Interview de M. François Bayrou, président du Mouvement démocrate (MoDem), à Europe 1 le 9 juin 2009, sur les résultats des élections européennes pour le MoDem, la stratégie électorale de F. Bayrou et la polémique avec Daniel Cohn-Bendit (Europe Ecologie) durant la campagne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Merci d'être avec nous, F. Bayrou bonjour.

Bonjour.

Très vite vous avez reconnu une erreur. Est-ce d'avoir confondu des élections pour l'Europe avec une présidentielle, est-ce que vous vous êtes trompé de campagne ?

Non. J'ai cru que le sujet de la France et le sujet de l'Europe étaient impossibles à séparer, et j'ai pensé qu'il ne fallait pas les séparer. Visiblement ce n'est pas ce que les Français dans leur majorité ont retenu parce qu'ils ont eu l'impression qu'il fallait au contraire faire de l'Europe un sujet à part. De ce point de vue-là en effet, je n'ai pas réussi à faire passer cette idée qui pourtant est pour moi évidente et centrale puisque comme vous le savez, il n'y a pas Europe s'il n'y a pas de patries, s'il n'y a pas de pays, s'il n'y a pas d'enracinement.

Depuis dimanche, vous avez tout entendu, vous avez tout lu. "F. Bayrou n'a que ce qu'il mérite, il est d'abord victime de lui même, il est hyper personnel". D'abord comment vous vivez une telle déroute de votre parti ?

Oui les mots de "déroute" sont des mots excessifs. Dans la vie, il y a des moments bons et des mauvais moments qui ne le sont pas, il y a des mauvais moments et tous ceux qui nous écoutent le savent.

Mais comment vous le vivez ? C'est ça qui est important ?

Je le vis avec... Ce n'est pas le moment le plus agréable de ma vie, si c'est ça que vous voulez dire. En effet, la cascade d'accusations, de condamnations, naturellement ça touche. Ça touche mais ça ne fait pas changer un homme sur le fond, tout ce qu'il croit et de la vérité qu'il veut défendre et porter.

C'est-à-dire qu'il n'y a pas de surprise, mais il y a des nuits blanches et peut-être des doutes ou des interrogations ?

Oui il y a des nuits qui sont en effet un peu éveillées, on va dire ça comme ça. Mais vous savez bien ce que c'est et tous ceux qui nous écoutent le savent bien : le jour où vous avez le succès on vous adule, à ce moment là il n'y a pas de mot assez fort, trop excessif, pour dire que vous êtes formidable ; et puis le jour où ça va moins bien, à ce moment-là, les mêmes viennent et expliquent que vous êtes nul, que vous l'avez toujours été, que vous le serez toujours et que vous n'avez que ce que vous méritez et bien moins encore que vous méritez bien davantage.

Dans le revers du MoDem vous avez reconnu votre part de responsabilité, ou votre responsabilité. Qu'est-ce que vous-même vous vous reprochez ?

Je me reproche deux choses principalement... enfin si je me reproche, je n'ai pas envie non plus de battre ma coulpe, ce n'est pas ma nature et je ne le ferai pas, en expliquant que tout ce qui était vrai hier est faux aujourd'hui, ce n'est pas du tout ce que je pense. J'ai eu au fond deux orientations, ou deux éléments qui n'ont pas été justes et qui ont joué contre nous. Le premier, on en a parlé, c'est-à-dire l'idée que France et Europe c'était la même chose et qu'il fallait parler de France en même temps que Europe ; et le deuxième - et donc du pouvoir français en même temps que du pouvoir européen - et la deuxième c'est ce moment de polémique excessif que j'ai eu dans le débat sur France 2 avec Cohn-Bendit qui a été de ce point de vue-là... qui n'était pas adapté au moment.

F. Bayrou, comme c'est un moment important, pour à la fois les Français sur le plan de la politique et puis pour vous, et pour comprendre, est-ce qu'on peut reprendre quelques critiques qui sont les plus fréquentes. D'abord vous F. Bayrou...

Est-ce qu'on peut revenir au débat une seconde...

On va y revenir bien sûr. Vous, européen par tradition, vous parlez peu de la crise, peu d'environnement, peu Europe ; on dit que vous parliez d'abord et seulement de vous pendant cette période.

Vous avez eu cette impression ? Non, on m'accuse d'avoir parlé de N. Sarkozy et du pouvoir actuel, ça c'est vrai.

De vous et après de lui, l'anti Sarkozy tous azimuts.

Je ne me souviens pas d'avoir parlé de moi, mais vous savez, on est mauvais juge de soi même, comme vous savez.

Et votre stratégie a reposé beaucoup sur un anti-sarkozysme tous azimuts, est-ce que les électeurs n'ont pas pris ça pour une obsession personnelle à l'égard de N. Sarkozy et ils n'ont pas compris, ils n'ont pas forcément suivi ?

Je pense que le succès vraiment très fort du livre a un peu écrasé le reste des messages. C'est un livre qui a été formidablement accueilli par les Français, ce qui prouve que c'était la preuve d'un besoin au moins d'une grande partie des Français.

A un moment de la campagne.

A un moment, mais c'était le 30 avril. Donc par la suite, c'est vrai que sans doute le succès du livre a empêché qu'on entende le reste des affirmations, des propositions, des réunions innombrables que nous avons eues exclusivement sur le thème européen. J'avais un journaliste dans mon bureau hier qui m'a dit : je vous ai suivi pendant toute la campagne et j'étais stupéfait parce qu'on disait Bayrou ne parle pas de l'Europe et moi je vous entendais, réunion après réunion, n'aborder ou ne parler que de ce sujet sur le fond. Mais il y a eu un déséquilibre médiatique entre le livre - et donc ce que je disais du pouvoir - et ce que nous disions de Europe.

