Texte intégral
ALAIN RICHARD , MINISTRE DE LA DEFENSE
Le général Kelche et moi-même allons compléter votre information et ajouter un certain nombre de commentaires sur le déroulement de laction militaire et sur ses effets tels que lon peut les analyser aujourdhui. Je veux souligner que nous sommes dans le déroulement dune action militaire graduelle, progressive et maîtrisée, et que nous ne sommes quà un moment où tout doit être réexaminé sous cet angle. Il ny a pas de changement brusque de situation, à aucun moment. Nous agissons en vue dun objectif politique qui est simple : le droit de vivre ensemble au Kosovo, dans la sécurité, pour lensemble des personnes qui sont originaires de cette province. Nous soulignons que cest lapplication dun principe auquel tiennent tous les Européens, qui est consubstantiel à lidée que nous nous faisons tous de lEurope. Lobjectif militaire central de cette action est de casser lappareil militaire et répressif au Kosovo, principe que nous répétons régulièrement pour bien signifier quil est central et ne change pas. Mais il est assorti dun impératif majeur qui est de limiter dans toute la mesure du possible les atteintes à la population que ce soit la population de la Serbie ou celle du Kosovo. Nous avons déjà des résultats substantiels sur larmature militaire : je demanderai au général Kelche de donner les informations que, dans le cadre dune coalition, nous estimons pouvoir donner. Mais je résume simplement les dimensions que nous pouvons apprécier aujourdhui : un commandement destructuré des forces yougoslaves, une capacité très réduite de renforcement aérien des forces yougoslaves au Kosovo, la quasi-impossibilité pour ces forces au Kosovo de recevoir des renforts terrestres, et des mouvements de plus en plus limités de ces forces au Kosovo qui subissent une exposition croissante aux frappes de nos appareils. Je voudrai dire que ce résultat confirme que lemploi des frappes aériennes était objectivement judicieux.
GENERAL KELCHE
Je voudrais, six jours après un premier point de situation, vous donner un état des lieux en regard de la campagne de frappes aériennes que la coalition a engagée. Vous vous souvenez peut être quil y a six jours, je vous avais indiqué que la coalition avait engagé entre 50 et 60 objectifs dans cette campagne. Aujourdhui, sans que je vous donne un chiffre précis, ce qui ne relève pas de mon domaine, je peux vous dire que nous sommes au-delà de 140 objectifs. Je voudrais vous montrer sur une carte, dont vous reconnaîtrez quelle est approximative mais cela est une nécessité absolue, une répartition très schématique de ces frappes. Je vous fais simplement remarquer quil y a deux grands pôles de concentration de ces frappes : autour de Belgrade, notamment du coeur politique, administratif et en grande partie économique de la RFY, et au Kosovo, avec par ailleurs une dilution des frappes et une très grande retenue de la coalition vis-à-vis du Monténégro. Cette carte a été établie après le treizième jour de frappes, qui sappliquent à un certain nombre dobjectifs afin de réduire progressivement la capacité militaire serbe, dans la droite ligne de la stratégie qui a été choisie par lAlliance. Comme le ministre vient de le dire, nous avons attaqué, lors de la conduite des opérations sur Belgrade, le système central, soit un certain nombre de PC nationaux. Nous avons remis en cause la mobilité des forces sur lensemble de la RFY en attaquant les lignes de communication. Nous avons commencé à éroder la capacité à durer de ces forces, notamment en attaquant les réserves en carburant, ce qui conditionne directement la possibilité dagir sur le territoire, et également en nous en prenant systématiquement aux PC, aux casernes, aux installations de soutien des équipements, qui vont nous permettre à terme de constater des difficultés de maintenir le potentiel de combat des véhicules blindés.
En parallèle, nous avons également entamé par ces frappes les objectifs visant à affaiblir la résolution nationale, le commandement national des opérations et les possibilités dutiliser larme de linformation. Nous avons décidé de nous en prendre aux relais radio, aux émetteurs radio, aux relais de télévision et aux émetteurs de télévision, car ces outils relèvent de la propagande du régime de Monsieur Milosevic, qui vont dans le sens de la poursuite du combat. A ce jour, je considère que les objectifs que nous avions en vue pour la phase 2 sont en bonne passe dêtre atteints. Nous avons effectivement une maîtrise de lespace aérien globalement satisfaisante. De même, du point de vue du système de défense antiaérienne, nous avons la satisfaction de constater qualors même que nous avions des accrochages radar importants au cours de nos raids, les missiles sol-air, même de haute altitude, ne parviennent pas à toucher nos avions. Je vous indique en plus que dans certains cas, sans doute isolés et ne maîtrisant pas les consignes de tir, des missiles ont été tirés en balistique, cest-à-dire sans aucun accrochage radar. Cela consiste en gros à lancer des missiles dans lespoir que lautodirecteur du missile piste lavion et le touche. Ceci ne me paraît pas une attitude très sereine, ce qui est assez intéressant comme signal.
Ce quil faut savoir maintenant, cest que nous allons progressivement étendre notre action. Nous avons déjà étendu notre action de la nuit au jour, et ce que vous verrez tout à lheure dans un film qui va vous être présenté, vous montrera une action au sol menée de jour, alors que dans les premières phases du conflit, nous ne nous engagions que de nuit. Deuxièmement, nous allons étendre et amplifier notre action directement sur les forces au Kosovo. Cela a dailleurs déjà commencé : un certain nombre de potentiels, que je ne peux pas vous indiquer, ont été détruits, notamment des blindés et des unités qui ont été prises à partie soit en mouvement, soit en stationnement. La liberté daction des forces de répression au Kosovo est entravée au moment où je vous parle. Les forces serbes sont pratiquement obligées darrêter tout mouvement lorsque nous avons notre dispositif dintervention de frappes au-dessus delles. Je crois que les rapports de forces, y compris au Kosovo, sont en train de sinverser. Cest-à-dire que nous sommes progressivement en train de restreindre la capacité daffrontement au sol des forces serbes. Cela ne veut pas dire que nous avons détruit le potentiel de cette armée qui est pugnace : elle est bien organisée, elle sait se camoufler et se protéger. Il y a donc encore un potentiel de combat tout à fait significatif au sol mais linitiative daction nappartient plus à ces forces mais à lAlliance. Ceci est un point important.
Jai dit il y a un instant que nous sommes passés à des actions de jour : je voudrais très brièvement vous présenter un film de restitution des missions de combats de jour. Cest le capitaine de vaisseau Cazenave de mon état-major qui va vous le présenter. Je lai choisi parce quil est de lAéronavale et que ce film est la mise en oeuvre dun système darme de lAéronavale.
CAPITAINE DE VAISSEAU CAZENAVE
Avant de vous montrer le film, mesdames et messieurs, je voudrais vous commenter une partie de ce que vous allez voir. Nous sommes entrés dans des phases de frappes de jour comme la dit le général. A ces frappes de jour, des Super-Etendard du porte-avions Foch participent aux dispositifs alliés : ce sont donc des moyens de laéronautique navale et des Jaguar de larmée de lair, à partir de lItalie, qui participent aux frappes. Ces vols de jour sont effectués selon le même principe que ceux de nuit, avec les mêmes capacités de protection, de ravitaillement en vol et de couverture aérienne. Les objectifs assignés jusquà présent sont des objectifs fixes. Les munitions quemportent ces avions sont des munitions de 250 kilos, légèrement plus faibles en capacité que celles de 1.000 kilos qui ont été employées la nuit, ce qui nous permet de traiter des objectifs qui, pour certains dentre eux, avaient été reportés pour risques de dégâts collatéraux. En outre, la méthode de tir que vous allez voir est un peu différente de celle employée la nuit par les Mirage 2000 D. Le Mirage 2000 D est un biplace : la désignation et lillumination de lobjectif ainsi que le tir du missile se font à partir du même avion. Vous allez voir des tirs qui se font à partir dun avion porteur de bombes et dun avion accompagnateur qui désigne lobjectif et lillumine ensuite de façon à ce que la bombe guidée laser puisse faire mouche. Vous allez donc voir dans un premier temps la phase dattaque de lavion porteur de bombes qui se présente de façon à larguer ses bombes. Il va ensuite dégager. La suite va être prise en compte par lavion accompagnateur : lobjectif désigné est une caserne. Vous pouvez voir que lenvironnement est hors risques de dégâts collatéraux sur 30 à 50 mètres mais quà partir dici, notamment avec cette route, les risques de dégâts collatéraux ne sont pas négligeables, en particulier de jour, compte tenu dune importante circulation de véhicules. Lavion accompagnateur, pendant que lavion tireur a dégagé, poursuit lillumination. On arrive à la phase finale de vol de la bombe : vous allez observer, au moment de limpact, la réaction des véhicules sur la route. Il ny a pas eu de dégâts collatéraux.
Chaque avion tire deux bombes de 250 kilos. Il y a simultanément deux autres avions porteurs de bombes en vol qui ont pour objectif, lun cette caserne et lautre un objectif que lon ne voit pas sur la photo. Pendant que le premier avion illuminateur filme lensemble, la deuxième phase se poursuit. On a à peu près 30 secondes dattente au cours de laquelle lavion tireur fait la même passe que celle que lon a vue tout à lheure et annonce le largage de ses bombes. Vous allez avoir la désignation de cet objectif par lavion accompagnateur et un deuxième coup au but observé sur cette caserne. Les vols se font généralement à six Jaguar et six Super-Etendard modernisés : il y a trois porteurs de bombes pour les Jaguar et trois accompagnateurs ; le même dispositif est mis en place pour les Super-Etendard.
GENERAL KELCHE
Je voudrais simplement faire trois courtes remarques. Premièrement, nous menons cette attaque de jour, comme le prouve lactivité civile à proximité de lobjectif. Deuxièmement, notre souci constant consiste à avoir le moins de pertes civiles possible : cest la raison pour laquelle cet objectif qui avait été présenté comme un objectif possible pour les forces françaises de nuit a été reporté jusquà ce que nous puissions lengager de jour avec quatre fois moins de puissance explosive dans la bombe délivrée. En dommages collatéraux, il y a quelques vitres soufflées, cest tout. Troisièmement, lAlliance a décidé dintensifier son effort de frappes au sol : dans ce cadre, 4 Mirage 2000 D français ont rejoint le théâtre dopérations, après laccord de lexécutif français, pour les porter à 11. Jajoute que ces Mirage 2000 D possèdent un pod de désignation laser à contraste thermique amélioré, qui est encore plus performant que ceux dont nous disposions : nous en attendons des résultats de très grande fiabilité et de précision. En ce qui concerne les évaluations des dommages, nous avons une vision globale de lensemble des dommages obtenus, ce qui nous permet deffectuer les évaluations de dégradations fonctionnelles dont je parlais. Nous les avons grâce aux photos Hélios et aux photos de Mirage IV. Nos Mirage IV ont effectué au profit de lAlliance des missions de reconnaissance et ont rapporté des photos de très grande qualité, compte tenu de la fiabilité de cet outil de reconnaissance. Vous avez ici la destruction de deux hangars près dune plate-forme aéronautique. La qualité des photos que nous avons nous permet didentifier le pourcentage de dommages atteints par rapport à ces hangars. De la même façon, sur une autre mission, parce que vous savez que nous nous préoccupons des réfugiés, voici pris à 45.000 pieds daltitude et à Mach 1,8, la photo, il y a maintenant un jour et demi, du camp de Blace, qui se trouve à la frontière du Kosovo et de la Macédoine, et qui a été vidé depuis à cause du changement de position du gouvernement macédonien. On a été capable, sur la photo, non seulement dévaluer le nombre de personnes qui se trouvaient dans ce camp mais également de voir sur tous les axes qui y menaient la présence ou non de véhicules qui auraient donné un signal quant à lattente des personnes, pour franchir la frontière. A titre dexemple, au moment où cette photo a été prise, le bruit courait quil y avait 25 kilomètres de véhicules civils retenus. Vérification faite, il y en avait 800 mètres. Nous avons donc là un instrument qui nous permet de vérifier lefficacité des frappes, dacquérir des renseignements sur les objectifs potentiels, de compléter les renseignements et de suivre des situations aussi difficiles et mouvantes que les flots de réfugiés.
