Texte intégral
N. Pierron.- Un mot d'abord sur les européennes. On est à trois jours du scrutin, l'abstention ne semble pas vouloir reculer, selon les sondages. Est-ce que, selon vous, c'est une campagne qui aura été ratée au final ?
Je crois qu'il ne faut pas plaquer sur l'Europe les malaises anciens. Aujourd'hui, il y a au moins deux très bonnes raisons d'aller voter dimanche. La première, c'est que les parlementaires européens n'ont jamais eu autant de pouvoir sur nos vies quotidiennes et on l'a vu dernièrement, quand ils ont voté le plan énergie-climat, par exemple. Ou quand ils votent un grand plan de recherche conjoint sur Alzheimer. Aujourd'hui, les parlementaires européens ont vraiment du pouvoir, ce qui n'était pas le cas il y a dix ou quinze ans. La deuxième raison, absolument essentielles pour aller voter, c'est que la France doit avoir une influence en Europe. Une influence forte. Et que plus les Français s'engageront dans ce scrutin et voteront, quel que soit le parti pour lequel ils votent, plus ils assureront l'influence et le rayonnement de la France en Europe. C'est vrai que la PFUE, de ce point de vue-là, a été un tournant dans l'émergence d'une Europe plus politique en Géorgie, plus économique face à la crise. Donc il faut absolument que nous votions pour j'allais dire, montrer à quel point la France est concernée par l'Europe. Et à quel point elle veut être présente et active dans l'Europe.
Mais finalement, une très forte abstention, est-ce que ce n'est pas aussi le signe que l'Europe laisse indifférent ? Ça, c'est plutôt évident, et qu'au final, il n'y a plus de polémiques sur la présence des institutions européennes par rapport à la France, comme une sorte d'acceptation par l'électorat ?
Oui, c'est évident que l'Europe, aujourd'hui, est acceptée. Et c'est sans doute lié au fait qu'on la sent aujourd'hui beaucoup plus protectrice alors qu'avant elle était plus technocratique, bureaucratique, tatillonne, etc. On ne voyait pas bien l'avantage que l'Europe procurait alors qu'aujourd'hui, on voit mieux l'avantage qu'on a à être ensemble, forts, dans un monde multipolaire, avec des grandes puissances asiatiques, les Etats-Unis, etc. Mais on accepte mieux l'Europe, et pourtant, on ne participe pas suffisamment à la désignation de nos représentants. Nos représentants, ce sont ceux qui vont faire l'Europe demain. Donc il faut vraiment voter.
Les cours doivent reprendre ce matin à l'université du Mirail, à Toulouse, débloquée hier par les forces de l'ordre. L'année est-elle complètement fichue pour les étudiants de Toulouse ?
Ce n'est pas du tout ce que nous souhaitons. Ce n'est pas ce que souhaite ce que souhaite la communauté universitaire toulousaine. Nous avons aujourd'hui un plan de rattrapage à Toulouse ; les examens, malheureusement, ne pourront pas se tenir avant l'été, ils se tiendront à l'automne, en septembre, deuxième session en octobre. Il y a un plan de rattrapage qui est prévu, parce qu'il n'est pas question de gâcher l'année, il n'est pas question de sacrifier les étudiants de Toulouse 2. Il faut qu'ils aient les cours, il faut qu'ils rattrapent, il faut qu'ils passent leurs examens et leur diplôme.
A Toulouse comme ailleurs, il y aura donc des rattrapages, avec cinq semaines, grosso modo, pour rattraper quatre mois de cours environ...
Non, non, non, excusez moi, c'est dix semaines manquées, rattrapées par cinq semaines. Le maximum de cours manqués, c'était dix semaines.
Les étudiants les plus pénalisés, c'est aussi ceux qui ont un faible niveau, qui ont aussi peut-être moins d'argent pour se préparer dans de moins bonnes conditions. Comment vont-ils faire ? Ils seront pénalisés par rapport aux autres.
C'est évident que les blocages, et je le déplore - et c'est pour ça que je les ai condamnés depuis le début -, les blocages font des victimes. Et ces victimes, c'est d'abord les étudiants les plus fragiles financièrement, ceux qui travaillent pour payer leurs études et ceux qui sont aussi les plus fragiles scolairement parce que, évidemment, sur cinq semaines, en mettant les bouchés doubles, on arrive à transmettre l'essentiel des savoirs de l'année, mais on n'arrive pas à mettre en place de tutorat, on n'arrive à mettre de l'accompagnement pédagogique adapté pour les plus fragiles. C'est pour cela que de mon côté, j'ai pris des mesures sociales, c'est-à-dire que j'ai décidé de prolonger les bourses, parce que les examens sont décalés, ce qui est le cas dans une quinzaine d'universités - c'est prolongé jusqu'en juillet. Eventuellement, on regardera pour Toulouse 2 le Mirail, pour prolonger peut-être en septembre, de façon à ce que les étudiants puissent avoir vraiment les moyens de continuer à étudier et de passer leurs examens dans la sérénité.
Est-ce que la tentation ne va pas être trop forte de rendre les examens plus faciles par les établissements touchés par les blocages ? On peut lire ce matin, dans Le Figaro, des témoignages d'étudiants qui racontent qu'ils ont eu le choix entre quatre sujets au lieu d'un habituellement ou que l'examen n'a duré qu'une heure au lieu de quatre normalement. Est-ce qu'on aura des examens au niveau national, dont le niveau sera garanti ?