Comme si vous aviez été victime de l'abus de votre propre pouvoir.

Comme si j'avais été victime d'un succès oui, mais c'est... bon.

Il y a eu l'affrontement brutal de France 2 avec D. Cohn-Bendit. Qu'est-ce qui vous a pris ?

Il y a deux choses dans ce moment : le premier c'est que D. Cohn- Bendit a explosé dans des injures qui n'étaient pas pour moi acceptables comme au fond de moi-même.

Quand il a dit : "mon pote, jamais tu ne seras...

Non, quand il a dit "ignoble". Et c'est sur le mot "ignoble" que les choses pour moi se sont faites.

Vous avez été blessé.

Ce n'est même pas blessé, il n'y a personne en France qui me traite d'ignoble sans qu'il y ait une réponse, comme ça.

Mais cette réponse-là, on l'a entendu...

Et la deuxième chose, c'est que j'avais en effet découvert ce livre, alors qui lui pour le coup dit des choses qui sont insupportables...

Mais pourquoi, vous avez ressorti, vous, cette vieille affaire ?

Mais parce que je venais de la découvrir, on venait comme ça a été raconté depuis, y compris sur votre antenne, on venait de me le faire lire.

Oui, oui, mais vous, F. Bayrou...

Attendez, attendez. Et donc, "ignoble" et des injures d'un côté, et j'avais ça sur le coeur, parce que pour moi, ce sont des choses lourdes, j'avais ça sur le coeur. Et tout d'un coup, c'est sorti, comme une réponse à des injures insupportables, comme la réponse de quelque chose d'insupportable à des injures insupportables.

Mais vous, qui aimez les débats vifs, quand Cohn-Bendit vous a adressé ces reproches, comment vous n'avez pu, ni pu, ni su garder vos nerfs, vous ?

Ah ! Vous savez, en finale de la Coupe du monde, Zidane donne un coup de tête. Et ça arrive à des gens... Or Zidane est un type, enfin est un homme qui je crois garde ses nerfs en général. Il arrive qu'il y ait des moments où, voilà, tout simplement, s'exprime quelque chose, qui devrait naturellement être gardé, conservé, mise au frigo. Et puis qui tout d'un coup explose, parce que un moment est devenu un moment insupportable.

L'accrochage en public sur France 2, sans doute, vous a coûté cher. Est-ce que vous regrettez les propos que vous avez tenus ?

Alors hein, franchement, il aurait mieux valu que ça ne se passe pas comme ça. Il aurait mieux valu qu'il n'y ait pas cet accrochage, y compris pour nous. Est-ce que je regrette les propos ? Oui, je regrette l'affrontement, mais sur le fond du fond, je ne peux pas dire que j'ai la moindre complaisance ou la moindre indulgence...

D'accord...

Attendez ! Attendez ! Je n'ai la moindre complaisance, ni la moindre indulgence à l'égard des écrits et des actes qui étaient là, rapportés.

Mais vous pouviez les garder pour vous...

Tout à fait.

Est-ce que vous les regrettez ?

Non, mais je vous ai répondu simplement, il y a des...

Est-ce que par exemple, ce matin, vous avez envie de rencontrer à huis clos D. Cohn-Bendit et vous expliquer avec lui ?

Sûrement oui ! Mais je vais vous dire quelque chose : il y a une raison pour laquelle cette chose est pour moi naturellement importante et que j'en assume la responsabilité, c'est qu'il y a beaucoup de gens en France, de femmes et d'hommes, qui avaient de moi une idée de celui qui ne va pas dans les débats de bas étage. Et ils ont cru que s'en était un. Et ceux-là, en tout cas, pour moi, ça me touche et c'est au fond, au rapport de confiance qu'il y a entre eux et moi que je pense et, de ce point de vue-là, oui, c'est quelque chose qui me touche et me manque.

Qu'est-ce que vous voulez corriger dans votre stratégie ? Votre comportement et votre style ?

Je pense qu'il faut que je sois moins batailleur. Je pense que... en tout cas, pour moi, rien sur le fond, je souhaite intégralement garder, je garderai intégralement mon intransigeance, parce que ce pour quoi je me bats ne supporte pas la demi-mesure...

Est-ce que vous jouerez plus collectif, comme on vous le demande ?

Oui, mais contrairement à ce qu'on dit, je n'ai jamais cessé de jouer collectif.

Ce n'est pas perçu de cette façon...

Oui, ce n'est pas perçu de cette façon, mais...

Et la dernière question, F. Bayrou, est-ce qu'à cause du 7 juin, vous renoncez à ce qu'a été votre idée fixe : être candidat en 2012 à l'Elysée ?

L'élection présidentielle, c'est les Français qui en décident, et qui en décident le moment venu. Personne d'autre qu'eux. En tout cas, si je dois être les années qui viennent le défenseur intransigeant de ceux qui ne peuvent pas s'exprimer, je le serai, sans la moindre référence à une élection.

D'accord, mais aujourd'hui vous ne savez pas ?

Mais qui sait ? Personne ne sait où il sera en 2012.

Merci, F. Bayrou, de votre témoignage.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 9 juin 2009