Je voudrais maintenant vous montrer deux extraits très ramassés de photos Hélios qui sont à un haut niveau de protection. Le premier extrait présente un réservoir de carburant avant la frappe et après celle-ci. Cette image a été prise il y a trois jours. Cest-à-dire que nous avons la capacité dévaluer avec Hélios, précisément, tous les résultats des frappes et avec un très grand degré de précision et de détail.
ALAIN RICHARD
Merci mon général. Je voudrais souligner que nous sommes en phase dintensification de laction militaire mais toujours centrée sur lobjectif initial et constant que représentent les capacités militaires, et notamment celles qui sont au Kosovo et qui sont devenues plus vulnérables. Je veux souligner que les points que nous avons déjà acquis, sont le résultat du travail attentif et professionnel, et du courage de tous les militaires engagés, en soulignant quà la pointe de laction il y a les pilotes mais que derrière il y a toute une chaîne : il y a lAéronavale, lensemble des soutiens et des capacités au sol et en vol de larmée de lair et notre capacité dévaluation que vient de mentionner le chef détat-major. Si nous arrivons à ces résultats, en partenariat avec les membres de lAlliance, cest parce que lensemble de la chaîne opérationnelle fonctionne bien. Mon rôle est de souligner lengagement et lefficacité de tous ceux qui se trouvent engagés sur le terrain.
Je ferai un autre commentaire concernant lannonce unilatérale du cessez-le-feu envisagé par les autorités yougoslaves, qui fournit un signe utile pour lanalyse. Cela permet destimer que lautorité yougoslave est prête aujourdhui à changer son orientation et son action pour éviter la perte de ce qui est pour elle un outil de pouvoir essentiel : sa capacité militaire et répressive.
Cest aussi une observation intéressante parce quelle introduit une rupture dans la ligne de propagande qui est celle de lautorité yougoslave depuis le déclenchement du conflit. En évoquant dans ses propres médias linitiative dun cessez-le-feu, elle casse sa ligne de propagande consistant à décrire lensemble de la situation comme une agression extérieure contre un pays pacifique.
Je crois que cet épisode a aussi montré la capacité de réponse coordonnée et réfléchie entre les cinq membres du Groupe de contact engagés antérieurement dans la fixation du cadre politique et aujourdhui engagés dans laction.
Je voudrais souligner quil faut aujourdhui ne pas surévaluer les résultats atteints, comme il y avait le risque de les sous-évaluer il y a huit jours. On ne sait pas tout. Il faut garder la mesure et la part dincertitude sur toute évaluation de terrain alors que lon est encore dans laction et que nous navons pas dhommes sur le terrain. Ceci est vrai pour les opérations militaires, et encore plus vrai pour les mouvements de personnes déplacées ou expulsées. Il me semble que lon est à un moment où il faut être aussi prudent que dans les quinze derniers jours face aux emballements et aux extrapolations. Je veux souligner que la précaution est toujours aussi impérieuse à légard des civils et que notre responsabilité consiste à limiter les risques pour nos pilotes. Ajoutons quil persiste, comme le général Kelche la rappelé tout à lheure, un risque sol-air appréciable et que nous avons eu de multiples moyens de vérifier que les armées yougoslaves avaient dissimulé un certain nombre de capacités. Maintenant que nous sommes dans une phase où lon agit directement sur les forces au Kosovo, nous avons encore un coefficient de complexité supplémentaire qui est précisément lincertitude sur la situation des populations civiles et tous les risques associés aux pressions et aux actes de terreur exercés sur les civils kosovars.
Je voudrais ajouter quelques mots sur le soutien militaire aux personnes déplacées en Macédoine et en Albanie. Vous avez vu que dans les premiers jours de regroupement des personnes expulsées, la logistique de nos armées a été rapide et professionnelle. Vous avez vu larrivée de notre premier pont aérien et des transferts en hélicoptères vers Kukës, ainsi que lentrée en action des forces de lAlliance en Macédoine. Je crois que, comme dans des crises antérieures, on a vu très vite se rétablir un partenariat confiant avec les ONG, notamment les organisations humanitaires. Nous sommes maintenant en train de travailler au sein de lAlliance sur lobjectif de sécurisation des sites daccueil des déplacés, notamment en Albanie, où chacun peut observer quil existe un certain déficit de sécurisation.
Enfin, je dirai quelques mots sur le fonctionnement de lAlliance parce que lon lit et entend des appréciations qui peuvent paraître un peu brusques sur ce sujet. LAlliance est une réunion dautorités politiques, de gouvernements et de chefs dEtats. Il était logique que cette action militaire soit depuis le début menée en coalition. Il faut assumer le fait quau sein dune coalition, il y a des mécanismes de concertation et des différences spontanées dans lapproche des situations militaires, qui peuvent demander des temps dadaptation. Je crois que le premier bilan que lon peut faire ne nous conduit pas à penser que nous aurions dû passer par un autre outil que lAlliance Atlantique qui est aujourdhui loutil adapté à une coalition dans laquelle beaucoup dEuropéens souhaitent prendre leurs responsabilités et trouvent naturel dagir au coude à coude avec les Etats-Unis sur la reconquête de valeurs qui ne nous divisent pas. Les conditions de notre participation à cette action de lAlliance sont équilibrées. Il y a pratiquement 50% de la force aérienne qui relève de la capacité européenne. Au niveau des engagements nationaux, qui participent jour après jour aux différentes actions, on retrouve ce niveau déquilibre. Le rôle des Européens a été tout à fait important dans la fixation du cadre politique et dans la définition des objectifs que nous poursuivons collectivement vis-à-vis du Kosovo. La concertation est étroite dans le déroulement de laction militaire. En faisant la part de ce quest la vie de toute coalition ou de toute organisation multilatérale et en rappelant que cest une première pour lOTAN dagir sur un théâtre de ce type et avec des objectifs communs et limités à la situation dun pays, qui ne sont donc pas ceux dune confrontation avec un grand bloc militaire, je crois que nous devons nous abstenir de toute appréciation sommaire laissant entendre quil y aurait un déséquilibre au sein de lAlliance. Il y aura sans doute des leçons et des analyses à tirer après cette première étape importante. Mais personne névoque dalternatives crédibles à nos choix dactions communes.
Questions
PIERRE BABEY (FR3)
Ma question sadresse au général Kelche. Pouvez-vous quantifier, autant que possible, le degré dérosion des forces serbes ? Ce degré dérosion vous permet-il maintenant denvisager un recours à la troisième dimension, cest-à-dire des hélicoptères et ultérieurement des forces au sol.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Monsieur le Ministre, le ministre canadien de la Défense a déclaré hier que le Canada considérait la possibilité que des troupes de lOTAN pourraient être déployées au sol, au Kosovo : avez-vous un commentaire ? Mon général, vous nous avez montré une photo aérienne du camp de Blace : savez-vous où sont passés les 10.000 réfugiés dont le HCR dit ne pas avoir la trace ?
GENERAL KELCHE
Lérosion dun système de force est quelque chose de très complexe à calculer. Si vous pensez au potentiel pur, je vais vous dire quelque chose qui va vous décourager : je pense quil reste 90% des forces terrestres en action. Mais si vous intégrez le système nerveux, le système logistique, la capacité à durer et la maîtrise de lespace aérien, ces 90% nont plus la même signification. Notre objectif nest pas daller au sol pour affronter ces forces : ce nest pas la stratégie de lAlliance. Sa stratégie est dobliger monsieur Milosevic à se rendre compte quil est dans une impasse, quil doit reculer, revenir sur la base des accords de Rambouillet et arrêter sa politique de répression. Nous prétendons que nous pouvons y parvenir avec cette stratégie. Il faut comprendre que la présence des hélicoptères nannonce pas un engagement au sol. Les Américains envisagent damener sur le théâtre un certain nombre dhélicoptères Apache, pour accélérer au sol les effets des frappes aériennes. Ce nest pas un engagement au sol, mais un engagement aérien prolongé. Ce nest pas la même chose ! Ceci se déroulera sur des modes opératoires quils ont déjà utilisés ailleurs avec succès. Nous attendons de voir se concrétiser cet effort américain supplémentaire, qui constitue de la part de nos alliés américains une prise de risque significative.
ALAIN RICHARD
Jajoute que le déploiement de cette capacité héliportée supplémentaire, comme les autres renforcements des forces, a fait lobjet dune concertation entre autorités politiques et dun accord. Sur Blace, nous ne pouvons pas aujourdhui analyser sil y a une stratégie nouvelle de lautorité serbe à légard des réfugiés. On peut supposer que certains des réfugiés en mouvement auraient été refoulés par la force et lintimidation vers lintérieur du pays mais nous navons pas de données vérifiées sur cette question aujourdhui. Quant au desserrement de lensemble des personnes déplacées, qui étaient dans la zone frontalière de Blace, la plupart dentre elles ont été transportées vers les centres daccueil de Brazda et de Stenkovac qui ont des infrastructures à peu près satisfaisantes et qui sont pour lessentiel tenus par les éléments militaires britanniques et français de lARRC [Allied Rapid Reaction Corps / Force de Réaction Rapide du commandement intégré de lOTAN], qui étaient pré-positionnés. Dautres ont été transférées directement vers un site daccueil en Albanie par accord entre les deux pays. On savait que lorientation des autorités macédoniennes et des autorités albanaises nétait pas la même sur ce sujet. Les alliés et partenaires politiques en charge des questions de réfugiés ont, au cours des 48 dernières heures, agi pour quil y ait autant que possible un rééquilibrage, compte tenu des orientations de ces forces et des autorités politiques. Nous sommes en train de réaliser cela.
ANITA HAUSSER (LCI)
On nous parle dintensification depuis le début : quand aura-t-on atteint le stade maximal de déploiement de forces ? Ou continuera-t-on à demander du renfort jusquà ce que lon décide éventuellement une autre phase ?
ALAIN RICHARD
Lintensification ne sest pas faite depuis le début. Jai fait remarquer au départ que nous navions travaillé que de nuit : nous travaillons maintenant jour et nuit. Nous avons eu au départ une approche systématique afin de détruire les défenses serbes, notamment aériennes, et de diminuer la capacité sol-air pour pouvoir maîtriser lespace aérien de la RFY. Cette intensification sest déjà produite : le nombre de raids de nuit, au cours des trois dernières nuits, a été le double des nuits précédentes, et leffort se poursuivra. Si la météo le permet, nous allons encore accentuer leffort sur le Kosovo et amener de plus en plus de capacités pour acquérir des objectifs et les frapper au sol dans le dispositif déployé. Cest cela lintensification de leffort. Vous pouvez vous attendre à ce que le commandement des opérations exprime de nouveaux besoins en termes de capacité. Je peux vous assurer que les pays y répondront.
