Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations unies, Cher Philippe Douste-Blazy,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs généraux,
Mesdames et Messieurs les Représentants de la société civile,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Nous sommes réunis ici parce que nous sommes habités par une même question : voulons-nous continuer de parler indéfiniment des Objectifs du Millénaire pour le développement ? Ou voulons-nous pouvoir parler un jour des "réalisations" du millénaire ?
Nous sommes ici réunis parce que nous partageons tous une même conviction, que le Secrétaire général au passage a mentionné : on peut changer le monde à force de volonté, de volonté sans relâche déployée, et avec de l'imagination !
Les financements innovants ont fait leurs preuves. Ils n'en sont plus à la phase d'expérimentation. Ils ont déjà permis de dégager plus de 2 milliards de dollars depuis trois ans.
Mais les besoins de financement restent immenses : pour assurer l'éducation primaire de tous, pour améliorer la santé maternelle, lutter contre la faim, les grandes pandémies, garantir un développement respectueux de l'environnement... Nous savons que 175 milliards de dollars sont nécessaires chaque année, au niveau mondial, pour financer l'atténuation climatique. Nous savons tous que 35 milliards de dollars sont nécessaires pour atteindre les Objectifs du Millénaire uniquement dans le secteur de la santé.
Ces besoins ne sont pas couverts par les financements classiques. La période est à la difficulté, nous le savons, il nous faut donc faire preuve d'imagination, en profitant, si j'ose dire, de cette période de difficultés qui frappe nos pays cruellement.
Il faut changer de vision aujourd'hui : face à la crise financière, c'est notre intérêt de compléter les flux d'aide traditionnels qui ont pourtant atteint le niveau record en 2008 de 119 milliards de dollars. Il nous faut pouvoir aussi tirer partie de l'interdépendance croissante du monde, de cette mondialisation, de cette globalisation que certains redoutent, que certains espèrent, et il est donc de notre intérêt de mutualiser les ressources des Etats et des acteurs privés.
Les financements innovants sont indispensables. Ma conviction, c'est que nous devons partir à la conquête de nouveaux acteurs, de nouveaux secteurs, et de nouveaux instruments.
Il faut que des Etats, toujours plus nombreux nous rejoignent, sur des initiatives comme la taxe sur les billets d'avion. Cette innovation est déjà mise en place, de façon fructueuse, dans 13 pays. Elle permet d'assurer le traitement pédiatrique du VIH Sida de 100.000 enfants par an à travers les programmes d'UNITAID, merci Philippe. C'est très bien, mais évidemment ce n'est pas suffisant.
Il nous faut aussi partir à la conquête de nouveaux secteurs. Rappelons-le, les financements innovants se sont, jusqu'à présent, concentrés sur des objectifs en matière de santé, je ne le critique pas et c'est d'ailleurs un grand succès ! Mais, cela doit nous encourager à élargir le champ d'action, en direction notamment de l'éducation et du changement climatique.
Il faut partir à la conquête de nouveaux mécanismes, qui fassent intervenir les pays du Nord comme les pays du Sud. La crise financière, je le répète, nous en donne paradoxalement l'occasion qui ébranle les certitudes! Dans ce contexte, les financements innovants peuvent aussi contribuer à une meilleure régulation de cette économie. Ils sont un outil précieux dans la mondialisation, une mondialisation qui, on l'a souvent dit, serait plus juste et plus humaine. La France, pionnière dans la création de nombreux instruments innovants, veut aujourd'hui continuer à proposer à ses partenaires de nouvelles ambitions au service des plus pauvres. Il demeure impératif de convaincre de l'utilité des financements innovants et de réfléchir à des mécanismes adaptés aux besoins du monde, de ce monde en développement, fondés sur un principe de rationalité économique. Ces deux mondes ne sont pas contradictoires : développement et rationalité économique. Il nous faut aujourd'hui nourrir une réflexion courageuse et ambitieuse qui puisse aboutir à tirer le meilleur bénéfice de l'interdépendance financière croissante des marchés internationaux.
La future présidence chilienne du Groupe pilote, que je salue ici, a donc devant elle un chantier impressionnant ! Elle arrivera à un moment décisif, marqué par le refus de la résignation.
La nécessité du changement d'échelle, comme l'on dit dans le langage de l'ONU, en matière de financements innovants est désormais à l'agenda, cela aussi c'est une expression des Nations unies, de la communauté internationale. Il a été reconnu par les Nations unies lors de la Conférence de Doha. Il a été reconnu par l'Union européenne à travers les dernières conclusions du Conseil. Il faut maintenant agir.
Je voudrais en ce sens vous inviter dans les heures, dans les jours, dans les mois qui suivent, nous inviter collectivement, à concrétiser notre engagement à travers plusieurs décisions. Parce qu'on ne peut se satisfaire d'objectifs, si généreux soient-ils. C'est le rôle du Groupe pilote que de mobiliser la communauté internationale sur ces enjeux ; c'est également notre devoir, me semble-t-il, de leur donner un débouché en prenant des décisions.
