarer que grâce à la validation des acquis de l'expérience on allait pouvoir faire des économies sur la formation initiale. Et c'est d'ailleurs la même UIMM qui défend le principe des certificats de compétence ! Il va sans dire que nous y sommes totalement et radicalement opposés.
Sur le territoire de la République, nous faisons ce qu'il faut pour que nos dispositifs ne puissent pas être pris en défaut. C'est ce qui vous explique le travail que j'ai engagé pour réinstaller les Certificats d'Aptitude Professionnelle (CAP) dans les lycées professionnels, pour rénover leur contenu, de sorte qu'il soit bien établi que le premier niveau de qualification professionnel certifié par l'État, c'est le CAP.
Dimension internationale de ces enjeux
Au niveau européen, la DRIC est mobilisée, baïonnette au canon, texte après texte, pour que les réussites de notre système éducatif puissent être mis en partage avec tous les Européens. Certes, l'éducation n'est pas de compétence communautaire, mais on voit bien qu'un processus d'intégration est engagé. Nous avons décidé de ne pas rester une main en arrière. Nous marchons devant, conformément à notre tradition nationale. Je n'ai pas peur qu'on dise de moi que je suis l'incarnation ambulante de l'arrogance française. Si ce n'est pas moi qui me charge de dire que nous sommes les meilleurs, ce n'est sûrement pas les autres qui le feront. Et quand on est allant, fier de son pays, conscient de ses réussites, quand on a quelque chose à dire, il arrive que d'autres s'accrochent à ces idées pour mettre une ligne d'arrêt à la contagion invraisemblable des trouvailles délirantes des Anglo-Saxons que tout le monde subit le reste du temps avec résignation.
Quand on tient bon, quand on résiste, aussitôt, les énergies, les courages se rallument. La DRIC y veille : il n'y a pas une arène où on ne mène la bataille. Par exemple lorsque nous recevons les ministres de l'Éducation de l'OCDE. Auparavant, les Français faisaient la politique de la chaise vide. Nous avons décidé de changer d'attitude : pour le malheur des psalmodiateurs de la pensée dogmatique anglo-saxonne, nous sommes revenus Et nous avons renégocié de la première à la dernière page tout le cahier des charges de la prochaine enquête de l'OCDE, infesté de concepts " anglo-saxons " absolument inopérants. Ainsi nous avons obtenu qu'on parle une langue plus simple et moins brutale en matière d'éducation. De même, le communiqué final de l'OCDE devait bien convenir aux Français, ou n'être pas signé par eux. Si les Français ne veulent pas signer, ils ne signent pas, et ils peuvent même faire des communiqués pour expliquer pourquoi. Ainsi nous avons créé une ambiance de travail plus attentive à nos thèses.
En tout, il faut aller de l'avant. C'est pourquoi j'ai confié à Georges ASSERAF une mission et la DRIC lui apporte son aide. Il s'agit pour nous de faire ce qui est réputé à peu près impossible pour l'instant : des diplômes européens. Nous allons l'entreprendre dans le domaine de l'Enseignement professionnel : nous y parlons une langue universelle, la langue des techniques.
Nous avons une tradition de travail avec l'entreprise qui se matérialise par les Commissions Professionnelles Consultatives (CPC), qui réunissent nos inspecteurs généraux, les syndicats d'enseignants et les professionnels de l'entreprise qui, ensemble, définissent les référentiels de nos diplômes. Vous savez qu'il n'y a aucune espèce de fermeture de la part de l'Éducation nationale à l'égard de l'entreprise. Nous voulons ce qu'il y a de mieux dans nos diplômes, ce qui se fait de mieux en matière technique. Nous disons souvent au patronat : " si vous êtes capables de nous dire la qualification professionnelle supplémentaire, la qualification technique supplémentaire dont vous avez besoin pour l'année prochaine, séance tenante nous organisons la formation complémentaire d'initiative locale qui va venir en complément du diplôme professionnel que nous enseignons. " Nous pouvons le faire puisque nos diplômes, conformément au concept de " professionnalisation durable ", ont un large contenu transversal.