ANITA HAUSSER (LCI)
De quoi les troupes de lOTAN ont-elles actuellement besoin ?
ALAIN RICHARD
Il y a un commandant dopérations qui évalue la situation et définit les besoins. Les nations qui sont engagées dans laction contribuent, en fonction de leurs ressources, à satisfaire ces besoins. Cest cela le mécanisme. Et tout cela est bien sûr sous contrôle politique.
AYMERIC CARON (CANAL+)
Javier Solana a déclaré ce matin que lOTAN envisageait de mener en Yougoslavie une action plus collée au terrain : que cela signifie-t-il exactement ? Dautre part, on dit que des diplomates américains et européens, ont commencé à débattre de lenvoi de troupes au Kosovo, sans accord préalable de Belgrade. Pouvez-vous le confirmer ? On parle enfin de lexistence de rapports entre lOTAN et lUCK pour décider des frappes menées au Kosovo : quen est-il ?
ALAIN RICHARD
En ce qui concerne lexpression « collée au terrain », le général Kelche pourra ajouter quelques indications plus concrètes. Mais au niveau du choix collectif des autorités politiques de lAlliance, cela veut dire que nous allons maintenant concentrer une grande partie de leffort sur les capacités militaires serbes au Kosovo. Il y avait une phase préalable qui nest pas terminée puisquil reste des capacités dissimulées et que linfrastructure nest pas totalement détruite. Mais il y a un basculement qui se fait progressivement : les forces yougoslaves en action au Kosovo sont devenues plus vulnérables. On peut donc intensifier laction pour aller vers leur paralysie. La discussion sur une action terrestre est toujours la même : nous pensons que, par rapport à une entrée en force au Kosovo pour essayer de sopposer à lépuration ethnique, laction qui a été choisie par accord entre les gouvernements, en continuité avec la menace qui avait été introduite auparavant, était plus efficace. Il ny a pas de raison de mettre maintenant cette observation en cause. En revanche, puisque nous devons être prêts pour léventualité où lautorité serbe entrerait dans la recherche dune solution politique, en suivant le contenu réel dun cessez-le-feu que lui ont rappelé les cinq ministres des Affaires étrangères, nous devons être prêts à examiner les différentes formes dune force de garantie de sécurité pour que chacun voit quelle est rigoureusement indispensable et quil y a rétablissement du droit de vivre au Kosovo. Il y avait un schéma préexistant qui était celui de la K-FOR : cétait une force organisée au sein de lAlliance avec des participations européennes. Ce schéma est évolutif. Vous avez observé que dans le texte commun des cinq ministres des Affaires étrangères, il est demandé à lautorité serbe quelle accepte le déploiement dune force de sécurité internationale. Il est donc normal que lon fasse preuve dune certaine souplesse dans ce domaine et que lon regarde des possibilités alternatives.
Quant aux rapports avec lUCK, il ny en a pas à ma connaissance : les membres de lAlliance choisissent leurs cibles en fonction du déroulement de la stratégie qui a été arrêtée. La façon dont elle se déroule jusquà présent ne nous fait pas changer davis.
VINCENT HULIN (FRANCE INFO)
Selon nos informations, il y aurait actuellement au Kosovo une collaboration entre lOTAN et les troupes de lUCK. Je voulais simplement avoir une confirmation à laquelle vous venez un peu de répondre : selon vous, il ny aurait donc pas de relations ?
ALAIN RICHARD
Je ne sais pas de quelles informations vous parlez, mais aucun des dispositifs militaires engagés dans lAlliance aujourdhui ne collabore avec lUCK.
THIERRY GUERRIER (TFI)
Vous avez évoqué la rapidité et laspect professionnel de lintervention des troupes françaises pour soutenir les réfugiés. Cela signifie-t-il quelle peuvent avoir aujourdhui besoin, à linstar des Américains, dune montée en puissance de leurs moyens, de leurs équipements et de leurs troupes pour cette mission de soutien et de sécurisation. Certaines sources commencent à évoquer lhypothèse de travaux de létat-major américain sur les plans dune intervention terrestre sur Belgrade, via la Hongrie. Hypothèse loufoque pour certains, mais tout à fait sérieuse pour dautres. Quen pensez-vous ?
ALAIN RICHARD
En ce qui concerne laugmentation de moyens militaires pour la logistique, il ny en aura pas : je crois que nous avons atteint léquilibre. Les résultats obtenus sont plus que satisfaits : nous avons rétabli en deux ou trois jours une situation humanitaire acceptable alors que nous croulions un peu sous le nombre. Je crois que lon est maintenant à un bon rythme avec les capacités logistiques déployées. En revanche, sous langle de la sécurisation, je vais laisser le général Kelche donner le dernier état des analyses. Mais il ny a pas de besoins spécifiques nouveaux en Macédoine. La Macédoine est un Etat qui détient ses propres organisations policières et militaires qui ne présentent pas de déficit marqué à cet égard. En Albanie, lafflux des réfugiés constitue un défi pour assurer des conditions de sécurité convenables dans la partie éloignée de la capitale de ce pays. Une discussion est en cours au sein de lAlliance : je vais laisser le général décrire létat actuel.
GENERAL KELCHE
Juste pour illustrer les propos de Monsieur Richard, nous avons actuellement dix A.T.T. en rotation entre Skopje et Tirana, qui fonctionnent de manière cumulée depuis le début de notre intervention. Nous avons déjà transporté 352 tonnes de fret humanitaire. Nous sommes en outre venus très tôt sur le théâtre en Albanie parce que lon savait quà Kukës la situation était dramatique. Nous avons donc mis en place des rotations dhélicoptères de manoeuvre entre Tirana et Kukës. A ce jour, nous avons monté 33 tonnes à la frontière par ces rotations dhélicoptères et je vous annonce que nous allons doubler notre capacité de rotations en passant à 6 hélicoptères de manoeuvre, voire peut être un peu plus, puisque nos alliés des Emirats Arabes Unis arrivent sur le théâtre avec un hôpital de campagne et un certain nombre dhélicoptères de manoeuvre qui savèrent être français. Nous allons donc former un pool commun dhélicoptères avec nos amis émiratis et renforcer encore cette capacité.
ALAIN RICHARD
Il faut signaler quen ce qui concerne ce pont héliporté, nous sommes pour linstant les seuls Européens à agir de la sorte.
GENERAL KELCHE
Actuellement en Albanie, le total sélève à 145 soldats pour effectuer ces rotations, sécuriser et décharger les avions, ce qui est vraiment un minimum. Ils sont actuellement à un rythme de travail extrêmement soutenu. En ce qui concerne le problème de la sécurisation en Albanie, nous allons maintenant entrer dans une action collective : je rappellerai que lOTAN a été chargée de coordonner le soutien logistique de cette opération, cest-à-dire lorganisation des moyens, lacheminement, lorganisation des bases, des camps, les rotations et la sécurisation sur le terrain. Ce matin même à Shape, il y a une conférence de générations de forces. Cela veut dire quil y a un concept dopérations pour soutenir laffaire humanitaire en Albanie. La conférence de Shape se tourne vers chaque nation et leur demande leur contribution. Actuellement, sur décision politique, un officier général est parti là-bas pour faire les propositions françaises. Il ne mappartient pas de vous les donner, mais sachez que nous serons présents dans le dispositif en Albanie. Nous allons assumer une part de la responsabilité collective pour régler au mieux ce problème humanitaire.
ALAIN RICHARD
Si nous en sommes arrivés à la conférence de générations de forces, cela signifie que sur le concept de base de lopération de sécurisation, nous sommes déjà daccord. Cela fut rapide.
Quant à lidée dune action à partir de la Hongrie, je crois quil ne faut rien exclure. Nous rappelons que lobjectif est de casser lappareil militaire et répressif de la Serbie. Cest pour cette raison que vous avez vu la diversité des lieux de frappes que le général Kelche a illustrée tout à lheure. Il est tout à fait inutile de spéculer sur des manoeuvres stratégiques qui pourraient être entreprises de telle ou telle façon mais lobjectif est celui-là. Il faut réfléchir aux moyens qui peuvent permettre de latteindre efficacement, avec limpératif de protection de la population que nous poursuivons.
ALAIN DUBAT (FRANCE 2)
Vous avez déclaré que les moyens militaires au sol ont encore été relativement peu attaqués, en raison de la présence de boucliers humains. Avez-vous des informations à ce sujet ?
ALAIN RICHARD
Non, je nai pas dit « en raison de... » : jai dit que nous devons, dans toutes les actions développées ou qui vont lêtre à lencontre des forces serbes au sol, être particulièrement attentifs aux risques supplémentaires sur le plan humanitaire que lattitude imprévisible des autorités serbes peut faire courir.
MELANIE MAINGAUD (M6)
Mon général, vous avez dit que vous vous attaquez maintenant aux moyens de communication, comme la télévision ou la radio. Pouvez-vous nous expliquer concrètement pourquoi, de quelle manière et depuis quand vous le faites ?
GENERAL KELCHE
Pourquoi ? Je crois lavoir dit : nous considérons que ces moyens ne sont pas utilisés, comme ils le seraient dans toute démocratie, pour informer des citoyens, mais pour faire de la propagande et de la désinformation. Le nombre de fausses nouvelles diffusées par la radio et la télévision serbe est incalculable. Nous considérons quil sagit dun outil extrêmement dangereux qui contribue à fausser la vision des choses, notamment de la part du peuple serbe. Nous navons donc pas à respecter ce système mais à le détruire, et ce rapidement. Nous continuons, en frappant les émetteurs et les réémetteurs, à détruire le réseau de diffusion des fausses nouvelles.
PATRICK DE SAINT-EXUPERY (LE FIGARO)
Selon les estimations, lUCK dispose-t-elle encore dune capacité opérationnelle de quelque ordre que ce soit ?
ALAIN RICHARD
Lorsque Milosevic a dit quil allait détruire lUCK en huit jours, je ne lai pas cru. Il a réussi à neutraliser un certain nombre de bastions dans le combat classique et le combat daffrontements. Mais ces forces qui sont des forces légères ne sont pas destinées à livrer un combat de haute intensité contre des blindés ou des mécanisés : elles sont faites pour la guérilla dans une guerre de partisans. Or, lUCK a basculé sur lautre logique et il y a un certain nombre dendroits où je pense que ce basculement a été trop tardif, ce qui leur a causé un certain nombre dennuis. Cela dit, lUCK na pas perdu son affrontement avec Milosevic.
PIERRE-MARIE GIRAUD (AFP)
Monsieur le Ministre, pourriez-vous nous donner des nouvelles de ces réfugiés qui auraient été renvoyés vers lintérieur du Kosovo à la suite du refus des autorités macédonienne de les accueillir ?