Ces engagements concrets, quels sont-ils ? La liste n'en est pas exhaustive :
- Premièrement, que chacun des pays membres mette en oeuvre dans l'année qui vient un mécanisme de financement innovant, dans la palette des mécanismes qui seront proposés durant ces deux jours de travail. Et merci de nous avoir accueilli, Monsieur le Secrétaire général ;
- Deuxièmement, que les initiatives existantes soient investies par de nouveaux pays, pour augmenter les ressources en faveur du développement et les projets ne manquent pas, j'ai parlé de la taxe sur les billets d'avion finançant UNITAID, de l'IFFIm, du mécanisme dit "D.tax", des contributions volontaires de solidarité mises en place par la Fondation du Millénaire, des "Advanced Market Commitments"...
- Troisièmement, que nous prolongions notre travail sur la lutte contre l'évasion fiscale, qui prive les pays en développement de ressources considérables, comme le Groupe pilote s'en est fait l'écho depuis la présidence norvégienne et je le remercie pour cela ;
- Quatrièmement, que nous précisions la nécessité de réduire les coûts des transferts des migrants et favorisions leur utilisation la plus efficace possible. Ne croyez pas que les financements innovants se passent des prises de position politique, ils sont directement au coeur de la politique. Si l'on parle de la nécessité de réduire ou de faire disparaître les paradis fiscaux, si l'on parle des migrations, c'est parce que nous en avons absolument besoin. Si nous ne traitons pas ces sujets, nous serions très superficiels et nous le resterions ;
- Cinquième point, qu'un débat soit amorcé sur le changement climatique et en particulier l'affectation, sur une base volontaire, d'une partie du revenu des enchères de crédits carbone au développement. On ne comprendrait pas pourquoi nous voulons, - et nous arriverons, nous parviendrons - à réduire les émissions de gaz à effet de serre et que nous n'en ferions pas profiter les pays qui en ont le plus besoin ;
- enfin à titre personnel je souhaite, devant le succès des mécanismes innovants de taxation, que le Groupe pilote réfléchisse à de nouvelles formes de contributions, probablement sur une base volontaire dans un premier temps. Ces projets de taxe, comme celle sur les transactions non pas monétaires mais financières, supposent une adhésion large et ne seront efficaces que si plusieurs Etats et évidemment ceux au sein desquels circulent les principales monnaies décident, de manière coordonnée, de les mettre en place, sur la totalité des marchés. Et pour cela, il faut convaincre les banques et leurs clients et la tâche est immense. J'ai déjà proposé cela de nombreuses fois et à chaque fois tous les ministres des finances ont dit : "ce n'est pas possible", eh ben moi je vous le dis : "rien n'est impossible !" Rien, surtout pas cela parce que vous savez tous très bien que l'on finira par y arriver, vous savez tous très bien qu'un jour, même si cela commence de façon volontaire comme ont commencé, par exemple, les fonds éthiques, à un moment donné les banques le proposant à leurs clients, une infime partie des transactions financières pourra être dégagée pour le développement. Je vous engage et notre pays, la France, est prêt à accompagner un groupe pionnier d'Etats pour appliquer ce type de taxe qui a déjà été voté dans notre parlement en 2001. Donc, la possibilité de mettre en place une telle mesure, qui pourrait peut-être s'appliquer au marché européen dans un premier temps. Réfléchissons à tout cela de manière pratique, pas pour dire c'est difficile, évidemment tout est difficile mais dès qu'on le fait, c'est moins difficile. Ma conviction c'est qu'un groupe de travail doit se dévouer à cela.
Mesdames, Messieurs, il est aujourd'hui nécessaire de savoir tirer le meilleur bénéfice de l'interdépendance financière croissante des marchés internationaux, en prélevant, je le répète, une fraction infime des transactions qui ont cours quotidiennement, par des mécanismes légers et, je le répète sans doute au départ, sur une base volontaire, parce que le financement du développement doit devenir un impératif moral. Ces sommes seraient ensuite reversées au service d'un fonds alimenté aussi bien par des ressources publiques que privées, pour que des projets de taille humaine, sélectionnés par un groupe représentatif du privé, du public, des ONG..., que ces projets sélectionnés pour leur inventivité et pour leur efficacité, sur le modèle des fonds éthiques en particulier, puissent voir le jour.
Ces objectifs figureront, je l'espère, au tableau des avancées, lors de notre prochaine session. Nous serons aidés en cela par les grandes réunions internationales où le Groupe pilote pourra faire entendre la voix des financements innovants : au G8 très prochainement, en Italie, lors de l'Assemblée générale des Nations unies en septembre prochain, à New York où nous pourrons renouveler la Déclaration contre la faim et la pauvreté. Ce rendez-vous du mois de septembre sera d'ailleurs l'occasion de remettre au Secrétaire général des Nations unies un rapport sur les financements innovants, qui pourra également s'inspirer des travaux que nous menons de concert avec nos amis britanniques. Les conclusions de nos travaux pourront, je l'espère, inspirer cette rédaction.
Il nous revient désormais, Monsieur le Secrétaire général, d'être à la hauteur de ces promesses et de ces perspectives. Et je vous remercie d'avoir si bien organisé cette première réunion et celles qui vont suivre.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2009