Avec ce système, nous avons un point d'appui pour aborder notre action internationale. Je veux que l'on arrive en Europe à produire ne serait-ce qu'un diplôme professionnel commun. Que ce soit un CAP, un BTS, un bac pro, ce que l'on voudra, du moment que l'on ouvre la brèche. C'est le but de la mission confiée à Georges ASSERAF.
Il faudra donc élaborer des référentiels communs c'est-à-dire qu'il faudra donc discuter de ce que l'on met dans les diplômes, quels sont les savoirs techniques requis. Quand on aura défini les savoirs techniques, on aura forcément définis les savoirs fondamentaux qui y sont inclus ou qui leur sont préalables. Car j'espère qu'il n'y a pas une personne dans cette salle qui croit que les métiers, " sciences pratiques " de notre époque, sont simplement " des tours de main ", " des habiletés ". Les jeunes chaudronniers que j'ai vus hier encore, qui font tourner une machine à commande numérique, ils font de la géométrie descriptive appliquée (on faisait ça en math élem' autrefois). Quand on fait un traçage sur une feuille de métal, non seulement on doit avoir en tête la géométrie descriptive, mais encore on doit être capable de la poser en acte : du plan aux 3D. C'est un haut niveau de mathématiques appliquées qui est ici demandé, et il est enseigné en bac pro.
Oui, il y a un certain rapport entre les savoirs abstraits, les lois générales et les savoir-faire. Précisément, ce rapport, cela s'appelle les " lumières " : extraire de la coutume ou du fait inexplicable la loi universelle à l'uvre.
Nous avons fait cette expérience à la Martinique, à l'occasion d'un PPCP (j'espère que vous savez tous de quoi il retourne), centré sur la fabrication d'un petit bateau traditionnel, le gommier, dont on ne savait plus comment on le fabriquait. Nos enseignants, professeurs de mathématiques, professeurs de lettres, professeurs de résistances des matériaux, à partir de l'étude d'un de ces objets fabriqués de manière coutumière, ont tiré les lois générales de physique, de géométrie mise en uvre dans cette fabrication
Je répète : je sais donc bien qu'à partir du moment où nous aurons commencé la discussion sur les référentiels, nous commencerons de fait la discussion sur les savoirs techniques, et par là même sur les savoirs fondamentaux inclus. Dès lors, nous aurons commencé à instiller le goût de la monnaie diplômante française à l'échelle européenne. Vous imaginez bien ce que pèseront alors les 3500 dérisoires petits Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) sur lesquels s'arc-boutent prétentieusement certains de ceux qu'on appelle les partenaires sociaux avec une grande d'arrogance à l'égard de l'Éducation nationale dont c'est pourtant le métier et la mission d'enseigner et de transmettre les savoirs pour le compte de la Nation.
Voyez l'importance pour la France de la mission de Georges ASSERAF quant à la méthode, mais aussi pour son rayonnement, car depuis la conférence des ministres de l'Éducation d'Amérique latine et d'Europe, les pays d'Amérique latine sont demandeurs d'associations aux initiatives européennes. Si nous créons un diplôme européen, dans l'une des branches choisies, cette monnaie diplômante européenne sera sans doute immédiatement transférée en Amérique latine.
Dès lors, notre mission de coopération est d'importance. C'est pourquoi j'ai demandé à William DOMINGO de recenser les actions de coopération qui sont menées dans l'Enseignement professionnel secondaire et supérieur, ce qui n'a jamais été fait, de manière à tracer des lignes d'action pour le futur, et à développer une aptitude française appréciée dans le monde entier.
Vous savez très bien qui nous formons : l'ouvrier qualifié, le cadre intermédiaire et comme l'a dit un patron d'une multinationale, les prescripteurs d'ordre sur le choix des machines, sur le choix des fournitures, sur le choix des normes. Cette mission DOMINGO travaille directement dans la DRIC avec l'aide, l'appui de cette direction.