ALAIN RICHARD
Non. Quand on ne sait pas, on naffirme pas. Nous collectons aujourdhui des renseignements sur les mouvements de personnes déplacées à lintérieur du Kosovo. Nous ne pouvons pas aujourdhui donner de confirmations à lallégation selon laquelle beaucoup de réfugiés auraient été à un moment donné retenus près de la frontière à la suite de la très grande lenteur des Macédoniens à les admettre sur le territoire. Dans un tel domaine, il faut essayer de mener sa propre expertise et de recouper toutes les informations : nous préférons nous en tenir aux évaluations faites par le Haut Commissariat aux Réfugiés qui a démontré sa crédibilité dans ce domaine. On sait déjà que certains chiffres concernant par exemple le nombre de personnes dans tel ou tel site ont été exagérés à un moment donné, de façon tout à fait explicable, notamment à cause du désordre de certains de ces camps improvisés. Il peut y avoir un sujet de préoccupation qui serait en effet de nouveaux mouvements forcés de personnes déplacées à lintérieur du Kosovo, mais nous ne pouvons pas aujourdhui identifier ni le sens de ce mouvement, ni avancer des chiffres.
BRUNO DIVE (SUD OUEST)
Monsieur le Ministre, redoutez-vous une tentative de déstabilisation du Monténégro ?
LAlliance est-elle prête à y faire face ?
ALAIN RICHARD
Les liens sont maintenus avec les autorités du Monténégro : chacun connaît leur situation de droit à lintérieur de la Fédération yougoslave. Cela peut être pour les autorités yougoslaves une façon de compliquer et délargir les enjeux du conflit. Ce serait donc une prise de risques supplémentaire pour les autorités serbes. Nous nous en tenons à ce quest aujourdhui le respect du droit à lintérieur de cette entité fédérale. Il ny a pas de prises de position. Il y a le maintien du dialogue et de relations politiques. Il y a la volonté qui, je pense, sexprimera par les Européens, par les faits et par une déclaration, dapporter le soutien humanitaire qui est nécessaire, par les canaux appropriés, aux autorités et à la population monténégrine et aux déplacés qui sont là-bas. Il ny a pas, à ce stade, de prise de position politique nouvelle sur ce sujet.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Monsieur le Ministre, excusez-moi de revenir sur laffaire de Blace, mais il y avait des milliers de réfugiés qui étaient non pas stockés de lautre côté de la frontière mais à lintérieur de ce camp, sous le contrôle des Macédoniens. Le HCR dit aujourdhui quil en manque 10.000. Est-il concevable que la police macédonienne ait repoussé ces 10.000 personnes au Kosovo, entre les mains des Serbes, et que les forces françaises, qui sont présentes par centaines sinon par milliers, à seulement quelques kilomètres, naient pas pu voir un tel déplacement dans la nuit ? Nest-ce pas une bonne raison qui permettrait de penser quil y a effectivement eu quelque chose de bizarre, comme le prouveraient les photos de poussettes et de valises ? Quand les gens nont plus quune poussette ou une valise, ils lemmènent et ne la laissent pas, à moins davoir été chassés.
ALAIN RICHARD
Je ne vais pas improviser alors quil sagit dévénements récents, sur lesquels nous navons pas recueillis lensemble des informations. Aujourdhui, nous navons pas de signes concrets dune opération de la police macédonienne consistant à repousser vers le Kosovo des personnes. Au contraire, les indications que nous recueillons nous font penser que le rassemblement de personnes en situation très précaire à Blace a été résorbé par des transferts vers les autres centres daccueil qui sont correctement organisés en Macédoine, ou vers un site albanais.
GENERAL KELCHE
Le général Valentin a rendu compte quà la période où Blace sest vidé, il est arrivé plusieurs milliers de personnes en cars, en lespace de quatre heures, dans le camp que les Français mettent sur pied et protègent. Donc tout nous laisse penser quil y a bien eu un mouvement de transfert : le problème est dévaluer son volume vers un certain nombre de camps en Macédoine.
BERNARD EDINGER
Oui, mais il en manque quand même 10.000.
ALAIN RICHARD
Cette arithmétique est impossible à faire.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Vous ne pouvez donc pas nous renseigner ?
ALAIN RICHARD
Tant quun fait nest pas avéré, on sinterroge et on naffirme pas. Le HCR avec qui nous avons des relations de confiance, qui sait gérer ces situations et maîtriser son expression, est également en train de faire ses recoupements et ses vérifications. Nous le faisons évidemment en étroite coopération avec eux.
AYMERIC CARON (CANAL PLUS)
Monsieur le Ministre, après les événements des derniers jours, il semble difficile aujourdhui denvisager lautonomie du Kosovo, comme le prévoyait laccord de Rambouillet. Ne se dirige-t-on pas plutôt vers une solution politique qui serait de lordre de la partition du Kosovo, ce qui arrangerait peut-être finalement, Slobodan Milosevic. Nest-ce pas ce quil cherche ? Ne craignez-vous pas finalement davantager un petit peu le président serbe ?
ALAIN RICHARD
Non. Ceci ne correspond à rien.
PATRICE DESAUBLIAUX (LE FIGARO)
Monsieur le Ministre, je voudrais vous interroger sur lappréciation que vous pouvez porter aujourdhui sur le comportement de lopinion publique. Il est dit et répété que lopinion publique française aujourdhui a un comportement totalement différent de la période de la guerre du Golfe. Est-ce votre impression ? Quel est votre sentiment sur cette opinion publique ? Et parallèlement, un renforcement du plan Vigipirate commence à se manifester. Sur les problèmes de sécurité, avez-vous des inquiétudes ou seulement des précautions pour maintenir une sécurité sur le territoire ?
ALAIN RICHARD
Je vous rejoins tout à fait quand vous dites que les positions de lopinion publique sont totalement différentes de ce quelles étaient à légard de la guerre du Golfe. Il y a mille raisons pour cela. Ce qui fait que spontanément, dès les premiers jours - et nous avons bien sûr les sondages comme mesures avec toute une série dautres indications - , une majorité de nos compatriotes ont reconnu que la décision des autorités françaises correspondait à ce quil fallait faire. Nous sommes à deux mois des élections européennes. Ce qui montre quen 15 ou 20 ans, les Français ont compris, comme dailleurs tous leurs voisins, quils vivaient en Europe et quil y avait des enjeux sur les valeurs les plus fondamentales des sentiments dappartenance européens, et quune action devait être menée, si lon ne voulait pas se résigner à laisser bafouer les valeurs européennes les plus essentielles. En tout cas, on sait quelles sont partagées par nos partenaires américains et quelles sont au coeur du sentiment dappartenance des Européens. Nous ne voyons pas aujourdhui nos concitoyens se décourager et sinterroger. Ils comprennent pourquoi nous agissons et reconnaissent la légitimité de lobjectif que nous poursuivons : laisser les gens vivre ensemble comme des Européens au Kosovo. Ensuite, je crois quil y a une partie de la mémoire populaire qui tient à ce que la France se soit engagée dans toute une série de conflits au cours de ce siècle. Elle a parfois retardé le moment ou éludé le choix dentrer dans un conflit, comme dans les années 30. Je crois que dans lesprit du public français, à la base, il y a lidée que lon nobtient pas la victoire par la faiblesse contre des situations dinjustice majeure et contre des agressions. Nos concitoyens adhèrent sans joie particulière ni légèreté à lidée que lemploi de la force est légitime dans ces conditions et ces limites.
Quant aux précautions de sécurité, cest un mouvement classique et traditionnel. A partir du moment où il y a enclenchement dun conflit, on remonte dun cran le niveau de précautions vis-à-vis dun certain nombre de fonctions essentielles. Cela a aujourdhui pour nom « Vigipirate ». Nous ne percevons pas de risques spécifiques, ni de transplantation du conflit sur le sol français et européen.
PIERRE JULIEN (RTL)
Mon général, vous nous avez confirmé donc que les forces serbes au sol étaient désormais attaquées. Des véhicules blindés ont-ils été effectivement détruits ? Quel est leur nombre ? A-t-on une idée du bilan ? Lattaque de ces engins est-elle parmi les missions reconnues à laéronautique navale et à larmée de lair française ?
GENERAL KELCHE
Je confirme la destruction de forces blindées mécanisées au sol. Je ne peux pas vous donner les effectifs, cela ne mappartient pas. Les avions français participent effectivement à ces attaques au sol avec des systèmes de tour de rôle en matière dalerte. Ce sont des alertes en vol pour la plupart et dans des créneaux de temps précis avec des zones géographiques assignées en fonction des renseignements. On surveille les zones et on cherche à détecter les mouvements de troupes, de blindés notamment, pour les engager.
JEAN-DOMINIQUE MERCHET (LIBERATION)
Les Français utilisent-ils des bombes Béluga ? Aujourdhui que pensez-vous, lun comme lautre, de la doctrine demploi dite du « zéro mort » ?
GENERAL KELCHE
Béluga, non. Si vous regardez les conditions de mise en oeuvre dune Béluga, vous comprendrez pourquoi. Quant au « zéro mort », je ne connais pas ce concept.
ALAIN RICHARD
Il y a des différences entre Européens et Américains, et parfois entre Européens, et on assiste à certains moments, dans certains secteurs de notre société, à une démarche qui consiste à mettre en cause les Etats Unis. Cela prend différentes formes. En général, dans ce cas là, on dénonce les Américains en usant de simplifications ou derreurs danalyse. Il nous arrive davoir des désaccords avec les Etats Unis. La France est un peu réputée pour cette démarche doriginalité et dauthenticité européenne. Mais je voudrais appeler lattention sur le fait que toute une série des critiques faites à lencontre des Etats Unis, sagissant de la gestion de conflits, notamment avec lemploi des armes, sont des critiques que lon ferait à légard de tout détenteur de la responsabilité de laction. Le « zéro mort », naturellement, est une caricature. Si cette opération ou une autre qui lui ressemblerait, était menée, dans cinq ou dix ans, sans participation américaine mais avec un commandement politique et militaire strictement européen, toute une série détapes et de choix par lesquels il faut passer, et que souvent on dénonce comme des caricatures américaines, simposerait à tout décideur de ce genre dopération dans la gestion dun conflit. Ne pas exposer ses hommes, notamment dès le début dune opération, alors que lon nest pas à la phase décisive, est un réflexe qui vient à tout décideur, dans la conduite dune gestion de crise.
Quand il a fallu constater que le processus de Rambouillet grippait et que cela relevait de la seule responsabilité de lautorité yougoslave, il a bien fallu que les deux coprésidents Robin Cook et Hubert Védrine constatent quil fallait passer à une autre phase dans la gestion du conflit. Nous savions, cela a été en particulier un des sujets de discussions quand on sétait rencontré à six à Bonn pour parler du constat de la rupture, que lon ne pourrait pas aller plus loin dans la légitimation de laction par les Nations Unies, parce que lon savait quà court terme un refus russe et chinois sy opposerait. Même sil ny avait eu que des Européens, on aurait fait ce choix aussi.
JOHN KEATING (KUNAIR NEWS AGENCY)
Y a-t-il actuellement des questions et des discussions au niveau politique en France, de déployer, comme les Américains, des hélicoptères de combats français ? Parmi les cibles que vous avez touchées, la caserne se trouvait-elle au Kosovo ? Etait-ce une caserne des forces spéciales qui opéraient contre les civils au Kosovo ? La caserne était-elle habitée ?
GENERAL KELCHE
Je ne peux pas vous dire où cela se trouve. Quant à lemploi de forces héliportées pour attaquer les chars, cela nest pas dans nos projets aujourdhui. Quand nous disposerons de la prochaine génération dhélicoptères qui est maintenant en cours de réalisation, nous pourrons aborder cette question avec beaucoup plus desprit offensif, ce qui prouve au passage, quun certain nombre doptions européennes qui ont été prises en matière de renforcement de nos capacités nétaient peut-être pas si mauvaises que cela.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 13 avril 1999)
Le général Kelche et moi-même allons compléter votre information et ajouter un certain nombre de commentaires sur le déroulement de laction militaire et sur ses effets tels que lon peut les analyser aujourdhui. Je veux souligner que nous sommes dans le déroulement dune action militaire graduelle, progressive et maîtrisée, et que nous ne sommes quà un moment où tout doit être réexaminé sous cet angle. Il ny a pas de changement brusque de situation, à aucun moment. Nous agissons en vue dun objectif politique qui est simple : le droit de vivre ensemble au Kosovo, dans la sécurité, pour lensemble des personnes qui sont originaires de cette province. Nous soulignons que cest lapplication dun principe auquel tiennent tous les Européens, qui est consubstantiel à lidée que nous nous faisons tous de lEurope. Lobjectif militaire central de cette action est de casser lappareil militaire et répressif au Kosovo, principe que nous répétons régulièrement pour bien signifier quil est central et ne change pas. Mais il est assorti dun impératif majeur qui est de limiter dans toute la mesure du possible les atteintes à la population que ce soit la population de la Serbie ou celle du Kosovo. Nous avons déjà des résultats substantiels sur larmature militaire : je demanderai au général Kelche de donner les informations que, dans le cadre dune coalition, nous estimons pouvoir donner. Mais je résume simplement les dimensions que nous pouvons apprécier aujourdhui : un commandement destructuré des forces yougoslaves, une capacité très réduite de renforcement aérien des forces yougoslaves au Kosovo, la quasi-impossibilité pour ces forces au Kosovo de recevoir des renforts terrestres, et des mouvements de plus en plus limités de ces forces au Kosovo qui subissent une exposition croissante aux frappes de nos appareils. Je voudrai dire que ce résultat confirme que lemploi des frappes aériennes était objectivement judicieux.
GENERAL KELCHE
Je voudrais, six jours après un premier point de situation, vous donner un état des lieux en regard de la campagne de frappes aériennes que la coalition a engagée. Vous vous souvenez peut être quil y a six jours, je vous avais indiqué que la coalition avait engagé entre 50 et 60 objectifs dans cette campagne. Aujourdhui, sans que je vous donne un chiffre précis, ce qui ne relève pas de mon domaine, je peux vous dire que nous sommes au-delà de 140 objectifs. Je voudrais vous montrer sur une carte, dont vous reconnaîtrez quelle est approximative mais cela est une nécessité absolue, une répartition très schématique de ces frappes. Je vous fais simplement remarquer quil y a deux grands pôles de concentration de ces frappes : autour de Belgrade, notamment du coeur politique, administratif et en grande partie économique de la RFY, et au Kosovo, avec par ailleurs une dilution des frappes et une très grande retenue de la coalition vis-à-vis du Monténégro. Cette carte a été établie après le treizième jour de frappes, qui sappliquent à un certain nombre dobjectifs afin de réduire progressivement la capacité militaire serbe, dans la droite ligne de la stratégie qui a été choisie par lAlliance. Comme le ministre vient de le dire, nous avons attaqué, lors de la conduite des opérations sur Belgrade, le système central, soit un certain nombre de PC nationaux. Nous avons remis en cause la mobilité des forces sur lensemble de la RFY en attaquant les lignes de communication. Nous avons commencé à éroder la capacité à durer de ces forces, notamment en attaquant les réserves en carburant, ce qui conditionne directement la possibilité dagir sur le territoire, et également en nous en prenant systématiquement aux PC, aux casernes, aux installations de soutien des équipements, qui vont nous permettre à terme de constater des difficultés de maintenir le potentiel de combat des véhicules blindés.
En parallèle, nous avons également entamé par ces frappes les objectifs visant à affaiblir la résolution nationale, le commandement national des opérations et les possibilités dutiliser larme de linformation. Nous avons décidé de nous en prendre aux relais radio, aux émetteurs radio, aux relais de télévision et aux émetteurs de télévision, car ces outils relèvent de la propagande du régime de Monsieur Milosevic, qui vont dans le sens de la poursuite du combat. A ce jour, je considère que les objectifs que nous avions en vue pour la phase 2 sont en bonne passe dêtre atteints. Nous avons effectivement une maîtrise de lespace aérien globalement satisfaisante. De même, du point de vue du système de défense antiaérienne, nous avons la satisfaction de constater qualors même que nous avions des accrochages radar importants au cours de nos raids, les missiles sol-air, même de haute altitude, ne parviennent pas à toucher nos avions. Je vous indique en plus que dans certains cas, sans doute isolés et ne maîtrisant pas les consignes de tir, des missiles ont été tirés en balistique, cest-à-dire sans aucun accrochage radar. Cela consiste en gros à lancer des missiles dans lespoir que lautodirecteur du missile piste lavion et le touche. Ceci ne me paraît pas une attitude très sereine, ce qui est assez intéressant comme signal.
Ce quil faut savoir maintenant, cest que nous allons progressivement étendre notre action. Nous avons déjà étendu notre action de la nuit au jour, et ce que vous verrez tout à lheure dans un film qui va vous être présenté, vous montrera une action au sol menée de jour, alors que dans les premières phases du conflit, nous ne nous engagions que de nuit. Deuxièmement, nous allons étendre et amplifier notre action directement sur les forces au Kosovo. Cela a dailleurs déjà commencé : un certain nombre de potentiels, que je ne peux pas vous indiquer, ont été détruits, notamment des blindés et des unités qui ont été prises à partie soit en mouvement, soit en stationnement. La liberté daction des forces de répression au Kosovo est entravée au moment où je vous parle. Les forces serbes sont pratiquement obligées darrêter tout mouvement lorsque nous avons notre dispositif dintervention de frappes au-dessus delles. Je crois que les rapports de forces, y compris au Kosovo, sont en train de sinverser. Cest-à-dire que nous sommes progressivement en train de restreindre la capacité daffrontement au sol des forces serbes. Cela ne veut pas dire que nous avons détruit le potentiel de cette armée qui est pugnace : elle est bien organisée, elle sait se camoufler et se protéger. Il y a donc encore un potentiel de combat tout à fait significatif au sol mais linitiative daction nappartient plus à ces forces mais à lAlliance. Ceci est un point important.
Jai dit il y a un instant que nous sommes passés à des actions de jour : je voudrais très brièvement vous présenter un film de restitution des missions de combats de jour. Cest le capitaine de vaisseau Cazenave de mon état-major qui va vous le présenter. Je lai choisi parce quil est de lAéronavale et que ce film est la mise en oeuvre dun système darme de lAéronavale.
CAPITAINE DE VAISSEAU CAZENAVE
Avant de vous montrer le film, mesdames et messieurs, je voudrais vous commenter une partie de ce que vous allez voir. Nous sommes entrés dans des phases de frappes de jour comme la dit le général. A ces frappes de jour, des Super-Etendard du porte-avions Foch participent aux dispositifs alliés : ce sont donc des moyens de laéronautique navale et des Jaguar de larmée de lair, à partir de lItalie, qui participent aux frappes. Ces vols de jour sont effectués selon le même principe que ceux de nuit, avec les mêmes capacités de protection, de ravitaillement en vol et de couverture aérienne. Les objectifs assignés jusquà présent sont des objectifs fixes. Les munitions quemportent ces avions sont des munitions de 250 kilos, légèrement plus faibles en capacité que celles de 1.000 kilos qui ont été employées la nuit, ce qui nous permet de traiter des objectifs qui, pour certains dentre eux, avaient été reportés pour risques de dégâts collatéraux. En outre, la méthode de tir que vous allez voir est un peu différente de celle employée la nuit par les Mirage 2000 D. Le Mirage 2000 D est un biplace : la désignation et lillumination de lobjectif ainsi que le tir du missile se font à partir du même avion. Vous allez voir des tirs qui se font à partir dun avion porteur de bombes et dun avion accompagnateur qui désigne lobjectif et lillumine ensuite de façon à ce que la bombe guidée laser puisse faire mouche. Vous allez donc voir dans un premier temps la phase dattaque de lavion porteur de bombes qui se présente de façon à larguer ses bombes. Il va ensuite dégager. La suite va être prise en compte par lavion accompagnateur : lobjectif désigné est une caserne. Vous pouvez voir que lenvironnement est hors risques de dégâts collatéraux sur 30 à 50 mètres mais quà partir dici, notamment avec cette route, les risques de dégâts collatéraux ne sont pas négligeables, en particulier de jour, compte tenu dune importante circulation de véhicules. Lavion accompagnateur, pendant que lavion tireur a dégagé, poursuit lillumination. On arrive à la phase finale de vol de la bombe : vous allez observer, au moment de limpact, la réaction des véhicules sur la route. Il ny a pas eu de dégâts collatéraux.
Chaque avion tire deux bombes de 250 kilos. Il y a simultanément deux autres avions porteurs de bombes en vol qui ont pour objectif, lun cette caserne et lautre un objectif que lon ne voit pas sur la photo. Pendant que le premier avion illuminateur filme lensemble, la deuxième phase se poursuit. On a à peu près 30 secondes dattente au cours de laquelle lavion tireur fait la même passe que celle que lon a vue tout à lheure et annonce le largage de ses bombes. Vous allez avoir la désignation de cet objectif par lavion accompagnateur et un deuxième coup au but observé sur cette caserne. Les vols se font généralement à six Jaguar et six Super-Etendard modernisés : il y a trois porteurs de bombes pour les Jaguar et trois accompagnateurs ; le même dispositif est mis en place pour les Super-Etendard.
GENERAL KELCHE
Je voudrais simplement faire trois courtes remarques. Premièrement, nous menons cette attaque de jour, comme le prouve lactivité civile à proximité de lobjectif. Deuxièmement, notre souci constant consiste à avoir le moins de pertes civiles possible : cest la raison pour laquelle cet objectif qui avait été présenté comme un objectif possible pour les forces françaises de nuit a été reporté jusquà ce que nous puissions lengager de jour avec quatre fois moins de puissance explosive dans la bombe délivrée. En dommages collatéraux, il y a quelques vitres soufflées, cest tout. Troisièmement, lAlliance a décidé dintensifier son effort de frappes au sol : dans ce cadre, 4 Mirage 2000 D français ont rejoint le théâtre dopérations, après laccord de lexécutif français, pour les porter à 11. Jajoute que ces Mirage 2000 D possèdent un pod de désignation laser à contraste thermique amélioré, qui est encore plus performant que ceux dont nous disposions : nous en attendons des résultats de très grande fiabilité et de précision. En ce qui concerne les évaluations des dommages, nous avons une vision globale de lensemble des dommages obtenus, ce qui nous permet deffectuer les évaluations de dégradations fonctionnelles dont je parlais. Nous les avons grâce aux photos Hélios et aux photos de Mirage IV. Nos Mirage IV ont effectué au profit de lAlliance des missions de reconnaissance et ont rapporté des photos de très grande qualité, compte tenu de la fiabilité de cet outil de reconnaissance. Vous avez ici la destruction de deux hangars près dune plate-forme aéronautique. La qualité des photos que nous avons nous permet didentifier le pourcentage de dommages atteints par rapport à ces hangars. De la même façon, sur une autre mission, parce que vous savez que nous nous préoccupons des réfugiés, voici pris à 45.000 pieds daltitude et à Mach 1,8, la photo, il y a maintenant un jour et demi, du camp de Blace, qui se trouve à la frontière du Kosovo et de la Macédoine, et qui a été vidé depuis à cause du changement de position du gouvernement macédonien. On a été capable, sur la photo, non seulement dévaluer le nombre de personnes qui se trouvaient dans ce camp mais également de voir sur tous les axes qui y menaient la présence ou non de véhicules qui auraient donné un signal quant à lattente des personnes, pour franchir la frontière. A titre dexemple, au moment où cette photo a été prise, le bruit courait quil y avait 25 kilomètres de véhicules civils retenus. Vérification faite, il y en avait 800 mètres. Nous avons donc là un instrument qui nous permet de vérifier lefficacité des frappes, dacquérir des renseignements sur les objectifs potentiels, de compléter les renseignements et de suivre des situations aussi difficiles et mouvantes que les flots de réfugiés.
Je voudrais maintenant vous montrer deux extraits très ramassés de photos Hélios qui sont à un haut niveau de protection. Le premier extrait présente un réservoir de carburant avant la frappe et après celle-ci. Cette image a été prise il y a trois jours. Cest-à-dire que nous avons la capacité dévaluer avec Hélios, précisément, tous les résultats des frappes et avec un très grand degré de précision et de détail.
ALAIN RICHARD
Merci mon général. Je voudrais souligner que nous sommes en phase dintensification de laction militaire mais toujours centrée sur lobjectif initial et constant que représentent les capacités militaires, et notamment celles qui sont au Kosovo et qui sont devenues plus vulnérables. Je veux souligner que les points que nous avons déjà acquis, sont le résultat du travail attentif et professionnel, et du courage de tous les militaires engagés, en soulignant quà la pointe de laction il y a les pilotes mais que derrière il y a toute une chaîne : il y a lAéronavale, lensemble des soutiens et des capacités au sol et en vol de larmée de lair et notre capacité dévaluation que vient de mentionner le chef détat-major. Si nous arrivons à ces résultats, en partenariat avec les membres de lAlliance, cest parce que lensemble de la chaîne opérationnelle fonctionne bien. Mon rôle est de souligner lengagement et lefficacité de tous ceux qui se trouvent engagés sur le terrain.
Je ferai un autre commentaire concernant lannonce unilatérale du cessez-le-feu envisagé par les autorités yougoslaves, qui fournit un signe utile pour lanalyse. Cela permet destimer que lautorité yougoslave est prête aujourdhui à changer son orientation et son action pour éviter la perte de ce qui est pour elle un outil de pouvoir essentiel : sa capacité militaire et répressive.
Cest aussi une observation intéressante parce quelle introduit une rupture dans la ligne de propagande qui est celle de lautorité yougoslave depuis le déclenchement du conflit. En évoquant dans ses propres médias linitiative dun cessez-le-feu, elle casse sa ligne de propagande consistant à décrire lensemble de la situation comme une agression extérieure contre un pays pacifique.
Je crois que cet épisode a aussi montré la capacité de réponse coordonnée et réfléchie entre les cinq membres du Groupe de contact engagés antérieurement dans la fixation du cadre politique et aujourdhui engagés dans laction.
Je voudrais souligner quil faut aujourdhui ne pas surévaluer les résultats atteints, comme il y avait le risque de les sous-évaluer il y a huit jours. On ne sait pas tout. Il faut garder la mesure et la part dincertitude sur toute évaluation de terrain alors que lon est encore dans laction et que nous navons pas dhommes sur le terrain. Ceci est vrai pour les opérations militaires, et encore plus vrai pour les mouvements de personnes déplacées ou expulsées. Il me semble que lon est à un moment où il faut être aussi prudent que dans les quinze derniers jours face aux emballements et aux extrapolations. Je veux souligner que la précaution est toujours aussi impérieuse à légard des civils et que notre responsabilité consiste à limiter les risques pour nos pilotes. Ajoutons quil persiste, comme le général Kelche la rappelé tout à lheure, un risque sol-air appréciable et que nous avons eu de multiples moyens de vérifier que les armées yougoslaves avaient dissimulé un certain nombre de capacités. Maintenant que nous sommes dans une phase où lon agit directement sur les forces au Kosovo, nous avons encore un coefficient de complexité supplémentaire qui est précisément lincertitude sur la situation des populations civiles et tous les risques associés aux pressions et aux actes de terreur exercés sur les civils kosovars.
Je voudrais ajouter quelques mots sur le soutien militaire aux personnes déplacées en Macédoine et en Albanie. Vous avez vu que dans les premiers jours de regroupement des personnes expulsées, la logistique de nos armées a été rapide et professionnelle. Vous avez vu larrivée de notre premier pont aérien et des transferts en hélicoptères vers Kukës, ainsi que lentrée en action des forces de lAlliance en Macédoine. Je crois que, comme dans des crises antérieures, on a vu très vite se rétablir un partenariat confiant avec les ONG, notamment les organisations humanitaires. Nous sommes maintenant en train de travailler au sein de lAlliance sur lobjectif de sécurisation des sites daccueil des déplacés, notamment en Albanie, où chacun peut observer quil existe un certain déficit de sécurisation.
Enfin, je dirai quelques mots sur le fonctionnement de lAlliance parce que lon lit et entend des appréciations qui peuvent paraître un peu brusques sur ce sujet. LAlliance est une réunion dautorités politiques, de gouvernements et de chefs dEtats. Il était logique que cette action militaire soit depuis le début menée en coalition. Il faut assumer le fait quau sein dune coalition, il y a des mécanismes de concertation et des différences spontanées dans lapproche des situations militaires, qui peuvent demander des temps dadaptation. Je crois que le premier bilan que lon peut faire ne nous conduit pas à penser que nous aurions dû passer par un autre outil que lAlliance Atlantique qui est aujourdhui loutil adapté à une coalition dans laquelle beaucoup dEuropéens souhaitent prendre leurs responsabilités et trouvent naturel dagir au coude à coude avec les Etats-Unis sur la reconquête de valeurs qui ne nous divisent pas. Les conditions de notre participation à cette action de lAlliance sont équilibrées. Il y a pratiquement 50% de la force aérienne qui relève de la capacité européenne. Au niveau des engagements nationaux, qui participent jour après jour aux différentes actions, on retrouve ce niveau déquilibre. Le rôle des Européens a été tout à fait important dans la fixation du cadre politique et dans la définition des objectifs que nous poursuivons collectivement vis-à-vis du Kosovo. La concertation est étroite dans le déroulement de laction militaire. En faisant la part de ce quest la vie de toute coalition ou de toute organisation multilatérale et en rappelant que cest une première pour lOTAN dagir sur un théâtre de ce type et avec des objectifs communs et limités à la situation dun pays, qui ne sont donc pas ceux dune confrontation avec un grand bloc militaire, je crois que nous devons nous abstenir de toute appréciation sommaire laissant entendre quil y aurait un déséquilibre au sein de lAlliance. Il y aura sans doute des leçons et des analyses à tirer après cette première étape importante. Mais personne névoque dalternatives crédibles à nos choix dactions communes.
Questions
PIERRE BABEY (FR3)
Ma question sadresse au général Kelche. Pouvez-vous quantifier, autant que possible, le degré dérosion des forces serbes ? Ce degré dérosion vous permet-il maintenant denvisager un recours à la troisième dimension, cest-à-dire des hélicoptères et ultérieurement des forces au sol.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Monsieur le Ministre, le ministre canadien de la Défense a déclaré hier que le Canada considérait la possibilité que des troupes de lOTAN pourraient être déployées au sol, au Kosovo : avez-vous un commentaire ? Mon général, vous nous avez montré une photo aérienne du camp de Blace : savez-vous où sont passés les 10.000 réfugiés dont le HCR dit ne pas avoir la trace ?
GENERAL KELCHE
Lérosion dun système de force est quelque chose de très complexe à calculer. Si vous pensez au potentiel pur, je vais vous dire quelque chose qui va vous décourager : je pense quil reste 90% des forces terrestres en action. Mais si vous intégrez le système nerveux, le système logistique, la capacité à durer et la maîtrise de lespace aérien, ces 90% nont plus la même signification. Notre objectif nest pas daller au sol pour affronter ces forces : ce nest pas la stratégie de lAlliance. Sa stratégie est dobliger monsieur Milosevic à se rendre compte quil est dans une impasse, quil doit reculer, revenir sur la base des accords de Rambouillet et arrêter sa politique de répression. Nous prétendons que nous pouvons y parvenir avec cette stratégie. Il faut comprendre que la présence des hélicoptères nannonce pas un engagement au sol. Les Américains envisagent damener sur le théâtre un certain nombre dhélicoptères Apache, pour accélérer au sol les effets des frappes aériennes. Ce nest pas un engagement au sol, mais un engagement aérien prolongé. Ce nest pas la même chose ! Ceci se déroulera sur des modes opératoires quils ont déjà utilisés ailleurs avec succès. Nous attendons de voir se concrétiser cet effort américain supplémentaire, qui constitue de la part de nos alliés américains une prise de risque significative.
ALAIN RICHARD
Jajoute que le déploiement de cette capacité héliportée supplémentaire, comme les autres renforcements des forces, a fait lobjet dune concertation entre autorités politiques et dun accord. Sur Blace, nous ne pouvons pas aujourdhui analyser sil y a une stratégie nouvelle de lautorité serbe à légard des réfugiés. On peut supposer que certains des réfugiés en mouvement auraient été refoulés par la force et lintimidation vers lintérieur du pays mais nous navons pas de données vérifiées sur cette question aujourdhui. Quant au desserrement de lensemble des personnes déplacées, qui étaient dans la zone frontalière de Blace, la plupart dentre elles ont été transportées vers les centres daccueil de Brazda et de Stenkovac qui ont des infrastructures à peu près satisfaisantes et qui sont pour lessentiel tenus par les éléments militaires britanniques et français de lARRC [Allied Rapid Reaction Corps / Force de Réaction Rapide du commandement intégré de lOTAN], qui étaient pré-positionnés. Dautres ont été transférées directement vers un site daccueil en Albanie par accord entre les deux pays. On savait que lorientation des autorités macédoniennes et des autorités albanaises nétait pas la même sur ce sujet. Les alliés et partenaires politiques en charge des questions de réfugiés ont, au cours des 48 dernières heures, agi pour quil y ait autant que possible un rééquilibrage, compte tenu des orientations de ces forces et des autorités politiques. Nous sommes en train de réaliser cela.
ANITA HAUSSER (LCI)
On nous parle dintensification depuis le début : quand aura-t-on atteint le stade maximal de déploiement de forces ? Ou continuera-t-on à demander du renfort jusquà ce que lon décide éventuellement une autre phase ?
ALAIN RICHARD
Lintensification ne sest pas faite depuis le début. Jai fait remarquer au départ que nous navions travaillé que de nuit : nous travaillons maintenant jour et nuit. Nous avons eu au départ une approche systématique afin de détruire les défenses serbes, notamment aériennes, et de diminuer la capacité sol-air pour pouvoir maîtriser lespace aérien de la RFY. Cette intensification sest déjà produite : le nombre de raids de nuit, au cours des trois dernières nuits, a été le double des nuits précédentes, et leffort se poursuivra. Si la météo le permet, nous allons encore accentuer leffort sur le Kosovo et amener de plus en plus de capacités pour acquérir des objectifs et les frapper au sol dans le dispositif déployé. Cest cela lintensification de leffort. Vous pouvez vous attendre à ce que le commandement des opérations exprime de nouveaux besoins en termes de capacité. Je peux vous assurer que les pays y répondront.
ANITA HAUSSER (LCI)
De quoi les troupes de lOTAN ont-elles actuellement besoin ?
ALAIN RICHARD
Il y a un commandant dopérations qui évalue la situation et définit les besoins. Les nations qui sont engagées dans laction contribuent, en fonction de leurs ressources, à satisfaire ces besoins. Cest cela le mécanisme. Et tout cela est bien sûr sous contrôle politique.
AYMERIC CARON (CANAL+)
Javier Solana a déclaré ce matin que lOTAN envisageait de mener en Yougoslavie une action plus collée au terrain : que cela signifie-t-il exactement ? Dautre part, on dit que des diplomates américains et européens, ont commencé à débattre de lenvoi de troupes au Kosovo, sans accord préalable de Belgrade. Pouvez-vous le confirmer ? On parle enfin de lexistence de rapports entre lOTAN et lUCK pour décider des frappes menées au Kosovo : quen est-il ?
ALAIN RICHARD
En ce qui concerne lexpression « collée au terrain », le général Kelche pourra ajouter quelques indications plus concrètes. Mais au niveau du choix collectif des autorités politiques de lAlliance, cela veut dire que nous allons maintenant concentrer une grande partie de leffort sur les capacités militaires serbes au Kosovo. Il y avait une phase préalable qui nest pas terminée puisquil reste des capacités dissimulées et que linfrastructure nest pas totalement détruite. Mais il y a un basculement qui se fait progressivement : les forces yougoslaves en action au Kosovo sont devenues plus vulnérables. On peut donc intensifier laction pour aller vers leur paralysie. La discussion sur une action terrestre est toujours la même : nous pensons que, par rapport à une entrée en force au Kosovo pour essayer de sopposer à lépuration ethnique, laction qui a été choisie par accord entre les gouvernements, en continuité avec la menace qui avait été introduite auparavant, était plus efficace. Il ny a pas de raison de mettre maintenant cette observation en cause. En revanche, puisque nous devons être prêts pour léventualité où lautorité serbe entrerait dans la recherche dune solution politique, en suivant le contenu réel dun cessez-le-feu que lui ont rappelé les cinq ministres des Affaires étrangères, nous devons être prêts à examiner les différentes formes dune force de garantie de sécurité pour que chacun voit quelle est rigoureusement indispensable et quil y a rétablissement du droit de vivre au Kosovo. Il y avait un schéma préexistant qui était celui de la K-FOR : cétait une force organisée au sein de lAlliance avec des participations européennes. Ce schéma est évolutif. Vous avez observé que dans le texte commun des cinq ministres des Affaires étrangères, il est demandé à lautorité serbe quelle accepte le déploiement dune force de sécurité internationale. Il est donc normal que lon fasse preuve dune certaine souplesse dans ce domaine et que lon regarde des possibilités alternatives.
Quant aux rapports avec lUCK, il ny en a pas à ma connaissance : les membres de lAlliance choisissent leurs cibles en fonction du déroulement de la stratégie qui a été arrêtée. La façon dont elle se déroule jusquà présent ne nous fait pas changer davis.
VINCENT HULIN (FRANCE INFO)
Selon nos informations, il y aurait actuellement au Kosovo une collaboration entre lOTAN et les troupes de lUCK. Je voulais simplement avoir une confirmation à laquelle vous venez un peu de répondre : selon vous, il ny aurait donc pas de relations ?
ALAIN RICHARD
Je ne sais pas de quelles informations vous parlez, mais aucun des dispositifs militaires engagés dans lAlliance aujourdhui ne collabore avec lUCK.
THIERRY GUERRIER (TFI)
Vous avez évoqué la rapidité et laspect professionnel de lintervention des troupes françaises pour soutenir les réfugiés. Cela signifie-t-il quelle peuvent avoir aujourdhui besoin, à linstar des Américains, dune montée en puissance de leurs moyens, de leurs équipements et de leurs troupes pour cette mission de soutien et de sécurisation. Certaines sources commencent à évoquer lhypothèse de travaux de létat-major américain sur les plans dune intervention terrestre sur Belgrade, via la Hongrie. Hypothèse loufoque pour certains, mais tout à fait sérieuse pour dautres. Quen pensez-vous ?
ALAIN RICHARD
En ce qui concerne laugmentation de moyens militaires pour la logistique, il ny en aura pas : je crois que nous avons atteint léquilibre. Les résultats obtenus sont plus que satisfaits : nous avons rétabli en deux ou trois jours une situation humanitaire acceptable alors que nous croulions un peu sous le nombre. Je crois que lon est maintenant à un bon rythme avec les capacités logistiques déployées. En revanche, sous langle de la sécurisation, je vais laisser le général Kelche donner le dernier état des analyses. Mais il ny a pas de besoins spécifiques nouveaux en Macédoine. La Macédoine est un Etat qui détient ses propres organisations policières et militaires qui ne présentent pas de déficit marqué à cet égard. En Albanie, lafflux des réfugiés constitue un défi pour assurer des conditions de sécurité convenables dans la partie éloignée de la capitale de ce pays. Une discussion est en cours au sein de lAlliance : je vais laisser le général décrire létat actuel.
GENERAL KELCHE
Juste pour illustrer les propos de Monsieur Richard, nous avons actuellement dix A.T.T. en rotation entre Skopje et Tirana, qui fonctionnent de manière cumulée depuis le début de notre intervention. Nous avons déjà transporté 352 tonnes de fret humanitaire. Nous sommes en outre venus très tôt sur le théâtre en Albanie parce que lon savait quà Kukës la situation était dramatique. Nous avons donc mis en place des rotations dhélicoptères de manoeuvre entre Tirana et Kukës. A ce jour, nous avons monté 33 tonnes à la frontière par ces rotations dhélicoptères et je vous annonce que nous allons doubler notre capacité de rotations en passant à 6 hélicoptères de manoeuvre, voire peut être un peu plus, puisque nos alliés des Emirats Arabes Unis arrivent sur le théâtre avec un hôpital de campagne et un certain nombre dhélicoptères de manoeuvre qui savèrent être français. Nous allons donc former un pool commun dhélicoptères avec nos amis émiratis et renforcer encore cette capacité.
ALAIN RICHARD
Il faut signaler quen ce qui concerne ce pont héliporté, nous sommes pour linstant les seuls Européens à agir de la sorte.
GENERAL KELCHE
Actuellement en Albanie, le total sélève à 145 soldats pour effectuer ces rotations, sécuriser et décharger les avions, ce qui est vraiment un minimum. Ils sont actuellement à un rythme de travail extrêmement soutenu. En ce qui concerne le problème de la sécurisation en Albanie, nous allons maintenant entrer dans une action collective : je rappellerai que lOTAN a été chargée de coordonner le soutien logistique de cette opération, cest-à-dire lorganisation des moyens, lacheminement, lorganisation des bases, des camps, les rotations et la sécurisation sur le terrain. Ce matin même à Shape, il y a une conférence de générations de forces. Cela veut dire quil y a un concept dopérations pour soutenir laffaire humanitaire en Albanie. La conférence de Shape se tourne vers chaque nation et leur demande leur contribution. Actuellement, sur décision politique, un officier général est parti là-bas pour faire les propositions françaises. Il ne mappartient pas de vous les donner, mais sachez que nous serons présents dans le dispositif en Albanie. Nous allons assumer une part de la responsabilité collective pour régler au mieux ce problème humanitaire.
ALAIN RICHARD
Si nous en sommes arrivés à la conférence de générations de forces, cela signifie que sur le concept de base de lopération de sécurisation, nous sommes déjà daccord. Cela fut rapide.
Quant à lidée dune action à partir de la Hongrie, je crois quil ne faut rien exclure. Nous rappelons que lobjectif est de casser lappareil militaire et répressif de la Serbie. Cest pour cette raison que vous avez vu la diversité des lieux de frappes que le général Kelche a illustrée tout à lheure. Il est tout à fait inutile de spéculer sur des manoeuvres stratégiques qui pourraient être entreprises de telle ou telle façon mais lobjectif est celui-là. Il faut réfléchir aux moyens qui peuvent permettre de latteindre efficacement, avec limpératif de protection de la population que nous poursuivons.
ALAIN DUBAT (FRANCE 2)
Vous avez déclaré que les moyens militaires au sol ont encore été relativement peu attaqués, en raison de la présence de boucliers humains. Avez-vous des informations à ce sujet ?
ALAIN RICHARD
Non, je nai pas dit « en raison de... » : jai dit que nous devons, dans toutes les actions développées ou qui vont lêtre à lencontre des forces serbes au sol, être particulièrement attentifs aux risques supplémentaires sur le plan humanitaire que lattitude imprévisible des autorités serbes peut faire courir.
MELANIE MAINGAUD (M6)
Mon général, vous avez dit que vous vous attaquez maintenant aux moyens de communication, comme la télévision ou la radio. Pouvez-vous nous expliquer concrètement pourquoi, de quelle manière et depuis quand vous le faites ?
GENERAL KELCHE
Pourquoi ? Je crois lavoir dit : nous considérons que ces moyens ne sont pas utilisés, comme ils le seraient dans toute démocratie, pour informer des citoyens, mais pour faire de la propagande et de la désinformation. Le nombre de fausses nouvelles diffusées par la radio et la télévision serbe est incalculable. Nous considérons quil sagit dun outil extrêmement dangereux qui contribue à fausser la vision des choses, notamment de la part du peuple serbe. Nous navons donc pas à respecter ce système mais à le détruire, et ce rapidement. Nous continuons, en frappant les émetteurs et les réémetteurs, à détruire le réseau de diffusion des fausses nouvelles.
PATRICK DE SAINT-EXUPERY (LE FIGARO)
Selon les estimations, lUCK dispose-t-elle encore dune capacité opérationnelle de quelque ordre que ce soit ?
ALAIN RICHARD
Lorsque Milosevic a dit quil allait détruire lUCK en huit jours, je ne lai pas cru. Il a réussi à neutraliser un certain nombre de bastions dans le combat classique et le combat daffrontements. Mais ces forces qui sont des forces légères ne sont pas destinées à livrer un combat de haute intensité contre des blindés ou des mécanisés : elles sont faites pour la guérilla dans une guerre de partisans. Or, lUCK a basculé sur lautre logique et il y a un certain nombre dendroits où je pense que ce basculement a été trop tardif, ce qui leur a causé un certain nombre dennuis. Cela dit, lUCK na pas perdu son affrontement avec Milosevic.
PIERRE-MARIE GIRAUD (AFP)
Monsieur le Ministre, pourriez-vous nous donner des nouvelles de ces réfugiés qui auraient été renvoyés vers lintérieur du Kosovo à la suite du refus des autorités macédonienne de les accueillir ?
ALAIN RICHARD
Non. Quand on ne sait pas, on naffirme pas. Nous collectons aujourdhui des renseignements sur les mouvements de personnes déplacées à lintérieur du Kosovo. Nous ne pouvons pas aujourdhui donner de confirmations à lallégation selon laquelle beaucoup de réfugiés auraient été à un moment donné retenus près de la frontière à la suite de la très grande lenteur des Macédoniens à les admettre sur le territoire. Dans un tel domaine, il faut essayer de mener sa propre expertise et de recouper toutes les informations : nous préférons nous en tenir aux évaluations faites par le Haut Commissariat aux Réfugiés qui a démontré sa crédibilité dans ce domaine. On sait déjà que certains chiffres concernant par exemple le nombre de personnes dans tel ou tel site ont été exagérés à un moment donné, de façon tout à fait explicable, notamment à cause du désordre de certains de ces camps improvisés. Il peut y avoir un sujet de préoccupation qui serait en effet de nouveaux mouvements forcés de personnes déplacées à lintérieur du Kosovo, mais nous ne pouvons pas aujourdhui identifier ni le sens de ce mouvement, ni avancer des chiffres.
BRUNO DIVE (SUD OUEST)
Monsieur le Ministre, redoutez-vous une tentative de déstabilisation du Monténégro ?
LAlliance est-elle prête à y faire face ?
ALAIN RICHARD
Les liens sont maintenus avec les autorités du Monténégro : chacun connaît leur situation de droit à lintérieur de la Fédération yougoslave. Cela peut être pour les autorités yougoslaves une façon de compliquer et délargir les enjeux du conflit. Ce serait donc une prise de risques supplémentaire pour les autorités serbes. Nous nous en tenons à ce quest aujourdhui le respect du droit à lintérieur de cette entité fédérale. Il ny a pas de prises de position. Il y a le maintien du dialogue et de relations politiques. Il y a la volonté qui, je pense, sexprimera par les Européens, par les faits et par une déclaration, dapporter le soutien humanitaire qui est nécessaire, par les canaux appropriés, aux autorités et à la population monténégrine et aux déplacés qui sont là-bas. Il ny a pas, à ce stade, de prise de position politique nouvelle sur ce sujet.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Monsieur le Ministre, excusez-moi de revenir sur laffaire de Blace, mais il y avait des milliers de réfugiés qui étaient non pas stockés de lautre côté de la frontière mais à lintérieur de ce camp, sous le contrôle des Macédoniens. Le HCR dit aujourdhui quil en manque 10.000. Est-il concevable que la police macédonienne ait repoussé ces 10.000 personnes au Kosovo, entre les mains des Serbes, et que les forces françaises, qui sont présentes par centaines sinon par milliers, à seulement quelques kilomètres, naient pas pu voir un tel déplacement dans la nuit ? Nest-ce pas une bonne raison qui permettrait de penser quil y a effectivement eu quelque chose de bizarre, comme le prouveraient les photos de poussettes et de valises ? Quand les gens nont plus quune poussette ou une valise, ils lemmènent et ne la laissent pas, à moins davoir été chassés.
ALAIN RICHARD
Je ne vais pas improviser alors quil sagit dévénements récents, sur lesquels nous navons pas recueillis lensemble des informations. Aujourdhui, nous navons pas de signes concrets dune opération de la police macédonienne consistant à repousser vers le Kosovo des personnes. Au contraire, les indications que nous recueillons nous font penser que le rassemblement de personnes en situation très précaire à Blace a été résorbé par des transferts vers les autres centres daccueil qui sont correctement organisés en Macédoine, ou vers un site albanais.
GENERAL KELCHE
Le général Valentin a rendu compte quà la période où Blace sest vidé, il est arrivé plusieurs milliers de personnes en cars, en lespace de quatre heures, dans le camp que les Français mettent sur pied et protègent. Donc tout nous laisse penser quil y a bien eu un mouvement de transfert : le problème est dévaluer son volume vers un certain nombre de camps en Macédoine.
BERNARD EDINGER
Oui, mais il en manque quand même 10.000.
ALAIN RICHARD
Cette arithmétique est impossible à faire.
BERNARD EDINGER (REUTER)
Vous ne pouvez donc pas nous renseigner ?
ALAIN RICHARD
Tant quun fait nest pas avéré, on sinterroge et on naffirme pas. Le HCR avec qui nous avons des relations de confiance, qui sait gérer ces situations et maîtriser son expression, est également en train de faire ses recoupements et ses vérifications. Nous le faisons évidemment en étroite coopération avec eux.
AYMERIC CARON (CANAL PLUS)
Monsieur le Ministre, après les événements des derniers jours, il semble difficile aujourdhui denvisager lautonomie du Kosovo, comme le prévoyait laccord de Rambouillet. Ne se dirige-t-on pas plutôt vers une solution politique qui serait de lordre de la partition du Kosovo, ce qui arrangerait peut-être finalement, Slobodan Milosevic. Nest-ce pas ce quil cherche ? Ne craignez-vous pas finalement davantager un petit peu le président serbe ?
ALAIN RICHARD
Non. Ceci ne correspond à rien.
PATRICE DESAUBLIAUX (LE FIGARO)
Monsieur le Ministre, je voudrais vous interroger sur lappréciation que vous pouvez porter aujourdhui sur le comportement de lopinion publique. Il est dit et répété que lopinion publique française aujourdhui a un comportement totalement différent de la période de la guerre du Golfe. Est-ce votre impression ? Quel est votre sentiment sur cette opinion publique ? Et parallèlement, un renforcement du plan Vigipirate commence à se manifester. Sur les problèmes de sécurité, avez-vous des inquiétudes ou seulement des précautions pour maintenir une sécurité sur le territoire ?
ALAIN RICHARD
Je vous rejoins tout à fait quand vous dites que les positions de lopinion publique sont totalement différentes de ce quelles étaient à légard de la guerre du Golfe. Il y a mille raisons pour cela. Ce qui fait que spontanément, dès les premiers jours - et nous avons bien sûr les sondages comme mesures avec toute une série dautres indications - , une majorité de nos compatriotes ont reconnu que la décision des autorités françaises correspondait à ce quil fallait faire. Nous sommes à deux mois des élections européennes. Ce qui montre quen 15 ou 20 ans, les Français ont compris, comme dailleurs tous leurs voisins, quils vivaient en Europe et quil y avait des enjeux sur les valeurs les plus fondamentales des sentiments dappartenance européens, et quune action devait être menée, si lon ne voulait pas se résigner à laisser bafouer les valeurs européennes les plus essentielles. En tout cas, on sait quelles sont partagées par nos partenaires américains et quelles sont au coeur du sentiment dappartenance des Européens. Nous ne voyons pas aujourdhui nos concitoyens se décourager et sinterroger. Ils comprennent pourquoi nous agissons et reconnaissent la légitimité de lobjectif que nous poursuivons : laisser les gens vivre ensemble comme des Européens au Kosovo. Ensuite, je crois quil y a une partie de la mémoire populaire qui tient à ce que la France se soit engagée dans toute une série de conflits au cours de ce siècle. Elle a parfois retardé le moment ou éludé le choix dentrer dans un conflit, comme dans les années 30. Je crois que dans lesprit du public français, à la base, il y a lidée que lon nobtient pas la victoire par la faiblesse contre des situations dinjustice majeure et contre des agressions. Nos concitoyens adhèrent sans joie particulière ni légèreté à lidée que lemploi de la force est légitime dans ces conditions et ces limites.
Quant aux précautions de sécurité, cest un mouvement classique et traditionnel. A partir du moment où il y a enclenchement dun conflit, on remonte dun cran le niveau de précautions vis-à-vis dun certain nombre de fonctions essentielles. Cela a aujourdhui pour nom « Vigipirate ». Nous ne percevons pas de risques spécifiques, ni de transplantation du conflit sur le sol français et européen.
PIERRE JULIEN (RTL)
Mon général, vous nous avez confirmé donc que les forces serbes au sol étaient désormais attaquées. Des véhicules blindés ont-ils été effectivement détruits ? Quel est leur nombre ? A-t-on une idée du bilan ? Lattaque de ces engins est-elle parmi les missions reconnues à laéronautique navale et à larmée de lair française ?
GENERAL KELCHE
Je confirme la destruction de forces blindées mécanisées au sol. Je ne peux pas vous donner les effectifs, cela ne mappartient pas. Les avions français participent effectivement à ces attaques au sol avec des systèmes de tour de rôle en matière dalerte. Ce sont des alertes en vol pour la plupart et dans des créneaux de temps précis avec des zones géographiques assignées en fonction des renseignements. On surveille les zones et on cherche à détecter les mouvements de troupes, de blindés notamment, pour les engager.
JEAN-DOMINIQUE MERCHET (LIBERATION)
Les Français utilisent-ils des bombes Béluga ? Aujourdhui que pensez-vous, lun comme lautre, de la doctrine demploi dite du « zéro mort » ?
GENERAL KELCHE
Béluga, non. Si vous regardez les conditions de mise en oeuvre dune Béluga, vous comprendrez pourquoi. Quant au « zéro mort », je ne connais pas ce concept.
ALAIN RICHARD
Il y a des différences entre Européens et Américains, et parfois entre Européens, et on assiste à certains moments, dans certains secteurs de notre société, à une démarche qui consiste à mettre en cause les Etats Unis. Cela prend différentes formes. En général, dans ce cas là, on dénonce les Américains en usant de simplifications ou derreurs danalyse. Il nous arrive davoir des désaccords avec les Etats Unis. La France est un peu réputée pour cette démarche doriginalité et dauthenticité européenne. Mais je voudrais appeler lattention sur le fait que toute une série des critiques faites à lencontre des Etats Unis, sagissant de la gestion de conflits, notamment avec lemploi des armes, sont des critiques que lon ferait à légard de tout détenteur de la responsabilité de laction. Le « zéro mort », naturellement, est une caricature. Si cette opération ou une autre qui lui ressemblerait, était menée, dans cinq ou dix ans, sans participation américaine mais avec un commandement politique et militaire strictement européen, toute une série détapes et de choix par lesquels il faut passer, et que souvent on dénonce comme des caricatures américaines, simposerait à tout décideur de ce genre dopération dans la gestion dun conflit. Ne pas exposer ses hommes, notamment dès le début dune opération, alors que lon nest pas à la phase décisive, est un réflexe qui vient à tout décideur, dans la conduite dune gestion de crise.
Quand il a fallu constater que le processus de Rambouillet grippait et que cela relevait de la seule responsabilité de lautorité yougoslave, il a bien fallu que les deux coprésidents Robin Cook et Hubert Védrine constatent quil fallait passer à une autre phase dans la gestion du conflit. Nous savions, cela a été en particulier un des sujets de discussions quand on sétait rencontré à six à Bonn pour parler du constat de la rupture, que lon ne pourrait pas aller plus loin dans la légitimation de laction par les Nations Unies, parce que lon savait quà court terme un refus russe et chinois sy opposerait. Même sil ny avait eu que des Européens, on aurait fait ce choix aussi.
JOHN KEATING (KUNAIR NEWS AGENCY)
Y a-t-il actuellement des questions et des discussions au niveau politique en France, de déployer, comme les Américains, des hélicoptères de combats français ? Parmi les cibles que vous avez touchées, la caserne se trouvait-elle au Kosovo ? Etait-ce une caserne des forces spéciales qui opéraient contre les civils au Kosovo ? La caserne était-elle habitée ?
GENERAL KELCHE
Je ne peux pas vous dire où cela se trouve. Quant à lemploi de forces héliportées pour attaquer les chars, cela nest pas dans nos projets aujourdhui. Quand nous disposerons de la prochaine génération dhélicoptères qui est maintenant en cours de réalisation, nous pourrons aborder cette question avec beaucoup plus desprit offensif, ce qui prouve au passage, quun certain nombre doptions européennes qui ont été prises en matière de renforcement de nos capacités nétaient peut-être pas si mauvaises que cela.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 13 avril 1999)