Nous avons travaillé avec toutes les équipes dirigeantes des universités. Il faut savoir, pour récapituler, qu'à peu près la moitié des universités, n'ont pas, ou très, très peu été touchées par le mouvement - la moitié des universités. C'est important à dire pour l'image de l'université française. Il y a une autre moitié qui a été très perturbée ou longtemps perturbée, au moins dans certaines de ses composantes. Et puis, il y a une petite minorité, une dizaine d'universités qui a été longtemps et lourdement perturbée.
Comme Toulouse par exemple...
Comme Toulouse 2, qui a été l'université la plus perturbée du mouvement. Donc nous avons travaillé les plans de rattrapage avec les recteurs. Nous avons retravaillé certains plans qui ne nous paraissaient pas suffisants. Nous souhaitons, aujourd'hui, qu'il y ait des rattrapages très consistants des cours. "Très consistant", cela veut dire que nous estimons qu'il faut que 70 %, au moins, du programme ait été travaillé par les étudiants. Maintenant, il est possible que dans certaines universités, dans certaines facs, certains enseignants ne jouent pas le jeu.
Est-ce qu'il a des sanctions qui seraient prévues dans ce cas-là ?
Je le dis : d'abord, je pense qu'il s'agit vraiment d'une minorité. Je pense que l'ensemble de la communauté enseignante souhaite que les diplômes aient une valeur et qu'ils ne soient pas bradés. Cela veut dire, oui à la souplesse mais non au laxisme ; oui à des aménagements pour faciliter le travail des étudiants, mais oui aussi au rattrapage de cours. Et si jamais nous avons des témoignages ou nous avons des retours qui montrent que les plans de rattrapage que nous avons approuvés, qui ont été approuvés par les recteurs, ne sont pas suivis, à ce moment-là, les recteurs prendront la décision de déférer l'absence de rattrapage au tribunal administratif.
Avec quel type de sanctions éventuelles à la clef ?
Si le plan de rattrapage est jugé insuffisant par le tribunal administratif, il peut y avoir avalidation (sic) des diplômes.
Donc les étudiants seraient encore pénalisés...
C'est pour cela que je pense que la communauté universitaire aura à coeur de faire ces plans de rattrapage et de les faire vraiment bien, et dans de bonnes conditions.
Vous rencontrez aujourd'hui les ambassadeurs des pays partenaires de la France en matière d'échanges universitaires. J'imagine qu'ils ne sont pas très contents de ce qui s'est passé. Quelles garanties vous pouvez leur apporter pour l'année prochaine, par exemple ?
C'est vrai que je recevrai les ambassadeurs de tous les pays qui sont partenaires de la France, parce qu'évidemment ils ont été surpris par la longueur de ce mouvement et par l'ampleur des perturbations dans certaines universités avec lesquelles ils avaient des échanges. Je parlerai avec eux des difficultés que nous avons eues. Nous parlerons aussi de l'image de l'université française et je leur expliquerai pourquoi ces blocages ont eu lieu, et à quel point la réforme que nous sommes en train de faire de l'université, cette réforme de l'autonomie, est une réforme essentielle, qui va changer profondément l'université française pour le meilleur, et à quel point le fait que l'année prochaine nous aurons la moitié des universités françaises qui seront autonomes, puisque une vingtaine d'universités supplémentaires passeront à l'autonomie, de façon sûre en 2010, peut-être plus encore, puisque nous avons encore une dizaine d'universités qui sont auditées, donc plus de la moitié des universités françaises seront autonomes. L'autonomie c'est la capacité de recruter les meilleurs enseignants, d'améliorer les formations, de mener une vraie stratégie de recherche et c'est surtout une fierté d'établissement qui va se créer et qui aura, je pense, des retombées très positives sur les études.
Est-ce qu'il n'était pas plus prudent de repousser cette nouvelle d'autonomisation des facs, alors qu'on peut redouter une éventuelle nouvelle grève l'an prochain ?
Je crois qu'il faut voir plus loin. Il faut voir l'intérêt général de l'université française, il faut voir l'intérêt de nos étudiants à long terme. C'est vrai que par le passé, à chaque fois qu'il y a eu un mouvement, eh bien on a reculé, on a cédé. C'est vrai que la tentation est toujours grande, quand il y a un mouvement universitaire, de penser à court terme, de se dire : oh la, la, il faut que ça s'arrête, il faut que le calme revienne, il faut que les étudiants reprennent leurs cours. Mais on a eu ce raisonnement pendant vingt-cinq ans et ça fait vingt-cinq ans que cette réforme de l'autonomie, qui est le modèle dans tous les grands pays d'éducation et de recherche, que cette réforme de l'autonomie de l'université, elle est ratée. Elle est ratée depuis 1984, où la loi Savary s'appelait "loi d'autonomie" et où face à la contestation à l'époque syndicale et aussi étudiante, on a reculé, reculé, reculé. Donc, je crois qu'aujourd'hui, les universités prennent leur envol, elles prennent leur autonomie, elles deviennent maîtres de leur destin, elles vont avoir les indicateurs de performance, sur l'insertion professionnelle de leurs étudiants, sur la réussite de leurs étudiants, sur leurs performances de recherche, et elles vont être financées en conséquence. C'est un fonctionnement très vertueux qui va changer le visage de l'université française et c'est bon pour les étudiants.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 4 juin 2009