Avec ces deux exemples de la stratégie d'ensemble, j'espère avoir fait sentir que l'action internationale n'est pas, comme je le disais tout à l'heure, un supplément d'âme, une espèce d'inclination qu'aurait le ministre compte tenu de ses préoccupations exotiques ou de son goût pour l'exotisme. Je crois que nous sommes vraiment au cur des enjeux de notre époque, et que c'est notre devoir d'être sur la ligne de front.
L'éducation est un métier mais aussi une cause
Vous le savez aussi bien que moi : dans le concert général des doutes que les serviteurs de l'État ont eus, et ont encore, depuis qu'a déferlé sur le monde et les esprits l'idéologie libérale, l'École a été conduite souvent à douter d'elle-même. Mais il est vrai que c'était la ligne de front de ces 25 interminables années de crise et de chômage de masse. C'est quand même à l'école qu'on a, génération après génération, relevé les blessés, les cassés, les détruits, les victimes enfantines de ce chômage de masse des parents. Aujourd'hui, on voit les gens s'étonner " ah ! comment est-ce possible, des jeunes de 10 ans, de 12 ans qui ont des comportements pareils ? ". Faites le compte à rebours et demandez-vous où on était il y a 10 ou 12 ans sur le plan social. Voilà ! vous avez sous les yeux les plaies et les cicatrices de cette période
Au plan des idées et de la perception de soi, c'est vrai que le doute a beaucoup atteint une profession dans laquelle il est difficile de s'exprimer complètement et d'épanouir ses talents si l'on a pas, aussi, une certaine idée de la place que l'on occupe par rapport à l'ensemble de la vie nationale. Le métier d'enseignant, les métiers qui sont autour de l'enseignement, ne s'exercent pas comme une simple tâche technique que l'on exécute parmi d'autres. De fait, la matière première ce sont des jeunes esprits. Il est impossible de les regarder sans avoir tout aussitôt besoin de faire appel à une certaine conception du développement humain.
On a beaucoup douté de soi. Est-ce que, au fond, par rapport à l'idéal égalitaire qui est celui de l'école, le chacun pour soi ne serait pas la logique qui, pour finir, tirerait le mieux les sociétés, finirait-on par se demander. Je me rappelle un débat avec monsieur Madelin. Il m'expliquait que depuis que le monde est monde, c'est la compétition qui fait avancer. Moi, je dis que depuis que le monde est monde, c'est la solidarité qui, au contraire, permet à la société humaine de se construire : solidarité du couple, solidarité de la famille, solidarité clanique, tribale, et puis, dans les formes avancées, la solidarité civique. Mais qui avait raison dans cette confrontation ? Beaucoup ont douté. Est-ce que le service public, est-ce que l'État ne serait pas un immense parasite, pompant, avec la dépense publique, la substance et l'énergie de la nation ? On nous le répétait tous les jours. Les enseignants n'étaient-ils pas fondamentalement incapables de s'adapter, perclus qu'ils seraient d'arthrose corporative ? On a douté.
Dans ce moment de doute, j'ai remarqué que les courants pédagogiques qui, autrefois, étaient extrêmement vifs, entretenant les débats dans cette profession, s'étaient épuisés, et en tout cas ne tenaient plus le devant de la scène. Bien sûr on a eu d'autres débats, par exemple entre le disciplinaire et le pédagogique Personnellement, je ne l'ai pas bien compris. Peut-être parce que je suis ministre de l'Enseignement professionnel, et que dans l'Enseignement professionnel on ne distingue pas le savoir du savoir-faire. L'un ne va pas sans l'autre. À quoi servirait la géométrie descriptive si, à la fin, on ne finissait pas, par exemple, par plier les feuilles de métal ?
J'ai remarqué que dans cet épuisement du souffle et de l'inspiration, néanmoins, ce qui faisait le mieux et le plus souvent se mobiliser les enseignants, l'une, sur le terrain, c'est l'action de coopération nord/sud, et en particulier dans l'Enseignement professionnel. De nombreux enseignants trouvent dans la pensée du rapport nord/sud un aliment pédagogique pour l'entraînement, l'élévation intellectuelle de leurs élèves. Ils sont alors prêts, là, à consommer des heures de travail supplémentaires non payées, du travail avec les jeunes, à revenir le samedi parfois, le dimanche même, avec enthousiasme dans cette espèce de foi ardente dont on dit qu'elle était celle de nos hussards noirs fondateurs. Notre maison est toujours disponible pour l'enthousiasme. Je l'ai vu mille et une fois. À condition qu'on donne des motifs d'enthousiasme. Et qu'on n'aille pas continuellement s'abandonner à la discussion sur les structures et les moyens en oubliant celle sur les finalités de l'école. Il importe de parler la seule langue qui soit écoutable dans l'Éducation nationale qui rappelle la mission fondamentale de l'école qu'est l'émancipation. Tout le reste concerne les moyens. L'émancipation de la personne humaine, voilà ce qu'on fait à l'Éducation nationale.
Je pense qu'il faut que nous nous appuyions sur cet enthousiasme et cet intérêt. D'abord parce qu'il est conforme à l'identité française. Il est bon que les jeunes Français apprennent à se penser dans leur relation au monde. C'est une bonne chose, et non pas un divertissement. Donc il nous faut encourager - je crois que c'est votre rôle - les courants pédagogiques, la discussion sur les pédagogies qui tournent autour de ces pratiques de coopération internationale nord/sud. Évidemment la question des actions nord/sud ne se résume pas à la coopération internationale. Mais là nous avons de la matière première. J'attends qu'on la développe, et qu'en pratiquant la méthode de " l'échange des bonnes pratiques ", on vienne à généraliser ce qui est le plus performant. Pas seulement dans les réalisations, mais aussi dans la méthode pédagogique, parce que c'est d'abord ça qui nous intéresse.
Nous utiliserons le site du ministère, en l'occurrence celui de l'Enseignement professionnel, pour mettre en scène ces bonnes pratiques et ces innovations pédagogiques. Dès lors, nous pouvons espérer voir surgir de véritables projets académiques qui commencent par rendre intelligible ce qui se fait, qui le donnent à voir aux décideurs et aux autres. Ainsi tous ceux qui regardent l'Éducation nationale doivent découvrir quel extraordinaire gisement d'action novatrice est là. Quand on dit que l'Éducation nationale est le premier opérateur de politique étrangère de la France, ce n'est pas seulement vrai pour les masses financières qui sont engagées, mais c'est surtout vrai parce qu'il n'y a pas d'autre intervenant aussi puissant, aussi diffuseur que l'Éducation nationale et ses pratiques de terrain. C'est donc notre devoir, mes amis, de mettre tout cela en scène, pour qu'on puisse l'élargir, l'approfondir, le démultiplier, en imprégner le système tout entier. C'est aussi votre mission.
Je ne finirai pas sans d'abord renouveler à Thierry SIMON et à son équipe toutes les marques de ma confiance, de mon estime, et à certains égards de mon admiration. Ce n'est pas facile de mener l'action internationale et de coopération quand on a le sentiment que beaucoup d'autorités s'en désintéressent. J'imagine que dans les académies ce ne doit pas non plus être très facile. Donnez à voir à tous ceux qui sont autour de nous qu'il est possible de faire avancer, de faire progresser toute une société, quand on fait l'investissement en connaissance, quand on fait l'investissement du savoir pour tous.
C'est le sens de votre métier, c'est le sens de votre mission et de la mienne. Ce sont ces enjeux-là que les Français veulent porter haut, à la gloire de leur patrie. Je veux vous remercier, enfin, parce que je sais que vous êtes les hussards à l'intérieur de la maison des hussards.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr)